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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 18 janvier 2024, n° 22/04778

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 22/04778

18 janvier 2024

ARRET



[R]

C/

S.D.C. REDISENCE [Adresse 5]

DB/SGS/DPC

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU DIX HUIT JANVIER

DEUX MILLE VINGT QUATRE

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/04778 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IS4B

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS DU DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

PARTIES EN CAUSE :

Madame [G] [O] [R] divorcée [L]

née le 29 Août 1943 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Margot ROBIT substituant Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocats au barreau d'AMIENS

APPELANTE

ET

S.D.C. REDISENCE [Adresse 5] pris en son syndic de copropriété le CABINET DUBOIS DU PORTAL SAS [Adresse 1] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Pierre BACLET, avocat au barreau de BEAUVAIS

INTIMEE

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 23 novembre 2023 devant la cour composée de Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

Sur le rapport de M. Douglas BERTHE et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 18 janvier 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la Présidente étant empéchée, la minute a été signée par M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [G] [R] divorcée [L] est propriétaire des lots n° 31, 32,54 et 74 relevant de la copropriété [Adresse 5], située [Adresse 2] à [Localité 4].

Ces quatre lots sont composés de deux caves en sous-sol (lots N° 31 et 32), communiquant avec la boutique située aux rez-de-chaussée (lot n° 54), laquelle est reliée par un escalier intérieur à l'appartement situé au premier étage (lot n° 74).

Jusqu'au 30 juin 2019, Mme [L] a donné à bail commercial ces quatre lots à la SARL Helina, franchisée de l'enseigne « Sergent Major ».

Afin de poursuivre l'exploitation commerciale, la société SM Amiens France, franchiseur de la marque « Sergent Major » a sollicité la reprise du bail à son nom, mais uniquement s'agissant de la boutique (lot n° 54), ce qui convenait à Mme [L] désireuse elle-même d'occuper l'appartement situé au premier étage (lot n°74).

Cette conclusion du bail était soumise au respect de deux conditions tenant à la réalisation de travaux, afin d'une part de permettre un accès direct et indépendant à l'appartement et d'autre part d'installer un groupe moto-condenseur de climatisation dans la cave de l'immeuble.

Après acceptation définitive de la réalisation de ses travaux par la commune de [Localité 4], le 13 janvier 2020, Mme [L] a demandé le 14 février 2020 au syndic de copropriété, le cabinet Dubois-du-Portal, de convoquer une assemblée générale extraordinaire afin que les résolutions lui permettant de réaliser les travaux puissent être votées.

En raison de la crise sanitaire, l'assemblée prévue le 18 mars 2020 n'a pas pu se tenir et de nouvelles convocations ont été envoyées pour une assemblée générale ordinaire, le 15 juillet 2020.

À cette occasion, selon le procès-verbal du 16 septembre 2020, les résolutions proposées, portant les numéros 17 et 18 ont été rejetées.

Par suite, Mme [L] a assigné, par acte d'huissier du 13 novembre 2020, le syndicat des copropriétaires [Adresse 5] représenté par son syndic de copropriété, le cabinet Dubois-du-Portal afin de voir annuler les délibérations litigieuses et d'être judiciairement autorisées à réaliser les travaux projetés.

Tandis que cette procédure était pendante, une nouvelle assemblée générale des copropriétaires s'est tenue le 28 juin 2021, lors de laquelle ont à nouveau été inscrites à l'ordre du jour les deux résolutions relatives aux travaux (résolutions n° 15.1 et 15.2). Ces deux résolutions ont été à nouveau rejetées par l'assemblée.

Mme [L] a alors de nouveau fait assigner par acte d'huissier du 6 septembre 2021, le syndicat des copropriétaires afin de voir annuler ces deux nouvelles résolutions et d'être autorisée judiciairement à réaliser les travaux projetés.

La jonction entre ces deux procédures a été prononcée le 6 septembre 2021.

Par jugement du 19 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Beauvais a :

' déclaré irrecevable Mme [G] [R] divorcée [L] à agir en annulation des résolutions n° 15.1 et 15.2 inscrites au procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires du 28 juin 2021,

' annulé les résolutions n° 17 et 18 inscrites au procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires du 16 septembre 2020,

' débouté Mme [G] [R], divorcée [L] de ses demandes tendant à l'octroi d'une autorisation judiciaire pour réaliser des travaux au sein de la copropriété [Adresse 5],

' Condamné Mme [G] [R] divorcée [L] à verser au syndicat de copropriété [Adresse 5], représenté par son syndic de copropriété, le cabinet Dubois-du-Portal, la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' débouté Mme [R] divorcée [L] de sa demande tenant à la condamnation du syndicat de copropriété [Adresse 5], représenté par son syndic de copropriété, le cabinet Dubois-du-Portal, à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné Mme [R] divorcée [E] aux entiers dépens avec le bénéfice de la distraction,

' rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision.

Par déclaration du 25 octobre 2022, Mme [G] [L] a interjeté appel de cette décision.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 21 janvier 2023 par lesquelles Mme [G] [L] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a annulé les résolutions n° 17 et 18 inscrites au procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires du 16 septembre 2020,

Statuant à nouveau,

- l'autoriser à faire installer, au bénéfice du locataire occupant le lot n°54, dans le parking du sous-sol de l'immeuble un groupe moto-condenseur de climatisation à côté des deux blocs d'ores et déjà en place ;

- l'autoriser à exécuter les travaux de modification de la devanture du lot n°54 afin de réduire la surface de la vitrine et de créer une porte d'accès direct au lot n°74 situé au premier étage et ce sans modification de la clé de répartition des charges attachées aux deux lots ;

En tout état de cause,

- Débouter le syndicat de copropriété [Adresse 5], représenté par son syndic de copropriété, le cabinet Citya Dubois-du-Portal, de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens

et conclusions et demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le syndicat de copropriété [Adresse 5], représenté par son syndic de copropriété, le cabinet Citya Dubois-du-Portal, à lui payer une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le syndicat de copropriété [Adresse 5], représenté par son syndic de copropriété, le cabinet Citya Dubois-du-Portal, aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que les copropriétaires présents ou représentés lors des assemblées générales ne sont jamais en nombre suffisant pour permettre d'atteindre la majorité absolue de tous les copropriétaires visée à l'article 25 de la loi de loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis et que les copropriétaires, en refusant par leur absence de prendre position sur les demandes formulées créent une situation de blocage qui ne peut être assimilée qu'à un « refus déguisé » destiné à éluder l'autorisation judiciaire de travaux prévue par l'article 30 de la loi du 10 juillet 1965,

- qu'en tout état de cause, les résolutions litigieuses n'ont aucunement été ajournées du fait de l'absence de majorité requise pour y procéder mais ont donné lieu à un vote effectif, que dès lors, l'assemblée générale a pris une position explicite par des votes, à savoir des décisions de rejet qui lui portent grief,

- que cette situation porte une atteinte à ses droits de jouir personnellement de son appartement et que le refus d'installation dans le parking au sous-sol de l'immeuble d'un groupe de climatisation à côté des blocs d'ores et déjà existants constitue une rupture d'égalité manifeste ; d'autres copropriétaires ayant reçu l'autorisation d'installer des blocs de climatisation similaires dans le sous-sol de l'immeuble,

- que le refus de l'assemblée générale n'est pas discrétionnaire et que le syndicat doit pouvoir justifier de motif sérieux et légitime, dans la mesure où les travaux dont l'exécution est sollicitée ne portent aucunement atteinte aux droits des autres copropriétaires ni à la clé de répartition des charges, qu'il s'agit d'un abus de majorité.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 11 avril 2023 par lesquelles le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] demande à la cour de :

- Déclarer Mme [L] mal fondée en son appel ;

- L'en débouter purement et simplement ;

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Subsidiairement,

- Dire que sa demande d'autorisation judiciaire est mal fondée et l'en débouter,

Ajoutant au jugement,

- Condamner Mme [L] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

- Condamner Mme [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec le bénéfice de la distraction.

Il fait valoir :

- que la juridiction ne peut se substituer à l'assemblée générale pour autoriser les travaux affectant les parties communes projetés par un copropriétaire,

- qu'une telle autorisation ne peut être accordée que si l'assemblée générale a opposé un refus définitif ce qui fait défaut en l'espèce dans la mesure où les décisions de refus ont été définitivement annulées,

- que Mme [L] ne démontre pas que les copropriétaires se seraient volontairement abstenus de se présenter à l'assemblée générale dans le but de l'empêcher de parvenir à la majorité nécessaire pour voter,

- que la création d'un accès direct à l'appartement du 1er étage au moyen d'une porte disposée sur la voie publique imposerait de procéder à la modification de la répartition des charges communes (ordures ménagères, accès aux boites aux lettres'),

- que la préservation des espaces communs de parking en sous-sol justifie que les copropriétaires soient invités à installer leurs climatiseurs dans leurs lots privatifs.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

La clôture a été prononcée le 27 septembre 2023 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 23 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article 9 alinéa 1er de la loi n°65-5557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le copropriétaire use et jouit librement des parties privatives et des parties communes, à la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble.

En effectuant les travaux dans son lot, le copropriétaire ne doit pas porter atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives appartenant à d'autres copropriétaires.

En cas de refus d'autorisation d'exécution de certains travaux, le copropriétaire dispose d'un recours particulier devant le tribunal judiciaire que la loi habilite à se substituer à l'assemblée générale pour conférer cette autorisation.

Une décision d'assemblée générale existe dès qu'une question est soumise à l'assemblée des copropriétaires et qu'elle est sanctionnée par un vote même si elle a été prise à la mauvaise majorité.

En l'espèce, Mme [G] [L] s'est vue refuser l'autorisation d'exécuter ses travaux au cours des assemblées générales des 16 septembre 2020 et 28 juin 2021.

Elle a saisi le tribunal judiciaire de Beauvais concomitamment en contestation de ces décisions et afin de se voir autoriser judiciairement à réaliser les travaux refusés.

Il est constant qu'elle a eu gain de cause dans sa contestation des résolutions n°17 et 18 de l'assemblée générale du 16 septembre 2020, le dispositif de la décision entreprise - annulant ces refus - n'étant pas querellé.

En ce qui concerne l'assemblée générale du 28 juin 2021, Mme [G] [L] s'est vue - aux termes du procès-verbal de séance concernant les résolutions n° 15 et 15.2 - opposer par deux votes deux nouveaux refus de réaliser ses travaux, celle-ci demeurant à ce jour dans l'impossibilité de les exécuter.

C'est donc à tort que le syndicat des copropriétaires affirme que la question des travaux sollicités par Mme [G] [L] n'ont pas fait l'objet d'un débat lors d'une assemblée générale dans la mesure où ces demandes de travaux ont déjà été soumises à deux reprises à l'assemblée générale des copropriétaires qui s'est prononcée à chaque fois par des décisions de rejet.

Il convient de relever que le syndicat des copropriétaires invoque dans le corps de ses écritures l'irrecevabilité des demandes de Mme [G] [L] en ce que les conditions posées par l'article 30 précité ne seraient pas réunies mais renonce à la solliciter aux termes du dispositif de ses conclusions.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [G] [L] est ainsi recevable à solliciter l'autorisation judiciaire d'exécuter ses travaux.

Le syndicat des copropriétaires ne démontre pas sur quel poste et à hauteur de quels quantums l'exécution des travaux sollicités aurait nécessairement pour effet de modifier la répartition des charges communes alors même que Mme [G] [L] sollicite expressément le maintien de la répartition actuelle des charges suite aux travaux.

En outre, le syndicat ne peut utilement invoquer une demande de modification de répartition des charges qui serait susceptible d'être invoquée par un futur et « éventuel acquéreur » du lot de Mme [G] [L] en ce que ce moyen ne relève que d'une hypothèse non avérée à ce jour.

En ce qui concerne le bloc de climatisation, le syndicat ne conteste pas que d'autres copropriétaires bénéficient déjà de tels blocs fixés en hauteur des murs du sous-sol et admet n'être en mesure de produire aucune décision d'autorisation de poses de ceux-ci.

Il résulte en revanche des pièces produites par Mme [L] que cette dernière a fait réaliser une étude de faisabilité des travaux litigieux, que la commune de [Localité 4] lui a accordé l'autorisation requise et que la pose d'un nouveau bloc de climatisation en sous-sol n'est pas de nature à gêner la circulation des véhicules et des usagers.

Le procès-verbal de constat d'huissier du 21 juillet 2021 démontre qu'en l'état actuel compte tenu de la reprise de la boutique par la société SM Amiens France, son appartement se trouve totalement inaccessible à partir des parties communes.

Aucun élément produit par le syndicat des copropriétaire n'établit que les travaux sollicités par Mme [L] se heurtent à la destination de l'immeuble ou qu'ils entraîneraient une modification des droits des autres copropriétaires. De plus ils ne contreviennent pas au règlement de copropriété et n'auront aucune conséquence sur la clé de répartition des charges de copropriété.

Dès lors le refus opposé par l'assemblée générale des copropriétaires aux demandes de travaux formées par Mme [L] revêt un caractère abusif s'agissant de travaux d'amélioration ne portant pas atteinte à la destination de l'immeuble, ni aux droits des autres copropriétaires.

En conséquence il y a lieu d'autoriser, selon les termes du dispositif ci-dessous, Mme [G] [L] à faire réaliser les travaux sollicités et la décision entreprise sera infirmée en ce sens.

Le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] qui succombe doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel, sous le bénéfice des dispositions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] à payer à Mme [G] [R] divorcée [L] la somme de 4 500 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision entreprise en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Autorise Mme [G] [R] divorcée [L] à faire installer dans le parking du sous-sol de l'immeuble un groupe moto-condenseur de climatisation,

Autorise Mme [G] [R] divorcée [L] à modifier la devanture du lot n°54 et à créer une porte d'accès direct au lot n°74 situé au premier étage,

Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] aux dépens de première instance et d'appel et autorise leur recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] à payer à Mme [G] [R] divorcée [L] la somme de 4 500 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés par cette dernière en première instance et en appel.

LA GREFFIERE P/ LA PRESIDENTE EMPECHEE