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CA Lyon, 2e ch. a, 17 janvier 2024, n° 22/05903

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 22/05903

17 janvier 2024

N° RG 22/05903 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OPKB

Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

Au fond

du 13 juillet 2022

RG : 19/06118

Chambre 9 Cab.9

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 9]

PROCUREURE GÉNÉRALE

C/

[Y] [M]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

2ème chambre A

ARRET DU 17 Janvier 2024

APPELANTS :

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 9]

TJ de Lyon [Adresse 3]

[Localité 4]

Mme PROCUREURE GÉNÉRALE

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentés par Laurence CHRISTOPHLE, substitute générale

INTIME :

M. [G] [Y] [M]

né le 09 Août 2000 à [Localité 11] (BANGLADESH)

AJD

[Adresse 2]

[Localité 6]

Non représenté

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 21 Mars 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Septembre 2023

Date de mise à disposition : 18 octobre 2023 prorogé au 17 Janvier 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Isabelle BORDENAVE, présidente

- Georges PÉGEON, conseiller

- Géraldine AUVOLAT, conseillère

assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffière,

en présence de Elisa PHILIBERT, élève avocate.

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt par défaut rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [G] [Y] [M], se disant né le 09 août 2000 à [Localité 11] (Bangladesh), est entré sur le territoire français le 11 juin 2015.

En l'absence de représentant légal sur le territoire français, il a été confié à l'aide sociale à l'enfance, par jugement du juge des enfants de Lyon du 07 juillet 2015 ; une tutelle d'état a été ouverte par le juge des tutelles de Lyon le 17 novembre 2015.

Le 05 juillet 2018, M. [Y] [M] a souscrit une déclaration de nationalité française au visa des dispositions de l'article 21-12 1° du code civil.

Par décision du 20 décembre 2018, le directeur de greffe du tribunal d'instance de Lyon a refusé d'enregistrer sa déclaration, faute, pour la légalisation de son acte de naissance, d'être conforme aux conventions.

Par assignation du 29 mai 2019, M. [Y] [M] a fait assigner M. le procureur de la République du tribunal judiciaire de Lyon, aux fins de voir annuler la décision de refus d'enregistrement de sa déclaration de nationalité, et d'ordonner l'enregistrement et la transcription de cette déclaration de nationalité.

Par jugement du 13 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a annulé la décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité du 20 décembre 2018, et ordonné l'enregistrement de cette déclaration, et les mesures de publicité légalement prévues.

Ce jugement a été signifié au ministère public le 27 juillet 2022.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 16 août 2022, le procureur de la République de Lyon a relèvé appel de ce jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 10 novembre 2022, Mme la procureure générale demande à la cour :

- de dire que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- d'infirmer le jugement de première instance attaqué,

Statuant de nouveau :

- de débouter M. [Y] [M] de sa demande d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française et dire qu'il n'est pas français,

- d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Au soutien de son appel, le parquet général fait valoir l'absence d'état civil fiable remis par le requérant, en ce que les actes produits ne sont pas valablement légalisés contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, plusieurs irrégularités ressortant quant à cette légalisation des inscriptions apposées.

Le parquet général fait valoir que l'acte de naissance communiqué a été établi le 27 mars 2015, soit 15 ans après la naissance de l'intéressé, sans qu'un jugement supplétif ne vienne régulariser la procédure, et que cette date de naissance ne correspond pas avec les éléments tirés de son entrée sur le territoire français, rendant incertaine sa minorité.

Mme l'avocate générale souligne que plusieurs éléments viennent contredire les mentions de la date et du lieu de naissance de l'intéressé (rapport de situation de juin 2018, diplôme en langue française qui indique un autre lieu de naissance que [L], le jugement d'assistance éducative du 10 décembre 2015 qui fait état d'une naissance au Bangladesh), nonobstant les démarches infructueuses faites par le greffe du tribunal d'instance, pour s'assurer de l'existence de cet acte de naissance.

M. [M] n'a pas constitué avocat. Le courrier adressé à l'adresse [Adresse 7] à [Localité 9] 7° est revenu au greffe de la cour avec la mention 'destinataire inconnu à cette adresse'.

Le parquet général a fait signifier, par acte de commissaire de justice la déclaration d'appel le 26 septembre 2022, puis des conclusions le 24 novembre 2022, les deux actes ayant été remis selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.

La clôture a été prononcée le 21 mars 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 13 septembre 2023, et mise en délibéré au 18 octobre, délibéré ensuite prorogé au 17 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile

Aux termes des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, est déposée au ministère de la Justice qui en délivre récépissé.

En l'espèce, est versé aux débats le récépissé de la copie de l'acte d'appel daté du 16 août 2022, délivré par le ministère de la Justice ; les diligences de l'article 1043 du code de procédure civile ont ainsi été respectées.

Au fond

L'article 30 du code civil dispose que la charge de la preuve, en matière de nationalité française incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.

En l'espèce, M. [M] ne justifiant pas d'un certificat de nationalité française, il lui appartient de faire la preuve de la qualité de français revendiquée.

L'article 21-12 du code civil dispose, en son alinéa 3, que peut réclamer la nationalité française jusqu'à sa majorité l'enfant qui, depuis au moins trois années, est confié au service de l'aide sociale à l'enfance, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.

Conformément aux dispositions de l'article 16 du décret N°93-1362 du 30 décembre 1993, le mineur qui entend souscrire cette déclaration doit fournir notamment un extrait de son acte de naissance, lequel doit, conformément aux exigences de l'article 47 du code civil, être authentique, et établi en conformité avec la législation du pays dans lequel il a été dressé, les conditions de recevabilité de la déclaration s'appréciant au jour de la souscription.

Il appartient ainsi à M. [M], qui réclame la nationalité française, de justifier d'un état civil fiable, par la production d'un acte de l'état civil probant au sens de l'article 47 du code civil selon lequel 'tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française'.

Selon la coutume internationale, et sauf convention contraire, doit être respectée l'exigence de légalisation des actes de l'état civil établis par une autorité étrangère régulièrement investie à cet effet, et destinés à être produits en France, formalité qui s'impose au souscripteur d'une déclaration de nationalité.

La légalisation est la formalité par laquelle les agents diplomatiques ou consulaires du pays sur le territoire duquel l'acte doit être produit, ou du pays où l'acte a été délivré, attestent de la véracité de la signature, et de la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi, et le cas échéant l'identité ou timbre dont cet acte est revêtu.

En l'espèce, en l'absence de convention liant la France au Bangladesh, les actes d'état civil, pour avoir force probante, doivent être légalisés, pour attester de la véracité de la signature et de la qualité du signataire de l'acte d'état civil produit.

Les premiers juges, pour 'annuler' le refus d'enregistrement ont retenu :

- que le document intitulé 'Birth Certificate' portant la mention d'une légalisation par l'ambassade du Bangladesh à [Localité 10] N° 10/48/18 du 29 août 2018, précise le sceau et la signature de 'l'attestor', entendu comme l'attestant, soit la personne ayant délivré le certificat,

- que ce document est attesté par [S] [O], second secrétary de l'ambassade du Bangladesh,

- que l'acte porte les tampons de légalisation de deux autres, émanant du ministère des affaires étrangères, et du ministère de la justice,

- que le terme 'attestor' désigne bien l'autorité signataire qui ne saurait s'entendre que comme l'officier d'état civil,

- que cet acte n'est contredit par aucun autre document officiel, le ministère public ne pouvant se fonder sur les discordances révélées par des documents émanant de diverses autorités françaises, ou sur la recherche qui aurait été effectuée sur la base de données nationales des actes d'état civil bangladais.

Sur ce dernier point, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le ministère public ne pouvait se fonder sur des discordances révélées par des documents émanant des autorités françaises, alors que les dispositions de l'article 47 du code civil, ci-avant rappelées, permettent de retenir que l'acte fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenues, des données extérieures, ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Il ressort des éléments du dossier que M. [M] a communiqué, devant le directeur de greffe, une copie délivrée le 27 mars 2015, par le centre d'état civil de [L] [U]

(Bangladesh) de son acte de naissance (birth certificate) numéro 2000/1510 428/101- 924 dressé le 27 mars 2015, aux termes duquel MD [G] [Y] est né le 9 août 2000, à [Localité 12], 09 NO Ward [L] de MD [A] [Y], et de [W] [K], demeurant à [Localité 11], [T], [L], [U].

Il est à noter en réalité que deux copies d'actes sont communiquées par le ministère public, comme ayant été soumis au greffier en chef à l'appui de la demande d'enregistrement, lesquelles ne comportent pas les mêmes cachets.

L'examen de l'acte d'état civil comportant le plus de mentions permet de relever :

- que cette copie a été signée par MD [D], secrétaire et de MD [Z] [H], chairman,

- qu'il porte un tampon du ministère des affaires étrangères du Bangladesh, en bas à droite, et en bas un tampon ' attesté 'signé du notaire public,

- qu'il porte à droite, la mention 'le sceau et la signature de l'attestant est ici vérifié et attesté le 14/02/ ...par [B] [N]... , ministère de la justice du Bangladesh',

- qu'il porte en bas, à gauche, la mention'le sceau et la signature de l'attestant est ici attesté le 15 février 2018, par Md [E], ministère des affaires étrangères à [Localité 8] (Bangladesh),

- qu'il porte en haut, à droite, un tampon d'un notaire public du Bangladesh,

- qu'il porte tout en haut la mention' légalisé par consulat',

- qu'il porte enfin, tout en haut à gauche, la mention'ambassade du Bangladesh à [Localité 10], attestation 1048/18 le 29/08/2018, le sceau et la signature de l'attestant est ici attestée par [S] [O], ambassade du Bangladesh à [Localité 10]'.

Il apparaît que seule pourrait être prise en considération la mention apposée par l'ambassade du Bangladesh à [Localité 10], alors que les autres autorités, dont les tampons sont apposés, n'ont pas qualité pour procéder à cette légalisation.

Pour autant, il convient de constater que cette mention ne précise pas le nom ni la qualité de l'officier d'état civil dont la signature est légalisée, alors qu 'il est seulement indiqué que l'attestation porte sur le sceau et la signature de l'attestant sans autre précision d'identité et de qualité.

Le parquet général produit par ailleurs un document, émanant de l'ambassade de France au Bangladesh, du 10 août 2016, dans lequel il est indiqué qu'en raison d'une corruption généralisée, il est possible au Bangladesh d'obtenir la délivrance de tout acte d'état civil sur mesure, la certification par le ministère local des affaires étrangères n'apportant aucune garantie.

Il convient de relever que l'acte produit a été dressé le 27 mars 2015, pour une naissance fixée le 9 août 2000, soit près de 15 années après, sans qu'il ne soit justifié ni de la production d'un jugement supplétif, ni de quelconque vérification lors de la déclaration de naissance.

Il peut également être retenu, comme le fait observer le ministère public :

- que dans le rapport de situation établi en juin 2018, il est rappelé que l'intéressé est arrivé sur le territoire français en juin 2015, peu avant ses 16 ans, alors qu'en se référant à l'acte produit il avait moins de 15 ans à cette date,

- que le diplôme d'études en langue française, décerné le 23 juin 2016, porte mention d'un lieu de naissance différent de celui figurant sur l'acte produit ([X]), ce lieu de naissance étant également différent sur le relevé de résultats communiqué.

Enfin, il apparaît que le parquet général justifie qu'en entrant le numéro d'enregistrement de la naissance et la date de naissance du demandeur, l'enregistrement de la naissance de ce dernier n'a pas été retrouvé sur la base de données nationales des actes d'état civil bangladais, ce alors que l'acte communiqué a été établi récemment.

Au regard de ces différents éléments, il convient de constater que l'acte produit n'est pas probant, au sens des dispositions de l'article 47 du code civil.

Il convient dès lors d'infirmer le jugement déféré, et, statuant à nouveau, de débouter M. [M] de sa demande d'enregistrement de déclaration de nationalité française, de dire qu'il n'est pas français, et d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt par défaut, après en avoir délibéré,

Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Déboute M.[Y] [M], se disant né le 9 août 2000 à [Localité 11] (Bangladesh), de sa demande d'enregistrement de nationalité française,

Dit que M. [Y] [M] n'est pas de nationalité française,

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Condamne M. [Y] [M] aux entiers dépens.

Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente de chambre et par Sophie PENEAUD, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE