CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 11 janvier 2024, n° 23/05557
PARIS
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
Moneyglobe (SAS)
Défendeur :
Moneytrans Payment Services (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
Mme Lefèvre
Avocats :
SCP Caroline Régnier Aubert-Bruno Régnier, Me Vermont, Selarl Lexavoué Paris-Versailles, Me Hervey-Chupin
Saisi par un acte extra-judiciaire du 8 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement contradictoire du 19 décembre 2022, condamné la société Moneyglobe à payer à la société Moneytrans payment services (ci-après Moneytrans) la somme 641.987,64 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect d'un préavis contractuel de rupture, outre la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 3 février 2023, la société Moneyglobe a interjeté appel de cette décision et par acte extra-judiciaire en date du 5 avril 2023, elle a fait assigner la société Moneytrans devant le Premier président de la cour de céans, afin de voir prononcer l'arrêt de l'exécution provisoire et de voir condamner son adversaire au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure ci vile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
A l'audience, son conseil soutient les conclusions déposées le 22 novembre 2023. Il affirme la recevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, ayant sollicité au dispositif de ses conclusions de première instance que l'exécution provisoire soit écartée et ce pour des motifs développés dans leur motivation.
Il soutient qu'en tout état de cause, il existe un risque de dépôt de bilan en cas d'exécution provisoire de la décision du 19 décembre 2022, eu égard à une situation financière dégradée depuis 2021, le fait que son actionnaire principal soit solvable n'ayant pas à entrer en ligne de compte. Il ajoute que les autres arguments de la société Moneytrans sont inopérants ou dépourvus de pertinence.
S'agissant des moyens sérieux d'infirmation, il évoque d'une part, les errements de son adversaire sur le fondement juridique de son action et d'autre part, l'absence de réponse à son moyen tiré du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
En conséquence, il sollicite que soit ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 19 décembre 2022, le rejet des demandes de son adversaire et sa condamnation au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées le 30 mai 2023, soutenues à l'audience et prises au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile, la société Moneytrans soutient par la voix de son conseil, à titre liminaire, l'irrecevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, faute du moindre développement, dans les écritures adverses, sur une difficulté relative à l'exécution provisoire du jugement et de justification de conséquences excessives qui se seraient révélées après cette décision. A titre principal, elle conclut au rejet de la demande et à titre subsidiaire, au prononcé d'un séquestre des sommes dues, réclamant en tout état de cause la condamnation de son adversaire au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la société Moneyglobe se prévaut d'une situation déficitaire très ancienne, datant de 2021, prétend que le caractère inéluctable du dépôt de bilan allégué n'est pas démontré, s'agissant d'une filiale d'une société florissante, relève que les comptes de l'exercice 2022 ne sont pas produits et impute la situation déficitaire alléguée à des choix délibérés de gestion. Elle avance que le jugement, qui retient le préavis contractuel ne souffre aucune critique et sollicite à titre subsidiaire, en application de l'article 514-5, 518 et 519 du code de procédure civile, que les sommes dues soient consignées.
SUR CE,
Il résulte de l'article 514-3 du code de procédure civile qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
La société Moneyglobe représentée et assistée en première instance a, ainsi qu'il ressort de ses dernières conclusions devant la juridiction consulaire et du jugement entrepris, sollicité que l'exécution provisoire soit écartée, fondant cette prétention sur le fait que l'exécution provisoire était incompatible avec la nature du litige. Cette observation est certes laconique mais elle n'est pas inexistante puisqu'elle renvoie au 1er alinéa de l'article 514-1 du code de procédure civile. La société Moneyglobe est donc recevable à solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire sans avoir à justifier que les conséquences manifestement excessives dont elle excipe se sont manifestées après la décision dont elle a fait appel.
Au fond, la société Moneyglobe évoque, en premier lieu, ce qu'elle qualifie de valse-hésitation de la société Moneytrans quant au fondement juridique de sa demande d'indemnisation, ce qui ne constitue pas un moyen sérieux de réformation, la société Moneytrans ayant pris soin de hiérarchiser ses demandes, la fondant principalement sur la force obligatoire des conventions, à titre subsidiaire, sur les dispositions de l'article L. 442-1 II du code de commerce. Contrairement aux allégations de la société Moneyglobe, le tribunal de commerce n'a pas admis une indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales sur un fondement contractuel, mais il a rendu sa décision, au visa du seul principe de la force obligatoire des conventions et du constat du non-respect par la société Moneyglobe du préavis conventionnel.
Elle ajoute que la demande de la société Moneytrans fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies ne pourra être accueillie qu'au visa de l'article L. 442-1 II du code de commerce. Ce fondement juridique était invoqué à titre subsidiaire devant le tribunal de commerce et est invoqué devant la cour mais surtout la société Moneyglobe dénie ensuite, à la société Moneytrans l'existence d'une relation commerciale établie, passée le 12 novembre 2018 et en déduit, que la société Moneytrans ne serait en conséquence, se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce (page 14 dernier § de ces écritures).
En second lieu, elle reproche au tribunal de ne pas avoir répondu au moyen qu'elle soulevait sur le terrain du déséquilibre significatif pour contester l'application du préavis contractuel, ce qui ne constitue pas en soi, un motif de réformation. Puis elle ajoute que, comme devant le tribunal, elle poursuit devant la cour la nullité de l'article 16 de la convention fixant le délai de préavis à 24 mois, cette clause créant incontestablement après la levée de l'exclusivité contractuelle, le 12 novembre 2018, le déséquilibre dans les droits et obligations des parties prohibé par l'article L. 442-6, 1 2e du code de commerce.
Ce texte, dans sa version applicable à la date de conclusion du contrat, interdit à une partie de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et dans ses écritures, la société Moneyglobe fait abstraction :
- d'une part, de l'existence d'une convention conclue le 23 mars 2011, renégociée ensuite pour y inclure dans une version datée du 27 mai 2011, une clause d'exclusivité réciproque, renouvelable par tacite reconduction par période de 24 mois (sauf dénonciation avec un préavis de six mois) et pour porter la durée du préavis conventionnel de 12 à 24 mois ;
- d'autre part, du fait qu'elle se prévaut non d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à son détriment résultant de la convention conclue mais qui plus est, avait été négociée mais de l'initiative qu'elle a prise, le 12 novembre 2018, de dénoncer à effet du 26 mai 2019, l'exclusivité dont elle bénéficiait.
Faute de caractériser, en l'état de l'argumentation développée devant nous, un moyen sérieux de réformation, la demande de la société Moneyglobe sera rejetée.
La société Moneyglobe sera condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Rejetons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par la société Moneyglobe ;
Condamnons la société Moneyglobe à payer à la société Moneytrans la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
ORDONNANCE rendue par Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.