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Décisions

CA Chambéry, chbre soc. prud'hommes, 23 janvier 2024, n° 21/02388

CHAMBÉRY

Arrêt

Autre

CA Chambéry n° 21/02388

23 janvier 2024

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 23 JANVIER 2024

N° RG 21/02388 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G3XZ

[L], [T], [K] [C] épouse [A]

C/ S.A. SOCIETE GENERALE

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 23 Novembre 2021, RG F 20/00019

Appelante

Mme [L], [T], [K] [C] épouse [A]

née le 28 Août 1982 à [Localité 2], demeurant [Adresse 5]

Représentée par la SELARL BJA, avocat au barreau d'ANNECY

Intimée

S.A. SOCIETE GENERALE dont le siège social est sis [Adresse 1] - prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Février 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Madame Isabelle CHUILON, Conseillère,

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER, Greffière à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,

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Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties

Mme [L] [A] a été embauchée par la SA Société Générale en contrat à durée indéterminée à compter du 3 avril 2006, en qualité de jeune cadre à des fonctions d'adjoint au responsable d'agence avec un portefeuille de clientèle professionnelle à [Localité 9], moyennant une rémunération brute globale annuelle de 30.000 euros versée en 13 mensualités égales.

La convention collective de la banque est applicable. La Société Générale emploie plus de 10.000 salariés en France.

À compter du 8 mars 2014, Mme [L] [A] a occupé les fonctions de conseiller clientèle entreprises expert sur l'agence de [Localité 9].

Mme [L] [A] a été placée :

- en arrêt maladie, du 30 janvier 2018 au 20 février 2018,

- en repos pathologique, du 21 février au 6 mars 2018,

- en congé maternité, du 7 mars au 29 juin 2018,

- en congé complémentaire, du 27 juin au 24 septembre 2018,

- en congé annuel, du 25 septembre au 16 octobre 2018,

- en congé parental, du 17 octobre au 30 novembre 2018.

La salariée a repris son travail à temps partiel (80%) le 3 décembre 2018. Elle a été positionnée sur le poste de conseiller clientèle entreprises sur l'agence d'[Localité 2], en mission temporaire, laquelle a été prolongée.

Le 12 février 2019, Mme [A] a candidaté au poste de conseiller clientèle entreprises sur l'agence de [Localité 3].

Le 1er mars 2019, elle a déposé sa candidature pour le poste d'adjoint au directeur des risques en centre d'affaires régional.

Un avenant de changement d'affectation, correspondant au poste de conseiller clientèle entreprises sur l'agence d'[Localité 2], a été signé entre les parties pour une prise de fonctions le 15 avril 2019.

À compter du 10 octobre 2019, Mme [L] [A] a été placée en arrêt de travail.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 janvier 2020, le conseil de Mme [L] [A] a écrit à la Société Générale pour tenter de trouver une solution amiable face à une situation professionnelle décrite comme dégradée et anxiogène pour sa cliente.

Par requête déposée le 12 février 2020, Mme [L] [A] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annemasse afin de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

Par avis du 2 juillet 2020, le médecin du travail a déclaré Mme [L] [A] inapte au poste de conseiller clientèle entreprises sur le site d'[Localité 2], son état de santé ne contre-indiquant pas une éventuelle formation.

Par courrier recommandé du 10 juillet 2020, la SA Société Générale a demandé à la salariée de lui indiquer le secteur géographique au sein duquel elle serait à même d'accepter un poste au titre d'un reclassement.

La salariée y a répondu par courrier du 16 juillet 2020 en précisant qu'elle n'était pas mobile.

Par courriers des 29 septembre 2020 et 29 octobre 2020, la SA Société Générale lui a proposé, respectivement, un poste de conseiller clientèle entreprises à temps plein au sein du centre d'affaires local de [Localité 3] et un poste d'adjoint au directeur d'agence à [Localité 4], que Mme [L] [A] a refusés.

Par lettre recommandée du 10 novembre 2020, la SA Société Générale a convoqué Mme [L] [A] à un entretien préalable avant éventuelle mesure de licenciement, fixé le 27 novembre 2020, auquel elle ne s'est pas présentée.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 décembre 2020, la SA Société Générale a licencié Mme [L] [A] pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.

Par jugement en date du 23 novembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Annemasse a :

- Dit que la moyenne mensuelle brute des salaires de Mme [A] est de 3.992 euros,

- Dit que la contestation du licenciement est recevable,

- Rejeté la demande de la SA Société Générale sur l'irrecevabilité des demandes additionnelles formées par Mme [A],

- Débouté Mme [L] [A] de l'ensemble de ses demandes,

- Débouté Mme [A] de voir condamner la SA Société Générale à payer à Mme [A] la somme de 3.000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la SA Société Générale de sa demande de voir condamner Mme [A] à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit ne pas y avoir lieu à astreinte,

- Dit sans objet les demandes au titre du taux d'intérêt légal,

- Dit laisser les dépens à chacune des parties.

Par déclaration reçue au greffe le 10 décembre 2021 par RPVA, Mme [L] [A] a interjeté appel à l'encontre de cette décision.

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Dans ses dernières conclusions d'appelant notifiées le 25 octobre 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de ses prétentions et moyens, Mme [L] [A] demande à la Cour de :

Sur la recevabilité de ses demandes,

- A titre principal, juger qu'elle ne formule aucune demande nouvelle et que toutes ses demandes sont recevables,

- A titre subsidiaire, juger que toutes ses demandes, y compris les nouvelles, sont recevables,

- En conséquence, confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse du 23 novembre 2021, en ce qu'il a rejeté la demande de la SA Société Générale sur l'irrecevabilité des demandes additionnelles formées par Mme [A],

En outre,

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse du 23 novembre 2021, en ce qu'il a débouté Mme [A] de l'ensemble de ses demandes, formées au titre:

- du harcèlement moral ou à tout le moins de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- de la discrimination en raison de sa grossesse et de sa situation de famille, ou à tout le moins au titre de l'inégalité de traitement injustifiée,

- de la rupture du contrat de travail,

- de la reprise du paiement des salaires à compter du 2 août 2020,

- de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

Statuant à nouveau,

- Juger que le harcèlement moral est caractérisé,

- A tout le moins, juger que l'exécution déloyale du contrat de travail est caractérisée et grave,

- En conséquence, condamner la SA Société Générale à payer à Mme [A] la somme de 30.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou à tout le moins exécution déloyale du contrat de travail,

- Juger que Mme [A] présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de sa grossesse et de sa situation de famille, ou à tout le moins des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement injustifiée,

- Juger que la SA Société Générale n'apporte aucun élément de nature à prouver que ces mesures sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ou justifiant ces différences,

- En conséquence, condamner la SA Société Générale à payer à Mme [A] la somme de 20.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison de sa grossesse et de sa situation de famille, ou à tout le moins pour inégalité de traitement injustifiée,

- Juger que les manquements de la SA Société Générale étaient suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] aux torts exclusifs de l'employeur,

- A titre subsidiaire, juger que le licenciement est nul car l'inaptitude physique de Mme [A] trouve sa cause dans les actes de harcèlement moral de la SA Société Générale,

- A titre infiniment subsidiaire, juger que le licenciement de Mme [L] [A] est dépourvu de cause réelle et sérieuse car l'inaptitude physique trouve sa cause dans l'exécution déloyale du contrat de travail de Mme [A] par la SA Société Générale et dans la mesure où la SA Société Générale a manqué à son obligation de reclassement,

- En conséquence, condamner la SA Société Générale à verser à Mme [A] les sommes suivantes :

* 47.904 euros nets, soit 12 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* 11.976 euros bruts, soit trois mois de salaire, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 1.197,60 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 3.284,22 euros bruts à titre de rappels de salaires et 328,42 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 4.000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les dépens de première instance et d'appel,

- Ordonner à la SA Société Générale la remise à Mme [A] des bulletins de paie rectifiés correspondants, sous astreinte de 50 euros par jour de retard calculée à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

- Ordonner à la SA Société Générale la remise à Mme [A] de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail et du solde de tout compte rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard calculée à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

- Juger que la Cour se réserve le droit de liquider l'astreinte,

- Juger que les sommes allouées à Mme [A] porteront intérêt au taux légal à compter du jour de la demande conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil,

- Condamner la SA Société Générale aux entiers dépens de première instance et d'appel,

-Rejeter toutes demandes et prétentions adverses.

Mme [L] [A] soutient que :

Elle ne formule aucune demande nouvelle ou additionnelle. L'octroi de dommages et intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse était sollicité dès sa requête introductive d'instance. Les demandes liées au licenciement, tenant compte de l'évolution du litige, sont parfaitement recevables dans la mesure où elles se rattachent à la demande de résiliation judiciaire originaire par un lien suffisant.

Elle a observé une carrière exemplaire au sein de la banque Société Générale. Ses derniers plans de développement personnel (PDP) sont excellents.

Sa situation professionnelle s'est considérablement dégradée et ses relations de travail se sont tendues avec ses supérieurs hiérarchiques à la suite de son absence pour maternité et de sa reprise à temps partiel, en ce qu'elle a été victime de harcèlement, de mesures discriminatoires défavorables fondées sur sa grossesse et sa situation de famille, voire d'une inégalité de traitement injustifiée, ou, à tout le moins, d'une exécution déloyale de son contrat de travail.

Elle n'a pas pu réintégrer son emploi sur l'agence de [Localité 9] et a été contrainte d'occuper un poste de conseiller clientèle entreprises en mission temporaire sur l'agence d'[Localité 2], avec une baisse quasi-immédiate de rémunération.

L'employeur doit justifier de la non disponibilité de son poste initial. Il ne pouvait pas lui imposer un autre emploi, même similaire, alors que son poste était confié à une remplaçante. Le poste n'est indisponible que si les tâches antérieurement dévolues à la salariée en congé maternité ont disparu. Tel n'est pas le cas lorsqu'il est occupé par une tierce personne.

La jurisprudence n'a jamais validé une affectation temporaire lors de la réintégration d'une salariée suite à un congé maternité. Une affectation temporaire n'équivaut pas au précédent emploi ou à un emploi similaire. L'employeur doit fournir un poste à durée pérenne, qui ne peut être modifiée.

Elle a été « parachutée » sans aucun accompagnement au sein d'une nouvelle agence, alors qu'elle reprenait le travail après une naissance et près d'un an sans activité au sein de la banque. Elle était isolée et sans appui.

Elle est restée dans cette situation instable pendant 4 mois et demi (du 3 décembre 2018 au 15 avril 2019). La Société Générale a décidé unilatéralement du temps de sa mission. Elle ne disposait d'aucune garantie quant à la durée et au lieu de son affectation et était soumise à une appréciation de fin de mission.

Elle a candidaté, en vain, sur deux postes. Il n'y a pas été fait droit par l'employeur, qui l'a évincée de la procédure de recrutement sans raison valable, de sorte qu'elle s'est sentie déconsidérée et discriminée.

Ces rejets de candidature, sans aucune explication, alors que ses appréciations étaient exceptionnelles avant son congé maternité et qu'elle était toujours affectée à des missions temporaires, participent d'une mise à l'écart patente.

Ce management a été extrêmement anxiogène pour elle. La SA Société Générale ne lui a jamais précisé qu'une solution pérenne était recherchée. Elle n'a pas eu d'autre choix, pour mettre fin à cette situation stressante, que d'accepter son changement d'affectation par la signature d'un avenant le 15 avril 2019, ne pouvant se permettre de rester dans l'incertitude quant à son poste et à son lieu de travail avec deux enfants en bas âge.

Alors qu'elle n'a repris qu'à 80%, elle était soumise aux mêmes objectifs quantitatifs de ventes de produits financiers que son collègue à temps plein. Le fait que la Société Générale refuse de produire les PDP de ce dernier, alors qu'il ne s'agit pas de documents confidentiels ou relevant de sa vie privée, est un aveu de l'existence d'une différence de traitement injustifiée. Elle a, dès lors, du faire face à une surcharge de travail importante, ce qui l'a épuisée et angoissée.

Ses compétences professionnelles ont été injustement et insidieusement remises en cause par sa hiérarchie, à qui elle a adressé un long mail explicatif le 10 octobre 2019 pour l'informer de son malaise et demander de l'aide. Son supérieur n'a pas pris le temps de le lire, lui faisant parvenir une réponse à l'origine d'une violente crise d'angoisse et de panique.

Elle n'a reçu aucun soutien de la part de sa hiérarchie, qui ne l'a ni accompagnée, ni protégée, face à sa situation de souffrance au travail.

C'est dans cette ambiance de travail pesante, avec un sentiment de solitude extrême, sous pression et face à une charge de travail importante qu'elle a craqué le 10 octobre 2019 à l'occasion d'une difficulté rencontrée sur un dossier.

Les manquements de l'employeur sont suffisamment graves pour justifier une résiliation judiciaire. Ils ont dégradé ses conditions de travail. Ils ont porté atteinte à sa dignité et altéré sa santé physique et mentale, ainsi qu'elle en justifie par des certificats médicaux. Ils ont également compromis son avenir professionnel puisqu'elle n'a finalement pas pu poursuivre sa carrière au sein de la banque.

La SA Société Générale n'apporte aucun élément de nature à prouver que les mesures et décisions dont elle a fait l'objet étaient justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement ou toute discrimination, ou justifiant une différence de traitement.

Son licenciement est nul, ou pour le moins, sans cause réelle et sérieuse, car son inaptitude trouve sa cause dans des actes de harcèlement moral et dans l'exécution déloyale du contrat de travail.

En tout état de cause, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car la Société Générale a manqué à son obligation de reclassement.

Son employeur a fait durer la procédure de licenciement pendant près de 6 mois, ce qui a été particulièrement éprouvant pour elle.

Elle ne s'est vue proposer aucune formation malgré l'indication mentionnée par le médecin du travail dans son avis du 2 juillet 2020, alors que la Société Générale dispose de moyens de formation internes conséquents.

Elle ne pouvait que refuser les propositions de reclassement faites. Le poste situé à [Localité 3], qui était déjà occupé, lui imposait de devoir travailler avec le même supérieur hiérarchique et celui situé à [Localité 4] n'était pas compatible avec ses contraintes familiales (deux heures de trajet/jour) et constituait une rétrogradation.

Son employeur n'a pas procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement. Il doit apporter la preuve du reclassement impossible.

Elle a subi un préjudice moral, en ce qu'elle a été stigmatisée et mise à l'écart, de carrière, en ce que son évolution a été stoppée nette du fait des pratiques de l'employeur, et financier, en ce qu'elle a perdu son emploi ainsi que le bénéfice de 93 actions gratuitement attribuées.

L'employeur qui, au terme d'un délai d'un mois, n'a ni reclassé, ni licencié, le salarié déclaré inapte, doit reprendre le versement du salaire correspondant à l'emploi occupé avant l'arrêt de travail, sans possibilité de déduire les prestations de sécurité sociale et de prévoyance qui lui sont dues. En effet, il ne s'agit pas d'un 'maintien de salaire maladie', mais d'une obligation, pour l'employeur, de verser le salaire en l'absence de reclassement/licenciement.

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Dans ses dernières conclusions responsives notifiées le 6 octobre 2022, auxquelles la Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de ses prétentions et moyens, la SA Société Générale demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Société Générale de sa demande d'irrecevabilité des demandes nouvelles formulées par [L] [A] en cours d'instance,

- Confirmer le jugement sur l'ensemble des autres chefs du jugement,

A titre reconventionnel,

- Condamner [L] [A] à payer à la Société Générale la somme de 3.000 euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA Société Générale fait valoir que :

Aux termes de ses conclusions produites le 14 janvier 2021, la salariée a formulé des demandes nouvelles additionnelles irrecevables, en sollicitant que le conseil de prud'hommes se prononce sur le bien-fondé de son licenciement pour inaptitude, lesquelles sont dénuées d'un lien de connexité suffisant avec ses demandes originaires portant sur la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

La salariée ne produit aucun élément pour démontrer que ses diverses allégations de harcélement moral, de discrimination, d'inégalité de traitement injustifiée, d'exécution déloyale du contrat de travail, seraient exactes.

Mme [L] [A] n'ayant aucunement été victime de harcèlement moral ou de discrimination, et la Société Générale n'ayant commis aucun manquement à ses obligations, ni exécuté de manière déloyale le contrat de travail de la salariée, celle-ci doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes, incluant celle de résiliation judiciaire.

Ce n'est que par mail du 10 octobre 2019, soit près d'un an après sa prise de poste au sein de l'agence d'[Localité 2], que la salariée, après avoir reçu de la part de sa supérieure hiérarchique une observation en lien avec la gestion d'un dossier, évoquera, pour la 1ère fois, son mécontentement lié, exclusivement, à ladite observation, sans aucunement faire état d'une dégradation de ses conditions de travail, d'une situation de harcèlement moral ou bien encore d'une discrimination.

Mme [A] ayant été absente durant une période de 10 mois, il a naturellement été procédé à son remplacement temporaire sur l'agence de [Localité 9].

Dans la mesure où le poste qu'elle occupait précédemment au sein de l'agence de [Localité 9] n'était plus disponible, la salariée, à l'issue de son congé maternité, conformément, en outre, aux usages du groupe consistant, pour éviter toute situation de conflit d'intérêts, à changer les postes des collaborateurs environ tous les 4 ans, a été positionnée sur un emploi identique dans une autre agence ([Localité 2]), où elle y a exercé les mêmes fonctions, à savoir celles de conseiller clientèle entreprises.

Elle a bien respecté son obligation résultant de l'article L.1225-25 du code du travail. Les notions d' 'emploi' et de 'poste' sont distinctes.

Seul le lieu de travail a changé, à la faveur de la salariée, puisque l'agence d'[Localité 2] était plus proche de son domicile.

Bien que ce changement d'affectation n'impliquait pas de recueillir l'accord d'[L] [A], dans la mesure où le poste proposé était identique à l'emploi qu'elle occupait antérieurement et où le lieu d'affectation relevait du même secteur géographique, celle-ci a expressément consenti à ses nouvelles conditions de travail, sans réserve.

Le caractère temporaire de la mission sur laquelle la salariée a été affectée ne constitue en rien une mesure discriminante mais était simplement justifié par les nécessités de service.

Ce grief n'est pas sérieux pour justifier une résiliation judiciaire car à la date de l'introduction de la présente instance l'affectation de Mme [A] était alors devenue pérenne depuis déjà 10 mois.

L'angoisse que la salariée aurait ressenti en lien avec son reclassement temporaire ne peut être imputée à la société. Elle n'a jamais laissé entendre que Mme [A] risquait d'être sans affectation. Dans le cas où sa mission n'aurait pas été prolongée, la salariée se serait nécessairement vu proposer un nouveau positionnement sur un poste similaire.

L'employeur peut modifier les conditions de travail dès lors que les éléments essentiels du contrat restent les mêmes, y compris dans le cadre d'une reprise de travail par une salariée après un congé maternité. En outre, un tel changement était prévu par son contrat de travail.

La rémunération de la salariée n'a aucunement été diminuée, au contraire.

Les raisons pour lesquelles [L] [A] n'a pas accédé aux deux postes sur lesquels elle a candidaté sont objectives, et ne caractérisent en rien une situation de harcèlement moral ou de discrimination.

La salariée ne produit aucun élément pour démontrer que sa charge de travail était excessive.

Mme [A] n'a jamais fait état à son employeur d'une surcharge de travail, de faits de harcèlement moral ou de discrimination, ni de toute autre difficulté, notamment lors de ses entretiens annuels d'évaluation, pas plus qu'à la médecine du travail, aux représentants du personnel, à l'inspection du travail ou au Défenseur des droits.

Un employeur n'est pas autorisé à communiquer à un salarié des éléments personnels de collègues de travail identifiés, il s'agit de données confidentielles et personnelles. Elle ne peut donc produire les PDP de M. [U], lequel avait des objectifs quantitatifs bien supérieurs à ceux de Mme [A].

L'ancienneté et l'expérience de M. [U] et de Mme [A] étant différentes, c'est à juste titre que le niveau de productivité attendu de la part de ces deux salariés l'ait été également.

L'état de santé invoqué par la salariée est sans aucun lien avec ses conditions de travail, dont elle ne s'est jamais plainte.

La CPAM a refusé la prise en charge des arrêts de Mme [A] au titre d'accidents du travail.

Le médecin du travail n'a établi aucun lien entre les conditions de travail de l'appelante et son inaptitude. La salariée n'a pas cherché à faire qualifier de professionnelle l'origine de son inaptitude.

Les certificats médicaux produits par Mme [L] [A] sont postérieurs à la relation de travail. Ils n'ont aucune valeur probante et contreviennent aux règles déontologiques auxquelles sont tenus les médecins, dans la mesure où leurs auteurs émettent un avis à partir des seules déclarations de la salariée sans avoir constaté, eux-mêmes, les conditions de travail effectives de cette dernière.

Elle a bien rempli son obligation de reclassement.

La salariée ayant refusé les deux propositions de poste formulées, alors même qu'elles répondaient pleinement à ses exigences, elle n'a pas eu d'autre choix, à défaut de reclassement possible et d'autres postes disponibles répondant aux préconisations de la médecine du travail, que d'engager une procédure de licenciement pour inaptitude médicale.

En réalité, la salariée avait pris la décision de quitter la Société Générale bien avant son licenciement.

Mme [L] [A] a bien bénéficié d'un maintien intégral de salaire à compter du mois d'août 2020, soit le mois suivant l'avis d'inaptitude, de sorte qu'aucune somme ne lui est due au titre de la période comprise entre le 4 août 2020 et le 21 décembre 2020.

La salariée ne justifie de l'existence d'aucun préjudice. Elle a retrouvé un emploi dès février 2021, soit un mois après son licenciement.

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L'instruction de l'affaire a été clôturée le 20 décembre 2022.

La date des plaidoiries a été fixée à l'audience du 23 février 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 9 mai 2023, prorogé au 23 janvier 2024.

I. Sur la recevabilité des demandes de Mme [A] [L] relatives à la contestation de son licenciement

Le code de procédure civile, applicable en matière prud'homale, mentionne :

-article 4 : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

-article 70 : « Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Toutefois, la demande en compensation est recevable même en l'absence d'un tel lien, sauf au juge à la disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugement sur le tout ».

Au stade de l'appel,

- article 564 : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »

- article 565 : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.»

- article 566 : « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.»

En l'espèce, il ressort des pièces figurant au dossier que, dès l'origine, la salariée a sollicité auprès du conseil de prud'hommes d'Annemasse, saisi par requête du 12 février 2020 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, des dommages-intérêts pour licenciement nul, ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis, avec congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité de licenciement, en joignant un exposé sommaire des motifs accompagnant sa requête.

Ayant, par la suite, en cours de procédure, fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude le 21 décembre 2020, la salariée, compte tenu de la survenance de ce fait nouveau, était, dès lors, pleinement recevable à en contester, également, le bien-fondé et à solliciter, dans ses conclusions postérieures du 14 janvier 2021 et les subséquentes, sa requalification en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, sans que celle-ci ne puisse être considérée comme une nouvelle demande, dans la mesure où elle tend aux mêmes fins que celles émises dès l'acte introductif d'instance.

Au surplus, ces demandes (de résiliation judiciaire du contrat de travail et de contestation du licenciement) étant toutes relatives à la rupture du contrat de travail, la Cour constate qu'il existe un lien suffisant entre elles, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a dit que la contestation du licenciement est recevable et en ce qu'il a rejeté la demande de la SA Société Générale sur l'irrecevabilité des demandes additionnelles formées par Mme [A].

II. Sur le harcèlement moral, la discrimination, l'inégalité de traitement injustifiée et l'exécution déloyale du contrat de travail

La salariée invoquant les mêmes faits au soutien de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, inégalité de traitement injustifiée et exécution déloyale du contrat de travail, il convient de les examiner ensemble, après avoir rappelé les régles de droit applicables à chacune des matières.

En matière de harcèlement,

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

L'employeur doit prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser des agissements de harcèlement moral.

En application de l'article L.1154-1 du code du travail, en cas de litige, il appartient, d'abord, au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, l'employeur devant, ensuite, au vu de ces éléments, prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (Cass.soc., 8 juin 2016, n°14-13.418).

Les règles de preuve, plus favorables au salarié, ne dispensent pas celui-ci d'établir la matérialité des éléments de fait, précis et concordants, qu'il présente au soutien de l'allégation selon laquelle il subirait un harcèlement moral au travail (Cons. const. déc. n° 2001-455 DC).

En matière de discrimination,

L'article L.1132-1 du code du travail prévoit, dans sa version actuellement en vigueur :

'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique'.

Les discriminations directes et indirectes sont définies par l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, en raison d'un motif prohibé, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aurait été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs prohibés, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

L'article L.1134-1 du code du travail fixe, ainsi, le régime probatoire en matière de discriminations :

'Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

En matière d'inégalité de traitement,

Le principe « à travail égal, salaire égal » signifie que si rien ne distingue objectivement deux salariés (même travail, même ancienneté, même formation, même qualification), ils doivent percevoir le même salaire (Cass. soc., 15 déc. 1998, n° 95-43.630 ; Cass. soc., 10 oct. 2000, n°98-41.389 ; Cass. soc., 20 juin 2001, n°99-43.905).

Cela vaut également pour les accessoires de rémunération, le principe englobant « le salaire ou traitement ordinaire brut de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature par l'employeur».

L'employeur est dès lors tenu d'assurer une égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

La notion de travail de valeur égale s'entend des « travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse » (C. trav., art. L. 3221-4).

Le régime de la preuve des inégalités de traitement est le même que celui prévu à l'article L.1134-1 du code du travail en matière de discrimination : « S'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de caractériser une inégalité ('), il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence » (Cass. soc., 28 sept. 2004, n°03-41.825). Autrement dit, c'est à celui qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare (Cass. soc., 4 avr. 2018, n°16-27.703). Et c'est ensuite à l'employeur de démontrer la justification de la différence constatée (note explicative de la Cour de cassation aux arrêts du 4 avril 2018, n°16-27.703, n°17-11.680 et n°17-11.814).

En matière d'exécution déloyale du contrat de travail,

Il résulte de l'article L.1222-1 du code du travail que: 'Le contrat de travail est exécuté de bonne foi'.

'L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Le conseil de prud'hommes, qui a constaté que le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision' (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.293).

En l'espèce,

Mme [L] [A], au soutien de ses demandes de dommages-intérêts, invoque les faits suivants:

-à son retour de congé-maternité, de ne pas avoir retrouvé l'emploi qu'elle occupait antérieurement, ou un emploi similaire, et d'avoir fait l'objet d'une affectation temporaire sur l'agence d'[Localité 2] qui s'est révélée angoissante et insécurisante en ce qu'elle était dénuée de garanties et soumise à évaluation,

-d'avoir subi une baisse de rémunération,

-d'avoir été évincée de deux procédures de recrutement,

-d'avoir été exposée à une surcharge de travail et discriminée s'agissant des objectifs à atteindre,

-d'avoir évolué dans un contexte de travail 'tendu' caractérisé par l'absence de soutien de sa hiérarchie,

en prétendant que de tels agissements auraient eu pour conséquence de dégrader ses conditions de travail, de porter atteinte à sa dignité et d'altérer sa santé physique et mentale.

' Sur le changement d'affectation et l'affectation temporaire

'A l'issue du congé de maternité, la salariée retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente' (article L.1225-25 du code du travail).

La réintégration doit se faire en priorité sur le précédent emploi (Cass. soc., 25 mai 2011, n°09-72.556).

À défaut, le licenciement, consécutif au refus de la salariée de changer d'emploi, peut être annulé par le juge saisi. Il en va de même en cas de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, laquelle peut produire les effets d'un licenciement nul. L'employeur s'expose par ailleurs à une condamnation pour discrimination indirecte en raison du sexe.

Cependant, repose sur une cause réelle et sérieuse le licenciement consécutif au refus par un salarié d'accepter un simple changement dans ses conditions de travail. Tel est le cas s'agissant d'une salariée qui, de retour de congé de maternité, refuse un poste impliquant un changement de lieu de travail (d'[Localité 6] à [Localité 7]), dès lors que, appréciant les éléments de fait et de preuve, les juges ont relevé qu'il était de l'intérêt de l'entreprise de conserver au poste anciennement occupé par l'intéressée le salarié qui l'y avait remplacée et que l'employeur avait proposé à la salariée un poste similaire sans modifier un élément essentiel de son contrat de travail (Cass. soc., 22 mai 1997, n°94-40.297, Cass. soc., 21 sept. 2005, n°03-45.196).

Lorsqu'une clause de mobilité est incluse dans un contrat de travail, le changement d'affectation du salarié ne constitue pas une modification du contrat, mais un simple changement de ses conditions de travail et le refus du salarié de rejoindre sa nouvelle affectation constitue, en principe, une faute grave. Dès lors que le contrat de travail de la salariée, de retour de congé de maternité, comporte une clause de mobilité, le refus de rejoindre, sans aucune justification, sa nouvelle affectation dans un poste similaire à celui occupé avant son congé, est constitutif d'une faute grave (Cass. soc., 7 oct. 1997, n°95-41.857).

En l'espèce, Mme [A] [L], alors qu'elle occupait, depuis mars 2014, le poste de conseiller clientèle entreprises expert sur l'agence de [Localité 9], jusqu'à son départ, fin janvier 2018, en arrêt-maladie puis congé maternité, a été positionnée, à son retour, le 3 décembre 2018, temporairement, sur le poste de conseiller clientèle entreprises à l'agence d'[Localité 2], avant d'y être affectée durablement à compter du 15 avril 2019.

Sur ce 1er grief, matériellement établi, susceptible de laisser présumer l'existence d'un harcèlement ou d'une discrimination, la Cour, après avoir confronté les éléments en présence, observe que :

- L'employeur se contente de soutenir que le poste occupé par Mme [A], au sein de l'agence de [Localité 9] antérieurement à son départ en congé maternité, n'était plus disponible, lors de son retour, pour justifier que la réintégration de cette salariée n'ait pas pu se faire sur celui-ci, sans fournir aucune pièce probante permettant d'apprécier la réalité de l'indisponibilité alléguée, ainsi que celle de la 'régle des 4 ans' visant à limiter les risques de conflit d'intérêts;

- Pour autant, l'offre d'embauche du 17 mars 2006, que Mme [A] a acceptée, réservait le droit à la Société Générale de changer la salariée d'affectation fonctionnelle ou géographique au cours de sa carrière pour tenir compte de ses besoins et des aptitudes de cette dernière;

- La salariée, soumise à une clause de mobilité, a été positionnée sur un emploi identique à celui qu'elle avait avant son congé maternité :

- seul son lieu d'affectation a fait l'objet d'une modification, tout en restant dans le même secteur géographique, les deux agences d'[Localité 2] et [Localité 9] relevant du même groupe, à savoir celui d'[Localité 2],

- ses fonctions sont demeurées inchangées (conseiller clientèle entreprises expert), de sorte que l'adaptation nécessaire à son nouveau poste, malgré une absence prolongée de 10 mois, était limitée et ne nécessitait pas qu'elle bénéficie d'une formation ou d'un accompagnement spécifique ;

- dans ces conditions, aucun élément essentiel de son contrat de travail n'a été modifié ;

- Sa nouvelle affectation géographique sur l'agence d'[Localité 2] était favorable à sa situation familiale, puisqu'elle a eu pour conséquence de rapprocher Mme [A] de son lieu de résidence (situé à [Localité 8]) et de réduire, ainsi, sensiblement son temps de trajet quotidien (passant d'un aller d'environ 52 minutes à 26 minutes);

- Mme [L] [A] a expressément accepté son changement d'affectation dans le cadre d'une mission temporaire, le renouvellement de cette dernière, puis son changement définitif d'affectation, puisqu'elle a approuvé et signé :

- la lettre d'affectation temporaire au poste de conseiller clientèle entreprises en mission au centre d'affaires local d'[Localité 2] à compter du 3 décembre 2018 avec un terme fixé au plus tard le 31 janvier 2019, datée du 19 novembre 2018,

- la lettre de prolongation de mission au poste de conseiller clientèle entreprises en mission au centre d'affaires local d'[Localité 2] jusqu'au 23 mai 2019, datée du 14 janvier 2019,

- la lettre de changement d'affectation au poste de conseiller clientèle entreprises expert au centre d'affaires local d'[Localité 2] pour une prise de fonction le 15 avril 2019 ;

-Aucun élément de la procédure ne permet de soutenir que Mme [A] a été contrainte d'accepter cette nouvelle affectation, temporaire, puis définitive, sur l'agence d'[Localité 2], ou que son consentement ait été vicié, la salariée n'ayant jamais manifesté la moindre réserve quant à celle-ci antérieurement à la présente procédure ;

-Le caractère temporaire de son affectation, commandé, d'après l'employeur, par les nécessités de service, a été d'une durée raisonnable (4 mois et demi), la salariée ayant, par la suite, eu la possibilité d'être fixée durablement sur le poste qu'elle occupait depuis sa reprise du travail, sans que la Société Générale ne fasse usage de la prérogative qu'elle s'était réservée de l'affecter sur une autre mission ou un autre poste correspondant à ses compétences et qualification (cf courriers de mission du 19 novembre 2018 et du 14 janvier 2019) ;

-Qu'elle soit temporaire ou définitive, toute affectation donne nécessairement lieu à une évaluation du salarié à un rythme au moins annuel ;

Dès lors, il apparait que les agissements invoqués, s'agissant de ce grief, sont justifiés par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement ou toute discrimination.

' Sur la baisse de rémunération

La salariée entend se prévaloir d'une 1ère lettre d'affectation temporaire au poste de conseiller clientèle entreprises en mission au centre d'affaires local d'[Localité 2] du 15 novembre 2018, fixant sa rémunération annuelle globale brute base temps plein à 49.020 euros, pour prétendre avoir fait l'objet d'une baisse de rémunération à la suite d'une 2ème lettre du 19 novembre 2018 la portant à 45.420 euros.

Sur ce grief, l'employeur expose que la lettre du 15 novembre 2018 comportait une erreur matérielle sur la question de la rémunération, de sorte qu'elle a été annulée et remplacée par celle du 19 novembre 2018, approuvée et signée par la salariée, ce dont il justifie.

Il apparait, en réalité, que la baisse de rémunération alléguée n'est pas démontrée, dans la mesure où, avant son congé de maternité, Mme [L] [A] bénéficiait d'un salaire annuel brut sur une base temps plein de 44.400 euros, lequel est passé à 45.420 euros à son retour (cf fiche signalétique).

Dès lors, ce fait n'est pas matériellement établi.

' Sur ses candidatures infructueuses

Les parties s'accordent dans leurs écritures sur le fait que Mme [A], s'agissant de son emploi de conseiller clientèle entreprises expert, disposait de réelles compétences professionnelles, ainsi qu'en témoignent, d'ailleurs, les évaluations (plan de développement personnel 2017) versées à la procédure et l'attribution, en sa faveur, de 93 actions de performance Société Générale suite à une délibération du conseil d'administration du 14 mars 2018.

Pour autant, la salariée n'a pas reçu d'issue favorable quant à deux actes de candidature qu'elle a formés le 12 février 2019 et le 1er mars 2019, portant respectivement sur les postes de conseiller clientèle entreprises sur l'agence de [Localité 3] et d'adjoint directeur des risques en centre d'affaires régional.

Sur ce grief, matériellement établi, susceptible de laisser présumer l'existence d'un harcèlement ou d'une discrimination, l'employeur fait valoir que :

- sa 1ère candidature n'a pas été retenue car Mme [A] avait déjà été pressentie pour être affectée, de manière définitive, sur le poste de conseiller clientèle entreprises qu'elle occupait au sein de l'agence d'[Localité 2] depuis le 3 décembre 2018, pour lequel elle donnait pleine satisfaction,

- sa 2nde candidature était devenue sans objet dans la mesure où Mme [A] avait accepté son affectation définitive sur l'agence d'[Localité 2] avant le terme de la procédure de recrutement, sans compter, par ailleurs, que la salariée ne disposait pas des compétences nécessaires lui permettant d'accéder à un poste de directeur des risques.

Dès lors, il convient de considérer que le caractère infructueux de ces actes de candidature, dont les motifs ont été exposés à la salariée dans un courrier de réponse du 19 février 2020 (besoins de l'entreprise, le fait qu'elle exerçait pleinement sa mission et qu'il avait été décidé de la maintenir à son poste au centre d'affaires local d'[Localité 2]), est justifié par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement/discrimination.

' Sur la surcharge de travail et la différence de traitement injustifiée

Mme [A] soutient que, bien que travaillant à temps partiel (80%) à son retour de congé de maternité, elle était astreinte aux mêmes objectifs quantitatifs (de vente de produits financiers) que son collègue à temps plein, M. [E] [U], lesquels n'étaient pas proratisés, de sorte que sa charge de travail était excessive et qu'elle a été victime d'une différence de traitement injustifiée.

Sur ce point, les parties se contentent d'affronter leurs points de vue sans fournir aucun élément probant, la SA Société Générale soutenant que le collègue en question, de moindre ancienneté que Mme [A], avait des objectifs quantitatifs supérieurs à ceux de la salariée et refusant, à juste titre, de communiquer les documents demandés par l'appelante (plans de développement personnel de M. [U] à compter du 3 décembre 2018), compte tenu de leur caractère confidentiel et personnel.

Pour autant, la Cour observe que les PDP 2017, 2018 et 2019 produits par Mme [A] font apparaître que cette salariée n'a jamais fait mention, à l'occasion de ses entretiens annuels d'évaluation, de l'existence d'une charge de travail jugée trop importante alors que cette question a été précisément abordée avec sa hiérarchie.

Dès lors, il convient de considérer que les éléments de fait allégués par la salariée de ce chef ne sont pas matériellement établis.

' Sur le contexte de travail 'tendu'

Mme [A] prétend qu'elle était isolée, sous pression et qu'elle évoluait dans une ambiance de travail pesante, sans soutien de sa hiérarchie.

Elle produit un courriel du 10 octobre 2019, qu'elle a, elle-même, écrit à la suite d'observations techniques faites par sa supérieure hiérarchique (Mme [S] [B]) au sujet de la gestion d'un dossier, dans lequel elle expose notamment : 'Je me sens attaquée de laxisme', 'Je me sens discréditée aux yeux de la filière risques alors que le job est fait et ressens un profond malaise désormais. La filière risque m'a laissée entendre hier, mercredi, qu'elle me trouvait légère sur le dossier alors que toutes les étapes commerciales ont été réalisées', 'Je pense être une bonne professionnelle et tous mes PDP avant cette prise de fonction en témoignent. Je vis donc très mal cette totale remise en cause', 'Lors de la reprise de ce portefeuille, personne ne m'a fait mention de difficultés éventuelles sur ce groupe. De fait, je me sens véritablement seule sur ce dossier dont pourtant tout le monde a connaissance. Et au lieu de me sentir soutenue et m'accompagner dans ma démarche aussi bien commerciale auprès des clients et que dans la perfection de mon dossier, je me sens accablée de toute part'.

Or, force est de constater que Mme [A], dans ce message, se contente de 'donner' son 'sentiment', lequel est nécessairement empreint de subjectivité, sans viser aucun évènement ou fait précis de nature à lui conférer du crédit, étant observé que les remarques et questions qui lui avaient été adressées, au préalable, par sa N+1, ne portaient que sur un dossier en particulier, sans que ses compétences professionnelles ne soient remises en cause, contrairement à ce qu'elle invoque.

Mme [A] communique, par ailleurs, le mail adressé en réponse de la part de son N+2 (M. [R] [V]), le même jour, rédigé en ces termes: « Bonjour [L], Je m'arrête à la 2ème ligne, si vous voulez évoquer un sujet je suis à votre disposition. Cordialement».

Si, comme relevé par la salariée, une telle réponse apparait pour le moins lapidaire de la part d'un manager, cette dernière ne peut, en revanche, s'appuyer sur le contenu de cet unique message, ne correspondant, à l'évidence, pas à ses attentes, pour alléguer que sa hiérarchie était défaillante, dans la mesure où elle ne l'avait jamais alertée, précédemment à cet échange du 10 octobre 2019, sur l'existence d'une quelconque difficulté, pas plus qu'une autre autorité, et où M. [R] [V] lui a, tout de même, proposé de s'entretenir avec lui à sa convenance, ce qui n'a pas été possible puisque Mme [A] a été immédiatement placée en arrêt de travail.

Dès lors, la matérialité de ce grief, allégué par la salariée, n'est pas caractérisée.

' Sur la dégradation de l'état de santé de la salariée

Si la salariée n'apporte aucun élément susceptible de démontrer une dégradation de ses conditions de travail et/ou que son avenir professionnel ait été réellement compromis, elle fournit, en revanche, de nombreux documents médicaux mettant en évidence une détérioration de son état de santé, à savoir :

-une attestation de suivi d'une psychologue clinicienne (Mme [D] [X]) certifiant avoir reçu Mme [L] [A] à 4 reprises entre le 5 novembre 2019 et le 12 décembre 2019 ;

-des certificats médicaux du Dr [Z], médecin généraliste en date du 11 octobre 2019, 18 octobre 2019, 16 novembre 2019, 29 novembre 2019, 30 janvier 2020, 31 décembre 2020, 7 janvier 2021 ;

-des certificats médicaux du Dr [F], psychiatre, en date du 27 février 2020, 23 avril 2020, 18 juin 2020, 3 juillet 2020, 3 août 2020, 31 août 2020, 16 septembre 2020, 14 octobre 2020, 4 décembre 2020, 6 janvier 2021 ;

-un courrier du 30 novembre 2019 du Dr [Z], médecin généraliste, adressé au médecin du travail.

Il est fait état, dans ces documents médicaux, notamment, de crise anxieuse avec attaque de panique sur le lieu de travail, de troubles corporels d'angoisse, d'une décompensation anxiodépressive, d'une dépression sévère réactionnelle post-maltraitance, de troubles psychiques en lien avec une situation de harcèlement professionnel et de maltraitance de la part de sa hiérarchie, d'un vécu douloureux au travail, d'épisodes professionnels maltraitants, d'un état d'épuisement psychique et somatique, d'un investissement important voire un surinvestissement de son travail en lien avec les demandes de la hiérarchie et la charge de travail, d'un conflit en continuité avec son employeur depuis son retour de congé de maternité.

Or, comme relevé par la SA Société Générale, la Cour observe que ces professionnels de santé, autorisés à effectuer toute constatation médicale relevant de leurs compétences spécifiques, n'ont pas vocation, en revanche, à se prononcer sur l'existence d'un lien entre l'état de santé de leur patiente et son activité professionnelle, plus particulièrement avec de supposés agissements répréhensibles de l'employeur (harcèlement, maltraitance de la hiérarchie...), dès lors qu'ils n'ont pas été directement témoins de ceux-ci ou des conditions de travail de la salariée, dont ils se sont contentés, en l'espèce, de rapporter les propos. Leurs écrits, sur ce point, ne sauraient, dès lors, être revêtus d'une quelconque force probante.

Par conséquent, il n'est pas établi que la dégradation de l'état de santé de Mme [A] soit liée (l'objet ou l'effet) à des manquements ou un comportement fautif de son employeur.

*

Ainsi, il apparait que les éléments de fait présentés par la salariée :

- ne sont pas matériellement caractérisés pour certains d'entre eux (baisse de rémunération, surcharge de travail, inégalité de traitement injustifiée, contexte de travail 'tendu'),

- pour le surplus (changement d'affectation et affectation temporaire, candidatures infructueuses, dégradation de l'état de santé de la salariée), pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination en raison de sa grossesse et de sa situation de famille et d'un harcèlement moral, mais l'employeur démontre que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination et/ou harcèlement moral,

- ne caractérisent pas une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui a débouté la salariée de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, inégalité de traitement injustifiée et exécution déloyale du contrat de travail.

III. Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

L'action en résiliation judiciaire consiste, pour le salarié, à demander au juge prud'homal de prononcer la rupture du contrat de travail.

Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail (Cass. Soc.,15 mars 2005,n°03-42.070 ;Cass. Soc., 26 mars 2014, n°12-21.372 ; Cass. Soc., 12 juin 2014, n°13-11.448). L'appréciation de la gravité du manquement relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. Soc., 15 mars 2005, n°03-41.555).

Lorsque les manquements sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 20 janv. 1998, n°95-43.350 ; Cass. Soc., 17 mars 1998, n°96-41.884).

La résiliation judiciaire peut également produire les effets d'un licenciement nul si elle est fondée sur des faits de harcèlement moral (Cass. soc., 20 févr. 2013, n°11-26.560).

En l'espèce, Mme [A] invoque les manquements suivants de la part de son employeur à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail :

-Non-respect des dispositions relatives au retour de la salariée après un congé de maternité : absence de réaffectation au poste de travail, affectation à un poste en mission temporaire ;

- Harcèlement moral, ou à tout le moins, exécution déloyale de son contrat de travail : absence d'affectation pérenne, mise à l'écart, isolement, surcharge de travail avec des objectifs quantitatifs produits équivalents à ceux d'un salarié à temps complet, pression, absence de soutien de sa hiérarchie, mise en difficulté ;

- Mesures discriminatoires, ou à tout le moins violation injustifiée du principe d'égalité entre les salariés : Elle n'a pas retrouvé son emploi précédent ou un emploi similaire à l'issue de son congé de maternité, n'a pas été prise en considération dans le cadre de deux procédures de recrutement, et a été discriminée s'agissant des objectifs à atteindre.

La Cour observe que ces griefs sont strictement identiques à ceux invoqués par la salariée au soutien de ses demandes de dommages-intérêts, précédemment examinées.

Or, comme développé supra, il apparait, à l'examen des pièces produites par les parties, que la matérialité de certains faits allégués par Mme [A] n'est pas démontrée (baisse de rémunération, surcharge de travail, inégalité de traitement injustifiée, contexte de travail 'tendu') et, pour le surplus (changement d'affectation et affectation temporaire, candidatures infructueuses, dégradation de l'état de santé de la salariée), qu'ils sont justifiés, de la part de l'employeur, par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination et/ou harcèlement, et qu'ils ne permettent pas de caractériser une exécution déloyale du contrat de travail.

Dès lors, à défaut pour Mme [A] de rapporter la preuve que la SA Société Générale a commis des manquements d'une gravité telle que leur relation de travail ne pouvait pas se poursuivre, il convient de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui l'a déboutée de sa demande de résiliation judiciaire.

IV. Sur le licenciement

' Sur l'origine de l'inaptitude

L'article L.1152-2 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné ou relaté de tels agissements.

Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail est nulle (article L.1152-3 du même code).

De la même manière, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du chapitre relatif au principe de non-discrimination (articles L.1132-1 et suivants du code du travail) ou du II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, est nul (article L.1132-4).

Dès lors que le harcèlement moral est invoqué par le salarié, le juge doit examiner les éléments produits, de ce chef, en priorité (Cass. soc., 16 juin 2011, n° 09-40.922), avant d'étudier les autres demandes, puisque si les faits avancés ne sont pas étrangers à tout harcèlement, le licenciement sera nul et il n'y aura pas lieu d'examiner les autres faits énoncés dans la lettre de licenciement (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-69.444).

L'article L.1232-1 du code du travail rappelle que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s'entend d'une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée (Cass. Soc., 12 janvier 2022, n°20-22.573, Cass. Soc., 3 mai 2018, n°16-26.850).

En l'espèce, à l'issue d'une visite de reprise, Mme [L] [A], suivant un avis du 2 juillet 2020 du médecin du travail, a été déclarée « inapte au poste de conseillère clientèle entreprise sur le site d'[Localité 2]. L'état de santé de la salariée ne contre-indique pas une éventuelle formation ».

Mme [A] soutient que son inaptitude trouverait sa cause dans ses conditions de travail et, plus particulièrement, qu'elle serait consécutive à une situation de harcèlement moral/discrimination dont elle aurait été victime, de la part d'un employeur qui, au surplus, aurait manqué à son obligation de loyauté.

Or, comme exposé précédemment, il apparait qu'aucun fait de harcèlement moral ou de discrimination, ni aucun comportement déloyal, ne peut être reproché à l'employeur, en l'état des pièces communiquées par les parties.

Si la dégradation de l'état de santé de la salariée est, en revanche, avérée, il n'est pas établi qu'elle soit imputable à des agissements fautifs ou manquements de l'employeur, les certificats médicaux produits ne pouvant servir à faire la démonstration d'un tel lien de causalité, dans la mesure où leurs auteurs n'ont pas compétence pour attester de constatations qu'ils n'ont pas faites personnellement.

D'ailleurs, il convient d'observer que la CPAM de la Haute-Savoie a adressé, en date du 11 mars 2020, à la SA Société Générale une lettre ayant pour objet 'notification de refus de prise en charge', dans laquelle elle expose n'avoir pu reconnaître le caractère professionnel de l'accident déclaré par sa salariée, à défaut de preuve ou de présomptions favorables précises et concordantes que celui-ci se soit produit par le fait ou à l'occasion du travail.

' Sur l'obligation de reclassement

Il appartient à l'employeur de justifier de l'exécution de son obligation de reclassement et de l'impossibilité de reclassement.

Sur ce point, l'article L.1226-2 du code du travail dispose :

'Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L.233-1, aux I et II de l'article L.233-3 et à l'article L.233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail'.

Par ailleurs, l'article L.1226-2-1 du code du travail prévoit :

'Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L.1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L.1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III du présent livre'.

Pour mesurer les efforts de reclassement faits par l'employeur, les juges du fond prennent en compte la dimension de l'entreprise et le nombre de ses salariés (Cass. Soc., 29 mai 2013, n°11-20.074).

Par ailleurs, le reclassement du salarié inapte doit être recherché parmi les emplois disponibles dans l'entreprise ou le groupe au moment où la procédure est diligentée. L'employeur n'a aucune obligation de créer un poste de travail si aucun ne se révèle disponible.

Un poste de reclassement peut être envisagé avec la mise en œuvre d'une formation. La formation doit cependant être adaptée au salarié et à ses compétences.

Il est de principe que l'emploi proposé doit être compatible avec la qualification et le niveau de formation du salarié et que la recherche de postes doit tenir compte des compétences professionnelles de celui-ci. L'obligation de reclassement de l'employeur ne peut aller jusqu'à exiger qu'il apporte au salarié un complément de formation initiale ou une nouvelle qualification, ou bien encore qu'il le forme à un métier différent du sien.

En l'espèce, il apparait que la SA Société Générale a été amenée à effectuer, en date du 29 septembre 2020 et du 29 octobre 2020, deux propositions à Mme [A] dans le cadre de son obligation de reclassement, après avoir consulté le médecin du travail, les délégués du personnel, ainsi que la salariée elle-même, à qui elle a demandé, par courrier du 10 juillet 2020, de lui indiquer le secteur géographique au sein duquel elle serait à même d'accepter un poste au titre d'un reclassement.

Mme [A] y a répondu par lettre du 16 juillet 2020, rédigée comme suit: 'Compte tenu de mon vécu extrêmement traumatisant au sein de la Société Générale et de mes contraintes personnelles et familiales, je vous indique que je ne suis pas mobile'.

Une telle réponse témoigne de ce que quelque soit la proposition de reclassement formulée par l'employeur la salariée allait nécessairement être amenée à la refuser.

Il ressort, d'ailleurs, d'échanges entre son médecin traitant et le médecin du travail que, dès le 30 novembre 2019, Mme [A] avait pour volonté et pour projet de quitter l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle.

Et, en effet, Mme [A] a refusé, par courriers du 5 octobre 2020 et du 4 novembre 2020, les deux propositions faites par la SA Société Générale, sous prétexte qu'elles n'étaient pas sérieuses.

Or, il convient de remarquer qu'elle avait candidaté, précédemment, sur l'un des deux postes qui lui était, désormais, proposé (celui de conseiller clientèle entreprises au sein de l'agence de [Localité 3]) et que, s'agissant de l'autre (celui d'adjoint au directeur d'agence au sein de la direction commerciale d'[Localité 4]), le temps de trajet domicile-lieu de travail était équivalent à celui du poste qu'elle avait sur l'agence de [Localité 9], antérieurement à son congé de maternité, sans qu'il ne soit démontré, par ailleurs, l'existence d'une rétrogradation.

Il y a lieu d'observer que ces deux propositions de poste, formées après consultation des membres du comité social et économique, étaient conformes aux indications du médecin du travail, appropriées aux capacités de la salariée et comparables aux postes antérieurement occupés, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite.

Dans ces conditions, compte tenu des refus exprimés par la salariée quant aux emplois proposés, l'employeur était bien-fondé à prononcer en date du 21 décembre 2020 son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Il convient, dès lors, de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui a débouté la salariée de sa demande de requalification de son licenciement en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et, par conséquent, de ses demandes relatives aux indemnités de rupture afférentes, incluant l'indemnité compensatrice de préavis, laquelle n'est pas due en cas de licenciement pour inaptitude (article L.1226-4 alinéa 3 du code du travail).

V.Sur le rappel de salaires

L'article L.1226-4 du code du travail dispose : « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail.

En cas de licenciement, le préavis n'est pas exécuté et le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement. Le préavis est néanmoins pris en compte pour le calcul de l'indemnité mentionnée à l'article L.1234-9. Par dérogation à l'article L.1234-5, l'inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice.'

En l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu par la salariée, la SA Société Générale démontre que Mme [A], déclarée inapte à son poste par avis de la médecine du travail du 2 juillet 2020 et placée en arrêt de travail jusqu'en janvier 2021, ouvrant droit à des indemnités journalières, a bénéficié, entre le 4 août 2020 et le 21 décembre 2020 (date de son licenciement), malgré un épuisement de ses droits conventionnels, d'un maintien intégral de son salaire correspondant à l'emploi qu'elle occupait avant la suspension de son contrat de travail, étant précisé qu'elle était, alors, à temps partiel (80%), de sorte qu'aucune somme ne lui est due par son employeur au titre d'un rappel de salaires.

En effet, les bulletins de paie de Mme [A] font apparaitre les rémunérations suivantes :

- en août 2020, 488,69 euros nets,

- en septembre 2020, 2.010, 40 euros nets,

- en octobre 2020, 6.560, 96 euros nets,

- en novembre 2020, 3.803,78 euros nets,

- en décembre 2020, 1.423,84 euros nets,

alors que son salaire de base mensuel, avant la suspension de son contrat de travail, était de 2.795,08 euros bruts.

Par conséquent, le jugement du conseil de prud'hommes ayant rejeté la demande de rappel de salaires de Mme [A] sera confirmé.

VI. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Mme [A], succombant en toutes ses prétentions, la charge des dépens, tant en 1ère instance, qu'au stade de l'appel, sera supportée par chacune des parties, conformément au dispositif du jugement du conseil de prud'hommes, dont il est sollicité la confirmation par la SA Société Générale sur ce point.

Au regard de la situation économique de la salariée par rapport à celle de l'employeur, les parties seront déboutées de leurs demandes respectives formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tant en 1ère instance, qu'au stade de l'appel.

VII. Sur les autres demandes

Compte tenu de la solution du litige, il n'y a pas lieu, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes, de se prononcer sur les autres demandes formées par la salariée au titre de la délivrance sous astreinte d'une attestation pôle Emploi et des documents de rupture rectifiés, et au titre des intérêts légaux.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse rendu le 23 novembre 2021 en toutes ses dispositions frappées d'appel.

Y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes respectives formées au visa de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens en cause d'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 23 Janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire en remplacement du Président légalement empêché, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier P/ Le Président