CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 9 octobre 2013, n° 10/25204
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gemma (SARL)
Défendeur :
Me Lebosse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Blum, Mme Reghi
Avocats :
Me Huon, Me Lesenechal
Faits et procédure :
Par acte sous seing privé du 15 novembre 1996, Mme Geneviève Dourdin a consenti à la Société Gemma un bail commercial à effet du 1er octobre 1996 portant sur des locaux dépendant d'un immeuble situé à [...], pour une durée de 9 années venant à expiration le 30 septembre 2005, avec pour destination celle de bureau, exposition, vente de tout textile, à l'exclusion de toute autre activité dans les locaux.
Le local commercial est situé en fond de cour d'un immeuble bourgeois, d'une superficie totale de 42 m2 environ, comprenant une petite entrée, deux bureaux, sans accès direct depuis la rue.
Par acte d'huissier du 28 juin 2005, Me Hélène da Camara, ès-qualités d'administrateur provisoire de l'indivision Dourdin venant aux droits de Mme Geneviève Dourdin, a notifié à la société Gemma un congé pour le 31 décembre 2005 avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2006, moyennant un loyer annuel en principal de 42.000 €.
Par acte d'huissier du 18 juillet 2005, la société Gemma a donné son accord au renouvellement du bail pour une nouvelle durée de 9 années à compter du 1er janvier 2006 mais a demandé que le prix du loyer soit fixé au montant du loyer d'origine, augmenté en fonction de l'indice de construction connu au 1er janvier 2006.
Les parties n'étant pas parvenues à un accord sur le montant du loyer du bail renouvelé, les consorts Dourdin représentés par Me Hélène da Camara ont assigné le 28 septembre 2006 la société Gemma devant le Juge des loyers commerciaux, qui, après avoir ordonné expertise et fixé le loyer provisionnel au montant du dernier loyer en cours, a fixé, par jugement du 12 mai 2011, le prix du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2006 à la somme de 17 540,98 € par an ; ce jugement a été confirmé par arrêt de cette cour du 27 mars 2013 ;
Le 21 août 2009, Me Lebosse ès-qualités d'administrateur provisoire de l'indivision Dourdin a fait délivrer à la société Gemma un commandement de payer un arriéré de loyers et charges et de justifier de la souscription d'un contrat d'assurance, l'acte visant la clause résolutoire prévue au contrat de bail.
Par acte d'huissier en date du 18 septembre 2009, la société Gemma a assigné Me Lebosse, ès-qualités devant le Tribunal de grande instance de Paris en nullité du commandement de payer du 21 août 2009.
Par jugement rendu le 14 décembre 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- débouté la société Gemma de ses demandes,
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire au profit de Me Lebosse ès-qualités d'administrateur provisoire de l'indivision Dourdin et ordonne en conséquence l'expulsion de la société Gemma, ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'aide d'un serrurier, du local à usage commercial sus-visé, ce, deux mois après la signification du présent jugement,
- dit que Me Lebosse ès-qualités pourra procéder à l'enlèvement et au déménagement des objets mobiliers garnissant les lieux, soit dans l'immeuble, soit dans un garde-meubles, selon les modalités légales,
- condamné la société Gemma à payer à Me Lebosse ès-qualités la somme de 20.000 € pour les causes sus-énoncées, avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2009 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
- condamné la société Gemma à payer à Me Lebosse ès-qualités une indemnité d'occupation en deniers ou quittance, égale au dernier loyer, taxes et charges en sus, à compter du 1er octobre 2009 et jusqu'à la libération complète des locaux,
- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts, à application de l'article 700 du Code de procédure civile, ni à exécution provisoire du présent jugement,
- condamné la société Gemma aux dépens, qui pourront étre recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société Gemma a interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt de cette cour du 7 novembre 2012, Me Lebosse a été invitée avant dire droit à produire le décompte des loyers et charges en distinguant la période antérieure à la date de renouvellement du bail, de celle postérieure et renvoyé l'affaire à la mise en état pour nouvelle fixation après production de pièces.
Par dernières conclusions signifiées et déposées le 11 juin 2013, la société Gemma demande à la Cour de :
Infirmer le jugement du 14 décembre 2010 en toutes ses dispositions
Constater le caractère non explicite de la dette invoquée,
Prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire et de justifier de la souscription d'un contrat d'assurance,
Subsidiairement,
Constater l'absence de caractère liquide et exigible de la créance de Me Lebosse ès qualités,
Invalider en conséquence le commandement de payer et de justifier de la souscription d'un contrat d'assurance,
Plus subsidiairement,
Constater que le solde débiteur pour la société est de 13 363, 65 €,
Accorder un délai de deux ans à compter de la décision à intervenir pour s'acquitter du montant de l'arriéré en ce inclus le reajustement du dépôt de garantie et toutes autres sommes dues,
Dire et juger que les effets de la clause résolutoire seront suspendus pendant le délai ainsi accordé,
En tout état de cause,
Constater l'absence d'exécution de bonne foi par Me Lebosse ès qualités,
Condamner en conséquence Me Lebosse ès qualités à verser à la société Gemma la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts, la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner aux dépens recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées et déposées le 31 mai 2013, Me Lebosse ès qualités d'administratrice provisoire de l'indivision Dourdin demande à la Cour de :
Dire et juger mal fondée la société Gemma en sa demande tendant à ce que le jugement du 14 décembre 2010 soit infirmé en toutes ses dispositions et, en conséquence,
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur la créance de loyers et charges, le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle, ainsi que les dommages et intérêts que la société Gemma devra supporter, et enfin, sur l'indemnité à laquelle elle devra être condamnée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et statuant à nouveau :
1. Sur l'opposition à commandement de la société Gemma :
Constater que Me Lebosse justifie de sa créance de loyers à la date de délivrance du commandement,
Déclarer mal fondée l'opposition au commandement et la débouter de sa demande de délai,
Débouter, de surcroît, la société Gemma de ses demandes formulées à titre de dommages et intérêts au visa de l'article 700 du Code de procédure civile.
2. Sur les demandes reconventionnelles de Me Lebosse ès qualités :
Constater l'acquisition de la clause résolutoire au profit de Me Lebosse ès qualités d'administrateur provisoire de l'indivision Dourdin et ordonner en conséquence l'expulsion de la société Gemma, ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'aide d'un serrurier, du local à usage commercial qu'elle exploite dans l'immeuble du [...] (dans la cour à gauche, comprenant une petite entrée et deux bureaux).
Dire et juger que Me Lebosse ès qualités pourra procéder à l'enlèvement et au déménagement des objets mobiliers garnissant les lieux, soit dans l'immeuble, soit chez un garde-meubles, au choix de Me Lebosse ès qualités, aux frais, risques et périls de la société Gemma.
Dire et juger que la société Gemma est redevable d'une indemnité d'occupation de 21 472,58 € par an en principal hors taxes et hors charges, correspondant au loyer du bail renouvelé, réactualisé compte tenu de l'indexation annuelle et ce jusqu'à la libération complète des lieux,
Condamner la société Gemma à payer à Me Lebosse ès qualités la somme de 17 366,16 €, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts au visa de l'article 1154 du Code civil, jusqu'à la date des règlements,
Condamner la société Gemma à payer à Me Lebosse ès qualités la somme de 3 000 € à titre de dommage et intérêts, outre celle de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la société Gemma en tous les dépens, tant de première instance que d'appel, en ce compris les frais d'exécution, qui seront recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Au soutien de sa critique du jugement et de sa demande tendant à la nullité du commandement, la société Gemma soulève le caractère non explicite de la dette invoquée, le tableau annexé au commandement qui y fait référence portant à la colonne quittance des débits non explicites qui ne la mettent pas en mesure de déterminer avec précision les sommes mises en recouvrement, et de ce que le décompte n'est pas juste, l'indemnité de 10 % ne devant aux termes du bail porter que sur les arriérés de loyers, et non sur les charges.
Subsidiairement, elle considère ne pas être redevable des travaux de ravalement votés suivant assemblée générale de la copropriété en date du 22 avril 2004, cette demande étant prescrite conformément aux dispositions de l'article 2224 du Code civil et les termes du bail ne prévoyant pas que le preneur doit supporter les frais de ravalement et les travaux prévus à l'article 606 du Code civil.
A titre plus subsidiaire, elle indique être de bonne foi et avoir déjà apuré une partie importante de l'arriéré relatif aux charges et au ravalement et sollicite pour le surplus de sa dette un délai de paiement de deux ans à compter de la décision à intervenir sur le fondement de l'article 1244-1 du Code civil.
Le commandement de payer contient mention de la somme due au titre des loyers et charges arrêtée au 3ème trimestre 2009, outre une indemnité forfaitaire de 10 % ; était jointe à l'acte une situation locative au 29 juillet 2009 comportant décompte des loyers pour la période allant de juillet 2008 à juillet 2009 ;
Cependant, ce seul décompte ne permettait pas à la locataire d'apprécier précisément ce qui lui était réclamé dans la mesure ou l'indivision fait état dans ce décompte d'un solde débiteur de 19 069,99 € résultant d'un décompte distinct non joint intitulé 'avis de loyer du 1er avril 2009" et qui fait contient mention :
- d'un rappel de loyers du 1/10/2005 au 1/10/2008 pour un montant de 5 890,06 € résultant de l'application de la clause d'indexation contenue dans le bail expiré au 31 décembre 2005 puis renouvelé au 1er janvier 2006 ;
- d'un rappel des charges réelles de 2004 à 2008 comprenant les frais de ravalement qui, suivant les termes clairs du bail qui prévoit que le preneur supportera toutes les réparations nécessaires dans les lieux loués, y compris celles de l'article 606 du Code civil, sont à la charge de la société Gemma ;
La circonstance que l'indemnité forfaitaire de 10 % ne peut être réclamée que sur les loyers impayés et non sur les charges, contrairement à ce qui est indiqué dans le commandement, n'a pas eu pour effet quant à elle de créer une confusion sur le montant des sommes réclamées.
Les charges réclamées n'étaient pas prescrites à la date de la délivrance du commandement de payer, le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en paiement des travaux de ravalement n'étant constitué ni par le vote des travaux de ravalement par l'assemblée générale des copropriétaires ni par les appels de fonds du syndic mais par l'arrêté du compte des charges de l'année 2006 ou 2007 incluant le coût total des travaux de ravalement qui n'ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception qu'au 11 janvier 2007, de sorte que l'action en paiement n'est pas prescrite.
Toutefois, s'agissant tant des rappels de charges de 2004 à 2005 antérieures à l'offre de renouvellement de bail par l'indivision à effet du 31 décembre 2005 que des loyers révisés en fonction de la clause d'indexation pour la période allant du 1/10/2005 au 31/12/2005, ils ne pouvaient faire l'objet d'un commandement de payer visant la clause résolutoire dans la mesure où ces sommes étaient déjà exigibles avant l'offre de renouvellement et que nonobstant cette exigibilité, l'indivision a consenti au renouvellement du bail sans pouvoir se prévaloir ensuite de la clause résolutoire pour demander la résiliation du bail.
S'agissant de la réclamation des loyers actualisés postérieurement à la date du renouvellement, elle se heurte au fait que le juge, en ordonnant par jugement du 17 novembre 2006 une expertise pour déterminer le loyer du bail renouvelé, a dit que pendant l'instance et en application de l'article L 145-57 du code de commerce, le montant du loyer provisionnel était fixé au montant du dernier loyer en cours ;
Pendant le cours de l'instance en fixation du loyer du bail renouvelé, la clause d'échelle mobile qui est un élément du prix du loyer a en effet vocation à s'appliquer lorsque le preneur paye le loyer au prix ancien, c'est-à-dire celui exigible contractuellement tel qu'il résulte du bail et de ses révisions. Il n'en est pas de même en revanche lorsque le juge fixe le montant du loyer provisionnel dont le preneur doit s'acquitter pendant l'instance. En pareil cas, la clause d'indexation ne s'applique pas au loyer ainsi fixé, sauf décompte à faire ensuite en fonction du prix du loyer du bail renouvelé tel que fixé.
Il s'ensuit que s'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du commandement de payer délivré le 21 août 2009 alors que la société locataire était manifestement à cette date redevable d'un arriéré de loyers et charges dont elle ne s'est pas acquittée dans le délai du commandement de sorte que la clause résolutoire est acquise, l'imprécision concernant le montant exact des sommes réclamées autorise cependant à considérer la débitrice de bonne foi et à lui accorder un délai suspendant le jeu de la clause résolutoire pour s'acquitter de l'arriéré locatif qui, au visa des décomptes produits par Me Lebosse ès qualités et qui ne sont pas sérieusement contestables, doit être fixé à la date du 15 mai 2013 à la somme de 17 366,13 € ;
La société Gemma devra s'acquitter de cette somme en dix mensualités, en sus du loyer courant, la clause résolutoire dont l'application est suspendue par l'octroi du délai de paiement jouera en cas de défaillance dans le paiement d'une seule mensualité ; en ce cas, l'expulsion de la locataire aura lieu et celle-ci devra payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyer en cours, indexé en tenant compte de l'indexation annuelle telle que prévue dans le bail, à compter de la date de résiliation et jusqu'à parfaite libération des locaux ;
La société Gemma ne caractérise aucune faute de l'administratrice de l'indivision dans la gestion du bien loué qui lui aurait causé un dommage ; Me Lebosse ès qualités ne démontre pas davantage la mauvaise foi de la société Gemma ; il n'y a donc pas lieu à allocation de dommages intérêts de part et d'autre ;
La société Gemma qui succombe essentiellement en ses demandes, supportera les dépens de première instance et d'appel et paiera à Me Lebosse ès qualités une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a ordonné l'expulsion de la société Gemma et de tous occupants de son chef dans les deux mois à compter de la signification du jugement, condamné la société Gemma à payer à Me Lebosse ès qualités la somme de 20 000 € à titre d'arriéré locatif avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2009 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil et condamné la société Gemma à payer une indemnité d'occupation en deniers ou quittance égale au dernier loyer, taxes et charges en sus, à compter du 1er octobre 2009 et jusqu'à complète libération des lieux,
Reformant sur ces points , statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la société Gemma à payer à Me Lebosse ès qualités la somme de 17 366,15 € à titre d'arriéré locatif arrêté à la date du 15 mai 2013, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
Accorde à la société Gemma un délai pour se libérer de sa dette en dix versements mensuels, le premier de chaque mois et pour la première fois le 1er novembre 2013 et ensuite régulièrement, en sus du loyer courant,
Dit que ce délai suspend l'application de la clause résolutoire contenue dans le commandement de payer du 20 août 2009 et qui jouera en cas de défaillance dans le paiement d'une seule mensualité ; en pareil cas, l'expulsion de la société Gemma des lieux donnés à bail et celle de tous occupants de son chef aura lieu, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier ; Me Lebosse sera autorisée à procéder à l'enlèvement des meubles et de tous objets mobiliers garnissant les lieux dans tel garde meubles de son choix suivant les dispositions légales ; la société Gemma paiera à titre d'indemnité d'occupation une somme égale au montant du loyer en cours, indexée en fonction de la clause d'indexation contenue dans le bail.
Condamne la société Gemma aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et la condamne à payer à Me Lebosse une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.