Cass. com., 28 novembre 1995, n° 94-13.045
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Richard et Mandelkern, Me Vuitton
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Poitiers, 2 mars 1994), que le 1er juillet 1993, la société Discountal a ouvert à Chatellerault, sur une zone dénommée "Espace d'Argenson" un commerce à grande surface sous l'enseigne "Leader price" ; que, le 5 août suivant, la société Scorbel, qui exploite à proximité un magasin Intermarché, l'a assignée devant le tribunal de commerce pour lui voir interdire l'ouverture de son magasin aux motifs qu'elle était en infraction avec les règles afférentes au permis de construire et à celles relatives à l'urbanisme commercial, de tels agissements étant constitutifs de concurrence déloyale à son égard ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Discountal fait grief à l'arrêt de ne pas contenir l'indication du nom des juges qui ont délibéré, alors, selon le pourvoi, que la prescription de l'article 454 relative à l'indication du nom des juges qui ont délibéré, doit être observée à peine de nullité du jugement ; que la cour d'appel, dont l'arrêt attaqué se borne à mentionner qu'il a été prononcé par M. Albert, conseiller, et signé par M. X..., lui aussi conseiller, ne contient pas l'indication du nom des magistrats qui ont délibéré, violant ainsi les articles 454 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que contrairement aux indications du moyen, la cour d'appel a mentionné le nom des trois magistrats présents lors des débats et du délibéré ; d'où il suit que le moyen manque en fait ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Discountal fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'écarter des débats les conclusions déposées la veille de l'audience par la société Scorbel, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans la procédure à jour fixe, il appartient à la partie qui, prétendant que ses droits sont en péril, demande que soit fixé le jour auquel l'affaire serait appelée en priorité, de faire connaître ses moyens de fond ; qu'en affirmant au contraire que la société Discountal devait se trouver prête à répliquer dans les 24 heures aux conclusions en réponse déposées par la société Scorbel, laquelle, alléguant le péril de ses droits, avait demandé que l'appel fut jugé selon la procédure d'appel à jour fixe, la cour d'appel a violé l'article 918, alinéa 1er ,du nouveau Code de procédure civile ; et alors que, d'autre part, le juge doit en toutes circonstances faire observer le principe de la contradiction ; que dans ses conclusions devant la cour d'appel, la société Scorbel, loin de se borner à demander la confirmation du jugement, concluait à l'augmentation de l'astreinte prononcée contre la société Discountal et en outre, de façon additionnelle à ses demandes de première instance, à l'organisation d'une expertise pour parvenir à l'évaluation de son préjudice ; qu'en énonçant, dès lors, pour refuser d'écarter des débats ces écritures déposées la veille de l'audience marquant la clôture de l'instruction, que la société Discountal avait été, devant les premiers juges, mise en mesure de critiquer les moyens qu'elles contenaient, la cour d'appel a, en tout état de cause, violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que les dispositions de l'article 918, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile n'interdisent pas à la partie qui a obtenu que son dossier soit examiné à jour fixe, de déposer des conclusions en réponse à celles de son adversaire ; que la cour d'appel, qui a constaté que les dernières conclusions de la société Discountal avaient été déposées douze jours avant l'audience et que la société Scorbel, qui avait obtenu l'autorisation de plaider à jour fixe, y avait répondu en développant une argumentation déjà critiquée devant les premiers juges par la société Discountal, a pu décider, sans méconnaître le principe de la contradiction, que cette dernière était en mesure de répliquer aux conclusions litigieuses dans le délai de 24 heures avant l'audience ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième et le quatrième moyens de cassation, réunis :
Attendu que la société Discountal fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale envers la société Scorbel, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la méconnaissance des obligations résultant des règles d'urbanisme ne peut donner lieu, de la part des concurrents, à une action en concurrence illicite ou déloyale ; qu'en décidant que la société Discountal s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale envers la société Scorbel, qui exploite un magasin à grande surface concurrent, aux motifs qu'elle se trouvait dans une situation irrégulière au regard des règles d'urbanisme relatives au permis de construire et à l'autorisation d'urbanisme commercial, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que pour déclarer la société Discountal coupable d'actes de concurrence déloyale, la cour d'appel devait en tout état de cause constater que la demande de permis modificatif, avant la délivrance duquel avait commencé l'exploitation, présentait un lien avec les nécessités de l'exploitation du commerce ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, à laquelle elle se trouvait pourtant invitée par la société Discountal qui faisait valoir que la demande de permis modificatif ne portait que sur un élément mineur, relatif à un changement d'aspect extérieur quant à la clôture, et non sur la surface de vente du magasin, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que c'est à bon droit, qu'après avoir constaté que la société Discountal se trouvait dans une situation irrégulière au regard des règles régissant le permis de construire, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si la demande de permis de construire modificatif présentée par la société Discountal présentait un lien avec les nécessités de l'exploitation du commerce, a considéré que dans la mesure où cette entreprise avait commencé d'exploiter commercialement ses locaux, la situation illicite dans laquelle elle se trouvait, constituait une faute génératrice de trouble commercial pour ses concurrents ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Discountal fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale envers la société Scorbel, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1990, ayant modifié les dispositions de la loi du 27 décembre 1973, relatives à l'appréciation des surfaces à soumettre à une autorisation d'urbanisme commercial, sont sans application aux permis de construire délivrés à la date de publication de cette loi ; qu'en déclarant ces dispositions applicables à la demande de permis de construire modificatif présenté postérieurement à la publication de la loi par la société Discountal, une telle demande ne correspondant pas à la demande de nouveau permis mais à la modification du permis antérieurement accordé, la cour d'appel, qui a méconnu les droits acquis par cette société en vertu de ce permis de construire, a violé l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990 ; et alors, d'autre part, que l'autorisation prévue à l'article 29 de la loi du 27 décembre 1973 n'est requise qu'en cas de réouverture au public, sur le même emplacement, d'un magasin de commerce de détail dont les locaux ont cessé d'être exploités pendant deux ans ; que la cour d'appel, qui a énoncé que le commerce de détail exploité par la société Discountal avait été créé par celle-ci dans des bâtiments qui n'avaient jamais antérieurement été ouverts au public et dont la constatation démontrait que les conditions d'application de l'article 19-1 du décret du 28 janvier 1974 n'étaient pas réunies en l'espèce, l'a violé par fausse application ;
Mais attendu que l'arrêt constate que la demande de modification du permis de construire avait été déposée le 22 septembre 1993 à une date postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 90-1260 du 31 décembre 1990 ayant modifié la détermination des seuils de superficie des constructions à usage commercial et dont les dispositions étaient applicables aux demandes de permis de construire sur lesquelles il n'avait pas encore été statué à la date de la publication de la loi ; que la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite du motif surabondant concernant le fait que l'ouverture du fonds de commerce constituait une création de commerce de détail et non une réouverture au sens de l'article 19-1 du décret n° 74-63 du 28 janvier 1974 sur l'implantation de certains magasins de commerce, que la société Discountal était en infraction par rapport aux règles relatives à l'urbanisme commercial ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.