CJUE, 9e ch., 25 janvier 2024, n° C-810/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Caixabank SA, anciennement Bankia SA
Défendeur :
WE, XA, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA, TB, UK, Banco Santander SA, OG, OK, PI, Banco Sabadell SA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Spineanu–Matei
Juges :
M. Rodin (rapporteur), Mme Rossi
Avocat général :
M. Collins
Avocats :
Me Gutiérrez de Cabiedes Hidalgo de Caviedes, Me Rodríguez Conde, Me García-Villarrubia Bernabé, Me Vendrell Cervantes, Me Serrano Fenollosa, Me Vallina Hoset
LA COUR (neuvième chambre),
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C 810/21, Caixabank SA, anciennement Bankia SA, à WE et à XA, dans l’affaire C 811/21, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA à TB et à UK, dans l’affaire C 812/21, Banco Santander SA à OG et, dans l’affaire C 813/21, OK et PI à Banco Sabadell SA au sujet des conséquences de l’annulation d’une clause abusive contenue dans des contrats de prêt hypothécaire conclus entre ces parties.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2, sous b), de la directive 93/13 énonce :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».
4 L’article 6, paragraphe 1, de cette directive est ainsi libellé :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
5 L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive dispose :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit espagnol
Le code civil catalan
6 L’article 121–20 de la Ley 29/2002, primera Ley del Código Civil de Cataluña (loi 29/2002, première loi du code civil de la Catalogne), du 30 décembre 2002 (BOE no 32, du 6 février 2003, ci-après le « code civil catalan »), prévoit :
« Les actions de toute nature se prescrivent par dix ans, à moins qu’une personne ait acquis auparavant le droit par usucapion ou que le présent code ou les lois spéciales en disposent autrement. »
7 L’article 121–23 de ce code dispose :
« Le délai de prescription commence à courir lorsque, une fois que l’action est née et peut être exercée, son titulaire connaît ou peut raisonnablement connaître les circonstances qui la fondent et la personne contre laquelle elle peut être exercée. »
8 Aux termes de l’article 121–11 dudit code :
« Constituent des causes d’interruption de la prescription :
a) L’introduction de l’action devant les tribunaux, même si elle est rejetée pour vice de procédure.
b) L’engagement de la procédure d’arbitrage relative à la créance.
c) La réclamation extrajudiciaire de la créance.
d) La reconnaissance du droit ou la renonciation à la prescription par la personne à qui la créance peut être opposée au cours du délai de prescription. »
Le code civil
9 L’article 1303 du Código Civil (code civil) prévoit :
« Lorsqu’une obligation est déclarée nulle, les contractants doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l’objet du contrat, les fruits produits par ces choses et le prix assorti d’intérêts, sauf dans les cas prévus par les articles suivants. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
Affaire C 810/21
10 Le 4 février 2004, WE et XA ont conclu un contrat de prêt hypothécaire (ci-après le « contrat de prêt dans l’affaire C 810/21 ») avec Bankia qui, en 2021, a fusionné avec Caixabank.
11 La dernière facture relative aux frais découlant de ce contrat, qui concernait les frais de notaire, d’enregistrement et de gestion dudit contrat, a été payée par WE et XA le 4 mai 2004.
12 Le 16 janvier 2018, WE et XA ont introduit un recours en annulation d’une clause contenue dans le contrat de prêt dans l’affaire C 810/21, selon laquelle il incombait à l’emprunteur de payer tous les frais découlant de la conclusion de ce même contrat.
13 Bankia a contesté ce recours en faisant valoir que l’action en restitution était prescrite, car le délai de prescription de l’action de dix ans prévu à l’article 121–20 du code civil catalan avait expiré.
14 Par décision du 23 septembre 2020, le Juzgado de Primera Instancia no 50 de Barcelona (tribunal de première instance no 50 de Barcelone, Espagne) a rejeté l’exception de prescription soulevée par Bankia et a condamné cette banque au paiement d’une somme de 468,48 euros versée au titre des frais de notaire, d’enregistrement et de gestion du contrat de prêt dans l’affaire C 810/21. Bankia a formé un recours contre cette décision devant l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone, Espagne), la juridiction de renvoi.
Affaire C 811/21
15 Le 20 janvier 2004, TB et UK ont conclu un contrat de prêt hypothécaire (ci-après le « contrat de prêt dans l’affaire C 811/21 ») avec Banco Bilbao Vizcaya Argentaria.
16 La dernière facture relative aux frais découlant de ce contrat, qui concernait les frais de notaire, d’enregistrement et de gestion dudit contrat, a été payée par TB et UK le 15 mars 2004.
17 Le 16 janvier 2018, TB et UK ont introduit un recours en annulation d’une clause contenue dans le contrat de prêt dans l’affaire C 811/21, selon laquelle il incombait à l’emprunteur de payer tous les frais découlant de la conclusion de ce même contrat.
18 Banco Bilbao Vizcaya Argentaria a contesté ce recours en faisant valoir que l’action en restitution était prescrite, car le délai de prescription de l’action de dix ans prévu à l’article 121–20 du code civil catalan avait expiré.
19 Par décision du 25 septembre 2020, le Juzgado de Primera Instancia no 50 de Barcelona (tribunal de première instance no 50 de Barcelone) a rejeté l’exception de prescription soulevée par Banco Bilbao Vizcaya Argentaria et a condamné cette banque au paiement d’une somme de 499,61 euros versée au titre des frais de notaire, d’enregistrement et de gestion du contrat de prêt dans l’affaire C 811/21. Banco Bilbao Vizcaya Argentaria a formé un recours contre cette décision devant l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone), la juridiction de renvoi.
Affaire C 812/21
20 Le 17 décembre 2004, OG a conclu un contrat de prêt hypothécaire (ci-après le « contrat de prêt dans l’affaire C 812/21 ») avec Banco Santander.
21 La dernière facture relative aux frais découlant de ce contrat, qui concernait les frais de notaire, d’enregistrement et de gestion dudit contrat, a été payée par OG le 18 mars 2005.
22 Le 12 septembre 2017, OG a introduit un recours en annulation d’une clause contenue dans le contrat de prêt dans l’affaire C 812/21, selon laquelle il incombait à l’emprunteur de payer tous les frais découlant de la conclusion de ce contrat.
23 Banco Santander a contesté ce recours en faisant valoir que l’action en restitution était prescrite, car le délai de prescription de l’action de dix ans prévu à l’article 121–20 du code civil catalan avait expiré.
24 Par décision du 25 septembre 2020, le Juzgado de Primera Instancia no 50 de Barcelona (tribunal de première instance no 50 de Barcelone) a rejeté l’exception de prescription soulevée par Banco Santander et a condamné cette banque au paiement d’une somme de 589,60 euros versée au titre des frais de notaire, d’enregistrement et de gestion du contrat de prêt dans l’affaire C 812/21. Banco Santander a formé un recours contre cette décision devant l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone), la juridiction de renvoi.
Affaire C 813/21
25 Le 14 juillet 2006, OK et PI ont conclu un contrat de prêt hypothécaire (ci-après le « contrat de prêt dans l’affaire C 813/21 ») avec Banco Sabadell.
26 La dernière facture relative aux frais découlant de ce contrat, qui concernait les frais de notaire, d’enregistrement et de gestion dudit contrat, a été payée par OK et PI le 4 octobre 2006.
27 Après avoir introduit, le 15 novembre 2017, une réclamation extrajudiciaire contre Banco Sabadell, à laquelle cette banque ne donna pas suite, OK et PI ont formé, le 15 décembre 2017, un recours en annulation d’une clause contenue dans le contrat de prêt dans l’affaire C 813/21, selon laquelle il incombait à l’emprunteur de payer tous les frais découlant de la conclusion de ce contrat.
28 Banco Sabadell a contesté ce recours en faisant valoir que l’action en restitution était prescrite, car le délai de prescription de l’action de dix ans prévu à l’article 121–20 du code civil catalan avait expiré.
29 Par décision du 11 janvier 2021, le Juzgado de Primera Instancia no 50 de Barcelona (tribunal de première instance no 50 de Barcelone) a fait droit à l’exception tirée de la prescription de l’action en restitution soulevée par Banco Sabadell. OK et PI ont formé un recours contre cette décision devant l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone), la juridiction de renvoi.
30 La juridiction de renvoi dans les affaires jointes C 810/21 à C 813/21 fait état de la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’introduction de l’action en restitution peut être soumise à un délai de prescription, pour autant que le point de départ de ce délai ainsi que sa durée ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit du consommateur de demander une telle restitution.
31 La juridiction de renvoi estime que, aux fins de vérifier si un délai de prescription est conforme au principe d’effectivité, deux paramètres doivent être pris en compte, à savoir, d’une part, la durée du délai de prescription et, d’autre part, le point de départ de ce délai.
32 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la Communauté autonome de Catalogne dispose d’une législation propre qui s’écarte, à certains égards, de la réglementation espagnole et que le code civil catalan fixe un délai de prescription de dix ans, qui est deux fois plus long que le délai de prescription prévu par le code civil espagnol pour les actions personnelles.
33 À cet égard, elle considère que, en l’occurrence, le délai de prescription de dix ans en cause au principal n’enfreint pas le principe d’effectivité, dans la mesure où ce délai est suffisant pour permettre au consommateur de préparer et de former un recours effectif. Cependant, cette juridiction émet des doutes concernant l’interprétation correcte du droit national s’agissant de la détermination du point de départ dudit délai, qui, selon la jurisprudence de la Cour, doit permettre au consommateur de prendre connaissance de l’existence d’une clause abusive et d’introduire un recours tendant à obtenir la nullité de cette clause.
34 La juridiction de renvoi observe que, à la différence des clauses contractuelles que la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner dans le cadre d’affaires dont elle a été saisie, une clause telle que celle en cause au principal, qui met à la charge de l’emprunteur tous les frais de conclusion du contrat de prêt hypothécaire, épuise ses effets avec le paiement par le consommateur de la dernière facture relative à ces frais. Or, cette juridiction estime que la jurisprudence de la Cour, selon laquelle un délai de trois ans à compter de la date de l’enrichissement injustifié est de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits que confère la directive 93/13, ne saurait s’appliquer en l’occurrence. Elle considère à cet égard que cette jurisprudence repose sur le fait que le délai de prescription peut commencer à courir avant même que tous les paiements ne soient effectués.
35 En outre, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si la connaissance du caractère abusif d’une clause contractuelle par le consommateur doit uniquement porter sur les éléments factuels constitutifs de ce caractère abusif ou si elle doit également couvrir l’appréciation juridique de ces faits. Cette juridiction considère que, si cette connaissance doit uniquement porter sur ces éléments factuels, la date du paiement de la dernière facture pourrait constituer le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, sachant que, en l’occurrence, la clause en cause au principal a épuisé ses effets avec ledit paiement.
36 Toutefois, si le respect du principe d’effectivité requiert que le consommateur soit en mesure d’apprécier juridiquement lesdits éléments factuels, encore faudrait-il que soient déterminées, à cet effet, les informations qui doivent être mises à la disposition d’un consommateur moyen. À cet égard, après avoir exposé la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), la juridiction de renvoi se demande si une jurisprudence nationale bien établie pourrait être de nature à permettre au consommateur espagnol d’avoir pleinement connaissance, sur un plan juridique, du caractère abusif d’une clause contractuelle.
37 Enfin, la juridiction de renvoi se demande si la connaissance du caractère abusif d’une clause doit être acquise avant que le délai de prescription ne commence à courir, conformément aux règles nationales, ou avant qu’il n’expire. À cet égard, cette juridiction précise, d’une part, que, à la différence du délai de prescription de cinq ans prévu par le code civil espagnol, le délai de prescription est porté à dix ans dans le champ d’application territorial du code civil catalan et, d’autre part, que l’introduction de l’action est favorisée dans le système juridique national dans la mesure où la simple réclamation extrajudiciaire constitue une cause d’interruption du délai et fait à nouveau courir le délai dans sa globalité.
38 Dans ces conditions, l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) a) Dans le cadre d’une action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause mettant à la charge de l’emprunteur les frais de conclusion du contrat, le fait de soumettre l’introduction de l’action à un délai de prescription de dix ans commençant à courir à partir du moment où la clause épuise ses effets avec la réalisation du dernier paiement, moment auquel le consommateur prend connaissance des faits constitutifs du caractère abusif [de cette clause], est-il compatible avec l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, ou est-il nécessaire que le consommateur dispose d’informations complémentaires sur l’appréciation juridique des faits ?
b) Si la connaissance de l’appréciation juridique des faits est nécessaire, le point de départ du délai doit-il être subordonné à l’existence d’une jurisprudence bien établie relative à la nullité de la clause, ou le juge national peut-il tenir compte d’autres circonstances ?
2) L’action en restitution étant soumise à un long délai de prescription de dix ans, à quel moment le consommateur doit-il être en mesure de connaître le caractère abusif de la clause et les droits que lui confère la directive [93/13], avant que le délai de prescription ne commence à courir ou avant qu’il n’expire ? »
Sur les questions préjudicielles
39 À titre liminaire, il convient d’observer que la première question préjudicielle comporte deux branches et qu’il y a lieu de répondre à la seconde branche de cette question uniquement dans l’hypothèse où la première branche de cette question appelle une réponse négative.
40 En outre, il y a lieu d’examiner la seconde question préjudicielle conjointement avec la première branche de ladite première question.
Sur la première branche de la première question et la seconde question
41 Par la première branche de la première question et la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’une clause contractuelle abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire, l’action en restitution de tels frais est soumise à un délai de prescription de dix ans qui commence à courir à partir du moment où cette clause épuise ses effets avec la réalisation du dernier paiement desdits frais, sans qu’il soit pertinent à cet égard que ce consommateur ait connaissance de l’appréciation juridique des éléments constitutifs du caractère abusif de ladite clause, et, dans l’affirmative, si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que cette connaissance doit être acquise avant que le délai de prescription ne commence à courir ou avant qu’il n’expire.
42 Il convient de rappeler que, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d’autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C 485/19, EU:C:2021:313, point 52 et jurisprudence citée).
43 S’agissant de l’opposition d’un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, fondée sur le caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de la directive 93/13, il convient de rappeler que la Cour a déjà dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de cette directive ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 39 et jurisprudence citée).
44 Ainsi, l’opposition d’un délai de prescription aux demandes de caractère restitutif, formées par des consommateurs en vue de faire valoir des droits qu’ils tirent de la directive 93/13 n’est pas, en soi, contraire au principe d’effectivité, pour autant que son application ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par cette directive (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 40).
45 En ce qui concerne, en particulier, le principe d’effectivité, il y a lieu de relever que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C 80/21 à C 82/21, EU:C:2022:646, point 87 et jurisprudence citée].
46 S’agissant de l’analyse des caractéristiques du délai de prescription en cause au principal, la Cour a précisé que cette analyse doit porter sur la durée d’un tel délai ainsi que sur les modalités de son application, en ce compris la modalité retenue pour déclencher l’ouverture de ce délai (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 30 et jurisprudence citée).
47 À cet égard, pour être considéré comme étant conforme au principe d’effectivité, un délai de prescription doit être matériellement suffisant pour permettre au consommateur de préparer et de former un recours effectif afin de faire valoir les droits qu’il tire de la directive 93/13, et ce notamment sous forme de prétentions, de nature restitutive, fondées sur le caractère abusif d’une clause contractuelle (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 31 et jurisprudence citée).
48 Ainsi, s’agissant du point de départ d’un délai de prescription, un tel délai peut être compatible avec le principe d’effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s’écoule (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 46 et jurisprudence citée).
49 Or, en l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’interprétation jurisprudentielle des règles nationales de procédure applicables dans les affaires au principal, indépendamment de la circonstance qu’elles prévoient que le délai de prescription de l’action du consommateur en restitution des paiements indus des frais relatifs à des contrats de prêt hypothécaire, d’une durée de dix ans, ne peut pas commencer à courir avant que le consommateur ne prenne connaissance des faits constitutifs du caractère abusif de la clause contractuelle en exécution de laquelle ces paiements ont été effectués, n’exige pas que le consommateur ait connaissance non seulement de tels faits, mais également de l’appréciation juridique de ceux-ci, laquelle implique que ce consommateur ait aussi connaissance des droits qu’il tire de la directive 93/13.
50 Cependant, pour que les modalités d’application d’un délai de prescription soient conformes au principe d’effectivité, il ne suffit pas qu’elles prévoient que le consommateur doit avoir connaissance des faits constitutifs du caractère abusif d’une clause contractuelle, sans avoir égard, d’une part, à sa connaissance des droits qu’il tire de la directive 93/13 et, d’autre part, au fait qu’il dispose de suffisamment de temps pour lui permettre effectivement de préparer et de former un recours afin de faire valoir ces droits.
51 Il s’ensuit qu’un délai de prescription tel que le délai de prescription de l’action en restitution des frais hypothécaires en cause au principal n’est pas conforme au principe d’effectivité dès lors que ses modalités d’application ne prennent pas en considération ces deux derniers éléments.
52 En ce qui concerne la question de savoir si la connaissance par le consommateur du caractère abusif d’une clause contractuelle et des droits qu’il tire de la directive 93/13 doit être acquise avant que le délai de prescription de l’action en restitution ne commence à courir ou avant qu’il ne se soit écoulé, il y a lieu de relever que la condition, mentionnée au point 48 du présent arrêt, selon laquelle un délai de prescription peut être compatible avec le principe d’effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ces droits avant que ce délai ne commence à courir ou qu’il ne s’écoule, a été dégagée de la jurisprudence de la Cour aux fins de l’examen, au cas par cas, de la compatibilité d’un délai de prescription spécifique, assorti des modalités d’application déterminées par le droit national concerné, avec le principe d’effectivité.
53 En effet, ainsi qu’il découle des points 45 à 47 du présent arrêt, lorsque la Cour interprète le droit de l’Union afin de fournir à la juridiction de renvoi les indications utiles devant lui permettre d’apprécier la compatibilité d’une règle nationale de procédure avec le principe d’effectivité, elle prend en compte l’ensemble des éléments pertinents de l’ordre juridique national qui lui sont soumis par cette juridiction, et non pas uniquement une règle relative à l’un des aspects du délai de prescription en cause, considérée isolément.
54 Ainsi, il se peut qu’une règle nationale selon laquelle un délai de prescription ne saurait commencer à courir avant qu’un consommateur ne prenne connaissance du caractère abusif d’une clause contractuelle et des droits qu’il tire de la directive 93/13, qui semble a priori conforme au principe d’effectivité, enfreigne, toutefois, ce principe si la durée dudit délai n’est pas matériellement suffisante pour permettre au consommateur de préparer et de former un recours effectif afin de faire valoir les droits qu’il tire de cette directive.
55 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première branche de la première question et à la seconde question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’une clause contractuelle abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire, l’action en restitution de tels frais est soumise à un délai de prescription de dix ans qui commence à courir à partir du moment où cette clause épuise ses effets avec la réalisation du dernier paiement desdits frais, sans qu’il soit considéré comme pertinent à cet égard que ce consommateur ait connaissance de l’appréciation juridique de ces faits. La compatibilité des modalités d’application d’un délai de prescription avec ces dispositions doit être appréciée en tenant compte de ces modalités dans leur ensemble.
Sur la seconde branche de la première question
56 Par la seconde branche de la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action du consommateur en restitution des sommes payées indument en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme établissant qu’est remplie la condition relative à la connaissance, par le consommateur concerné, du caractère abusif de ladite clause et des conséquences juridiques qui en découlent.
57 À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de rappeler que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur la prémisse selon laquelle le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C 26/13, EU:C:2014:282, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
58 En second lieu, la position privilégiée dans laquelle le professionnel se trouve en ce qui concerne le niveau d’information dont il dispose continue de prévaloir après la conclusion du contrat. Ainsi, lorsque le caractère abusif de certaines clauses standardisées a été constaté par une jurisprudence nationale bien établie, il peut être attendu des établissements bancaires qu’ils en soient informés et agissent en conséquence (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C 35/22, EU:C:2023:569, point 32).
59 En revanche, il ne saurait être présumé que le niveau d’information d’un consommateur, inférieur à celui du professionnel, intègre la connaissance de la jurisprudence nationale en matière de droit de la consommation, cette jurisprudence fût-elle bien établie.
60 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort du libellé de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 que la protection accordée par cette directive dépend des fins auxquelles une personne physique agit, à savoir celles qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité professionnelle de celle-ci. Or, s’il peut être exigé des professionnels qu’ils se tiennent informés des aspects juridiques relatifs aux clauses qu’ils prennent l’initiative d’insérer dans les contrats qu’ils concluent avec des consommateurs dans le cadre d’une activité commerciale habituelle, notamment au regard de la jurisprudence nationale relative à de telles clauses, une attitude similaire ne saurait être attendue de ces derniers, eu égard au caractère occasionnel, voire exceptionnel, de la conclusion d’un contrat contenant une telle clause.
61 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde branche de la première question que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action du consommateur en restitution des sommes payées indument en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme établissant qu’est remplie la condition relative à la connaissance, par le consommateur concerné, du caractère abusif de ladite clause et des conséquences juridiques qui en découlent.
Sur les dépens
62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’une clause contractuelle abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire, l’action en restitution de tels frais est soumise à un délai de prescription de dix ans qui commence à courir à partir du moment où cette clause épuise ses effets avec la réalisation du dernier paiement desdits frais, sans qu’il soit considéré comme pertinent à cet égard que ce consommateur ait connaissance de l’appréciation juridique de ces faits. La compatibilité des modalités d’application d’un délai de prescription avec ces dispositions doit être appréciée en tenant compte de ces modalités dans leur ensemble.
2) La directive 93/13
doit être interprétée en ce sens que :
elle s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action du consommateur en restitution des sommes payées indument en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme établissant qu’est remplie la condition relative à la connaissance, par le consommateur concerné, du caractère abusif de ladite clause et des conséquences juridiques qui en découlent.