CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 12 janvier 2024, n° 22/04130
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Opull'ence (SARL)
Défendeur :
Gazzelle (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Avocats :
Me Bessis, Me Boccon-Gibod, Me Rahou
Vu le jugement contradictoire rendu le 20 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Paris.
Vu l'appel interjeté le 17 février 2022 par la société Opull'ence.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 22 septembre 2023 par la société Opull'ence, appelante.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 septembre 2023 par la société Gazzelle, intimée.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 28 septembre 2023.
SUR CE, LA COUR
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société Opull'ence, immatriculée le 14 janvier 1999 au registre du commerce et des sociétés de Paris, se présente comme ayant pour activités la création et la fabrication de vêtements pour femmes sous la marque « OPULLENCE PARIS ».
Elle fait valoir qu'elle a commercialisé sous son nom un modèle de tee-shirt à partir du 19 avril 2020 que Mme [N] [F], styliste, a créé le 27 mars 2020 et dont elle lui a cédé les droits d'auteur. Elle explique que le modèle de tee-shirt se décline en deux versions : l'une avec épaulettes sans manche, dont la référence en interne est « Ellia » et commerciale « Clea Hugs » et l'autre sans épaulette avec manches courtes, dont la référence en interne est « Hugs » et commerciale « Louisa Hugs ». Les tee-shirts, de couleur blanche, comportent sur le devant du vêtement l'inscription « ARMS ARE FOR HUGS ».
La société Opull'ence soutient être titulaire des droits patrimoniaux d'auteur sur ce tee-shirt ainsi que de droits sur un dessin ou modèle communautaire non enregistré.
Elle expose qu'elle a versé 25 % des bénéfices issus de la vente de ce tee-shirt à la Fondation des hôpitaux de [Localité 3].
La société Gazzelle, immatriculée le 9 mai 2019 au registre du commerce et des sociétés de Bobigny, a pour activité la vente en gros d'articles d'habillement et de chaussures.
La société Opull'ence expose avoir découvert que le magasin exploité par la société 3SD sous l'enseigne « Bagatellshop » commercialisait un tee-shirt portant l'inscription « ARMS ARE FOR HUGS », vendu par la société Gazzelle, qui reproduirait de manière servile la combinaison des caractéristiques revendiquées au titre de ses droits d'auteur et de dessin ou modèle communautaire non enregistré sur le tee-shirt « Clea Hugs ».
Elle a été autorisée, par ordonnance sur requête du 26 mai 2020, à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Gazzelle. Les opérations de saisie-contrefaçon ont été effectuées le 3 juin 2020.
Par acte du 15 juin 2020, la société Opull'ence a fait assigner la société Gazzelle devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et de dessin ou modèle communautaire non enregistré et en concurrence déloyale et parasitaire.
Le jugement du tribunal dont appel, a :
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre du droit d'auteur sur le tee-shirt « Clea Hugs »,
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre de ses droits de dessin ou modèle communautaire non enregistré sur le modèle « Clea Hugs »,
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
- condamné la société Opull'ence aux dépens,
- condamné la société Opull'ence à payer à la société Gazzelle 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le jugement est exécutoire à titre provisoire.
La société Opull'ence a relevé appel de cette décision et par ses dernières conclusions demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 20 janvier 2022 en ce qu'il a :
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre du droit d'auteur sur le tee-shirt « Clea Hugs » ;
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre de ses droits de dessin ou modèle communautaire non enregistré sur le modèle « Clea Hugs » ;
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, tant à titre principal qu'à titre subsidiaire ;
- condamné la société Opull'ence aux dépens ;
- condamné la société Opull'ence à payer à la société Gazzelle 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
- juger que la société Gazzelle, en commercialisant une copie servile du tee-shirt « Clea Hugs » de la société Opull'ence, décliné en différents coloris, s'est rendue coupable de contrefaçon de droits d'auteur et de modèle communautaire non enregistré, au préjudice de l'appelante,
- interdire à la société Gazzelle, sous astreinte définitive de 1 500 euros par infraction constatée, de détenir, d'offrir, vendre le produit contrefaisant et ses déclinaisons et de le reproduire sur tous supports,
- ordonner la saisie et la destruction de tous produits, documents, ou supports contrefaisants appartenant à la société Gazzelle et ce, en tous lieux où ils se trouveraient,
En conséquence,
- condamner la société Gazzelle aux sommes suivantes :
- à la somme de 30 090 euros, au titre de la perte de marge, tant en gros qu'au détail,
- à la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi par la société Opull'ence,
- à la somme de 3 000 euros, au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur,
- soit à la somme totale de 43 090 euros à parfaire suite à la sommation délivrée par le présent acte à la société Gazzelle,
À titre infiniment subsidiaire, et au cas où par extraordinaire la cour jugerait que les faits ci-dessus ne constituent pas des actes de contrefaçon, et compte-tenu notamment du risque de confusion, il lui plaira de :
- juger qu'à tout le moins, ces actes constituent des agissements de concurrence déloyale et/ou parasitaire sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- en conséquence, condamner la société Gazzelle à la somme de 43 090 euros, sur ce fondement.
En tout état de cause,
- condamner la société Gazzelle à la somme supplémentaire de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au bénéfice de la société Opull'ence compte tenu de faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire,
- ordonner à titre de supplément de dommages et intérêts, la parution du jugement à intervenir dans 3 journaux au choix de l'appelante et aux frais avancés de la société Gazzelle, dans une limite de 5 000 euros HT maximum par insertion,
- ordonner le remboursement de la somme de 7 086,01 euros réglée par Opull'ence au titre des frais irrépétibles et dépens de première instance (pièce 32),
- condamner la société Gazzelle :
- aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel,
- au frais du constat d'huissier internet du 5 juin 2020,
- aux frais irrépétibles que la société Opull'ence a été contrainte d'exposer :
- soit à la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 code de procédure civile au titre de la première instance ;
- soit à la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel ;
- aux frais de saisies-contrefaçon diligentés par Maître Suissa le 3 juin 2020, en ce compris les honoraires des huissiers.
Par ses dernières conclusions, la société Gazzelle demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 20 janvier 2022 n° 20/04870 en ce qu'il a :
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre du droit d'auteur sur le tee-shirt « Clea Hugs » ;
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre de ses droits de dessin ou modèle communautaire non enregistré sur le modèle « Clea Hugs » ;
- débouté la société Opull'ence de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, tant à titre principal qu'à titre subsidiaire ;
- condamné la société Opull'ence aux dépens ;
- condamné la société Opull'ence à payer à la société Gazzelle 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Opull'ence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Opull'ence à la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 pour les frais engagés au titre de la procédure d'appel ;
- condamner la société Opull'ence aux entiers dépens.
Sur l'atteinte aux droits d'auteur
Il résulte des dispositions des articles L. 111-1, L.112-1 et L. 112-2 10° du code de la propriété intellectuelle que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, que ce droit est conféré à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination et que sont considérées comme des œuvres de l'esprit, les œuvres des arts appliqués.
La société Opull'ence reproche à la société Gazzelle d'avoir reproduit le modèle de tee-shirt « Clea Hugs » ci-dessous représenté. Elle indique que ce modèle est décliné avec des manches courtes sans épaulette.
La société Opull'ence se prévaut de la présomption prétorienne de titularité des droits d'auteur sur ce modèle de tee-shirt « Clea Hugs », celle-ci l'ayant commercialisé sous son nom et de manière non équivoque à compter du 19 avril 2020, ce que ne discute pas la société Gazzelle.
La société Gazzelle conteste l'originalité de ce modèle de tee-shirt estimant que la société appelante ne communique aucun élément relatif à la création de ce modèle, se contente de décrire celui-ci et ne peut s'arroger un droit privatif sur un tee-shirt tendance qu'elle n'a pas créée et sur lequel elle s'est limitée à floquer de manière usuelle une phrase dont le message ne relève pas non plus de sa création.
Il revient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue.
Seul l'auteur est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole, et le défendeur doit pouvoir, en application du principe de la contradiction, connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée.
L'originalité d'une œuvre doit s'apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur.
Il appartient donc à la société Opull'ence qui revendique une protection au titre du droit d'auteur sur le modèle de tee-shirt dont l'originalité est contestée de préciser en quoi l'œuvre revendiquée porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.
La société Opull'ence critique le jugement entrepris qui n'a pas reconnu l'originalité de son modèle estimant que les premiers juges n'ont pas apprécié l'œuvre de manière globale mais ont isolé les caractéristiques revendiquées que sont la forme du vêtement d'une part et les inscriptions, leur couleur et agencement, d'autre part.
Elle invoque en premier lieu la description de ce qui constitue l'originalité de ce modèle faite par Mme [N] [F], créatrice de celui-ci, qui dans une attestation établie le 22 mai 2020 (pièce 9) déclare avoir créé ce modèle le 27 mars 2020 et cédé ses droits à la société Opull'ence. Elle explicite en outre que : « En créant ces tee-shirts en pleine période de crise sanitaire en France et dans le monde, j'ai voulu créer un lien entre les soignants et les malades et exprimer une solidarité envers le personnel soignant et les malades.
Ces tee-shirts évoquent une certaine douceur et chaleur humaine, ainsi qu'un sentiment de fraternité et de solidarité.
Le contraste entre la couleur blanche du tee-shirt et les lettres de couleur rouge interpellent les consommateurs pour évoquer le monde médical souvent représenté en rouge et blanc (couleurs de la croix rouge ou du caducée infirmière).
Leur coupe ample évoque une tunique médicale, permettant des mouvements aisés. »
La société Opull'ence ajoute que l'apport personnel de l'auteur résulte non seulement du choix de la police et des couleurs mais également de la combinaison de l'agencement des termes et de leur position sur le tee-shirt, mais aussi de la forme du vêtement, la combinaison de ces éléments n'étant nullement nécessaire et totalement arbitraire.
Il ressort néanmoins des éléments fournis au débat que la forme du tee-shirt blanc à col rond avec épaulettes « Clea Hugs » était connue au moment de la création de ce modèle en mars 2020, cette forme de tee-shirt blanc « musclé » revisité par le label new-yorkais The Frankie Shop étant déjà mise en avant par les magazines de mode en 2019 tels Grazia dans un article daté du 15 octobre 2019 ou en vente sur le site mango.com le 12 janvier 2020, la date des pièces n'étant pas sérieusement contestée par l'appelante, et par des influenceuses sur Instagram dont les « post » sont commentés par leurs abonnés en octobre 2019 ou février 2020 notamment (pièces 1-1 à 1-7 Gazzelle). De même, en 2018, 2019 la pièce tendance qu'est le « tee-shirt message » est reprise dans de nombreux articles de journaux féminins tels Le journal des femmes, Marie-Claire, Voici ou Femme Actuelle relayés par les influenceuses, étant relevé que l'inscription en rouge en lettres bâtons sur un tee-shirt blanc est communément utilisée sur les modèles mis en avant par ces publications (pièces 2-1 à 2-3 Gazzelle) dont la date est pour les mêmes motifs vainement contestée par l'appelante. Enfin, le slogan, « ARMS ARE FOR HUGS » est celui utilisé antérieurement aux Etats-Unis pour dénoncer les violences avec armes dans ce pays (pièce 3 Gazzelle) et déjà floqué sur des tee-shirt blancs en vente sur le site Internet redbubble.com en 2015, 2016 et 2018, le terme HUGS étant inscrit en plus grands caractères en dessous des mots « ARMS ARE FOR » (pièces 4-1 et 4-2 Gazzelle). Ces pièces sont datées contrairement à ce que soutient la société appelante par les commentaires des internautes publiés sur le site. En outre, le fait, à supposer établi, que le public français ne comprenne pas le message véhiculé est indifférent, les éléments fournis démontrant que l'appelante n'est pas l'auteur de ce slogan et s'est contentée de le reprendre.
Si la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, il n'en demeure pas moins que celui qui se prévaut de cette protection doit justifier de ce que l'œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Or, il résulte de ce qui précède que tant la phrase revendiquée inscrite en couleur rouge dans une police et un agencement banals que la forme du tee-shirt décrit, sont des caractéristiques connues et leur combinaison qui consiste à apposer ce slogan sur un tee-shirt dans la tendance de la mode qu'est le « tee-shirt à message » ne témoigne nullement de choix libres et créatifs révélant la personnalité de leur auteur, l'absence d'antériorité de toute pièce reprenant cette combinaison étant à cet égard indifférente. La circonstance que ce modèle de tee-shirt a été créé à l'occasion de la crise sanitaire en soutien du personnel soignant et qu'une partie des fruits de la vente de ce modèle est reversé à la Fondation des hôpitaux de France, qui ne sont que des éléments de contexte, est également inopérante à caractériser l'originalité de celui-ci. De même, la reprise du slogan utilisé par les manifestants aux Etats-Unis pour une autre cause qu'est le soutien du monde médical ne témoigne d'aucun parti pris esthétique.
La société Opull'ence échoue à démontrer l'originalité du modèle sur lequel elle revendique des droits d'auteur et sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre de la contrefaçon du droit d'auteur. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'atteinte au dessin ou modèle communautaire non enregistré
Selon les dispositions de l'article 4 du règlement (CE) n° 6 /2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, 'la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel'.
L'article 5 §1 du même règlement énonce qu'un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public : a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois. Il est ajouté à l'article 5§2 que « des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».
L'article 6 dispose qu'un « dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public : a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ».
Selon les dispositions de l'article 11 §1 du même règlement, « Un dessin ou modèle qui remplit les conditions énoncées dans la section 1 est protégé en qualité de dessin ou modèle communautaire non enregistré pendant une période de trois ans à compter de la date à laquelle le dessin ou modèle a été divulgué au public pour la première fois au sein de la Communauté. »
Il est précisé à l'article 11 § 2, « Aux fins du paragraphe 1, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public au sein de la Communauté s'il a été publié, exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière de telle sorte que, dans la pratique normale des affaires, ces faits pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. »
La première divulgation au public du modèle de tee-shirt « Clea Hugs » dans la Communauté est le 19 avril 2020, date retenue par le tribunal et non discutée par les parties.
Le 19 avril 2020 est donc la date à laquelle il convient d'apprécier, au regard des modèles divulgués antérieurement, si ce modèle satisfait aux conditions cumulatives de nouveauté et de caractère individuel auxquelles est subordonnée la protection au titre des dessins ou modèles communautaires non enregistrés.
Pour contester la nouveauté et le caractère individuel du modèle de tee-shirt « Clea Hugs », la société Gazzelle invoque le tee-shirt commercialisé depuis 2015 sur le site redbubble.com (pièce 4-1 notamment).
La société Opull'ence conteste en vain le caractère antérieur du modèle Redbubble. En effet, la présence de commentaires identiques pour des modèles différents ne suffisent pas à remettre en cause la date de publication de la page présentant le modèle Redbubble qui est de 2015, date des commentaires.
Néanmoins, aucun des modèles de tee-shirt antérieurs invoqués par la société Gazzelle n'est identique à celui pour lequel est revendiquée la protection au titre des dessins ou modèles communautaires non enregistrés dont la nouveauté n'est pas, au demeurant, sérieusement contestée, les différences entre les antériorités citées avec le modèle invoqué, aucune ne combinant un tee-shirt sans manche avec épaulettes marqué d'un slogan « ARMS ARE FOR HUGS », n'étant pas de détail.
Le modèle de tee-shirt « Clea Hugs » doit être considéré comme nouveau.
L'utilisateur averti aux yeux duquel doit être apprécié le caractère individuel du modèle est en l'espèce, une consommatrice s'intéressant à la mode, connaissant le secteur et dotée d'une attention moyenne.
Il ressort de la comparaison d'ensemble du modèle constitué par le tee-shirt « Clea Hugs » avec le modèle de tee-shirt antérieur invoqué Redbubble (pièce 4-1 Gazzelle), considérés chacun en tous leurs éléments, pris dans leur combinaison, que les deux modèles de tee-shirt adoptent une forme simple et droite à col rond avec des emmanchures laissant largement apparaître les bras, sont de couleur blanche et marqués du slogan ARMS ARE FOR HUGS disposé sur deux lignes, le terme « HUGS » étant mis en exergue car isolé et écrit en plus gros. Aussi, le modèle « Clea Hugs » ne produit pas une impression globale différente du modèle antérieur Redbubble, aux yeux de l'utilisateur averti qui aura une impression de « déjà vu », ce malgré les épaulettes et la couleur rouge du slogan du tee-shirt « Clea Hugs ».
Le modèle de tee-shirt « Clea Hugs » ne présentant pas un caractère individuel, la société Opull'ence ne peut revendiquer de protection sur ce modèle en tant que dessin ou modèle communautaire non enregistré.
L'ensemble des demandes de la société Opull'ence fondées sur la contrefaçon d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré sera rejeté. Le jugement sera également confirmé de ce chef.
Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire,
La société Opull'ence soutient, à titre subsidiaire de son action en contrefaçon et à titre principal fondés sur des faits distincts de la contrefaçon, que la société Gazzelle a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice, un risque de confusion existant entre les deux modèles en raison des ressemblances flagrantes entre les tee-shirt, les parties étant directement concurrentes. Elle ajoute que le risque de confusion est par ailleurs accentué par l'effet de gamme et le nombre de coloris concernés.
Elle fait également valoir que le modèle de tee-shirt « Clea Hugs » est notoire, celui-ci ayant fait l'objet d'un article dans le journal Voici et étant cité par plusieurs « Instagrameuses » et que la société Gazzelle a cherché à profiter de ses investissements. Elle argue encore du non-respect par la société Gazzelle de la réglementation en matière de facturation.
Le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui n'est pas l'objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé à moins que la reproduction ou l'imitation du produit ait pour objet ou pour effet de créer un risque de confusion entre les produits dans l'esprit du public, comportement déloyal constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil.
Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
La demande en concurrence déloyale et parasitaire présente un fondement délictuel et il incombe en conséquence à la société Opull'ence de rapporter la preuve d'un agissement fautif de la société Gazzelle commis à son préjudice par la création d'un risque de confusion et / ou la captation des investissements consentis pour développer un produit phare.
La société Opull'ence qui a été déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon peut invoquer à titre subsidiaire les mêmes faits au titre des agissements déloyaux comme elle peut faire valoir à titre principal des faits distincts au fondement de l'article 1240 du code civil.
La reprise au quasi-identique du tee-shirt « Clea Hugs » par la société Gazzelle n'est pas en soit fautive.
Le fait que la société Opull'ence a décidé de commercialiser ce tee-shirt pour venir au soutien du personnel soignant pendant la crise sanitaire et a reversé une partie des bénéfices à la Fondation des hôpitaux de [Localité 3] ne démontre pas plus que la société Gazzelle a repris ce modèle aux mêmes fins et commis un acte déloyal en ne reversant pas une partie des fruits récoltés à cette Fondation, étant relevé qu'il a été ci-avant démontré que les tee-shirts à message avec notamment le slogan « ARMS ARE FOR HUGS » sont commercialisés depuis plusieurs années sur des sites internet divers.
La notoriété invoquée de ce modèle de tee-shirt « Clea Hugs » n'est pas plus démontrée par un seul article de magazine évoquant ce modèle parmi d'autres créés pour soutenir les soignants pendant la crise sanitaire ou les quelques relais sur des comptes Instagram d'influenceurs dont la portée auprès du public n'est pas connue.
Le seul fait de commercialiser un modèle de tee-shirt en plusieurs coloris, tendance courante dans le domaine considéré et qui n'est pas la reprise du produit de la société Opull'ence sous ses différentes déclinaisons, ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale par la réalisation d'un effet de gamme. La pratique de prix inférieur n'est pas en soi fautif et relève de l'exercice de la libre concurrence.
Quant au non-respect par la société Gazzelle des dispositions de l'article L. 441-9 du code de commerce concernant la facturation et de l'article 242 nonies A du code général des impôts sur les mentions obligatoires des factures, au motif que les articles de la société Gazzelle ne sont pas désignés dans les factures sous une dénomination précise, ceux-ci étant référencés par la seule mention « maglia », il n'apparaît pas que le défaut de respect de cette réglementation, à le supposer établi, a pour conséquence de perturber le marché en plaçant la société Gazzelle dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents respectant ladite réglementation.
Enfin, les investissements allégués par la société Opull'ence concernant le tee-shirt « Clea Hugs » dont la société Gazzelle aurait cherché à profiter sans rien dépenser ne sont pas démontrés par les fiches de paye des stylistes salariées de la société Opull'ence du mois de janvier 2020 (pièce 23 Opull'ence) dont il ne peut être déduit qu'elles ont consacré leur activité à la création de ce modèle, seule Mme [F] indiquant en être la créatrice, ni par les extraits du grand livre général de l'exercice 2019 (pièce 23 Opull'ence) concernant les dépenses publicitaires, de photographies, shootings ou Internet qui sont généraux et ne peuvent établir les investissements liés à ce seul tee-shirt qui au surplus a été créé au cours de l'année 2020.
Aucun agissement déloyal de la société Gazzelle n'est caractérisé par la société Opull'ence. Cette dernière sera déboutée de l'ensemble de ses demandes à ce titre et le jugement confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes,
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.
Partie perdante, la société Opull'ence sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Gazzelle en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Condamne la société Opull'ence à payer à la société Gazzelle la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Condamne la société Opull'ence aux dépens d'appel.