Décisions
CA Rennes, 7e ch prud'homale, 11 janvier 2024, n° 20/02503
RENNES
Arrêt
Autre
7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°2/2024
N° RG 20/02503 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QU2F
Mme [W] [C]
C/
S.A.S. L'ARPENTEUR DES SENS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Novembre 2023
En présence de Madame [M] [I], médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [W] [C]
née le 29 Mai 1952 à
[Adresse 3]
[Localité 1]
Comparante assistée de Me Armelle OMNES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
S.A.S. L'ARPENTEUR DES SENS
[Adresse 6]
[Localité 2]
Comparante en la personne de son gérant Monsieur [T], assisté de
Me Karine HELOUVRY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [W] [C] et M. [B] [T] ont vécu ensemble au domicile de ce dernier à [Localité 2] compter d'octobre 2013.
En 2014, Mme [C] a bénéficié de sa retraite et M. [T] a créé la SASU L'Arpenteur des sens, société ayant pour activité initiale la location de chambre d'hôtes, réorientée vers l'organisation de 'stages bien être' conjuguant jeûne et randonnée à compter de l'année 2016.
En décembre 2018, après l'envoi à Mme [C] de plusieurs mises en demeure de quitter les lieux, M. [T] a mis fin à la relation avec celle-ci, qui a finalement déménagé le 21 décembre 2018.
***
Sollicitant la reconnaissance d'une relation salariale et le paiement de diverses sommes et indemnités en découlant, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Malo par requête en date du 17 mai 2017 afin de voir :
- Dire qu'il y avait entre Madame [W] [C] et la SASU l'Arpenteur des sens un contrat de travail à temps plein à durée indéterminée.
-Dire le licenciement oral de Madame [W] [C] dénué de cause réelle et sérieuse.
En conséquence :
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens à payer à Madame [W] [C] les sommes suivantes:
- 54 763,92 euros au titre du rappel de salaire dans la limite de la prescription (1 521,22 euros brut x 12 X 3) outre 5 476, 39 au titre des congés payés afférents
- 1 000 euros de dommage et intérêts au titre du non versement des salaires
- 3 346, 68 euros au titre de l`indemnité compensatrice de préavis
- 2 281,83 euros au titre du licenciement sans cause réelle et séreuse et suivant barème (1,5 x 1 521,22)
- 1 500 euros au titre du non respect de la procédure de licenciement
- 9 127,32 euros au titre du travail dissimulé
- 500 euros au titre de l'irrégularité de la procédure liée à la prise de décision de licencier avant l'entretien préalable
- 1 000 euros au titre de la non communication des documents de fin de contrat et bulletins de salaire.
- 15 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens, sous astreinte de 100 euros jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification du jugement à intervenir et à remettre à Madame [W] [C] : l'attestation pôle emploi, le certificat de travail, les bulletins de salaire, le solde de tout compte, le calcul du Compte Personnel de Formation.
- Dire que les sommes au titre de salaires, l'indemnité de préavis et des congés payés produiront intérêt à compter de la date de la citation en conciliation.
- Dire que les sommes à titre de dommages et intérêts produiront intérêts à compter de la décision à intervenir.
- Dire que lesdits intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil du code civil.
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens aux entiers dépens.
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens à payer à Madame [W] [C] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SASU l'Arpenteur des sens a demandé au conseil de prud'hommes de :
- Déclarer Madame [C] irrecevable et mal fondée en ses demandes,
- Débouter Madame [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner Madame [C] à verser à la SAS l'Arpenteur des Sens une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Par jugement en date du 05 mai 2020, le conseil de prud'hommes de Saint-Malo a :
- Dit et jugé :
Que si une relation de couple est bien établie entre Monsieur [T] et Madame [C], celle-ci ne peut être qualifiée de relation de travail ;
- Débouté Madame [C] de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamné Madame [C] au paiement de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Madame [C] aux entiers dépens.
***
Mme [C] a régulièrement interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 05 juin 2020.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 16 février 2023, Mme [C] demande à la cour d'appel de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Malo du 5 mai 2020.
En conséquence :
- Dire le contrat entre Madame [W] [C] et la SASU l'Arpenteur des sens de contrat de travail à temps plein à durée indéterminée.
- Dire le licenciement oral de Madame [W] [C] dénué de cause réelle et sérieuse.
Et,
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens à payer à Madame [W] [C] les sommes suivantes:
- 54 763,92 euros au titre du rappel de salaire dans la limite de la prescription (1 521,22 euros brut x 12 x 3) outre 5 476, 39 au titre des congés payés afférents
-1 000 euros de dommage et intérêts au titre du non versement des salaires
- 3 346, 68 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 2 281,83 euros au titre du licenciement sans cause réelle et séreuse et suivant barème (1,5 x 1 521,22)
- 1 500 euros au titre du non respect de la procédure de licenciement
- 9 127,32 euros au titre du travail dissimulé
- 500 euros au titre de l'irrégularité de la procédure liée à la prise de décision de licencier avant l'entretien préalable
- 1 000 euros au titre de la non communication des documents de fin de contrat et bulletins de salaire.
- 15 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification du jugement à intervenir et à remettre à Madame [W] [C] : l'attestation pôle emploi, le certificat de travail, les bulletins de salaire, le solde de tout compte, le calcul du Compte Personnel de Formation.
- Dire que les sommes au titre de salaires, l'indemnité de préavis et des congés payés produiront intérêt à compter de la date de la citation en conciliation.
Elle soutient en substance que :
Elle a travaillé à compter du 3 octobre 2014 date de la création de la SASU l'Arpenteur des Sens avec le gérant, M. [B] [T], au [Adresse 6] à [Localité 2], la société louant les locaux à l'épouse de M. [T], bailleresse, à temps complet, au même titre qu'un jardinier qui s'occupait des espaces verts, et logeait dans une chambre de fonction située dans la longère
Elle a été impliquée, dans l'organisation des stages de jeûne à tous les niveaux et dès le début de la mise en place du planning, comme en atteste la mise en copie des communications concernant l'organisation, qu'elles viennent de l'extérieur (franchiseurs) ou de l'intérieur (communications internes) ; ainsi, elle était consultée par M. [T] sur l'organisation des stages et la stratégie, par les prestataires sur l'historique des inscriptions ; elle organisait l'accueil des stages et l'encadrement des jeûneurs durant les randonnées (elle co-signait les ' diplômes de jeûneurs' ; elle s'occupait de l'entretien des locaux, de la préparation des repas après le jeûne, de mettre à jour le site internet ; elle était publiquement (dans la presse, sur le site internet du réseau) désignée comme responsable/représentante de l'Arpenteur des Sens ; elle figurait dans les plannings et M. [T] l'avait inscrit dans l'organisation des tâches, 3 jours par semaine outre le week-end sur les matrices fournies par le franchiseur ; aucune autre personne n'a été recrutée pour remplir les tâches qu'elle effectuait ; les autres professionnels présents (sophrologues, naturopathes, professeurs de yoga) ne fournissaient qu'une partie des prestations à la clientèle ;
son état de subordination vis-à-vis de M. [T] est établi : c'est lui a qui l'a recrutée, a fixé ses horaires de travail, défini le contenu du travail, fourni le matériel et le lieu et en a contrôlé l'exécution ; c'est encore lui qui a arbitrairement rompu son contrat de travail sans lui avoir jamais versé de salaire ;
elle a été sommée brusquement par trois LRAR de cesser son travail et de quitter son logement le 22 décembre 2018 et de restituer son téléphone portable de service sans que la procédure de licenciement n'ait été respectée ;
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 27 novembre 2020, la SASU L'Arpenteur des sens demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Malo du 5 mai 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
- Condamner Madame [C] à verser à la SAS L'Arpenteur des Sens une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
La SASU l'Arpenteur des Sens fait valoir que :
M. [T], gérant de la société, et Mme [C], ont vécu maritalement durant 10 ans, à partir de l'année 2009, après une séparation de fait avec son épouse, partageant la passion des voyages et des trails, ce que confirment de multiples attestations et les photos où on les voit ensemble qu'il fournit ; ils se sont installés ensemble à partir d'octobre 2013 au domicile de M. [T], Mme [C] ayant fait valoir ses droits à la retraite (une pension de retraite totale de 2.126 € lui étant versée) et ayant abandonné son projet de médiation artistique ;
l'activité d'exploitation de 5 chambres d'hôtes et de deux gîtes qui avait débuté en 2003 et s'est poursuivie dans un cadre sociétaire via l'Arpenteur des Sens à compter du mois d'octobre 2014 s'étant révélée déficitaire, une ré-orientation a eu lieu à partir de 2016 vers l'organisation de stages avec licence de franchisé auprès du réseau Jeûne et Bien Etre ; Mme [C] s'est jointe durant un temps aux randonnées proposées au cours des stages hebdomadaires mais des tensions dans le couple sont apparues ; Mme [C] se montrant agressive durant les excursions avec les stagiaires, elle a cessé de les accompagner à compter de juillet 2018 et M. [T] a dû lui demander de partir en octobre 2018, ce qu'elle n'a consenti à faire qu'en décembre 2018 ;
Les mails d'informations aux partenaires extérieurs, commentaires Trip advisor, photos de Mme [C] sur le site Facebook ne permettent pas d'établir qu'elle a participé à l'activité de l'entreprise ; elle ne produit du reste aucun planning des tâches qu'elle aurait réalisées ; les quelques mails entre elle et M. [T] font état de services entre conjoints et pas d'une relation de travail ; c'est dans le cadre d'une relation de couple que Mme [C] participaient aux randonnées avec les stagiaires (lorsqu'elle n'était pas avec ses enfants ; au demeurant, les différents intervenants extérieurs confirment que Mme [C] n'était présente qu'en qualité de compagne de M. [T] ;
Il n'a jamais été question de rémunération car il n'existait ni activité professionnelle ni lien de subordination ; Mme [C] n'établit aucunement qu'elle aurait été contrainte de travailler, sous la houlette de M. [T], sans jamais être payée durant 4 ans et 2 mois ; Mme [C] tente de se venger d'une rupture qu'elle n'a pas acceptée ;
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 13 mars 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 20 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération. Trois critères permettent donc de conclure à l'existence du contrat de travail : une prestation, une rémunération et un lien de subordination.
En l'absence de présomption légale de salariat, c'est à la partie qui invoque l'existence d'une relation salariale d'apporter la preuve du contrat de travail, par tous moyens.
De même, en l'absence de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prévaut de son existence d'en rapporter la preuve.
L'existence des relations de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
Le lien de subordination se définit comme l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C'est par un faisceau d'indices, révélant l'exercice de contraintes imposées pour l'exécution du travail, que le lien de subordination - entendu comme une subordination juridique et non comme une subordination économique - est caractérisé, (par exemple par : le pouvoir de donner des directives et d'en contrôler l'exécution, le pouvoir disciplinaire ; le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail). Ces indices n'ont pas à être 'simultanément constatés'.
Ils sont essentiellement modulables en fonction du type de situation que le juge entend appréhender, à qui il appartient de rechercher parmi les éléments du litige ceux qui caractérisent un lien de subordination.
Au cas présent, il n'existe aucune apparence de contrat de travail entre les parties en l'absence de tout écrit ou document social en ce sens.
Il appartient dès lors à Mme [C], qui se prévaut d'un contrat de travail consenti à son profit par la SASU l'Arpenteur des Sens, de rapporter la preuve de son existence.
Pour démontrer l'existence d'une prestation de travail et l'existence d'un lien de subordination, Mme [C] produit :
La copie d'un courriel que lui a transféré M. [T] le 28 novembre 2017 qui l'avait reçu du franchiseur « Jeûne et Bien Etre » [M. [V] [K]] lequel reprochait des résultats insuffisants et dispensait des conseils sur la présentation du site internet et sur la stratégie à adopter, puis d'un autre le 21 février 2018 sur une formation relative à « La physiologie du jeûne : ressources énergétiques » et d'un troisième, le 6 avril 2018 prodiguant des conseils sur les dates des stages ;
Un courriel de M. [T] du 4 décembre 2017, demandant à Mme [C] de rédiger une présentation attractive des randonnées proposées pour améliorer le référencement du site sur internet se terminant par « Merci de me dire si tu peux t'en occuper, je lui [à Mme [Z], responsable marketing Jeûne et Bien Etre] ai promis pour aujourd'hui ou demain. Je t'embrasse. » ; suit la réponse (positive) de Mme [C], le lendemain ;
Un courriel du 20 avril 2018 de M. [T] à Mme [C] et aux prestataires intervenants durant les stages les invitant à commenter le « Premier jet » du calendrier des stages 2019 ;
Un courriel d'une potentielle prestataire du 31 décembre 2017, sur lequel Mme [C] figure en copie, proposant un atelier d'écriture « pour laisser libre cours à sa créativité intérieure, la chercher, la remotiver, la découvrir ; en résumé, être bien autrement » ;
Une photographie non datée sur laquelle elle pose en compagnie de M. [T] et de huit autres personnes, surtitrée « L'équipe du centre de la Baie [Localité 8] ' Jeûne et Bien Etre ».
Une réclame de l'association Prana proposant un stage yoga à [Localité 8] du 30 juin au 7 juillet 2018 rédigée en ces termes : « Dans une ancienne ferme des 18ème et 19ème siècle (') [B] et [W] nous reçoivent dans leur gîte (') 4 heures de yoga par jour (..) ; »
Une annonce, non datée, sur le site www.[04]/ suivie de photos : «Une équipe de 5 personnes, professionnelle et bienveillante. [B] [T] votre hôte et organisateur de votre séjour de jeûne vous accompagne dans vos randonnées avec [W] et vous accueille avec son équipe de 2 naturopathes et d'une sophrologue. ('). Suivent la présentation de chacun dont [W] [C] «Raconteuse en marche ; je vous propose aujourd'hui d'accompagner vos pas au cours de marches sensorielles (') Je vous confie les contes intimes de la Bretagne » ;
Deux captures d'écran du site « Entreprendre au féminin en Bretagne » mentionnant une « Rencontre réseau : [Localité 2] le 24 mars Communication verbale et non-verbale ; [W] ' l'Arpenteur des Sens nous accueille dans son superbe gîte de caractère [5], intervenant : [U] [G], fondatrice et directrice conseil de Colibri Communication » et la publicité qui a été donnée à cette rencontre dans l'édition du journal Ouest France du 30 mars 2016 et, le 15 décembre 2016 « Atelier Comment piloter son activité (') [W] [C], gérante de l'Arpenteur des Sens à [Localité 2], nous fait le plaisir de nous accueillir une nouvelle fois dans son gîte d'exception (') » ;
Une présentation du gîte l'Arpenteur des Sens sur le site www.[07].fr « Après nombre de voyages et séjours en Asie et Amérique latine, [B] et [W] se sont retrouvés en Bretagne près de [Localité 8] (') »
Une série de commentaires (la plupart élogieux) sur Tripadvisor relatifs à l'accueil chaleureux des « propriétaires » de l'Arpenteur des Sens, [W] et [B], à [Localité 2], et mentionnant, pour certains, que « [W] connaît parfaitement la région et a été un excellent guide pour nos randonnées » et « les excellents petits-déjeuners » ou « les crêpes et les salades de fruit de [W] » ;
Plusieurs témoignages de stagiaires (un stage à l'automne 2016, l'autre à l'hiver 2018) décrivant l'investissement et le rôle de Mme [C] dans la préparation, l'animation (contée) de la randonnée, le débriefing de la marche, la préparation du bouillon vespéral et la délivrance des diplômes de jeûne ;
Une attestation d'une personne relatant deux courts séjours en 2014 et 2016 et indiquant que Mme [C] s'était occupée du nettoyage des chambres, du repassage des draps et de la préparation des petits-déjeuners ;
Un planning sur la semaine édité en 2019 répertoriant jour par jour du samedi au samedi les tâches à accomplir par [O], [N], [W] et [B], [W] [C] s'occupant du Nigari 9 doses / 20 personnes et des points sur les questionnaires santé le samedi, d'installer la menthe fraîche le lundi, d'installer les ¿ de citron le mercredi, de la préparation à la reprise des repas, le pliage des couvertures et le rangement des livres le vendredi, avec préparation du petit-déjeuner (tisane, pain, compote) le samedi (qui serait, selon la présentation qu'elle en donne, une matrice fournie par le franchiseur Jeûne et Bien-être) ;
Des captures d'écran de tableurs excel retraçant les dates des stages en 2017 (12 stages) et en 2018 (20 stages) et de très nombreuses copies de pages d'agenda des années 2016, 2017 et 2018, semaine après semaine, inexploitables car illisibles ;
M. [T] établit de son côté par la production de nombreuses attestations de témoins (en particulier des prestataires ' naturopathes, professeur de yoga), que Mme [C] et lui entretenaient une relation sentimentale depuis plusieurs années, en tout cas depuis qu'ils vivaient ensemble au domicile de M. [T] à [Localité 2], à l'exclusion de toute relation professionnelle, ce que confirme également M. [K], Président du réseau Jeûne et Bien-être (« elle ne faisait pas partie des accompagnants à la différence des professionnels tels que les naturopathes ou professeur de yoga (') nous accompagnons lors de promenades nos stagiaires (clients) de façon facultative et bénévole ce qui a toujours été pratiqué par M. [B] [T] »). Ces mêmes témoins indiquent que la relation s'est dégradée à partir de 2017, engendrant une altération de l'humeur de Mme [C], au point de rendre l'ambiance délétère durant les randonnées et la rupture inévitable.
M. [T] justifie par ailleurs, par la production de plusieurs dizaines de factures et contrats de mise à disposition par la société Interaction Emeraude, qu'il a eu recours très régulièrement aux services d'une femme de ménage durant les années 2016, 2017 et 2018.
A l'examen de ces pièces, il est indéniable que Mme [C] a fourni une prestation de travail au profit de la SASU l'Arpenteur des Sens sur une période d'environ 2 ans à 2 ans et demi (2016 à mi-2018) sous la forme d'une participation à l'activité de M. [T] autour de l'accueil des stagiaires et des hôtes, de l'accompagnement lors de randonnées contées à destination des stagiaires jeûneurs, et de la préparation de crêpes ou salades de fruits pour les résidents des chambres d'hôtes ou de bouillons pour les jeûneurs, sans néanmoins que la fréquence de ses aides au fonctionnement de l'entreprise ne soit ni quantifiée, ni objectivée.
En revanche, Mme [C] échoue à démontrer l'existence d'un lien de subordination entre la société en cause et elle-même.
En effet, les très rares courriers électroniques échangés avec M. [T] ne sont pas significatifs du lien de subordination allégué et leur teneur comme le ton adopté n'excèdent pas les rapports habituels entre deux personnes engagées dans une relation de couple.
Par ailleurs, aucune attestation ne mentionne que M. [T], gérant de la société, donnait à Mme [C] des directives pour accomplir tel travail ou telle tâche. L'unique planning hebdomadaire fourni, non daté, n'est pas plus convaincant à cet égard. L'existence d'un contrôle de l'activité de Mme [C] par la Sasu l'Arpenteur des Sens n'est pas davantage avérée.
Dans ce contexte de relation sentimentale et en l'absence d'éléments probants quant à un lien de subordination et surtout de toute rémunération (étant rappelé que Mme [C] bénéficiait du versement de sa pension de retraite et ne justifie pas d'un partage des frais relatifs au logement situé à [Localité 2]), l'existence d'un contrat de travail n'est pas caractérisée et il n'est pas rapporté la preuve d'une situation qui dépasserait l'entraide familiale [laquelle crée une présomption simple de non salariat, se caractérise par une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte, cette présomption pouvant être renversée par la preuve contraire, qui consiste à démontrer que l'activité déployée excède les limites de l'entraide familiale, l'excès pouvant résulter de la participation à l'activité d'une entreprise qui ne peut fonctionner sans cette aide et qu'elle est accomplie dans un cadre faisant apparaître les conditions de la subordination juridique], ou du moins l'assistance mutuelle entre personnes engagées dans une vie de couple.
Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.
Partie perdante, Mme [C] est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la SASU l'Arpenteur des Sens la charge des frais qu'elle a exposés pour sa défense. Mme [C] est condamnée à lui verser la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint Malo du 5 mai 2020 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [C] à payer à la SASU l'Arpenteur des Sens la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [W] [C] aux dépens d'appel.
Le Greffier Le Président
ARRÊT N°2/2024
N° RG 20/02503 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QU2F
Mme [W] [C]
C/
S.A.S. L'ARPENTEUR DES SENS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Novembre 2023
En présence de Madame [M] [I], médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [W] [C]
née le 29 Mai 1952 à
[Adresse 3]
[Localité 1]
Comparante assistée de Me Armelle OMNES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
S.A.S. L'ARPENTEUR DES SENS
[Adresse 6]
[Localité 2]
Comparante en la personne de son gérant Monsieur [T], assisté de
Me Karine HELOUVRY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [W] [C] et M. [B] [T] ont vécu ensemble au domicile de ce dernier à [Localité 2] compter d'octobre 2013.
En 2014, Mme [C] a bénéficié de sa retraite et M. [T] a créé la SASU L'Arpenteur des sens, société ayant pour activité initiale la location de chambre d'hôtes, réorientée vers l'organisation de 'stages bien être' conjuguant jeûne et randonnée à compter de l'année 2016.
En décembre 2018, après l'envoi à Mme [C] de plusieurs mises en demeure de quitter les lieux, M. [T] a mis fin à la relation avec celle-ci, qui a finalement déménagé le 21 décembre 2018.
***
Sollicitant la reconnaissance d'une relation salariale et le paiement de diverses sommes et indemnités en découlant, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Malo par requête en date du 17 mai 2017 afin de voir :
- Dire qu'il y avait entre Madame [W] [C] et la SASU l'Arpenteur des sens un contrat de travail à temps plein à durée indéterminée.
-Dire le licenciement oral de Madame [W] [C] dénué de cause réelle et sérieuse.
En conséquence :
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens à payer à Madame [W] [C] les sommes suivantes:
- 54 763,92 euros au titre du rappel de salaire dans la limite de la prescription (1 521,22 euros brut x 12 X 3) outre 5 476, 39 au titre des congés payés afférents
- 1 000 euros de dommage et intérêts au titre du non versement des salaires
- 3 346, 68 euros au titre de l`indemnité compensatrice de préavis
- 2 281,83 euros au titre du licenciement sans cause réelle et séreuse et suivant barème (1,5 x 1 521,22)
- 1 500 euros au titre du non respect de la procédure de licenciement
- 9 127,32 euros au titre du travail dissimulé
- 500 euros au titre de l'irrégularité de la procédure liée à la prise de décision de licencier avant l'entretien préalable
- 1 000 euros au titre de la non communication des documents de fin de contrat et bulletins de salaire.
- 15 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens, sous astreinte de 100 euros jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification du jugement à intervenir et à remettre à Madame [W] [C] : l'attestation pôle emploi, le certificat de travail, les bulletins de salaire, le solde de tout compte, le calcul du Compte Personnel de Formation.
- Dire que les sommes au titre de salaires, l'indemnité de préavis et des congés payés produiront intérêt à compter de la date de la citation en conciliation.
- Dire que les sommes à titre de dommages et intérêts produiront intérêts à compter de la décision à intervenir.
- Dire que lesdits intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil du code civil.
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens aux entiers dépens.
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens à payer à Madame [W] [C] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SASU l'Arpenteur des sens a demandé au conseil de prud'hommes de :
- Déclarer Madame [C] irrecevable et mal fondée en ses demandes,
- Débouter Madame [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner Madame [C] à verser à la SAS l'Arpenteur des Sens une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Par jugement en date du 05 mai 2020, le conseil de prud'hommes de Saint-Malo a :
- Dit et jugé :
Que si une relation de couple est bien établie entre Monsieur [T] et Madame [C], celle-ci ne peut être qualifiée de relation de travail ;
- Débouté Madame [C] de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamné Madame [C] au paiement de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Madame [C] aux entiers dépens.
***
Mme [C] a régulièrement interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 05 juin 2020.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 16 février 2023, Mme [C] demande à la cour d'appel de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Malo du 5 mai 2020.
En conséquence :
- Dire le contrat entre Madame [W] [C] et la SASU l'Arpenteur des sens de contrat de travail à temps plein à durée indéterminée.
- Dire le licenciement oral de Madame [W] [C] dénué de cause réelle et sérieuse.
Et,
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens à payer à Madame [W] [C] les sommes suivantes:
- 54 763,92 euros au titre du rappel de salaire dans la limite de la prescription (1 521,22 euros brut x 12 x 3) outre 5 476, 39 au titre des congés payés afférents
-1 000 euros de dommage et intérêts au titre du non versement des salaires
- 3 346, 68 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 2 281,83 euros au titre du licenciement sans cause réelle et séreuse et suivant barème (1,5 x 1 521,22)
- 1 500 euros au titre du non respect de la procédure de licenciement
- 9 127,32 euros au titre du travail dissimulé
- 500 euros au titre de l'irrégularité de la procédure liée à la prise de décision de licencier avant l'entretien préalable
- 1 000 euros au titre de la non communication des documents de fin de contrat et bulletins de salaire.
- 15 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
- Condamner la SASU l'Arpenteur des sens, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification du jugement à intervenir et à remettre à Madame [W] [C] : l'attestation pôle emploi, le certificat de travail, les bulletins de salaire, le solde de tout compte, le calcul du Compte Personnel de Formation.
- Dire que les sommes au titre de salaires, l'indemnité de préavis et des congés payés produiront intérêt à compter de la date de la citation en conciliation.
Elle soutient en substance que :
Elle a travaillé à compter du 3 octobre 2014 date de la création de la SASU l'Arpenteur des Sens avec le gérant, M. [B] [T], au [Adresse 6] à [Localité 2], la société louant les locaux à l'épouse de M. [T], bailleresse, à temps complet, au même titre qu'un jardinier qui s'occupait des espaces verts, et logeait dans une chambre de fonction située dans la longère
Elle a été impliquée, dans l'organisation des stages de jeûne à tous les niveaux et dès le début de la mise en place du planning, comme en atteste la mise en copie des communications concernant l'organisation, qu'elles viennent de l'extérieur (franchiseurs) ou de l'intérieur (communications internes) ; ainsi, elle était consultée par M. [T] sur l'organisation des stages et la stratégie, par les prestataires sur l'historique des inscriptions ; elle organisait l'accueil des stages et l'encadrement des jeûneurs durant les randonnées (elle co-signait les ' diplômes de jeûneurs' ; elle s'occupait de l'entretien des locaux, de la préparation des repas après le jeûne, de mettre à jour le site internet ; elle était publiquement (dans la presse, sur le site internet du réseau) désignée comme responsable/représentante de l'Arpenteur des Sens ; elle figurait dans les plannings et M. [T] l'avait inscrit dans l'organisation des tâches, 3 jours par semaine outre le week-end sur les matrices fournies par le franchiseur ; aucune autre personne n'a été recrutée pour remplir les tâches qu'elle effectuait ; les autres professionnels présents (sophrologues, naturopathes, professeurs de yoga) ne fournissaient qu'une partie des prestations à la clientèle ;
son état de subordination vis-à-vis de M. [T] est établi : c'est lui a qui l'a recrutée, a fixé ses horaires de travail, défini le contenu du travail, fourni le matériel et le lieu et en a contrôlé l'exécution ; c'est encore lui qui a arbitrairement rompu son contrat de travail sans lui avoir jamais versé de salaire ;
elle a été sommée brusquement par trois LRAR de cesser son travail et de quitter son logement le 22 décembre 2018 et de restituer son téléphone portable de service sans que la procédure de licenciement n'ait été respectée ;
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 27 novembre 2020, la SASU L'Arpenteur des sens demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Malo du 5 mai 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
- Condamner Madame [C] à verser à la SAS L'Arpenteur des Sens une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
La SASU l'Arpenteur des Sens fait valoir que :
M. [T], gérant de la société, et Mme [C], ont vécu maritalement durant 10 ans, à partir de l'année 2009, après une séparation de fait avec son épouse, partageant la passion des voyages et des trails, ce que confirment de multiples attestations et les photos où on les voit ensemble qu'il fournit ; ils se sont installés ensemble à partir d'octobre 2013 au domicile de M. [T], Mme [C] ayant fait valoir ses droits à la retraite (une pension de retraite totale de 2.126 € lui étant versée) et ayant abandonné son projet de médiation artistique ;
l'activité d'exploitation de 5 chambres d'hôtes et de deux gîtes qui avait débuté en 2003 et s'est poursuivie dans un cadre sociétaire via l'Arpenteur des Sens à compter du mois d'octobre 2014 s'étant révélée déficitaire, une ré-orientation a eu lieu à partir de 2016 vers l'organisation de stages avec licence de franchisé auprès du réseau Jeûne et Bien Etre ; Mme [C] s'est jointe durant un temps aux randonnées proposées au cours des stages hebdomadaires mais des tensions dans le couple sont apparues ; Mme [C] se montrant agressive durant les excursions avec les stagiaires, elle a cessé de les accompagner à compter de juillet 2018 et M. [T] a dû lui demander de partir en octobre 2018, ce qu'elle n'a consenti à faire qu'en décembre 2018 ;
Les mails d'informations aux partenaires extérieurs, commentaires Trip advisor, photos de Mme [C] sur le site Facebook ne permettent pas d'établir qu'elle a participé à l'activité de l'entreprise ; elle ne produit du reste aucun planning des tâches qu'elle aurait réalisées ; les quelques mails entre elle et M. [T] font état de services entre conjoints et pas d'une relation de travail ; c'est dans le cadre d'une relation de couple que Mme [C] participaient aux randonnées avec les stagiaires (lorsqu'elle n'était pas avec ses enfants ; au demeurant, les différents intervenants extérieurs confirment que Mme [C] n'était présente qu'en qualité de compagne de M. [T] ;
Il n'a jamais été question de rémunération car il n'existait ni activité professionnelle ni lien de subordination ; Mme [C] n'établit aucunement qu'elle aurait été contrainte de travailler, sous la houlette de M. [T], sans jamais être payée durant 4 ans et 2 mois ; Mme [C] tente de se venger d'une rupture qu'elle n'a pas acceptée ;
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 13 mars 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 20 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération. Trois critères permettent donc de conclure à l'existence du contrat de travail : une prestation, une rémunération et un lien de subordination.
En l'absence de présomption légale de salariat, c'est à la partie qui invoque l'existence d'une relation salariale d'apporter la preuve du contrat de travail, par tous moyens.
De même, en l'absence de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prévaut de son existence d'en rapporter la preuve.
L'existence des relations de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
Le lien de subordination se définit comme l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C'est par un faisceau d'indices, révélant l'exercice de contraintes imposées pour l'exécution du travail, que le lien de subordination - entendu comme une subordination juridique et non comme une subordination économique - est caractérisé, (par exemple par : le pouvoir de donner des directives et d'en contrôler l'exécution, le pouvoir disciplinaire ; le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail). Ces indices n'ont pas à être 'simultanément constatés'.
Ils sont essentiellement modulables en fonction du type de situation que le juge entend appréhender, à qui il appartient de rechercher parmi les éléments du litige ceux qui caractérisent un lien de subordination.
Au cas présent, il n'existe aucune apparence de contrat de travail entre les parties en l'absence de tout écrit ou document social en ce sens.
Il appartient dès lors à Mme [C], qui se prévaut d'un contrat de travail consenti à son profit par la SASU l'Arpenteur des Sens, de rapporter la preuve de son existence.
Pour démontrer l'existence d'une prestation de travail et l'existence d'un lien de subordination, Mme [C] produit :
La copie d'un courriel que lui a transféré M. [T] le 28 novembre 2017 qui l'avait reçu du franchiseur « Jeûne et Bien Etre » [M. [V] [K]] lequel reprochait des résultats insuffisants et dispensait des conseils sur la présentation du site internet et sur la stratégie à adopter, puis d'un autre le 21 février 2018 sur une formation relative à « La physiologie du jeûne : ressources énergétiques » et d'un troisième, le 6 avril 2018 prodiguant des conseils sur les dates des stages ;
Un courriel de M. [T] du 4 décembre 2017, demandant à Mme [C] de rédiger une présentation attractive des randonnées proposées pour améliorer le référencement du site sur internet se terminant par « Merci de me dire si tu peux t'en occuper, je lui [à Mme [Z], responsable marketing Jeûne et Bien Etre] ai promis pour aujourd'hui ou demain. Je t'embrasse. » ; suit la réponse (positive) de Mme [C], le lendemain ;
Un courriel du 20 avril 2018 de M. [T] à Mme [C] et aux prestataires intervenants durant les stages les invitant à commenter le « Premier jet » du calendrier des stages 2019 ;
Un courriel d'une potentielle prestataire du 31 décembre 2017, sur lequel Mme [C] figure en copie, proposant un atelier d'écriture « pour laisser libre cours à sa créativité intérieure, la chercher, la remotiver, la découvrir ; en résumé, être bien autrement » ;
Une photographie non datée sur laquelle elle pose en compagnie de M. [T] et de huit autres personnes, surtitrée « L'équipe du centre de la Baie [Localité 8] ' Jeûne et Bien Etre ».
Une réclame de l'association Prana proposant un stage yoga à [Localité 8] du 30 juin au 7 juillet 2018 rédigée en ces termes : « Dans une ancienne ferme des 18ème et 19ème siècle (') [B] et [W] nous reçoivent dans leur gîte (') 4 heures de yoga par jour (..) ; »
Une annonce, non datée, sur le site www.[04]/ suivie de photos : «Une équipe de 5 personnes, professionnelle et bienveillante. [B] [T] votre hôte et organisateur de votre séjour de jeûne vous accompagne dans vos randonnées avec [W] et vous accueille avec son équipe de 2 naturopathes et d'une sophrologue. ('). Suivent la présentation de chacun dont [W] [C] «Raconteuse en marche ; je vous propose aujourd'hui d'accompagner vos pas au cours de marches sensorielles (') Je vous confie les contes intimes de la Bretagne » ;
Deux captures d'écran du site « Entreprendre au féminin en Bretagne » mentionnant une « Rencontre réseau : [Localité 2] le 24 mars Communication verbale et non-verbale ; [W] ' l'Arpenteur des Sens nous accueille dans son superbe gîte de caractère [5], intervenant : [U] [G], fondatrice et directrice conseil de Colibri Communication » et la publicité qui a été donnée à cette rencontre dans l'édition du journal Ouest France du 30 mars 2016 et, le 15 décembre 2016 « Atelier Comment piloter son activité (') [W] [C], gérante de l'Arpenteur des Sens à [Localité 2], nous fait le plaisir de nous accueillir une nouvelle fois dans son gîte d'exception (') » ;
Une présentation du gîte l'Arpenteur des Sens sur le site www.[07].fr « Après nombre de voyages et séjours en Asie et Amérique latine, [B] et [W] se sont retrouvés en Bretagne près de [Localité 8] (') »
Une série de commentaires (la plupart élogieux) sur Tripadvisor relatifs à l'accueil chaleureux des « propriétaires » de l'Arpenteur des Sens, [W] et [B], à [Localité 2], et mentionnant, pour certains, que « [W] connaît parfaitement la région et a été un excellent guide pour nos randonnées » et « les excellents petits-déjeuners » ou « les crêpes et les salades de fruit de [W] » ;
Plusieurs témoignages de stagiaires (un stage à l'automne 2016, l'autre à l'hiver 2018) décrivant l'investissement et le rôle de Mme [C] dans la préparation, l'animation (contée) de la randonnée, le débriefing de la marche, la préparation du bouillon vespéral et la délivrance des diplômes de jeûne ;
Une attestation d'une personne relatant deux courts séjours en 2014 et 2016 et indiquant que Mme [C] s'était occupée du nettoyage des chambres, du repassage des draps et de la préparation des petits-déjeuners ;
Un planning sur la semaine édité en 2019 répertoriant jour par jour du samedi au samedi les tâches à accomplir par [O], [N], [W] et [B], [W] [C] s'occupant du Nigari 9 doses / 20 personnes et des points sur les questionnaires santé le samedi, d'installer la menthe fraîche le lundi, d'installer les ¿ de citron le mercredi, de la préparation à la reprise des repas, le pliage des couvertures et le rangement des livres le vendredi, avec préparation du petit-déjeuner (tisane, pain, compote) le samedi (qui serait, selon la présentation qu'elle en donne, une matrice fournie par le franchiseur Jeûne et Bien-être) ;
Des captures d'écran de tableurs excel retraçant les dates des stages en 2017 (12 stages) et en 2018 (20 stages) et de très nombreuses copies de pages d'agenda des années 2016, 2017 et 2018, semaine après semaine, inexploitables car illisibles ;
M. [T] établit de son côté par la production de nombreuses attestations de témoins (en particulier des prestataires ' naturopathes, professeur de yoga), que Mme [C] et lui entretenaient une relation sentimentale depuis plusieurs années, en tout cas depuis qu'ils vivaient ensemble au domicile de M. [T] à [Localité 2], à l'exclusion de toute relation professionnelle, ce que confirme également M. [K], Président du réseau Jeûne et Bien-être (« elle ne faisait pas partie des accompagnants à la différence des professionnels tels que les naturopathes ou professeur de yoga (') nous accompagnons lors de promenades nos stagiaires (clients) de façon facultative et bénévole ce qui a toujours été pratiqué par M. [B] [T] »). Ces mêmes témoins indiquent que la relation s'est dégradée à partir de 2017, engendrant une altération de l'humeur de Mme [C], au point de rendre l'ambiance délétère durant les randonnées et la rupture inévitable.
M. [T] justifie par ailleurs, par la production de plusieurs dizaines de factures et contrats de mise à disposition par la société Interaction Emeraude, qu'il a eu recours très régulièrement aux services d'une femme de ménage durant les années 2016, 2017 et 2018.
A l'examen de ces pièces, il est indéniable que Mme [C] a fourni une prestation de travail au profit de la SASU l'Arpenteur des Sens sur une période d'environ 2 ans à 2 ans et demi (2016 à mi-2018) sous la forme d'une participation à l'activité de M. [T] autour de l'accueil des stagiaires et des hôtes, de l'accompagnement lors de randonnées contées à destination des stagiaires jeûneurs, et de la préparation de crêpes ou salades de fruits pour les résidents des chambres d'hôtes ou de bouillons pour les jeûneurs, sans néanmoins que la fréquence de ses aides au fonctionnement de l'entreprise ne soit ni quantifiée, ni objectivée.
En revanche, Mme [C] échoue à démontrer l'existence d'un lien de subordination entre la société en cause et elle-même.
En effet, les très rares courriers électroniques échangés avec M. [T] ne sont pas significatifs du lien de subordination allégué et leur teneur comme le ton adopté n'excèdent pas les rapports habituels entre deux personnes engagées dans une relation de couple.
Par ailleurs, aucune attestation ne mentionne que M. [T], gérant de la société, donnait à Mme [C] des directives pour accomplir tel travail ou telle tâche. L'unique planning hebdomadaire fourni, non daté, n'est pas plus convaincant à cet égard. L'existence d'un contrôle de l'activité de Mme [C] par la Sasu l'Arpenteur des Sens n'est pas davantage avérée.
Dans ce contexte de relation sentimentale et en l'absence d'éléments probants quant à un lien de subordination et surtout de toute rémunération (étant rappelé que Mme [C] bénéficiait du versement de sa pension de retraite et ne justifie pas d'un partage des frais relatifs au logement situé à [Localité 2]), l'existence d'un contrat de travail n'est pas caractérisée et il n'est pas rapporté la preuve d'une situation qui dépasserait l'entraide familiale [laquelle crée une présomption simple de non salariat, se caractérise par une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte, cette présomption pouvant être renversée par la preuve contraire, qui consiste à démontrer que l'activité déployée excède les limites de l'entraide familiale, l'excès pouvant résulter de la participation à l'activité d'une entreprise qui ne peut fonctionner sans cette aide et qu'elle est accomplie dans un cadre faisant apparaître les conditions de la subordination juridique], ou du moins l'assistance mutuelle entre personnes engagées dans une vie de couple.
Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.
Partie perdante, Mme [C] est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la SASU l'Arpenteur des Sens la charge des frais qu'elle a exposés pour sa défense. Mme [C] est condamnée à lui verser la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint Malo du 5 mai 2020 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [C] à payer à la SASU l'Arpenteur des Sens la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [W] [C] aux dépens d'appel.
Le Greffier Le Président