TUE, 8e ch. élargie, 24 janvier 2024, n° T-409/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
République fédérale d’Allemagne
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kornezov
Juges :
M. De Baere (rapporteur), M. Petrlík, M. Kecsmár, Mme Kingston
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la République fédérale d’Allemagne demande l’annulation de la décision C(2021) 3918 final de la Commission, du 3 juin 2021, relative à l’aide d’État SA.56826 (2020/N) – Allemagne – Réforme 2020 du régime de soutien à la cogénération et à l’aide d’État SA.53308 (2019/N) – Allemagne – Modification du régime de soutien aux centrales de cogénération de chaleur et d’électricité existantes [article 13 du Gesetz zur Neuregelung des Kraft-Wärme-Kopplungsgesetzes (loi portant nouvelle réglementation de la loi sur la cogénération de chaleur et d’électricité), du 21 décembre 2015 (BGBl. 2015 I, p. 2498, ci-après le « KWKG de 2016 »)] (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle celle-ci constate que diverses mesures (ci-après les « mesures en cause ») visant au soutien de la production d’électricité par les centrales de cogénération de chaleur et d’électricité (combined heat and power, ci-après la « CHP ») constituent des aides d’État.
Antécédents du litige
Procédure administrative
2 Le 28 janvier 2019, les autorités allemandes ont notifié à la Commission européenne l’amendement apporté à l’article 13 du KWKG de 2016 par le Gesetz zur Änderung des Erneuerbare-Energien-Gesetzes, des Kraft-Wärme-Kopplungsgesetzes, des Energiewirtschaftgesetzes und weiterer energierechtlicher Vorschriften (loi portant modification de la loi sur les énergies renouvelables, de la loi sur la cogénération de chaleur et d’électricité et de la loi sur le secteur de l’énergie et d’autres dispositions en matière d’énergie), du 17 décembre 2018 (BGBl. 2018 I, p. 2549).
3 Le 23 septembre 2020, les autorités allemandes ont notifié à la Commission d’autres amendements apportés au KWKG de 2016. Ces amendements ont été insérés aux articles 7 et 8 du Gesetz zur Reduzierung und zur Beendigung der Kohlerverstromung und zur Änderung weiterer Gesetze (Kohleausstiegsgesetz) [loi visant à réduire et à mettre fin à la production d’électricité au charbon et à modifier d’autres lois (loi sur la sortie du charbon)], du 8 août 2020 (BGBl. 2020 I, p. 1818), et furent davantage amendés par les articles 17 et 18 du Gesetz zur Änderung des Erneuerbare-Energien-Gesetzes und weiterer energierechtlicher Vorschriften (loi portant modification de la loi sur les énergies renouvelables et d’autres dispositions en matière d’énergie), du 21 décembre 2020 (BGBl. 2020 I, p. 3138).
4 Ces amendements apportés au KWKG de 2016 correspondent à la législation relative au soutien à la CHP en vigueur depuis le 1er janvier 2021 (ci-après le « KWKG de 2020 »).
5 Le 8 avril 2021, la République fédérale d’Allemagne a également notifié à la Commission l’amendement relatif au plafonnement du prélèvement en faveur des producteurs d’hydrogène tel que prévu par l’article 27 du KWKG de 2020.
Mesures en cause
Objectif et description des mesures en cause
6 Le KWKG de 2020 a pour objectif d’améliorer l’efficacité énergétique et la protection du climat et de l’environnement en augmentant la production nette d’électricité CHP d’ici à 2025. Il vise notamment à encourager la transition vers de nouvelles centrales de cogénération ou des centrales alimentées au gaz modernisées et à promouvoir l’électricité produite par de telles centrales de cogénération à haut rendement. Il vise également à assurer la cohérence entre le soutien à la CHP et les objectifs de la transition énergétique. À cette fin, le KWKG de 2020 prévoit plusieurs mesures.
– Mesure de soutien général à la production d’électricité par les centrales CHP à haut rendement nouvellement construites, modernisées et remises à niveau
7 Le KWKG de 2020 prévoit une mesure de soutien général à la production d’électricité par des centrales CHP à haut rendement nouvellement construites, modernisées et remises à niveau, pouvant utiliser diverses technologies de cogénération et pouvant être alimentées par différents types de fuel.
8 Le soutien général prend la forme d’une prime qui s’ajoute aux recettes tirées de la vente au prix du marché de l’électricité produite (articles 5 et suivants du KWKG de 2020).
9 Les exploitants de centrales CHP ayant une capacité de plus de 100 kilowatts (kW) doivent vendre l’électricité sur le marché à un tiers, ou bien la consommer eux-mêmes. Les exploitants de centrales CHP ayant une capacité moindre ont le choix de vendre l’électricité sur le marché, de la consommer eux-mêmes ou de demander au gestionnaire de réseau de l’acheter à un prix convenu (article 4 du KWKG de 2020).
10 Le soutien est accordé soit par le biais d’appels d’offres organisés par le régulateur national, à savoir la Bundesnetzagentur (Agence fédérale des réseaux, Allemagne) (article 8a du KWKG de 2020), soit directement en vertu du KWKG de 2020. Dans ce dernier cas, les bénéficiaires sont automatiquement en droit de recevoir ledit soutien lorsqu’ils remplissent les critères d’éligibilité. L’éligibilité des bénéficiaires est vérifiée par le Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle (Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations, Allemagne, ci-après le « BAFA »), sur demande de ces derniers. S’ils remplissent tous les critères, le BAFA doit délivrer un agrément confirmant ladite éligibilité (article 10 du KWKG de 2020).
11 Le KWKG de 2020 prévoit également le soutien à la production d’électricité provenant de systèmes CHP innovants, soit par le biais d’appels d’offres organisés par l’Agence fédérale des réseaux, soit par l’octroi d’un bonus, et modifie le régime du bonus lié à l’abandon du charbon mis en place par le KWKG de 2016. Ces bonus sont accordés uniquement si les exploitants de centrales CHP bénéficient de la mesure de soutien général.
– Mesure de soutien à la production d’électricité par les centrales CHP existantes, à haut rendement et alimentées au gaz, dans le secteur du chauffage urbain
12 Le KWKG de 2016 prévoyait une mesure de soutien à la production d’électricité par les centrales CHP existantes, à haut rendement et alimentées au gaz, dans le secteur du chauffage urbain jusqu’au 31 décembre 2019. Étant donné que ce soutien a pu conduire à une surcompensation pour les années 2018 et 2019, l’article 13 du KWKG de 2016 a été amendé de manière à ajuster les primes accordées à ces centrales pour l’année 2019 et ainsi à éliminer cette surcompensation. Les modalités d’octroi des primes découlant du KWKG de 2020, décrites aux points 8 et 9 ci-dessus, s’appliquent mutatis mutandis.
– Mesure de soutien aux installations de stockage de chaleur et de froid
13 Le KWKG de 2020 prévoit qu’un soutien financier est accordé aux installations de stockage à la condition que celles-ci recueillent principalement de la chaleur produite par une centrale CHP connectée au réseau électrique public. Les bénéficiaires sont automatiquement en droit de recevoir ledit soutien lorsqu’ils remplissent les critères d’éligibilité. L’éligibilité des bénéficiaires est vérifiée par le BAFA, sur demande de ces derniers. S’ils remplissent tous les critères, le BAFA doit délivrer un agrément confirmant ladite éligibilité (articles 22 à 25 du KWKG de 2020).
– Mesure de soutien aux réseaux de chauffage et de refroidissement urbains économes en énergie
14 Le KWKG de 2020 modifie les conditions de promotion des réseaux de chauffage en accordant un soutien financier auxdits réseaux qui contiennent au moins 75 % de CHP ou au moins 75 % de sources combinées de chaleur. Les bénéficiaires sont automatiquement en droit de recevoir ledit soutien lorsqu’ils remplissent les critères d’éligibilité. L’éligibilité des bénéficiaires est vérifiée par le BAFA, sur demande de ces derniers. S’ils remplissent tous les critères, le BAFA doit délivrer un agrément confirmant ladite éligibilité (articles 18 à 21 du KWKG de 2020).
– Mesure de plafonnement du prélèvement en faveur des producteurs d’hydrogène
15 Le KWKG de 2020 prévoit des règles spécifiques pour les entreprises appartenant au secteur de la fabrication de gaz industriels, dans lequel la production d’hydrogène constitue la majorité de la valeur ajoutée totale. Il limite le montant du prélèvement qui peut être récupéré auprès des producteurs d’hydrogène par les gestionnaires de réseau (voir point 18 ci-après) si lesdits producteurs bénéficient du prélèvement réduit en vertu de la loi portant modification de la loi sur les énergies renouvelables et d’autres dispositions en matière d’énergie (article 27 du KWKG de 2020).
Mécanisme de financement des mesures en cause
16 Le gestionnaire de réseau concerné est légalement obligé de verser aux bénéficiaires les montants prévus par le KWKG de 2020. L’exploitant d’une centrale CHP est en droit de recevoir la prime mentionnée au point 8 ci-dessus, éventuellement accompagnée des bonus mentionnés au point 11 ci-dessus, de la part du gestionnaire de réseau auquel cette centrale est connectée directement ou indirectement (article 6, paragraphe 1, article 7a, paragraphes 1 et 3, et article 7c, paragraphe 1, du KWKG de 2020).
17 L’exploitant d’un réseau de chauffage et de refroidissement est en droit de recevoir le soutien financier mentionné au point 14 ci-dessus par le gestionnaire de réseau de transport dont la zone de contrôle inclut le réseau auquel la centrale CHP principale alimentant le réseau de chauffage et de refroidissement est directement ou indirectement connectée (article 18, paragraphes 1 et 3, et article 21 du KWKG de 2020). De la même manière, l’exploitant d’une installation de stockage de chaleur et de froid est en droit de recevoir le soutien financier mentionné au point 13 ci-dessus par le gestionnaire de réseau de transport dont la zone de contrôle inclut le réseau auquel la centrale CHP alimentant la nouvelle installation de stockage de chaleur et de froid est directement ou indirectement connectée (article 22, paragraphes 1 et 3, et article 25 du KWKG de 2020).
18 Les gestionnaires de réseau ont le droit, sans y être obligés par la loi, de répercuter les coûts liés aux mesures en cause en tant que surtaxe (ci-après le « prélèvement KWKG ») dans le calcul des redevances de réseau qu’ils réclament à leurs clients pour chaque kilowattheure (KWh) d’électricité fournie en Allemagne par le réseau électrique (article 26, paragraphe 1, du KWKG de 2020). Par dérogation, les gestionnaires de réseau de transport ont le droit de réclamer un prélèvement KWKG réduit pour les gros consommateurs d’énergie tels que les producteurs d’hydrogène (article 27 du KWKG de 2020).
19 Le montant du prélèvement KWKG est calculé chaque année par les gestionnaires de réseau de transport selon la méthodologie prévue par le KWKG de 2020. Il est exprimé en un prix uniforme par KWh d’électricité consommée, sous réserve du taux réduit dont bénéficient certaines catégories d’utilisateurs.
20 Pour que chaque gestionnaire de réseau voit compensée la charge financière supplémentaire résultant de ses obligations au titre du KWKG de 2020, cette loi a mis en place un mécanisme par lequel cette charge est répartie de manière équitable entre les gestionnaires de réseau (distribution ou transport) en proportion de la consommation des consommateurs connectés à leur réseau, puis compensée grâce au prélèvement KWKG (article 28 du KWKG de 2020).
21 Le KWKG de 2020 prévoit une limite annuelle budgétaire d’1,8 milliard d’euros pour les mesures en cause et donc pour le prélèvement KWKG total (article 29 du KWKG de 2020).
Décision attaquée
22 Le 3 juin 2021, la Commission a adopté la décision attaquée.
23 La Commission a qualifié les mesures en cause d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en constatant qu’elles étaient financées au moyen de ressources d’État.
24 En particulier, aux points 220 et 221 de la décision attaquée, d’une part, la Commission a conclu que les mesures de soutien, premièrement, à la production d’électricité par des centrales CHP à haut rendement nouvellement construites, modernisées et remises à niveau, deuxièmement, aux réseaux de chauffage et de refroidissement urbains économes en énergie, troisièmement, aux installations de stockage de chaleur et de froid et, quatrièmement, à la production d’électricité par cogénération dans des centrales de cogénération existantes, à haut rendement et alimentées au gaz, dans le secteur du chauffage urbain (ci-après, prises ensemble, les « mesures de soutien à la CHP ») étaient financées par les recettes d’une contribution obligatoire de jure imposée par l’État, gérées et affectées conformément aux dispositions de la législation.
25 D’autre part, la Commission a considéré que la mesure relative au plafonnement du prélèvement KWKG en faveur des producteurs d’hydrogène constituait un renoncement à des ressources d’État.
26 La Commission a néanmoins constaté que les mesures en cause étaient compatibles avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, de sorte qu’elle a décidé de ne pas soulever d’objections.
Conclusions des parties
27 La République fédérale d’Allemagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée dans la mesure où il y est constaté que les mesures en cause constituent des aides d’État ;
– condamner la Commission aux dépens.
28 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens.
En droit
29 Au soutien de son recours, la République fédérale d’Allemagne soulève un moyen unique, tiré de l’interprétation et de l’application erronées de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la Commission a constaté que les entreprises concernées par les mesures en cause bénéficiaient d’aides accordées au moyen de ressources d’État.
30 À titre liminaire, il convient de rappeler que la qualification d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, suppose la réunion de quatre conditions, à savoir qu’il existe une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, qu’elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêts du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 46, et du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 31).
31 S’agissant de l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, seule condition en cause dans la présente affaire, il convient de rappeler que pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêts du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 47, et du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 32).
32 La République fédérale d’Allemagne ne conteste pas que les mesures en cause lui sont imputables. Au demeurant, force est de constater que ces mesures ont été instituées par voie législative et qu’elles sont dès lors imputables à l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère! e.a., C 262/12, EU:C:2013:851, points 17 et 18, et du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 33).
33 En revanche, la République fédérale d’Allemagne conteste la conclusion de la Commission selon laquelle les mesures en cause ont été accordées au moyen de ressources d’État.
34 À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tant les aides accordées directement par l’État ou au moyen de ressources d’État que celles accordées par des organismes publics ou privés institués ou désignés par ce dernier en vue de les gérer (arrêts du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig, 78/76, EU:C:1977:52, point 20, et du 21 octobre 2020, Eco TLC, C 556/19, EU:C:2020:844, point 25).
35 En effet, le droit de l’Union européenne ne saurait admettre que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d’aides permette de contourner les règles relatives aux aides d’État (arrêts du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 51, et du 21 octobre 2020, Eco TLC, C 556/19, EU:C:2020:844, point 27).
36 La Cour a récemment jugé, en substance, que pouvaient être qualifiés de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, d’une part, des fonds alimentés par une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires en vertu de la législation nationale et gérés et répartis conformément à cette législation et, d’autre part, des sommes qui restaient constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes. Ces deux critères constituent des critères alternatifs de la notion de « ressources d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, points 38, 39 et 42).
37 Le moyen unique de la République fédérale d’Allemagne se divise en trois branches. Par la première branche du moyen unique, la République fédérale d’Allemagne soutient que la nature fiscale d’un prélèvement ne confère pas à elle seule un caractère étatique aux ressources perçues au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ce dernier supposant toujours que les ressources se trouvent constamment sous contrôle public et à la disposition des autorités nationales compétentes. Lors de l’audience, la République fédérale d’Allemagne a toutefois déclaré renoncer aux arguments formulés dans le cadre de cette branche, à la lumière de l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1), et, en particulier, de l’affirmation du caractère alternatif des deux critères de la notion de « ressources d’État » (voir point 36 ci-dessus), ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience. Il s’ensuit qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la première branche du moyen unique.
38 Par la deuxième branche du moyen unique, la République fédérale d’Allemagne avance, en substance, que ni le prélèvement KWKG ni les montants versés par les gestionnaires de réseau aux exploitants des centrales CHP, des installations de stockage et des réseaux de chauffage et de refroidissement urbains (ci-après les « exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP ») ne constituent une taxe impliquant l’engagement de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Par la troisième branche du moyen unique, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que la Commission a estimé à tort que les ressources perçues par les gestionnaires de réseau se trouvaient sous contrôle public constant et à la disposition de l’État.
39 Par les deuxième et troisième branches du moyen unique, la République fédérale d’Allemagne fait ainsi valoir, en substance, qu’aucun des deux critères alternatifs de la notion de « ressources d’État », mentionnés au point 36 ci-dessus, n’est rempli en l’espèce.
40 Étant donné que, dans le cadre de son analyse de la condition relative aux ressources d’État, la Commission a distingué, d’une part, les mesures de soutien à la CHP et, d’autre part, la mesure relative à la réduction du prélèvement KWKG en faveur des producteurs d’hydrogène (voir points 24 et 25 ci-dessus), le Tribunal estime opportun d’examiner ensemble les deuxième et troisième branches du moyen unique, d’abord en ce qui concerne les mesures de soutien à la CHP et ensuite en ce qui concerne la mesure relative au plafonnement du prélèvement KWKG en faveur des producteurs d’hydrogène.
Sur les mesures de soutien à la CHP
41 Dans la décision attaquée, pour considérer que les mesures de soutien à la CHP étaient octroyées au moyen de ressources d’État, la Commission a constaté, tout d’abord, que, dans la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160), clarifiée par l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C 405/16 P, EU:C:2019:268), une distinction avait été établie entre les mesures d’aides d’État et les mesures de simple réglementation des prix n’impliquant pas l’intervention de ressources d’État.
42 La Commission a relevé que, en l’espèce, les exploitants de centrales CHP étaient tenus par la loi de vendre leur électricité directement sur le marché, de sorte que le prix était fixé librement par les forces du marché et non par le biais d’une réglementation des prix. S’agissant des installations de stockage de chaleur et de froid et des réseaux de chauffage et de refroidissement urbains, aucune transaction à un prix donné pour des produits et des services n’avait lieu, de sorte qu’il ne s’agissait pas non plus d’une réglementation des prix.
43 Le paiement de revenus complémentaires aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP, sans contrepartie, ne correspondrait pas à la tâche habituelle d’un gestionnaire de réseau d’électricité. Les critères d’éligibilité étaient prévus par le KWKG de 2020 et vérifiés par le BAFA. L’étendue du soutien financier payé aux bénéficiaires était entièrement fixé par l’État et, si le budget total de 1,8 milliard d’euros risquait d’être dépassé, c’était le BAFA qui déterminait les taux réduits du soutien.
44 La Commission a rappelé que les gestionnaires de réseau étaient obligés de supporter les coûts des mesures de soutien à la CHP de sorte que la charge financière que la loi faisait peser sur eux constituait une contribution obligatoire de jure imposée par l’État. Le fait que les gestionnaires de réseau étaient fondés à répercuter les coûts sur leurs propres consommateurs, mais n’y étaient pas obligés signifiait uniquement que ces consommateurs n’étaient pas soumis à une contribution obligatoire en droit. Les gestionnaires de réseau restaient, quant à eux, soumis à une telle contribution. Le financement des aides par une telle taxe à un niveau de la chaîne d’approvisionnement serait suffisant pour établir l’existence de ressources d’État, sans qu’il y ait lieu d’identifier une autre contribution obligatoire à un autre niveau de la chaîne.
45 En conséquence, la Commission a conclu que les mesures de soutien à la CHP étaient financées par les recettes d’une contribution obligatoire de jure imposée par l’État, gérées et affectées conformément aux dispositions de la législation.
46 Dans le cadre des deuxième et troisième branches du moyen unique, premièrement, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que le prélèvement KWKG ne constitue pas une taxe impliquant l’engagement de ressources d’État dans la mesure où le KWKG de 2020 n’obligerait pas les gestionnaires de réseau à répercuter ce prélèvement sur les clients du réseau. Les gestionnaires de réseau financeraient les paiements aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP au moyen de leurs ressources financières propres.
47 Ces derniers paiements ne constitueraient pas non plus une taxe. La Commission méconnaîtrait, à cet égard, la jurisprudence relative aux taxes parafiscales, notamment les arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C 206/06, EU:C:2008:413), du 15 mai 2019, Achema e.a. (C 706/17, EU:C:2019:407), et du 20 septembre 2019, FVE Holýšov I e.a./Commission (T 217/17, non publié, EU:T:2019:633). Cette jurisprudence s’inscrirait toujours, comme en l’espèce, dans un contexte comportant deux niveaux ou, en d’autres termes, une relation triangulaire entre l’exploitant de la centrale, le gestionnaire de réseau et le client du réseau. Le juge de l’Union n’aurait pas qualifié de taxe le flux financier reliant les gestionnaires de réseau et les bénéficiaires.
48 Par ailleurs, la Commission se fonderait de manière incorrecte sur le fait que le KWKG de 2020 ne constitue pas une mesure de réglementation des prix au sens de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160). La question de savoir si le prix de l’électricité est réglementé par la loi importerait peu aux fins de la détermination de l’existence d’une taxe.
49 Deuxièmement, la République fédérale d’Allemagne soutient que les ressources ne peuvent être considérées comme des ressources d’État que lorsqu’elles se trouvent constamment sous contrôle public et donc à la disposition des autorités nationales, ce que la Commission n’aurait pas examiné.
50 En outre, l’emprise de l’État sur le cadre légal ne suffirait pas, en soi, pour conclure que celui-ci détient un pouvoir de disposition sur les fonds. En ce qui concerne le KWKG de 2020, ni l’État ni les autorités nationales compétentes n’exerceraient une influence sur l’utilisation des ressources.
51 La Commission concède que le prélèvement KWKG, pris isolément, n’est pas une taxe dans la mesure où les gestionnaires de réseau ne sont pas obligés de le facturer à leurs clients. En revanche, la prime que les gestionnaires de réseau versent aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP en vertu du KWKG de 2020 constituerait une taxe impliquant l’engagement de ressources d’État.
52 Selon la Commission, cette prime constitue une charge unilatérale obligatoire imposée par l’État à une personne redevable et, partant, une taxe impliquant l’engagement de ressources d’État. Il ne serait pas nécessaire de constater une répercussion de la charge financière sur le consommateur lorsque l’existence d’une contribution obligatoire en amont de la chaîne d’approvisionnement est établie. Ainsi, en l’espèce, le débiteur final serait le gestionnaire de réseau, qui se trouverait dans la même situation juridique qu’un consommateur final. Dans tous les cas, l’État s’approprierait une somme provenant d’une source privée.
53 La dérogation à l’interdiction prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, comme celle dont il est question dans l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160), ne pourrait être appliquée qu’aux cas de réglementation des prix et ne saurait donc être appliquée aux paiements des suppléments de prix par les gestionnaires de réseau. Le fait d’assimiler une obligation légale de paiement à une simple réglementation des prix du marché reviendrait, selon la Commission, à élargir indûment cette dérogation, ce qui viderait de sa substance l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
54 La Commission avance encore que, conformément à la jurisprudence, il est suffisant qu’une taxe, telle que celle de l’espèce, soit perçue pour constater l’existence de ressources d’État et qu’il n’est pas nécessaire de constater un contrôle étatique plus poussé. Elle soutient néanmoins avoir examiné dans la décision attaquée la question de savoir si les ressources que les gestionnaires de réseau percevaient au moyen du prélèvement KWKG étaient soumises au contrôle de l’État. À titre exhaustif, elle fait valoir que le paiement des primes obéit aux dispositions légales du KWKG de 2020 auxquelles les gestionnaires de réseau ne peuvent déroger, ce qui permet de déduire leur caractère étatique.
55 Il convient d’examiner, tout d’abord, les arguments de la République fédérale d’Allemagne tirés de ce que ni le prélèvement KWKG ni les montants versés aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP ne constituent une taxe ou un autre prélèvement obligatoire au sens du premier critère visé au point 36 ci-dessus, ensuite, les arguments tirés de l’absence de contrôle public constant des ressources au sens du second critère visé au point 36 ci-dessus et, enfin, les arguments relatifs à l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160).
Sur l’existence d’une taxe ou d’un autre prélèvement obligatoire (premier critère visé au point 36 ci-dessus)
56 Selon la jurisprudence, des montants résultant du supplément de prix imposé par l’État aux acheteurs d’électricité s’apparentent à une taxe qui frappe l’électricité et ont pour origine des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 34 et jurisprudence citée).
57 Des fonds doivent ainsi être considérés comme des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, s’ils proviennent de contributions obligatoires imposées par la législation de l’État membre concerné et s’ils sont gérés et répartis conformément à cette législation. À cet égard, il est indifférent que le mécanisme de financement ne relève pas, au sens strict, de la catégorie des prélèvements de nature fiscale dans le droit national (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 35 et jurisprudence citée).
58 En revanche, le fait que la charge financière du prélèvement soit supportée dans les faits par une catégorie définie de personnes ne suffit pas à établir que les fonds issus de ce prélèvement ont le caractère de « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Encore faut-il que ledit prélèvement soit obligatoire en vertu du droit national. Ainsi, la Cour a jugé qu’il ne suffisait pas que les gestionnaires de réseau répercutent sur le prix de vente de l’électricité à leurs clients finals les surcoûts provoqués par leur obligation d’acheter l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables aux tarifs fixés par la loi, dès lors que cette compensation résultait seulement d’une pratique et non d’une obligation légale (voir arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, points 36 et 37 et jurisprudence citée).
59 D’emblée, il convient de constater que les parties s’accordent sur le fait que le système mis en place par le KWKG de 2020 se caractérise par l’existence de « deux niveaux » dans la chaîne d’approvisionnement de l’électricité. Ainsi, le « premier niveau » correspond à la relation entre, d’une part, les exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP et, d’autre part, les gestionnaires de réseau. Le « second niveau » correspond à la relation entre les gestionnaires de réseau et leurs clients. Comme l’a rappelé la République fédérale d’Allemagne lors de l’audience, les gestionnaires de réseau sont des entités privées.
60 Dans le cadre du « premier niveau », le gestionnaire de réseau concerné a une obligation légale de verser un soutien financier aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP éligibles (voir points 16 et 17 ci-dessus). Dans le cadre du « second niveau », les gestionnaires de réseau peuvent, sans y être obligés par la loi, répercuter la charge financière résultant de leur obligation de versement du soutien financier en vertu du KWKG de 2020 sur leurs clients au moyen du prélèvement KWKG (voir points 18 à 20 ci-dessus).
61 Dans la décision attaquée, la Commission n’a pas considéré que le prélèvement KWKG, au « second niveau » de la chaîne d’approvisionnement, constituait un prélèvement obligatoire en droit de nature à caractériser des ressources d’État. Au demeurant, il convient de constater que les gestionnaires de réseau ne sont pas obligés, en vertu de la loi, de réclamer le prélèvement KWKG à leurs clients, de sorte que ce prélèvement ne peut être qualifié de prélèvement obligatoire au sens de la jurisprudence citée aux points 57 et 58 ci-dessus.
62 En revanche, la Commission a considéré que les contributions imposées par la loi aux gestionnaires de réseau et versées obligatoirement aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP, au « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement, impliquaient l’engagement de ressources d’État sans qu’il y ait lieu d’identifier une autre contribution obligatoire à un autre « niveau » de la chaîne d’approvisionnement.
63 Or, il convient de constater, à l’instar de la République fédérale d’Allemagne, que la Commission, à cet égard, a méconnu la jurisprudence relative au critère de l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires.
64 En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 57 ci-dessus, pour que des fonds soient considérés comme des « ressources d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ceux-ci doivent « provenir » de taxes ou d’autres prélèvements obligatoires imposés par la législation de l’État et doivent être « gérés et répartis conformément à [la] législation ».
65 L’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires en vertu de la loi a donc trait à la provenance des fonds utilisés pour octroyer un avantage, en ce sens qu’elle permet de constater que des fonds étatiques ont été utilisés pour financer cet avantage. Une telle taxe ou un tel autre prélèvement obligatoire constitue le mode de financement des mesures.
66 Les fonds sont ensuite gérés et répartis, c’est-à-dire affectés, de manière conforme à la loi, ce qui permet de constater que les sommes collectées par le biais d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires sont utilisées exclusivement aux fins de l’octroi d’un avantage aux bénéficiaires conformément à la législation.
67 La Commission ne pouvait donc pas valablement considérer que les paiements obligatoires par les gestionnaires de réseau aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP, ayant lieu au « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement, constituaient une taxe ou un autre prélèvement obligatoire de nature à caractériser des ressources d’État. En effet, ces paiements ont uniquement trait à l’affectation des fonds conforme à la loi dans la mesure où les gestionnaires sont légalement obligés d’octroyer un soutien financier aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP. Ils ne donnent toutefois aucune indication sur l’origine des fonds utilisés par les gestionnaires de réseau aux fins de l’octroi du soutien financier aux bénéficiaires. Comme la relève à juste titre la République fédérale d’Allemagne, considérer que les paiements susmentionnés constituent une taxe ou un autre prélèvement obligatoire au sens de la jurisprudence pertinente revient à considérer que le financement des mesures de soutien à la CHP se confond avec l’octroi des fonds aux bénéficiaires.
68 Ces constats sont confirmés par la jurisprudence relative aux mesures d’aides d’État visant à soutenir la production d’électricité, notamment celle issue de sources d’énergie renouvelables, financées au moyen de suppléments de prix imposés par l’État aux acheteurs d’électricité. En particulier, les arrêts évoqués par les parties dans leurs écritures et cités dans les notes en bas de page nos 65 et 72 de la décision attaquée, à savoir les arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C 206/06, EU:C:2008:413), du 15 mai 2019, Achema e.a. (C 706/17, EU:C:2019:407), et du 20 septembre 2019, FVE Holýšov I e.a./Commission (T 217/17, non publié, EU:T:2019:633), ce dernier ayant été confirmé par la Cour dans l’arrêt du 16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission (C 850/19 P, non publié, EU:C:2021:740), portaient sur des obligations, prévues par la loi, incombant à des opérateurs de réseaux de distribution et de transport d’électricité de céder un supplément de prix à une société filiale des entreprises productrices d’électricité ou d’acheter de l’électricité à un certain prix à de telles entreprises en vue de soutenir la production de cette électricité. Pour compenser les surcoûts résultant de telles obligations, supportés par les opérateurs de réseaux de distribution et de transport d’électricité, la loi prévoyait que ces opérateurs imposent un prélèvement obligatoire frappant l’électricité aux consommateurs d’électricité.
69 Dans les arrêts mentionnés au point 68 ci-dessus, les prélèvements obligatoires collectés et gérés par les opérateurs de réseaux de distribution et de transport d’électricité au « second niveau » de la chaîne d’approvisionnement servaient à compenser le surcoût résultant de leurs obligations légales au « premier niveau » de ladite chaîne. La répercussion du surcoût au moyen d’un prélèvement obligatoire équivalant à une taxe frappant l’électricité était distincte des obligations légales incombant aux opérateurs de réseaux de distribution et de transport d’électricité et visant à soutenir les entreprises productrices d’électricité. Les fonds servant à mettre en œuvre ces obligations avaient pour origine les prélèvements obligatoires frappant l’électricité imposés aux consommateurs d’électricité, ce qui démontrait le financement étatique des mesures.
70 C’est donc à tort que la Commission, en se référant à la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, a considéré que l’obligation incombant aux gestionnaires de réseau de verser des sommes aux bénéficiaires, au « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement, suffisait pour constater l’existence d’une taxe ou d’un autre prélèvement obligatoire de nature à caractériser l’engagement de ressources d’État, dans la mesure où cette circonstance permet uniquement de constater l’affectation des fonds conforme à la loi, mais ne donne aucune indication quant à la provenance des fonds utilisés par les gestionnaires de réseau pour mettre en œuvre leurs obligations. Contrairement aux situations en cause dans la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, en l’espèce, la Commission n’a pas identifié un prélèvement obligatoire au « second niveau » de la chaîne d’approvisionnement.
71 En outre, la Commission n’a aucunement expliqué, dans la décision attaquée, à quel moment et par qui la gestion des fonds était effectuée. Il ressort de la décision attaquée que les recettes provenant des contributions obligatoires parviennent directement aux bénéficiaires, sans qu’aucune collecte ni aucune gestion de fonds ne soit effectuée par les gestionnaires de réseau.
72 À cet égard, d’une part, en ce qu’il met uniquement en place une compensation de la charge entre gestionnaires de réseau, le mécanisme de répartition équitable de la charge financière entre ces gestionnaires de réseau, décrit au point 20 ci-dessus, ne saurait être considéré comme une gestion des fonds utilisés pour financer les mesures de soutien à la CHP. D’autre part, au point 218 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les critères d’éligibilité au soutien financier étaient prévus par le KWKG de 2020 et vérifiés par le BAFA, que l’étendue de ce soutien était entièrement fixée par l’État et que, si le budget total de 1,8 milliard d’euros risquait d’être dépassé, c’était le BAFA qui déterminait les taux réduits du soutien (voir point 43 ci-dessus). Toutefois, ces circonstances permettent uniquement de constater que les gestionnaires de réseau ne peuvent déroger aux règles établies par la loi et dont l’application est vérifiée par le BAFA de sorte qu’ils doivent affecter les fonds conformément à celle-ci. Elles ne permettent cependant pas de constater que les fonds utilisés par les gestionnaires de réseau pour payer les bénéficiaires provenaient d’une taxe ou d’un autre prélèvement obligatoire collecté et géré par ces derniers.
73 Par ailleurs, c’est également à tort que la Commission a affirmé, dans la décision attaquée, que les gestionnaires de réseau étaient soumis à une contribution obligatoire en droit dans la mesure où la loi les obligeait à supporter la charge financière des mesures de soutien à la CHP.
74 À cet égard, certes, il ressort de la jurisprudence que la charge financière d’un prélèvement obligatoire peut être supportée par une « catégorie définie de personnes » (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1, point 36), de sorte qu’il n’est pas exigé que les consommateurs finals soient les débiteurs de ce prélèvement, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission dans ses écritures.
75 Toutefois, dans la décision attaquée, la Commission s’est contentée de constater que les gestionnaires de réseau supportaient les coûts des mesures de soutien à la CHP. Or, comme elle l’a indiqué, lesdits gestionnaires peuvent répercuter ces coûts sur leurs clients au moyen du prélèvement KWKG. Lorsqu’une telle répercussion est mise en œuvre, ce sont les clients des gestionnaires de réseau qui doivent être considérés comme supportant la charge financière des mesures de soutien à la CHP.
76 La Commission ne saurait donc faire valoir que l’État s’approprie les ressources des gestionnaires de réseau, puisque, contrairement à ce qu’elle avance, ces gestionnaires ne sont pas nécessairement les débiteurs ultimes de la charge financière induite par les mesures de soutien à la CHP.
77 Dès lors, ainsi que le fait valoir la République fédérale d’Allemagne, le fait d’avoir identifié une obligation de paiement unilatérale incombant aux gestionnaires de réseau au « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement ne saurait suffire pour constater que les mesures de soutien à la CHP sont financées par une taxe ou par d’autres prélèvements obligatoires au sens de la jurisprudence citée aux points 57 et 68 ci-dessus.
78 Étant donné que le prélèvement KWKG ne peut pas non plus être qualifié de taxe ou d’autres prélèvements obligatoires au sens de cette jurisprudence (voir point 61 ci-dessus), force est de constater que la Commission n’a pas établi que le premier critère visé au point 36 ci-dessus, permettant de constater un transfert de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, était rempli.
79 Les autres arguments de la Commission ne sauraient infirmer ces conclusions.
80 Premièrement, la Commission soutient qu’il ressort du point 218 de la décision attaquée que le versement du soutien financier par les gestionnaires de réseau aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP tel que prévu par la loi ne fait pas partie des missions habituelles de ces gestionnaires. Ces derniers ne disposeraient d’aucune marge d’appréciation contractuelle quant au cercle des bénéficiaires, au montant et à la durée des paiements. Ces éléments démontreraient que le KWKG de 2020 ne repose pas sur une initiative économique privée, mais sur une initiative étatique.
81 Certes, il est vrai que le KWKG de 2020 repose sur une initiative de l’État et qu’il poursuit une politique publique de soutien à la production d’électricité CHP. Il est également vrai que les gestionnaires de réseau sont obligés de verser les sommes prévues par la loi aux exploitants, selon les modalités prévues par elle.
82 Cependant, ces considérations se confondent avec l’analyse exposée au point 32 ci-dessus, selon laquelle les mesures de soutien à la CHP ont été instituées par voie législative, de sorte qu’elles doivent être considérées comme imputables à l’État.
83 Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus, l’imputabilité des mesures à l’État, bien que nécessaire aux fins de la qualification de ces mesures d’« aides », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, n’est pas à elle seule suffisante pour qu’une telle qualification puisse être retenue. Il convient, en effet, de démontrer que les avantages en question sont accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C 405/16 P, EU:C:2019:268, point 63).
84 Partant, le fait que la loi prévoit de manière détaillée les modalités d’affectation du soutien financier n’est pas de nature à caractériser un transfert de ressources d’État, mais uniquement une responsabilité de l’État dans la mise en place du mécanisme de soutien à l’électricité CHP et donc l’imputabilité à l’État des mesures de soutien à la CHP.
85 Il en va de même de l’argument, avancé par la Commission lors de l’audience, selon lequel c’est le législateur allemand qui gère et répartit les recettes des contributions obligatoires des gestionnaires de réseau. Une telle considération revient à constater que la législation prévoit, en amont, les modalités d’affectation du soutien financier et donc à démontrer uniquement l’imputabilité des mesures à l’État et non le financement de ces mesures au moyen de ressources d’État.
86 Deuxièmement, la Commission fait valoir, en réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 30 mars 2023, que l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1), a clarifié la jurisprudence antérieure en ce qui concernait la notion de « taxe » au regard du droit des aides d’État. La seule nature fiscale d’une contribution serait suffisante pour considérer qu’elle constitue une ressource d’État.
87 Il est vrai que, dans l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1), la Cour a précisé que le critère relatif à l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires pouvait permettre de constater l’engagement de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans qu’il soit nécessaire de devoir démontrer par ailleurs que le critère relatif au contrôle public constant des fonds était également rempli (voir point 36 ci-dessus).
88 La constatation du caractère alternatif des critères visés au point 36 ci-dessus n’a toutefois pas d’incidence sur leur définition respective telle qu’elle ressort de la jurisprudence. Ainsi, pour que le critère relatif à l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires soit considéré comme rempli, il reste nécessaire de démontrer que des fonds proviennent de contributions obligatoires en droit, imposées par la législation de l’État à une catégorie définie de personnes, et que ces fonds sont gérés et répartis conformément à cette législation (voir point 64 ci-dessus).
89 À cet égard, il convient de constater que, au point 43 de l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C 702/20 et C 17/21, EU:C:2023:1), la Cour a jugé que la réglementation nationale qui obligeait une entreprise de distribution d’électricité agréée à acheter l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables à un prix supérieur à celui du marché et qui prévoyait que les surcoûts qui en résultaient étaient financés par un prélèvement obligatoire supporté par les consommateurs finals constituait une intervention au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, à l’instar des arrêts mentionnés au point 68 ci-dessus, il convient de relever que l’avantage obligatoirement octroyé aux bénéficiaires au « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement était financé par un prélèvement non moins obligatoire au « second niveau » de la chaîne d’approvisionnement. Or, la Commission n’a pas établi que tel était le cas en l’espèce.
90 Il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que la Commission s’est fondée sur le premier critère exposé au point 36 ci-dessus pour considérer que, en l’espèce, les mesures de soutien à la CHP étaient financées au moyen de ressources d’État.
Sur le contrôle public constant des ressources (second critère visé au point 36 ci-dessus)
91 D’emblée, ainsi qu’il résulte des points 41 à 45 ci-dessus, force est de constater que, dans la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur le premier critère identifié au point 36 ci-dessus, relatif à l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires, pour conclure que les mesures de soutien à la CHP étaient financées au moyen de ressources d’État.
92 En particulier, la Commission a expressément conclu, au point 220 de la décision attaquée, que les mesures de soutien à la CHP étaient financées au moyen d’une contribution obligatoire, en faisant référence à cet égard, dans la note en bas de page no 65, à la jurisprudence selon laquelle des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État, gérés et répartis conformément à cette législation, peuvent être considérés comme des ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 35 ; du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère! e.a., C 262/12, EU:C:2013:851, point 25, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 54). Contrairement à ce que suggère la Commission, il ne ressort pas de ce point qu’elle a examiné la question de savoir si les ressources que les gestionnaires de réseau percevaient au moyen du prélèvement KWKG étaient soumises au contrôle de l’État.
93 Il convient donc de constater que la Commission n’a pas clairement et expressément examiné le second critère identifié au point 36 ci-dessus, relatif au contrôle public constant des ressources.
94 Si l’absence d’examen clair et exprès de ce second critère n’est pas, en elle-même, constitutive d’une erreur de droit, contrairement à ce que prétend la République fédérale d’Allemagne, étant donné que les deux critères identifiés au point 36 ci-dessus sont alternatifs, force est toutefois de constater que, du fait de cette absence, la Commission n’a pas non plus établi que les mesures de soutien à la CHP étaient financées au moyen de ressources d’État sur le fondement du second critère exposé au point 36 ci-dessus.
95 En tout état de cause, si l’argument de la Commission, selon lequel le caractère étatique des fonds découle de l’absence de pouvoir d’appréciation des gestionnaires de réseau dans le cadre du paiement du soutien financier prévu par le KWKG de 2020, devait être compris en ce sens qu’elle a établi que le second critère est rempli, il ne saurait prospérer.
96 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. Même si des sommes correspondant à la mesure d’aide concernée ne sont pas de façon permanente en la possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de « ressources d’État » (arrêts du 16 mai 2002, France/Commission, C 482/99, EU:C:2002:294, point 37, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 53).
97 En l’espèce, il est vrai, ainsi qu’il ressort du point 218 de la décision attaquée, que les gestionnaires de réseau doivent obligatoirement verser les fonds aux bénéficiaires sans pouvoir déroger aux critères d’éligibilité de ceux-ci ni aux montants du soutien financier prévu par la loi (voir point 43 ci-dessus).
98 Il suffit toutefois de relever que la circonstance que les fonds utilisés sont exclusivement affectés à l’exécution des missions légalement assignées (principe légal d’affectation exclusive des fonds) tend plutôt à démontrer, en l’absence de tout autre élément en sens contraire, que l’État n’est précisément pas en mesure de disposer desdits fonds, c’est-à-dire que l’État ne pourrait pas décider d’une affectation différente de celle prévue par la loi (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C 405/16 P, EU:C:2019:268, point 76, et du 21 octobre 2020, Eco TLC, C 556/19, EU:C:2020:844, point 41).
99 En outre, si le fait que le paiement du soutien financier obéit aux dispositions légales du KWKG de 2020 témoigne de l’origine légale des mesures de soutien à la CHP et donc d’une emprise certaine de l’État sur les mécanismes établis par cette législation, ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour qu’il soit conclu que l’État détenait pour autant un pouvoir de disposer des fonds utilisés par les gestionnaires de réseau (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C 405/16 P, EU:C:2019:268, point 75). De la même manière que pour le critère relatif à l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires, le fait que la loi prévoit de manière détaillée les modalités d’affectation du soutien financier n’est pas de nature à caractériser un transfert de ressources d’État, mais uniquement l’imputabilité à l’État des mesures de soutien à la CHP (voir point 84 ci-dessus).
100 Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas établi que le second critère visé au point 36 ci-dessus, permettant de constater un transfert de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, était rempli.
Sur l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98)
101 Ainsi qu’il ressort des points 41 et 42 ci-dessus, la Commission a considéré, en substance, que les mesures de soutien à la CHP ne consistaient pas en une mesure de « simple réglementation des prix » n’impliquant pas un transfert de ressources d’État au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160). À cet égard, elle s’est également référée à l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C 405/16 P, EU:C:2019:268), ainsi qu’aux arrêts du 24 janvier 1978, van Tiggele (82/77, EU:C:1978:10), du 13 septembre 2017, ENEA (C 329/15, EU:C:2017:671), et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission (T 57/15, non publié, EU:T:2016:470).
102 Or, ainsi que le relève la République fédérale d’Allemagne, cette appréciation est erronée.
103 À cet égard, il convient de relever que les arrêts mentionnés au point 101 ci-dessus portaient sur des mesures, prévues par la loi, fixant les prix de produits ou de services (arrêts du 24 janvier 1978, van Tiggele, 82/77, EU:C:1978:10, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T 57/15, non publié, EU:T:2016:470) ou imposant, notamment, des obligations d’achat d’électricité à un certain prix ou dans une certaine quantité (arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C 379/98, EU:C:2001:160 ; du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C 405/16 P, EU:C:2019:268, et du 13 septembre 2017, ENEA, C 329/15, EU:C:2017:671). Selon le juge de l’Union, ces mesures n’impliquaient pas un transfert de ressources d’État.
104 Or, outre que, dans les arrêts mentionnés au point 103 ci-dessus, le juge de l’Union n’a aucunement qualifié ces mesures de « simple réglementation des prix », il importe de relever que celui-ci n’a pas exclu l’engagement de ressources d’État en raison de la manière dont l’avantage était octroyé aux bénéficiaires, à savoir par la fixation du prix de produits ou par l’imposition d’une obligation d’achat de produits à un certain prix ou dans une certaine quantité, contrairement à ce que suggère la Commission.
105 En effet, au point 59 de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160), il a été jugé que ne pouvait être considérée comme une intervention au moyen de ressources d’État l’obligation faite à des entreprises privées d’approvisionnement d’électricité d’acheter à des prix minimaux fixés l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables dans la mesure où aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État aux entreprises productrices de ce type d’électricité n’était induit (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C 206/06, EU:C:2008:413, point 74 ; du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère! e.a., C 262/12, EU:C:2013:851, point 34, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 69).
106 La Cour a précisé que, dans de telles situations, les entreprises privées n’étaient pas mandatées par l’État membre concerné pour gérer une ressource d’État, mais étaient tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C 206/06, EU:C:2008:413, point 74 ; du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère! e.a., C 262/12, EU:C:2013:851, point 35, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 70).
107 Selon la jurisprudence, le fait que de telles entités sont mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, et non pas simplement tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres, constitue l’élément « décisif » pour considérer que des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État, gérés et répartis conformément à cette législation, peuvent être considérés comme des ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même s’ils sont gérés par des entités distinctes de l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C 405/16 P, EU:C:2019:268, points 58 et 59 ; du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, points 54 et 55, et du 27 janvier 2022, Fondul Proprietatea, C 179/20, EU:C:2022:58, point 94).
108 Ainsi, l’élément décisif n’est pas le fait que les entreprises privées étaient tenues à une simple obligation d’achat d’électricité, mais le fait qu’elles utilisaient leurs ressources propres pour mettre en œuvre cette obligation et n’étaient pas mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État.
109 Ce constat est confirmé par les autres arrêts auxquels la Commission a fait référence dans la décision attaquée, mentionnés au point 101 ci-dessus. En effet, il découle de ces arrêts que, pour considérer que la condition de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE n’était pas remplie, le juge de l’Union s’est fondé sur l’absence de transfert direct ou indirect de ressources d’État, dans la mesure où l’avantage était octroyé par une entité privée à une autre sans intervention de l’État ou d’une entité mandatée par l’État pour gérer une ressource d’État. La manière dont l’avantage était octroyé aux bénéficiaires n’a pas été considérée comme étant décisive aux fins de l’examen de la condition de financement des mesures au moyen de ressources d’État.
110 En particulier, contrairement à ce que fait valoir la Commission, au point 90 de l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C 405/16 P, EU:C:2019:268), la Cour a relevé que la Commission n’avait pas établi que les mesures étaient financées au moyen d’un prélèvement obligatoire ni qu’il existait un contrôle public constant des fonds, de sorte qu’elle n’avait pas établi que ces mesures impliquaient des ressources d’État. La Cour n’a toutefois pas constaté que le « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement était caractérisé par une « réglementation des prix ».
111 De surcroît, contrairement à ce que suggère la Commission notamment en réponse à la mesure d’organisation de la procédure, l’obligation légale des gestionnaires de réseau au « premier niveau » de la chaîne d’approvisionnement dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C 405/16 P, EU:C:2019:268), n’est pas entièrement différente de celle incombant aux gestionnaires de réseau en l’espèce. À cet égard, il ressort, en substance, du point 3 de cet arrêt que l’avantage octroyé aux producteurs d’électricité issue de sources d’énergie renouvelables n’était pas uniquement accordé au moyen d’une obligation légale d’achat d’électricité, mais également au moyen du versement d’une rémunération aux tarifs fixés par la loi ou d’une prime de marché indépendamment du raccordement de l’installation productrice et d’une commercialisation directe de l’électricité. Ce dernier versement présente une similitude avec le versement du soutien financier aux exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP. En effet, dans les deux cas, les gestionnaires de réseau étaient légalement obligés de verser un soutien financier aux bénéficiaires indépendamment du prix du marché. Or, force est de constater que, au point 90 de l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C 405/16 P, EU:C:2019:268), la Cour a conclu que la Commission n’avait pas établi que les avantages accordés aux bénéficiaires l’avaient été au moyen de ressources d’État.
112 Partant, afin d’exclure l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160), la Commission devait établir, indépendamment du fait de savoir si les mesures de soutien à la CHP constituaient ou non une mesure de « simple réglementation des prix », que l’avantage en faveur des exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP n’était pas octroyé par les gestionnaires de réseau, qui sont des entités privées (voir point 59 ci-dessus), au moyen de leurs ressources financières propres, mais que ceux-ci étaient mandatés par l’État pour gérer une ressource d’État.
113 Or, ainsi qu’il résulte notamment des points 90 et 100 ci-dessus, la Commission n’a pas établi qu’un des critères alternatifs visés au point 36 ci-dessus était rempli en l’espèce. Il suffit donc de constater qu’elle n’a pas établi que l’avantage prévu par le KWKG de 2020 en faveur des exploitants des centrales CHP et des autres installations liées à la CHP était financé par les gestionnaires de réseau au moyen de ressources d’État.
114 Il en découle, ainsi que le soutient la République fédérale d’Allemagne, que les gestionnaires de réseau utilisent leurs ressources propres pour octroyer les sommes prévues par la loi aux bénéficiaires, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160). En d’autres termes, les fonds transitent d’entités privées à entités privées et conservent un caractère privé durant tout leur parcours (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C 556/19, EU:C:2020:844, points 32 et 33).
115 Enfin, en ce que la Commission avance que la dérogation à l’interdiction prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, comme celle dont il est question dans l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379/98, EU:C:2001:160), devrait être restreinte aux cas de « réglementation des prix » au risque que l’article 107, paragraphe 1, TFUE perde son effet utile, il y a lieu de rappeler que c’est à tort que la Commission estime, en substance, qu’il existe une catégorie de mesures de « simple réglementation des prix » échappant à la qualification d’aides d’État (voir points 103 à 109 ci-dessus).
116 En outre, s’il est vrai que, selon la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus, le droit de l’Union ne saurait admettre que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d’aides permette de contourner les règles relatives aux aides d’État, et ainsi prive l’article 107, paragraphe 1, TFUE de son effet utile, il n’en reste pas moins que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
117 Or, le fait que l’obligation de versement de montants par les gestionnaires de réseau est imposée par la loi et confère un avantage incontestable à certaines entreprises n’est pas de nature à lui conférer le caractère d’une aide d’État (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C 379/98, EU:C:2001:160, point 61). En effet, l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne peut être appliqué à des comportements étatiques qui n’en relèvent pas, en l’occurrence à une mesure décidée par l’État, mais financée par des entreprises privées (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C 379/98, EU:C:2001:160, points 65 et 66).
118 Le moyen unique doit donc être accueilli en ce qui concerne les mesures de soutien à la CHP.
Sur la mesure relative au plafonnement du prélèvement KWKG en faveur des producteurs d’hydrogène
119 Au point 221 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la mesure relative au plafonnement du prélèvement KWKG en faveur des producteurs d’hydrogène résultait en un renoncement à des ressources d’État. La Cour aurait reconnu que le renoncement à des revenus qui, en principe, auraient dû être reversés au budget de l’État constituait un transfert de ressources d’État.
120 La République fédérale d’Allemagne fait valoir, dans le cadre des deuxièmes et troisièmes branches du moyen unique, que le prélèvement KWKG ne constitue pas une contribution obligatoire et que les ressources perçues au titre de ce prélèvement ne se trouvent pas constamment sous contrôle étatique et à la disposition de l’État. En définitive, le prélèvement KWKG ne constituerait pas une ressource d’État.
121 Il convient de rappeler que la Commission a admis que le prélèvement KWKG, pris isolément, ne supposait pas l’engagement de ressources d’État dans la mesure où les gestionnaires de réseau n’étaient pas obligés de le facturer à leurs clients.
122 En réponse à la mesure d’organisation de la procédure du Tribunal du 30 mars 2023, la Commission soutient toutefois qu’il ressort du point 174 de la décision attaquée que des règles différentes s’appliquent au prélèvement réduit en faveur des producteurs d’hydrogène par rapport au prélèvement KWKG. Elle avance que l’article 27, paragraphe 1, du KWKG de 2020 prévoit que les producteurs d’hydrogène sont obligés de payer le prélèvement KWKG aux gestionnaires de réseau.
123 Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 61 ci-dessus, il convient de constater que le KWKG de 2020 n’oblige pas les gestionnaires de réseau à répercuter le prélèvement KWKG sur leurs clients de sorte que ce prélèvement n’est pas une charge dont ces derniers doivent obligatoirement s’acquitter. Ce prélèvement ne peut donc être considéré comme une taxe ou comme un prélèvement obligatoire en droit de nature à caractériser des ressources d’État.
124 L’argument de la Commission selon lequel l’article 27, paragraphe 1, point 2, du KWKG de 2020 prévoit une règle dérogatoire en ce qui concerne les producteurs d’hydrogène ne saurait prospérer. Outre que celle-ci n’a pas mentionné cette prétendue règle dérogatoire dans la décision attaquée, il suffit de relever qu’il ne découle pas du libellé de ladite disposition que les producteurs d’hydrogène sont obligés de payer le prélèvement KWKG. En effet, cette disposition prévoit notamment que, pour les entreprises grandes consommatrices d’électricité, comme les producteurs d’hydrogène, la limitation du prélèvement KWKG ne s’applique que dans la mesure où ledit prélèvement dû par ces entreprises ne tombe pas en dessous d’un certain montant par KWh. Il ne ressort toutefois pas de cette disposition que le prélèvement KWKG est obligatoirement dû par les producteurs d’hydrogène.
125 Par conséquent, dans la mesure où le prélèvement KWKG n’est pas une ressource d’État, la réduction de ce prélèvement pour les producteurs d’hydrogène ne constitue pas un renoncement à des ressources d’État.
126 C’est donc à tort que la Commission a considéré que la mesure relative au plafonnement du prélèvement KWKG en faveur des producteurs d’hydrogène était financée au moyen de ressources d’État. Le moyen unique doit, partant, être accueilli également en ce qui concerne cette mesure.
127 Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient d’accueillir le recours de la République fédérale d’Allemagne dans la mesure où la Commission a constaté à tort que les mesures en cause constituaient des aides d’État financées au moyen de ressources d’État. La décision attaquée doit donc être annulée.
Sur les dépens
128 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la République fédérale d’Allemagne.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision C(2021) 3918 final de la Commission, du 3 juin 2021, relative à l’aide d’État SA.56826 (2020/N) – Allemagne – Réforme 2020 du régime de soutien à la cogénération et à l’aide d’État SA.53308 (2019/N) – Allemagne – Modification du régime de soutien aux centrales de cogénération de chaleur et d’électricité existantes [article 13 du Gesetz zur Neuregelung des Kraft-Wärme-Kopplungsgesetzes (loi portant nouvelle réglementation de la loi sur la cogénération de chaleur et d’électricité), du 21 décembre 2015 (BGBl. 2015 I, p. 2498)], est annulée.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.