Décisions
CA Bordeaux, 4e ch. com., 17 janvier 2024, n° 21/06728
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 17 JANVIER 2024
N° RG 21/06728 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MOT6
CREDIT MUTUEL DE [Localité 6]
c/
Madame [T] [C]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 novembre 2021 (R.G. 2020F00752) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 10 décembre 2021
APPELANTE :
CREDIT MUTUEL DE [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
représenté par Maître Malorie ALLEMAND de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [T] [C], née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 7] (78), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Maître Eric LABORIE de la SCP BONNET - LABORIE, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 24 janvier 2014, la SAS Klyf a souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] (ci-après désignée le Crédit Mutuel), un prêt numéro 565727609901 d'un montant de 80 000 euros, au taux nominal de 2,75 % l'an et un prêt numéro 565727609902 d'un montant de 20 000 euros, au taux nominal de 2,5 % l'an.
Le 24 janvier 2014, Mme [C], présidente de la société, s'est portée caution solidaire au bénéfice du Crédit Mutuel dans la limite de 40 000 euros pour le prêt numéro 565727609901 et de 10 000 euros pour le prêt numéro 565727609902.
Le 27 novembre 20019, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Klyf.
Le 04 février 2020, le Crédit Mutuel a déclaré ses créances au passif de la société Klyf à hauteur de 19 986,96 euros et de 4 959,44 euros. Toutefois, le 17 juillet 2020, le mandataire liquidateur lui a fait parvenir un certificat d'irrecouvrabilité de sa créance.
Par acte du 18 août 2021, après vaine mise en demeure du 04 février 2020, le Crédit Mutuel a assigné Mme [C] devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes en sa qualité de caution.
Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal a statué comme suit :
- déboute la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] à payer à Mme [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [C] du surplus de ses demandes,
- condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] aux dépens.
Par déclaration du 10 décembre 2021, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, en intimant Mme [C].
Par ordonnance du 04 novembre 2022, le conseiller de la mise en état, saisi par Mme [C], s'est déclaré incompétent pour statuer sur le grief de l'absence de l'effet dévolutif de la déclaration d'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6], et a acté le retrait d'une demande de radiation de la procédure.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 29 juin 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] demande à la cour de :
vu les dispositions de l'article 1134 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 en date du 10 février 2016,
vu les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation,
vu les dispositions de l'article 1231-1 du code civil,
vu les dispositions des articles 2288 et suivants du code civil,
vu les dispositions des articles L. 622-28 alinéa 1 et L. 641-3 alinéa 1 du code de commerce,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- débouter Mme [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021 (RG 2020F00752), en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande tendant à voir sa responsabilité engagée pour manquement à son devoir de mise en garde,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021 (RG 2020F00752), en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de délais de paiement,
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021 (RG 2020F00752), en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à payer à Mme [C] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procdure civile, et aux dépens,
- statuant à nouveau,
- condamner Mme [C], en sa qualité de caution solidaire du prêt professionnel n°0565727609901 souscrit par la société Klyf, à lui payer la somme principale de 20 670,77 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 5,75 % l'an à compter du 17 juillet 2020 et jusqu'à parfait paiement,
- condamner Mme [C], en sa qualité de caution solidaire du prêt professionnel n°0565727609902 souscrit par la société Klyf, à lui payer la somme principale de 5 121,73 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 5,50 % l'an à compter du 17 juillet 2020 et jusqu'à parfait paiement,
- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil, jusqu'à parfait paiement,
- en tout état de cause,
- condamner Mme [C] à lui payer une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procdure civile,
- condamner Mme [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 31 mars 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [C], demande à la cour de :
- in limine litis,
vu ensemble les articles 562 et 901du code de procédure civile,
- juger irrecevable l'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] faute de mention des chefs du jugement critiqués,
- juger irrecevable l'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] faute d'effet dévolutif,
- à défaut,
vu l'article 524 du code de procédure civile,
vu la motivation du jugement du tribunal de commerce en date du 16 novembre 2021,
- ordonner la radiation de l'appel formé par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6], enregistrée sous le numéro de rôle après de la chambre sociale section B n° 21/06728,
- juger que seule l'exécution des condamnations prononcées permettra la remise au rôle de l'instance,
- sur le fond,
vu les articles 1231-1, 1289 et suivants et 1343-5 du code civil du code civil,
vu les articles L. 332-1 et 343-4 du code de la consommation,
vu le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021,
- à titre principal,
- confirmer le jugement dont appel,
- juger son engagement de caution comme disproportionné au sens des articles L. 332-1 et 343-4 du code de la consommation doit être privé d'effet en raison de son caractère disproportionné,
- en conséquence,
- juger la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,
- à défaut,
vu l'article 1231-1 du code civil,
- réformer partiellement le jugement,
- juger la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] responsable du préjudice causé à elle, caution non avertie,
- condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour perte de chance à raison de la privation de cause, de la disproportion et du défaut de mise en garde,
- ordonner la compensation des dommages et intérêts lui étant alloués avec toute somme pouvant résulter de la mise en jeu de la caution à due proportion,
- à titre subsidiaire,
- constater sa bonne foi et la faiblesse de ses revenus,
- en conséquence,
- lui accorder des délais de paiement d'une durée de deux ans afin de lui permettre d'apurer toute dette non compensée au terme de ce délai de deux ans,
- condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
Par actes d'huissier des 31 janvier et 05 avril 2022, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions à Mme [C].
L'ordonnance de clôture est intervenue le 02 novembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 15 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
1- In limine litis, Mme [C] conteste la recevabilité de l'appel, en faisant valoir que dans sa déclaration d'appel, le Crédit Mutuel n'a critiqué aucun chef du jugement, hormis le fait d'avoir été débouté. Elle en déduit que l'effet dévolutif n'a pas pu jouer, et que la cour ne se trouve donc pas saisie.
2- Le Crédit Mutuel, qui avait conclu lors de l'incident soulevé devant le conseiller de la mise en état, ne s'explique pas sur cette prétention dans ses conclusions de fond. La banque exposait que sa déclaration d'appel contient les chefs de jugement qu'elle critique.
Sur ce :
3- Il résulte des dispositions de l'article 901 4° du code de procédure civile que la déclaration d'appel doit notamment contenir les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité. Par application des dispositions de l'article 562 du même code, l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément.
4- En l'espèce, la déclaration d'appel du 10 décembre 2021 du Crédit Mutuel précisait, dans la rubrique « Objet/Portée de l'appel » :
« Aux fins d'obtenir la réformation du jugement contradictoire rendu en premier ressort par le tribunal de commerce de Bordeaux le 16 novembre 2021, en ce qu'il a : débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes, condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] à payer à Mme [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] aux dépens. »
5- Il en résulte que les exigences de l'article 901 ci-dessus sont remplies par ces indications, et que la déclaration d'appel n'encourt pas le grief soutenu par Mme [C], dont la prétention sera rejetée.
Sur la demande de radiation de la procédure
6- Mme [C] soutient ensuite qu'il convient de procéder à la radiation de la procédure, au motif que le Crédit Mutuel n'aurait pas procédé à l'exécution du jugement attaqué, qui le condamnait à lui payer une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, décision assortie de l'exécution provisoire.
7- Or, il ressort de l'ordonnance ci-dessus du conseiller de la mise en état que Mme [C], qui l'avait déjà saisi de ce chef, a finalement renoncé à s'en prévaloir en considérant que le Crédit Mutuel s'était acquitté de la somme mise à sa charge par un dépôt sur le compte CARPA de son conseil.
Mme [C] ne fait pas état d'un événement postérieur de nature à modifier la situation.
8- Sa demande de radiation ne peut en conséquence qu'être rejetée.
Sur la proportionnalité du cautionnement
9- Il doit être précisé à titre liminaire que les contrats de cautionnement souscrits par Mme [C] le 24 janvier 2014 restent régis par les dispositions en vigueur à la date de leur conclusion, antérieures à celles issues de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 applicables aux seuls contrats souscrits à compter du 1er janvier 2022, à l'exception des dispositions relatives à l'information des cautions.
10- Le Crédit Mutuel conteste toute disproportion tandis que Mme [C] demande confirmation de la décision en estimant que la disproportion est établie.
11- Aux termes des dispositions de l'article L. 343-4 ancien du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et abrogé à compter du 1er janvier 2022 mais restant applicable aux faits de la cause en raison de la date du contrat, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
12- Ce texte est applicable à une caution personne physique, qu'elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.
13- Il appartient à la caution de prouver qu'au moment de la conclusion du contrat, l'engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L'appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l'engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, à ses facultés contributives. Un cautionnement est disproportionné si la caution ne peut manifestement pas y faire face avec ses biens et revenus.
14- En l'espèce, Mme [C] reproche d'abord au Crédit Mutuel le fait de n'avoir fait l'objet d'aucune étude préalable de sa situation personnelle.
15- Toutefois ce grief ne repose sur aucun fondement légal, et l'article L. 343-4 ci-dessus rappelé n'impose pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu'elle l'invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
16- L'argument est donc inopérant.
17- Le Crédit Mutuel oppose au moyen la fiche de renseignement sur sa situation financière remise par Mme [C] et signée le 12 novembre 2013 (sa pièce n° 15).
Il en résulte que celle-ci déclarait :
- des revenus mensuels de 846,30 euros de Pôle Emploi et de 550,62 euros de revenus locatifs
- une maison d'habitation à [Localité 4], bien commun, estimée entre 160 000 et 200 000 euros, et un appartement à [Localité 5], bien propre, estimé à 90 000 euros
- une épargne composée d'un LDD pour 62,29 euros et d'un LEL pour 520,06 euros
Au titre de ses charges, elle faisait état d'un emprunt immobilier comportant un capital de 63 148,60 euros encore dus, pour des remboursements annuels de 6 473,88 euros.
18- Mme [C] ne soutient pas que sa situation personnelle et financière aurait été modifiée entre la signature de la fiche de renseignement et celle des actes de caution.
19- Elle ne saurait tenter de se prévaloir aujourd'hui de charges supérieures, notamment au titre de sa seconde société Kiliv Pizza, qu'elle aurait omis de déclarer dans cette fiche. La caution ne peut se prévaloir de l'inexactitude de ses propres dires, que la banque n'était pas tenue de vérifier en l'absence de toute anomalie apparente.
20- Aucune disproportion manifeste avec les deux engagements simultanés, limités à 40 000 et 10 000 euros ne résulte de l'examen des biens et revenus déclarés par la caution, et comportant notamment un patrimoine immobilier d'une valeur très supérieure aux sommes cautionnées.
21- C'est donc à tort que le tribunal de commerce a fait droit aux demandes de Mme [C], et son jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les sommes dues au titre des engagements de caution
22- Le Crédit Mutuel demande la condamnation de Mme [C], en sa qualité de caution de la société Klyf selon 2 actes du 24 janvier 2014, à lui payer :
au titre du prêt professionnel n° 0565727609901 la somme de 20 670,77 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,75% à compter du 17 juillet 2020,
au titre du prêt professionnel n° 0565727609902 la somme de 5 121,73 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,50% à compter du 17 juillet 2020,
23- Ces demandes, qui correspondent aux créances déclarées par le Crédit Mutuel à la procédure collective de la société Klyf, ne sont pas contestées en leur montant ou leurs modalités par Mme [C], et il y sera fait droit.
Vu la demande de la banque, les intérêts échus pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil.
Sur l'engagement de la responsabilité du Crédit Mutuel
24- A défaut de voir le cautionnement déclaré disproportionné, Mme [C] demande l'allocation de 40 000 euros à titre dommages-intérêts. Elle soutient le Crédit Mutuel a été défaillant dans son obligation de mise en garde et vigilance sur la proportionnalité de son engagement ; que la banque n'a pas établi de fiche de renseignement patrimoniale ; et que la cour ordonnera la compensation judiciaire entre la condamnation prononcée et toute somme pouvant résulter de la caution souscrite.
25- La banque réplique que Mme [C] était une caution avertie et ne justifie pas que l'opération de crédit cautionnée était manifestement risquée pour la débitrice principale ; que l'opération ne présentait aucun risque particulier, et que les premières échéances ont été payées sans difficulté ; que les difficultés de la société proviennent d'un contexte social des structures de Mme [C] ; que celle-ci ne démontre pas que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières ; qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par le Crédit Mutuel, outre qu'elle ne justifie pas d'un préjudice à hauteur de la somme qu'elle demande.
Sur ce:
26- Le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard d'une caution non avertie d'un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l'endettement résultant de l'octroi des prêts garantis.
27- Le Crédit Mutuel fait valoir à juste titre que le prêt cautionné était destiné à financer la création en janvier 2014 d'une franchise « La Boîte à Pizza » à [Localité 4], et que Mme [C] avait déjà créé une telle franchise à [Localité 6] en août 2012, dont les résultats étaient positifs ; qu'elle n'était donc pas novice et savait déjà gérer une société quand elle a décidé d'en créer une seconde avec le même franchiseur.
28- Mme [C], qui ne conteste pas ces arguments, ne justifie nullement qu'elle aurait bien été une caution non avertie.
29- Au surplus, le Crédit Mutuel peut utilement ajouter que Mme [C] ne justifie pas que l'opération de crédit cautionnée aurait été manifestement risquée. L'opération financée, simple, ne présentait aucun risque particulier que la banque aurait pu connaître, et la débitrice a honoré ses obligations pendant plusieurs années.
30- Le Crédit Mutuel relève à juste titre que la déconfiture de la société est due à des difficultés sociales, survenues après le décès début 2018 d'une salariée dont plusieurs membres de la famille travaillaient dans les point de vente de Mme [C], et aussi que celle-ci a dû faire face en septembre 2018 au départ soudain de son compagnon qui s'occupait du point de vente de [Localité 4].
31- De plus enfin, au vu des éléments de fait examinés ci-dessus au titre de la disproportion invoquée, le cautionnement n'était pas non plus inadapté aux capacités financières de la caution.
32- C'est donc de manière justifiée que le tribunal de commerce a rejeté la demande en dommages-intérêts de Mme [C], et ce chef de jugement sera confirmé.
Sur la demande de délais de paiement
33- A titre subsidiaire, Mme [C] demande des délais de paiement. Elle fait valoir sa bonne foi et les circonstances indépendantes de sa volonté par lesquelles la liquidation judiciaire de la société Klyf est intervenue. Elle souligne que le délai lui permettra de valoriser le fonds de son autre exploitation commerciale, également placée en liquidation judiciaire.
34- La banque réplique que Mme [C] ne remplit pas les conditions financières pour obtenir des délais de paiement.
Sur ce :
35- Aux termes de l'article 1343-5 du Code Civil, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier.
36- Pour remplir les conditions de ce texte, le débiteur de l'obligation doit établir à la fois sa situation personnelle objective qui l'empêcherait de satisfaire à ses obligations, et son comportement pour parvenir à y satisfaire.
37- En l'espèce, Mme [C] omet de préciser comment elle entend apurer sa dette dans un délai de deux ans, alors même que ses deux sociétés sont en liquidation judiciaire avec des procédures impécunieuses, et qu'elle a déjà disposé d'un délai de quelque 4 années depuis sa mise en demeure et qu'elle n'a entrepris aucun apurement.
38- Sa demande sera donc rejetée.
Sur les autres demandes
39- Partie tenue aux dépens de première instance et d'appel, Mme [C] paiera à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Rejette la prétention de Mme [C] contestant la recevabilité de l'appel, et déclare celui-ci recevable,
Rejette la prétention de Mme [C] tendant à la radiation de la procédure,
Infirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 16 novembre 2021,
SAUF en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6],
Et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Déboute Mme [C] du surplus de ses demandes,
Condamne Mme [C], en sa qualité de caution de la société Klyf, à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] :
au titre du prêt professionnel n° 0565727609901 la somme de 20 670,77 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,75% à compter du 17 juillet 2020,
au titre du prêt professionnel n° 0565727609902 la somme de 5 121,73 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,50% à compter du 17 juillet 2020,
Dit que les intérêts échus pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,
Rejette la demande de délais de paiement de Mme [C],
Condamne Mme [C] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [C] aux dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 17 JANVIER 2024
N° RG 21/06728 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MOT6
CREDIT MUTUEL DE [Localité 6]
c/
Madame [T] [C]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 novembre 2021 (R.G. 2020F00752) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 10 décembre 2021
APPELANTE :
CREDIT MUTUEL DE [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
représenté par Maître Malorie ALLEMAND de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [T] [C], née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 7] (78), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Maître Eric LABORIE de la SCP BONNET - LABORIE, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 24 janvier 2014, la SAS Klyf a souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] (ci-après désignée le Crédit Mutuel), un prêt numéro 565727609901 d'un montant de 80 000 euros, au taux nominal de 2,75 % l'an et un prêt numéro 565727609902 d'un montant de 20 000 euros, au taux nominal de 2,5 % l'an.
Le 24 janvier 2014, Mme [C], présidente de la société, s'est portée caution solidaire au bénéfice du Crédit Mutuel dans la limite de 40 000 euros pour le prêt numéro 565727609901 et de 10 000 euros pour le prêt numéro 565727609902.
Le 27 novembre 20019, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Klyf.
Le 04 février 2020, le Crédit Mutuel a déclaré ses créances au passif de la société Klyf à hauteur de 19 986,96 euros et de 4 959,44 euros. Toutefois, le 17 juillet 2020, le mandataire liquidateur lui a fait parvenir un certificat d'irrecouvrabilité de sa créance.
Par acte du 18 août 2021, après vaine mise en demeure du 04 février 2020, le Crédit Mutuel a assigné Mme [C] devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes en sa qualité de caution.
Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal a statué comme suit :
- déboute la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] à payer à Mme [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [C] du surplus de ses demandes,
- condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] aux dépens.
Par déclaration du 10 décembre 2021, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, en intimant Mme [C].
Par ordonnance du 04 novembre 2022, le conseiller de la mise en état, saisi par Mme [C], s'est déclaré incompétent pour statuer sur le grief de l'absence de l'effet dévolutif de la déclaration d'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6], et a acté le retrait d'une demande de radiation de la procédure.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 29 juin 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] demande à la cour de :
vu les dispositions de l'article 1134 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 en date du 10 février 2016,
vu les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation,
vu les dispositions de l'article 1231-1 du code civil,
vu les dispositions des articles 2288 et suivants du code civil,
vu les dispositions des articles L. 622-28 alinéa 1 et L. 641-3 alinéa 1 du code de commerce,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- débouter Mme [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021 (RG 2020F00752), en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande tendant à voir sa responsabilité engagée pour manquement à son devoir de mise en garde,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021 (RG 2020F00752), en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de délais de paiement,
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021 (RG 2020F00752), en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à payer à Mme [C] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procdure civile, et aux dépens,
- statuant à nouveau,
- condamner Mme [C], en sa qualité de caution solidaire du prêt professionnel n°0565727609901 souscrit par la société Klyf, à lui payer la somme principale de 20 670,77 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 5,75 % l'an à compter du 17 juillet 2020 et jusqu'à parfait paiement,
- condamner Mme [C], en sa qualité de caution solidaire du prêt professionnel n°0565727609902 souscrit par la société Klyf, à lui payer la somme principale de 5 121,73 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 5,50 % l'an à compter du 17 juillet 2020 et jusqu'à parfait paiement,
- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil, jusqu'à parfait paiement,
- en tout état de cause,
- condamner Mme [C] à lui payer une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procdure civile,
- condamner Mme [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 31 mars 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [C], demande à la cour de :
- in limine litis,
vu ensemble les articles 562 et 901du code de procédure civile,
- juger irrecevable l'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] faute de mention des chefs du jugement critiqués,
- juger irrecevable l'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] faute d'effet dévolutif,
- à défaut,
vu l'article 524 du code de procédure civile,
vu la motivation du jugement du tribunal de commerce en date du 16 novembre 2021,
- ordonner la radiation de l'appel formé par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6], enregistrée sous le numéro de rôle après de la chambre sociale section B n° 21/06728,
- juger que seule l'exécution des condamnations prononcées permettra la remise au rôle de l'instance,
- sur le fond,
vu les articles 1231-1, 1289 et suivants et 1343-5 du code civil du code civil,
vu les articles L. 332-1 et 343-4 du code de la consommation,
vu le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 novembre 2021,
- à titre principal,
- confirmer le jugement dont appel,
- juger son engagement de caution comme disproportionné au sens des articles L. 332-1 et 343-4 du code de la consommation doit être privé d'effet en raison de son caractère disproportionné,
- en conséquence,
- juger la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,
- à défaut,
vu l'article 1231-1 du code civil,
- réformer partiellement le jugement,
- juger la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] responsable du préjudice causé à elle, caution non avertie,
- condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour perte de chance à raison de la privation de cause, de la disproportion et du défaut de mise en garde,
- ordonner la compensation des dommages et intérêts lui étant alloués avec toute somme pouvant résulter de la mise en jeu de la caution à due proportion,
- à titre subsidiaire,
- constater sa bonne foi et la faiblesse de ses revenus,
- en conséquence,
- lui accorder des délais de paiement d'une durée de deux ans afin de lui permettre d'apurer toute dette non compensée au terme de ce délai de deux ans,
- condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
Par actes d'huissier des 31 janvier et 05 avril 2022, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions à Mme [C].
L'ordonnance de clôture est intervenue le 02 novembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 15 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
1- In limine litis, Mme [C] conteste la recevabilité de l'appel, en faisant valoir que dans sa déclaration d'appel, le Crédit Mutuel n'a critiqué aucun chef du jugement, hormis le fait d'avoir été débouté. Elle en déduit que l'effet dévolutif n'a pas pu jouer, et que la cour ne se trouve donc pas saisie.
2- Le Crédit Mutuel, qui avait conclu lors de l'incident soulevé devant le conseiller de la mise en état, ne s'explique pas sur cette prétention dans ses conclusions de fond. La banque exposait que sa déclaration d'appel contient les chefs de jugement qu'elle critique.
Sur ce :
3- Il résulte des dispositions de l'article 901 4° du code de procédure civile que la déclaration d'appel doit notamment contenir les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité. Par application des dispositions de l'article 562 du même code, l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément.
4- En l'espèce, la déclaration d'appel du 10 décembre 2021 du Crédit Mutuel précisait, dans la rubrique « Objet/Portée de l'appel » :
« Aux fins d'obtenir la réformation du jugement contradictoire rendu en premier ressort par le tribunal de commerce de Bordeaux le 16 novembre 2021, en ce qu'il a : débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes, condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] à payer à Mme [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] aux dépens. »
5- Il en résulte que les exigences de l'article 901 ci-dessus sont remplies par ces indications, et que la déclaration d'appel n'encourt pas le grief soutenu par Mme [C], dont la prétention sera rejetée.
Sur la demande de radiation de la procédure
6- Mme [C] soutient ensuite qu'il convient de procéder à la radiation de la procédure, au motif que le Crédit Mutuel n'aurait pas procédé à l'exécution du jugement attaqué, qui le condamnait à lui payer une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, décision assortie de l'exécution provisoire.
7- Or, il ressort de l'ordonnance ci-dessus du conseiller de la mise en état que Mme [C], qui l'avait déjà saisi de ce chef, a finalement renoncé à s'en prévaloir en considérant que le Crédit Mutuel s'était acquitté de la somme mise à sa charge par un dépôt sur le compte CARPA de son conseil.
Mme [C] ne fait pas état d'un événement postérieur de nature à modifier la situation.
8- Sa demande de radiation ne peut en conséquence qu'être rejetée.
Sur la proportionnalité du cautionnement
9- Il doit être précisé à titre liminaire que les contrats de cautionnement souscrits par Mme [C] le 24 janvier 2014 restent régis par les dispositions en vigueur à la date de leur conclusion, antérieures à celles issues de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 applicables aux seuls contrats souscrits à compter du 1er janvier 2022, à l'exception des dispositions relatives à l'information des cautions.
10- Le Crédit Mutuel conteste toute disproportion tandis que Mme [C] demande confirmation de la décision en estimant que la disproportion est établie.
11- Aux termes des dispositions de l'article L. 343-4 ancien du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et abrogé à compter du 1er janvier 2022 mais restant applicable aux faits de la cause en raison de la date du contrat, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
12- Ce texte est applicable à une caution personne physique, qu'elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.
13- Il appartient à la caution de prouver qu'au moment de la conclusion du contrat, l'engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L'appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l'engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, à ses facultés contributives. Un cautionnement est disproportionné si la caution ne peut manifestement pas y faire face avec ses biens et revenus.
14- En l'espèce, Mme [C] reproche d'abord au Crédit Mutuel le fait de n'avoir fait l'objet d'aucune étude préalable de sa situation personnelle.
15- Toutefois ce grief ne repose sur aucun fondement légal, et l'article L. 343-4 ci-dessus rappelé n'impose pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu'elle l'invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
16- L'argument est donc inopérant.
17- Le Crédit Mutuel oppose au moyen la fiche de renseignement sur sa situation financière remise par Mme [C] et signée le 12 novembre 2013 (sa pièce n° 15).
Il en résulte que celle-ci déclarait :
- des revenus mensuels de 846,30 euros de Pôle Emploi et de 550,62 euros de revenus locatifs
- une maison d'habitation à [Localité 4], bien commun, estimée entre 160 000 et 200 000 euros, et un appartement à [Localité 5], bien propre, estimé à 90 000 euros
- une épargne composée d'un LDD pour 62,29 euros et d'un LEL pour 520,06 euros
Au titre de ses charges, elle faisait état d'un emprunt immobilier comportant un capital de 63 148,60 euros encore dus, pour des remboursements annuels de 6 473,88 euros.
18- Mme [C] ne soutient pas que sa situation personnelle et financière aurait été modifiée entre la signature de la fiche de renseignement et celle des actes de caution.
19- Elle ne saurait tenter de se prévaloir aujourd'hui de charges supérieures, notamment au titre de sa seconde société Kiliv Pizza, qu'elle aurait omis de déclarer dans cette fiche. La caution ne peut se prévaloir de l'inexactitude de ses propres dires, que la banque n'était pas tenue de vérifier en l'absence de toute anomalie apparente.
20- Aucune disproportion manifeste avec les deux engagements simultanés, limités à 40 000 et 10 000 euros ne résulte de l'examen des biens et revenus déclarés par la caution, et comportant notamment un patrimoine immobilier d'une valeur très supérieure aux sommes cautionnées.
21- C'est donc à tort que le tribunal de commerce a fait droit aux demandes de Mme [C], et son jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les sommes dues au titre des engagements de caution
22- Le Crédit Mutuel demande la condamnation de Mme [C], en sa qualité de caution de la société Klyf selon 2 actes du 24 janvier 2014, à lui payer :
au titre du prêt professionnel n° 0565727609901 la somme de 20 670,77 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,75% à compter du 17 juillet 2020,
au titre du prêt professionnel n° 0565727609902 la somme de 5 121,73 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,50% à compter du 17 juillet 2020,
23- Ces demandes, qui correspondent aux créances déclarées par le Crédit Mutuel à la procédure collective de la société Klyf, ne sont pas contestées en leur montant ou leurs modalités par Mme [C], et il y sera fait droit.
Vu la demande de la banque, les intérêts échus pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil.
Sur l'engagement de la responsabilité du Crédit Mutuel
24- A défaut de voir le cautionnement déclaré disproportionné, Mme [C] demande l'allocation de 40 000 euros à titre dommages-intérêts. Elle soutient le Crédit Mutuel a été défaillant dans son obligation de mise en garde et vigilance sur la proportionnalité de son engagement ; que la banque n'a pas établi de fiche de renseignement patrimoniale ; et que la cour ordonnera la compensation judiciaire entre la condamnation prononcée et toute somme pouvant résulter de la caution souscrite.
25- La banque réplique que Mme [C] était une caution avertie et ne justifie pas que l'opération de crédit cautionnée était manifestement risquée pour la débitrice principale ; que l'opération ne présentait aucun risque particulier, et que les premières échéances ont été payées sans difficulté ; que les difficultés de la société proviennent d'un contexte social des structures de Mme [C] ; que celle-ci ne démontre pas que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières ; qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par le Crédit Mutuel, outre qu'elle ne justifie pas d'un préjudice à hauteur de la somme qu'elle demande.
Sur ce:
26- Le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard d'une caution non avertie d'un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l'endettement résultant de l'octroi des prêts garantis.
27- Le Crédit Mutuel fait valoir à juste titre que le prêt cautionné était destiné à financer la création en janvier 2014 d'une franchise « La Boîte à Pizza » à [Localité 4], et que Mme [C] avait déjà créé une telle franchise à [Localité 6] en août 2012, dont les résultats étaient positifs ; qu'elle n'était donc pas novice et savait déjà gérer une société quand elle a décidé d'en créer une seconde avec le même franchiseur.
28- Mme [C], qui ne conteste pas ces arguments, ne justifie nullement qu'elle aurait bien été une caution non avertie.
29- Au surplus, le Crédit Mutuel peut utilement ajouter que Mme [C] ne justifie pas que l'opération de crédit cautionnée aurait été manifestement risquée. L'opération financée, simple, ne présentait aucun risque particulier que la banque aurait pu connaître, et la débitrice a honoré ses obligations pendant plusieurs années.
30- Le Crédit Mutuel relève à juste titre que la déconfiture de la société est due à des difficultés sociales, survenues après le décès début 2018 d'une salariée dont plusieurs membres de la famille travaillaient dans les point de vente de Mme [C], et aussi que celle-ci a dû faire face en septembre 2018 au départ soudain de son compagnon qui s'occupait du point de vente de [Localité 4].
31- De plus enfin, au vu des éléments de fait examinés ci-dessus au titre de la disproportion invoquée, le cautionnement n'était pas non plus inadapté aux capacités financières de la caution.
32- C'est donc de manière justifiée que le tribunal de commerce a rejeté la demande en dommages-intérêts de Mme [C], et ce chef de jugement sera confirmé.
Sur la demande de délais de paiement
33- A titre subsidiaire, Mme [C] demande des délais de paiement. Elle fait valoir sa bonne foi et les circonstances indépendantes de sa volonté par lesquelles la liquidation judiciaire de la société Klyf est intervenue. Elle souligne que le délai lui permettra de valoriser le fonds de son autre exploitation commerciale, également placée en liquidation judiciaire.
34- La banque réplique que Mme [C] ne remplit pas les conditions financières pour obtenir des délais de paiement.
Sur ce :
35- Aux termes de l'article 1343-5 du Code Civil, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier.
36- Pour remplir les conditions de ce texte, le débiteur de l'obligation doit établir à la fois sa situation personnelle objective qui l'empêcherait de satisfaire à ses obligations, et son comportement pour parvenir à y satisfaire.
37- En l'espèce, Mme [C] omet de préciser comment elle entend apurer sa dette dans un délai de deux ans, alors même que ses deux sociétés sont en liquidation judiciaire avec des procédures impécunieuses, et qu'elle a déjà disposé d'un délai de quelque 4 années depuis sa mise en demeure et qu'elle n'a entrepris aucun apurement.
38- Sa demande sera donc rejetée.
Sur les autres demandes
39- Partie tenue aux dépens de première instance et d'appel, Mme [C] paiera à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Rejette la prétention de Mme [C] contestant la recevabilité de l'appel, et déclare celui-ci recevable,
Rejette la prétention de Mme [C] tendant à la radiation de la procédure,
Infirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 16 novembre 2021,
SAUF en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6],
Et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Déboute Mme [C] du surplus de ses demandes,
Condamne Mme [C], en sa qualité de caution de la société Klyf, à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] :
au titre du prêt professionnel n° 0565727609901 la somme de 20 670,77 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,75% à compter du 17 juillet 2020,
au titre du prêt professionnel n° 0565727609902 la somme de 5 121,73 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,50% à compter du 17 juillet 2020,
Dit que les intérêts échus pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,
Rejette la demande de délais de paiement de Mme [C],
Condamne Mme [C] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [C] aux dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président