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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 janvier 2024, n° 22/01899

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Decathlon (Sté)

Défendeur :

Rosbeef ! (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Raes, Me Deschryver, Me Etevenard, Me Velho, Me Gijsbers-Papon

T. com. Paris, 13e ch., du 20 déc. 2021,…

20 décembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

Le 5 juillet 2017, la société Decathlon a lancé un appel d'offres restreint à plusieurs agences de communication pour assurer sa communication publicitaire télévisée et qui a été remportée par l'agence société Rosbeef ! le 2 octobre 2017.

La relation d'affaires entre les parties s'est déroulée suivant un processus informel de validation de commandes après validation d'un plan de communication annuel élaboré par la société Rosbeef !.

Courant 2018, la société Decathlon SA a proposé à la société Rosbeef! d'encadrer leurs relations par un contrat cadre intitulé "contrat de référencement prestation de communication", devant prendre effet rétroactivement au 1er octobre 2017. Cependant, les négociations n'ont pas abouti et le contrat n'a jamais été signé.

Après avoir validé le plan de communication de l'année 2020 présenté par la société Rosbeef ! en juillet 2019, la société Decathlon a informé la société Rosbeef!, par courriel du 23 septembre 2019, de son intention de réorienter sa stratégie de communication, puis par courriel du 3 octobre 2019, la société Rosbeef ! a été invitée à participer à un nouvel appel d'offre.

Le 4 décembre 2019, la société Rosbeef! a appris qu'elle n'avait pas remporté l'appel d'offre.

C'est dans ce contexte que par acte du 22 octobre 2020, la société Rosbeef! a assigné la société Decathlon SA devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle, parasitisme et rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement du 20 décembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

-Débouté la SA Decathlon de son exception d'incompétence au profit du tribunal judiciaire de Paris,

-Débouté la SAS à associé unique Rosbeef! de ses demandes relatives à des inexécutions contractuelles,

-Condamné la SA Decathlon à payer à la SAS à associé unique Rosbeef! la somme de 555.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de l'inexécution du préavis,

- Débouté la SAS à associé unique Rosbeef! de ses demandes de préjudice moral et d'image relatives à la rupture brutale,

- Condamné la SA Decathlon à payer à la SAS à associé unique la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour déloyauté dans l'organisation de l'appel d'offres de 2019,

- Débouté la SAS à associé unique Rosbeef! de ses demandes au titre de la concurrence déloyale parasitaire en ce compris celles de préjudice d'image et moral qui en seraient les conséquences,

- Condamné la SA Decathlon à payer 10.000 € à la SAS à associé unique Rosbeef! au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraire au présent dispositif,

- Condamné la SA Decathlon aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 25 janvier 2022 (RG n° 22/01899) la société Decathlon SE, venant aux droits de la société Decathlon SA, a interjeté appel de ce jugement.

La société Rosbeef! a également interjeté appel par déclaration d'appel du 27 janvier 2022 (RG n°22/02195).

Les procédures ont été jointes par ordonnance du 27 septembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 novembre 2023, la société Decathlon SE, demande à la Cour de :

Vu les dispositions de l'article L.442-1 du Code de commerce,

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les pièces et les jurisprudences versées au débat,

Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 20 décembre 2021 en ce

qu'il a:

- Débouté la SAS à associé unique Rosbeef! de ses demandes relatives à des inexécutions contractuelles,

- Débouté la SAS à associé unique Rosbeef! de ses demandes de préjudice moral et d'image relatives à la rupture brutale,

- Débouté la SAS à associé unique Rosbeef! de ses demandes au titre de la concurrence déloyale parasitaire en ce compris celles de préjudice d'image et moral qui en seraient les conséquences,

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 20 décembre 2021

en ce qu'il a :

- Condamné la SA Decathlon à payer à la SAS à associé unique Rosbeef! la somme de 555.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de l'inexécution du préavis,

- Condamné la SA Decathlon à payer à la SAS à associé unique la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour déloyauté dans l'organisation de l'appel d'offres de 2019,

- Condamné la SA Decathlon à payer 10.000 € à la SAS à associé unique Rosbeef! au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamné la SA Decathlon aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

- Déclarer irrecevables les demandes de la société Rosbeef! à l'encontre de Decathlon SE pour défaut d'intérêt à agir,

- Constater l'absence d'une relation commerciale établie entre la société Rosbeef! et la société Decathlon au sens de l'article L.442-1 du code de Commerce,

- Constater que le préavis a été exécuté de façon loyale par la société Decathlon,

- Débouter la société Rosbeef! de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner la société Rosbeef! au paiement de la somme de 30.000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens d'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 novembre 2023, la société Rosbeef!, demande à la Cour de :

Vu les dispositions des articles 1103, 1112, 1217 et 1240 du Code Civil,

Vu l'article L. 442-1 II du Code de commerce,

Vu les dispositions du contrat-type du 19 septembre 1961, résultant de l'arrêté ministériel du 19 septembre 1961 publié au journal officiel et consacrant les usages professionnels des agences de publicité et le premier alinéa de l'article L. 442-1 II du Code de commerce,

Vu les articles 32, 122 et 123 du Code de procédure civile et le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,

Il est demandé à la Cour d'appel de Paris, statuant sur l'appel d'un jugement du 20 décembre 2021 rendu par Tribunal de commerce de Paris, de :

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société Rosbeef! de ses demandes relatives à des inexécutions contractuelles ;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il s'est limité à condamner la société Decathlon à payer à la société Rosbeef! la somme de 555.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'inexécution d'un préavis devant précéder la rupture de leurs relations contractuelles;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société Rosbeef! de ses demandes de préjudice moral et d'image relatives à la rupture ;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il s'est limité à condamner la société Decathlon à payer à la société Rosbeef! la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour déloyauté dans l'organisation de l'appel d'offres de 2019 ;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société Rosbeef! de ses demandes au titre de la concurrence déloyale parasitaire en ce compris celles de préjudice d'image et moral qui en seraient les conséquences ;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il s'est limité à condamner la société Decathlon à payer 10.000 euros à la société Rosbeef! au titre de l'article 700 du CPC ;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société Rosbeef! de ses demandes autres, plus amples ou contraires au dispositif ;

- Le confirmer pour le surplus et notamment en ce qu'il a condamné la société Decathlon à payer à la société Rosbeef! la somme de 555.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de l'inexécution du préavis, la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour déloyauté dans l'organisation de l'appel d'offres de 2019,la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Et statuant à nouveau :

A titre liminaire, sur la fin de non-recevoir soulevée par Decathlon

- Déclarer irrecevable et mal fondée la fin de non-recevoir soulevée par la société Decathlon aux termes de ses conclusions d'appel n°2 et la rejeter ;

- Condamner la société Decathlon à payer à la société Rosbeef ! La somme de 615.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'intention dilatoire de la société Decathlon ;

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef ! La somme de 30.000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ;

- La Condamner aux dépens ;

- Débouter la société Decathlon de toutes ses autres demandes, fins ou prétentions

Sur le fond

1. Sur la rupture du contrat d'agence

A titre principal

- Constater que la société Decathlon a engagé la société Rosbeef! pour une durée ferme d'un an couvrant son budget publicitaire 2020 et, à ce titre, a commandé à la société Rosbeef! six campagnes et des activations pour l'année 2020, selon des budgets et un calendrier défini ;

- Constater l'annulation des campagnes commandées pour l'année 2020, en ce compris une campagne en cours de production, et l'absence de rémunération versée à l'agence au titre des campagnes annulées ;

- Dire et juger que la société Decathlon a violé ses engagements contractuels et doit, par conséquent, indemniser la société Rosbeef! du préjudice subi en conséquence ;

Par conséquent,

- Condamner la société Decathlon à payer à la société Rosbeef! la somme de 862.746 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge brute correspondant aux campagnes de l'année 2020 non facturées.

A titre subsidiaire,

- Constater l'application de l'article V.4 du contrat-type de 1961 imposant à l'annonceur de respecter un préavis de six mois suivant la notification de la rupture par lettre recommandée ; préavis au cours duquel l'annonceur ne doit pas passer à un autre agent de publicité les ordres qui auraient dû être exécutés par l'agence initiale ;

- Constater le caractère brutal de la rupture ;

- Dire et juger que la société Decathlon n'a respecté aucun préavis écrit et qu'elle doit, par conséquent, indemniser la société Rosbeef! du préjudice subi du fait du caractère brutal de la rupture ;

Par conséquent

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef! la somme de 762.130 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge brute subie du fait du non-respect par la société Decathlon du préavis de six mois, calculée en fonction de la marge brute attendue des campagnes qui auraient dues être exécutées entre le 27 février 2020 et le 27 août 2020 ou, subsidiairement, la somme de 555.000 euros en prenant comme base de calcul la moyenne sur six mois de la marge brute perçue par Rosbeef! au cours des deux précédentes années;

En tout état de cause,

- Constater la brutalité de la rupture du contrat d'agence de la société Rosbeef! à l'initiative de la société Decathlon, ainsi que les circonstances vexatoires ayant entouré cette rupture

- Dire et juger que la société Decathlon doit réparer le préjudice moral et le préjudice d'image subi par la société Rosbeef! de ce fait ;

Par conséquent,

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef! la somme de 50.000 euros en indemnisation du préjudice moral et la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice d'image du fait de la brutalité de la rupture et des circonstances vexatoires l'ayant entourée ;

2. Sur la nouvelle compétition

- Constater la mauvaise foi dont a fait preuve la société Decathlon en demandant à la société Rosbeef! de participer, en engageant inutilement des frais importants, à une nouvelle "compétition" qu'elle n'avait aucune chance de gagner ;

Par conséquent,

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef! la somme de 274.820 euros en indemnisation des frais inutilement engagés pour participer à la nouvelle compétition ;

3. Sur les actes de parasitisme

- Constater les actes de parasitisme commis par la société Decathlon au préjudice de la société Rosbeef! en diffusant des campagnes basées sur les propositions créatives de la société Rosbeef!, sans autorisation, ni contrepartie ;

Par conséquent,

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef! la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge brute subie du fait de ces actes de parasitisme, calculée en fonction de la perte de marge brute au titre des campagnes pour lesquelles Rosbeef! n'a pas été rémunérée et que Rosbeef! ne peut plus proposer à un autre annonceur en exclusivité ;

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef! la somme de 150.000 euros en indemnisation du préjudice moral et d'image subi du fait des actes de parasitisme commis par la société Decathlon au préjudice de Rosbeef! ;

4. Sur les frais irrépétibles et les dépens

- Condamner la société Decathlon à verser à la société Rosbeef! la somme de 30.000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ;

- La condamner aux dépens.

5. Sur les demandes de la société Decathlon

- Débouter la société Decathlon de toutes ses demandes, fins ou prétentions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023, après report du 24 octobre 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir soulevée par la société Décathlon SE

Exposé des moyens

La société Decathlon SE soulève, en application des articles 32 et 122 du code de procédure civile, l'irrecevabilité des prétentions formulées à son encontre dès lors que la relation d'affaires invoquée par la société Rosbeef ! était entretenue avec la société Decathlon SAS, entité différente de Decathlon SE, comme le révèle la plupart des factures émises par la société Rosbeef !. Elle précise que le chiffre d'affaires réalisé entre les sociétés Rosbeef§ et Decathlon SE n'a été que très résiduel entre 2017 et 2020 en se limitant à la somme totale de 49 980 euros correspondant à 4 factures.

La société Rosbeef ! fait d'abord valoir que la fin de non-recevoir est mal fondée puisque l'ensemble des factures émises sont libellées au nom de " Decathlon " et non de " Decathlon SAS France " et qu'en dépit du changement de forme sociale de la société Decathlon SA en Decathlon SE en juin 2019, il s'agissait toujours de la même entité avec le même numéro de RCS n°306 138 900, qui ne peut être confondue avec la société Decathlon France RCS n°500 569 405. Elle souligne que la société Decathlon s'est toujours présentée comme la cocontractante de la société Rosbeef !, comme en atteste le projet de contrat de référencement qui la mentionne ainsi que son numéro RCS, sans faire état de la société Decathlon France, de même que pour les courriers échangés mentionnant "Decathlon SE" en en-tête. La société Rosbeef ! ajoute que la fin de non-recevoir soulevée par la société Decathlon est irrecevable sur le fondement du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui. Elle relève à cet effet que la société Decathlon se contredit tout au long de ses conclusions n°2 en soulevant pour la première fois qu'elle n'aurait pas intérêt à agir en défense, alors même qu'elle se présente elle-même comme cocontractante de la société Rosbeef! dans ses conclusions, sans faire référence à la société Decathlon SAS France. Enfin, la société Rosbeef! soutient que la fin de non-recevoir a été soulevée trop tardivement, non seulement parce qu'elle a été soulevé pour la première fois en appel mais en plus dans les conclusions n°2 et ce quelques jours seulement avant l'ordonnance de clôture, ce qui n'a pas laissé le temps à la société Rosbeef! de pouvoir mettre en cause la société Decathlon SAS France, dont au demeurant elle ne sait pas si elle aurait pu contester à son tour son intérêt à agir en défense. La société Rosbeef! demande à la Cour de constater subsidiairement et pour le cas où la fin de non-recevoir soulevée par Decathlon ne serait pas déclarée irrecevable et mal fondée, l'intention dilatoire de Decathlon et de condamner celle-ci à 615.000 euros de dommages -intérêts ainsi qu'une indemnité de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens.

Réponse de la Cour,

Conformément aux articles 30 à 32 du code de procédure civile, l'action, qui est le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée et pour son adversaire celui de discuter son bien-fondé, est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable.

L'intérêt, comme de la qualité, à agir, condition de recevabilité de l'action, n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, condition de son succès (en ce sens, confirmant une position constante : 1ère Civ., 27 novembre 2019, n°18-21.532).

Les moyens et arguments de la société Decathlon SE au soutien de sa fin de non-recevoir faisant valoir l'absence de relation contractuelle ou de relation d'affaires significative entre les parties à l'instance, tendent en réalité à contester le bien-fondé de l'action et des demandes formulées à son encontre par la société Rosbeef ! au titre d'une responsabilité contractuelle ou délictuelle de rupture brutale, mais ne démontrent pas le défaut d'intérêt légitime à agir de la société Rosbeef ! ni le défaut de qualité à se défendre à une telle action de la société Decathlon SE au sens des articles 30 à 32 précités.

La fin de non-recevoir soulevée par la société Decathlon SE sera rejetée.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Rosbeef ! fondée à titre principal sur la responsabilité contractuelle

Exposé des moyens

La société Decathlon SE fait principalement valoir que ses relations avec la société Rosbeef! étaient caractérisées par une succession de contrats non formalisés à durée indéterminée, spécifiques à chaque prestation de recommandation stratégique, production ou réalisation, indépendantes les unes des autres. Ainsi, elle soutient que ni un contrat cadre, ni un contrat à durée déterminé de trois ans n'avaient été établis entre les parties. Elle explique que le brief de l'appel d'offre de 2017 mentionnait un "parti pris à trois ans" de manière purement indicative afin que les sociétés candidates puissent développer leur vision, sans que cette durée n'indique celle d'un éventuel contrat de trois années. Elle ajoute que si les recommandations stratégiques portent sur une année de communication, cela n'a pas pour effet de générer un contrat de même durée portant sur la production. Elle insiste sur le fait que la stratégie et la production sont deux missions de nature différente et que toute commande de film ne passait pas nécessairement par un devis et une acceptation.

En ce qui concerne les campagnes de l'année 2020, la société Decathlon soutient que la validation intervenue en septembre 2019 portait uniquement sur des axes stratégiques qui ont été rémunérés en tant que tel via le forfait annuel. Elle soutient que cette simple validation stratégique non suivie d'un devis et d'une acceptation ne l'engageait pas à produire ces campagnes. Elle en déduit que l'approbation de la stratégie proposée ne constituait pas un engagement contractuel ferme des parties sur la production de film et ne donne pas à la société Rosbeef! un droit à une rémunération au titre des prestations de production non commandées. Elle prétend ainsi que les projets initialement validés en septembre 2019, après l'expiration du préavis octroyé à la société Rosbeef !, pouvaient légitimement être abandonnés au profit de la stratégie recommandée par sa nouvelle agence retenue dans le cadre de l'appel d'offre d'octobre 2019 auquel la société Rosbeef ! a participé.

La société Decathlon fait en outre observer que même après la sélection de sa nouvelle Agence, elle a confié à la société Rosbeef ! différentes missions de production/réalisation de films publicitaires, et ce jusqu'à ce que son activité soit interrompue par la crise du Covid et le confinement de la population. Elle affirme qu'entre les mois de novembre 2019 et de janvier 2020, un chiffre d'affaires total de 483 790,83 TTC euros a été réalisé entre les parties, de sorte que le flux financier s'est bien poursuivi pendant la période de préavis octroyé nonobstant tout engagement contractuel, et ce de manière comparable à la moyenne des années précédentes. Elle prétend que toutes les commandes réalisées par Rosbeef ! avant la période de préavis entraient nécessairement dans le cadre du préavis, nonobstant le fait qu'elles aient été envisagées précédemment, et que d'autres prestations ont bien été commandées pendant la période de préavis. Elle en déduit qu'aucun manquement contractuel ne peut lui être imputé.

La société Rosbeef ! fait valoir pour l'essentiel que la société Decathlon a violé ses engagements contractuels au titre des campagnes de 2020. Elle soutient qu'au regard du principe du consensualisme, l'absence de formalisation du contrat d'agence n'empêche pas l'existence d'un contrat entre les parties, leurs relations étaient matérialisées par les commandes annuelles passées par la société Decathlon pour valider les budgets 2018, 2019 et 2020, constituant chacun un contrat à durée déterminé d'un an. La société Rosbeef! explique en ce sens que par son courriel du 1er octobre 2019 la société Decathlon a validé, suivant le même processus que dans les années passées, le budget des 6 campagnes pour 2020 selon un planning précis; cet échange étant précis et univoque il manifeste la rencontre de leur volonté et constitue un contrat à durée déterminée. Elle indique que leurs relations ne sauraient s'analyser en une succession de missions indépendantes alors que chaque campagne était définie en amont en vue de la commande annuelle. Elle ajoute que leur relation contractuelle était bien prévue pour trois ans, comme en atteste le brief de la compétition d'appel d'offre de 2017 qui parlait d'une stratégie de communication sur trois ans, les trois budgets validés pour les années 2018, 2019 et 2020 et les usages de la profession.

La société Rosbeef ! en déduit qu'un contrat à durée déterminée, couvrant l'ensemble des campagnes de l'année 2020, selon le même processus que celui précédemment suivi entre les parties depuis le début de leur collaboration a donc été conclu et ne pouvait être unilatéralement résilié par la société Decathlon, et constituait une commande ferme de cette dernière. Elle estime qu'en ne respectant pas son engagement contractuel, la société Decathlon lui a causé un préjudice certain de manque à gagner, consistant dans la perte de marge brute sur les honoraires et la marge de production non facturés au titre des dites campagnes, évalué à la somme de 862 742 euros selon le décompte suivant :

La société Rosbeef soutient par ailleurs que si la commande par Decathlon des campagnes de 2020 ne valait pas engagement contractuel ferme pour une durée déterminée d'un an, la Cour constaterait nécessairement que le préavis de 6 mois n'a pas été respecté, dès lors que la société Decathlon a annulé l'ensemble des campagnes qui devaient être réalisées au cours de l'année 2000 et n'a procédé à aucune commande pendant ce préavis en se bornant à procéder au paiement des missions déjà en cours et lancées bien avant le 18 octobre 2019.

Réponse de la Cour,

La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 1113 du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager, cette volonté pouvant résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur. Selon l'article 1217, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut demander réparation des conséquences de l'inexécution.

La relation d'affaires a débuté en octobre 2017, lorsque la société Rosbeef ! a remporté l'appel d'offres présenté par "Decathlon" selon un brief de communication, sans qu'il soit précisé l'entité Decathlon SA ou SAS ni expressément la durée de l'engagement du contrat d'agence à venir.

Un projet de "contrat de référencement de prestation de communication" a été élaboré entre la société Decathlon SA et la société Rosbeef ! pour une durée indéterminée à effet rétroactif au 1er octobre 2017. Ce projet précisait que l'interlocuteur pour Decathlon était [S] [Z].

Bien que ce projet n'ait pas été signé par les parties à défaut d'accord sur l'ensemble des clauses, la relation d'affaires s'est poursuivie entre la société Decathlon et la société Rosbeef ! donnant lieu aux facturations annuelles suivantes (pièce 51 Decathlon) :

- 1 104 616,20 euros pour l'année 2017 (sur le seul mois de décembre)

- 3 150 577,89 euros pour l'année 2018

- 1 351 715,40 euros pour l'année 2019

Des explications fournies par les parties (conclusions Rosbeef ! pages 9 et 10, conclusions Decathlon pages 7 à 12), il ressort que cette relation d'affaires était organisée suivant le processus annuel suivant :

- Un brief sur la stratégie de communication annuelle était réalisé par Decathlon au cours de l'été de l'année N-1

- Sur la base de ce brief était proposé un plan de communication annuel par la société Rosbeef ! définissant pour l'année N à venir le nombre et la nature des opérations commerciales (" OPCOs "), films publicitaires ou activations, les budgets prévisionnels des campagnes et le planning de leur création

- Le plan de communication était ensuite validé par Decathlon

- puis venait la phase de production des campagnes

Les honoraires de la société Rosbeef ! se décomposaient de la manière suivante :

- des honoraires forfaitaires en rémunération de la réflexion stratégique et créative globale formalisée dans le plan de communication annuel et de l'accompagnement et du pilotage annuel du client,

- des honoraires pour chaque production des opérations de communication : les budgets prévisionnels étaient précisés et ajustés en fonction des brief de chaque "OPCO" et choix finaux de Decathlon, donnant ainsi lieu à un devis détaillé établi par la société Rosbeef ! pour chaque campagne au fur et à mesure de leur mise en production et communiqué avant leur facturation,

Pour la campagne de l'année 2020, il ressort des échanges de courriels entre la société Rosbeef ! et Mme [S] [Z] pour Decathlon sur la période de juillet à début octobre 2019 (pièces Rosbeef ! n°11 et 12) et des termes de la lettre du 27 février 2020 de la société Decathlon SE que suite au brief de Décathlon du 10 juillet 2019, la société Rosbeef ! a présenté un plan de communication annuel définissant la stratégie de communication pour 2020, qui a été validé par la société Decathlon fin septembre 2019, formalisé ensuite par la société Rosbeef ! dans une présentation transmise le 9 octobre 2019. Ce plan de communication validé par la société Decathlon comprenait, selon les échanges de courriel, 5 opérations de communication avec 6 films (Femmes, VTT Kids, Camp rando Quechua, Air Goal, Produit sport fédéré junio et Decathlon Coach) suivant un planning prévisionnel de lancement et de réalisation s'étalant entre septembre 2019 et septembre 2020.

Ce plan de communication 2020 a eu un commencement d'exécution avec le lancement de la campagne "Femmes" dont le tournage était planifié fin décembre 2019 et pour une diffusion en février 2020.

Dans le même temps, la société Decathlon a fait le choix de modifier sa stratégie de communication et a invité la société Rosbeef ! à répondre à un nouvel appel d'offre courant novembre 2019 auquel cette dernière a répondu.

La société Decathlon SE a toutefois reconnu que le lancement d'une nouvelle compétition engageait la rupture de la relation contractuelle la liant avec la société Rosbeef !.

C'est ainsi que Mme Mme [S] [Z], référente de la société Decatlon SA aux droits de laquelle vient la société Decathlon SE, a écrit le 17 octobre 2019 à son interlocuteur de la société Rosbeef ! un courriel en ces termes :

« J'ai essayé de t'appeler pour discuter du contrat. J'en ai échangé avec [K], et j'ai aussi relu le contrat qui state :

Le présent contrat prendra effet à compter du 1er octobre 2017, avec effet rétroactif à cette même date, pour une durée indéterminée. Le présent contrat pourra être résilié moyennant un préavis écrit de six (6) mois.

Comme tu le sais, la campagne femme et printemps sont garantis d'être gérées par ROSBEEF !, ce qui couvre le premier quart de l'année.

Si nous décidons de continuer avec ROSBEEF ! suite au pitch, un nouveau contrat sera établi, et ligne avec le nouveau cadre.

Et donc si je respecte les conditions du contrat, et je tiens compte de ces changements, le plus logique c'est de résilier le contrat existant aujourd'hui (n'importe s'il a été signé ou pas, c'est un accord entre nous), pour ensuite refaire un nouveau en cas de réponse positive.

Si je compte les 6 mois, ça nous amène au 17 avril 2020.»

Dans sa lettre du 27 février 2020, la société Decathlon SE a fait expressément référence à ce courriel du 17 octobre 2019. Dans sa lettre du 7 août 2020, le conseil de la société Decathlon SE a précisé "Il n'est pas discuté que la nature des relations entre Decathlon et l'agence Rosbbef ! justifie un préavis de résiliation des relations" et a fait référence au courriel précité pour justifier de la notification d'une rupture et de l'octroi d'un préavis de 6 mois à compter de cette date, soit jusqu'au 17 avril 2020.

Aux termes de ces échanges, si la société Decathlon ne conteste pas être contractuellement engagée envers la société Rosbeef !, elle conteste cependant que la validation du plan de communication 2020 soit la manifestation d'une commande ferme de l'ensemble des opérations de communication présentées dans ce plan.

Or, la Cour observe que si la société Decathlon insiste sur le fait que la validation du plan de communication ne constituait qu'une acceptation de principe d'une stratégie portant uniquement sur des projets et n'a jamais dans les relations entre les parties constitué une commande ferme, elle ne fait cependant état, pour les années précédentes, que d'un seul exemple précis d'abandon d'OPCO d'un plan validé (conclusions page 8, pièces n°27 - «La passion continue »)

En outre, la Cour relève que dans ces échanges avec la société Rosbeef !, la société Decathlon SE admettait que la période de préavis de 6 mois d'octobre 2019 à avril 2020 devait permettre d'assurer à la société Rosbeef ! une activité suivant une rémunération comparable à la rémunération moyenne annuelle perçue entre octobre 2017 et septembre 2019.

Ainsi, dans son courriel du 9 janvier 2020, Mme [S] [Z], a écrit :

« Comme discuté juste avant Noël, j'ai fait les calculs pour nous assurer que vos honoraires ne sont pas réduits pendant la période de préavis.

Voici le drive récapitulant les flux financiers : (')

Comme tu peux voir, en moyenne nous avons payé 433k€ par tranche de 6 mois de prestations, entre octobre 2017 & Septembre 2019.

Ensuite j'ai pris les factures réglées - ou encore à régler à partir du 18 octobre 2019 jusqu'au 17 avril 2020.

Nous avons ainsi choisi de vous appliquer un préavis non de 3 mois, mais de 6 mois. Avec les 4 projets, j'arrive à 458k€, donc supérieur vs la moyenne sur les 2 ans. (la campagne de printemps est en phase de devis donc encore à voir). Donc pour moi, nous sommes cohérents avec ce qui est écrit dans le contrat, en terme de préavis et rem.»

Aux termes de sa lettre du 17 février 2020, la société Decathlon SE a précisé :

«Conformément à la jurisprudence, nous avons respecté un préavis et le maintien d'un chiffre d'affaires. En effet, alors que notre collaboration courait seulement depuis octobre 2017, nous avons appliqué un préavis de 6 mois et avons maintenu, pendant cette période, un chiffre d'affaires à hauteur de 394 720 euros.»

Le conseil de la société Decathlon a affirmé dans sa lettre du 17 août 2020 :

«La campagne initialement prévue entre le 20 janvier et le 17 avril 2020 ont dû être annulées en raison de la crise sanitaire de la Covid 19, mais ces annulations n'affectent pas l'effectivité du préavis dont le montant encaissé correspond au moins à six mois d'activité.

La rémunération moyenne annuelle perçue par l'Agence ROSBEEF avant résiliation s'est élevée à 865 987 euros, soit 432 994 euros en moyenne pour six mois (voir calcul en annexe).

Pour la période correspondant au préavis la rémunération de l'Agence ROSBEEF s'est élevée à 475 000 euros, entre le 17 octobre 2019 et le 20 février 2020.

Cette rémunération des six mois de préavis a donc représenté plus de la moitié de la rémunération moyenne annuelle perçue par l'Agence ROSBEEF en 2017 et 2018.»

De l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déduire qu'en validant le plan de communication 2020 établi par la société Rosbeef !, dans la continuité de ceux accomplis depuis 2017, la société Decathlon s'est engagée envers la société Rosbeef ! au moins sur un volume d'affaires pour la campagne 2019/2020 comparable à la moyenne annuelle des années précédentes. La société Rosbeef ! ne peut être suivie sur le fait que la validation de la campagne 2020 constituait une commande ferme de l'ensemble des opérations présentées dans le plan suivant ses "briques budgétaires" dès lors qu'il n'est pas établi d'accord précis sur le budget de chacune d'elle, ni même démontré de budget prévisionnel validé par la société Decathlon.

Cependant, comme le démontre la société Rosbeef !, au cours de la période de préavis annoncée par la société Decathlon du 17 octobre 2019 au 20 avril 2020, cette dernière n'a en réalité procédé à aucune commande pour la campagne 2020 postérieurement à l'annonce de la rupture de la relation contractuelle le 17 octobre 2019. Il ressort tant des propres explications de la société Decathlon dans ses écritures que des pièces versées aux débats, notamment le tableau récapitulatif des sommes versées à la société Rosbeef ! en pièce jointe au courriel du 9 janvier 2020 précité (pièce 29 bis -Rosbeef !), que la somme de 475 000 euros avancée par la société Decathlon comme étant la rémunération de l'activité pendant le préavis correspondait en réalité au paiement d'opération de communication de la campagne 2019 ( Noël 2019) et de la rémunération forfaitaire de la stratégie 2020 élaborée en juillet 2019 et de deux opérations de communications 2020 lancées avant le 17 octobre 2019 (opérations "Femmes" et "VTT Kids"). Il n'est justifié d'aucune nouvelle mise en production d'opération de communication du plan de communication 2020 entre le 17 octobre 2019 et avril 2020.

La société Decathlon ne peut sérieusement soutenir que la société Rosbeef ! a bénéficié d'un préavis effectif de six mois, alors qu'elle s'est bornée à régler les factures des productions mise en œuvre avant le début de celui-ci et qu'elle a annulé en partie celles déjà engagées, telle que l'opération de communication "Femmes".

Par ailleurs, si la société Décathlon invoque la crise du Covid l'ayant obligée à annuler ses opérations de communication sur la période de préavis ayant débuté le 17 octobre 2019, force est de constater qu'elle ne produit aux débats aucun élément de preuve justifiant une telle obligation, étant observé que la période de confinement de la population n'a débuté qu'en mars 2020. Au contraire, l'absence de toute mise en œuvre de production d'opération de communication en 2020 avec la société Rosbeef ! est expliquée par le choix de Decathlon d'une autre Agence à la suite de l'appel d'offre fin 2019, alors qu'elle avait déjà validé un plan de communication 2020 avec la société Rosbeef ! et partiellement mis en œuvre par cette dernière.

Il s'ensuit, qu'en ne respectant pas son engagement contractuel, la société Decathlon a privé la société Rosbeef ! de six mois d'activité.

Le préjudice de gain manqué sur cette perte d'activité doit être calculé à partir du taux de marge réalisé par la société Rosbeef ! sur le chiffre d'affaires moyen des années précédentes avec le client Decathlon.

Il ressort des soldes intermédiaires de gestion des bilan comptables des exercices 2017 à 2019 versés aux débats que le taux de marge commerciale et de production de la société Rosbeef ! est de l'ordre de 50% du chiffre d'affaires global. L'extraction des données financières annexée à l'attestation de l'expert-comptable de la société Rosbeef ! (pièces n°59 et 59bis) renseigne également pour le client Decathlon une marge d'environ 50% du chiffre d'affaires réalisé avec ce client, soit une marge annuelle moyenne sur les exercices 2018-2019 de 1 109,50 euros.

A partir de ces éléments, le gain manqué pour la société Rosbeef ! sur six mois d'activité est évalué à la somme de 550 000 euros, soit l'équivalent du montant des dommages-intérêts octroyés par le tribunal mais sur le fondement d'une inexécution de préavis au titre d'une rupture brutale des relations commerciale.

Dès lors le jugement sera infirmé de ce chef de préjudice.

La société Decathlon SE sera condamnée à verser à la société Rosbeef ! la somme de

550 000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'inexécution de son engagement contractuel et la société Rosbeef ! sera déboutée du surplus de sa demande à titre principal, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur ses demandes fondées à titre subsidiaire sur une rupture brutale de la relation commerciale.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Rosbeef ! au titre d'un préjudice moral et d'image

Exposé des moyens

La société Rosbeef ! fait principalement valoir que la rupture du contrat d'agence est intervenue dans des circonstances particulièrement abusives et vexatoires, dès lors que la nouvelle "compétition" a été décidée du jour au lendemain, sans aucune justification, au cours de la campagne 2020, que les résultats de cette "compétition" ont été publiés dans la presse, sans que la société Decathlon ne prenne la peine d'informer officiellement et préalablement Rosbeef ! de sa décision, que s'en est suivi l'annulation brutale de l'ensemble de la campagne de l'année 2020 en cours de production, ce dont Rosbeef ! fut informé par un tiers réalisateur mandaté par l'agence. Dans ces circonstances, la société Rosbeef ! soutient avoir subi un préjudice moral et d'image et réclame les sommes de 50 000 euros de dommages-intérêts pour chacun des préjudices.

La société Decathlon réplique pour l'essentiel que ni la preuve du préjudice moral ni celle du préjudice d'image subi par la société Rosbeef! ne sont rapportés. Concernant le préjudice moral, la société Decathlon soutient qu'aucune pièce justificative n'est rapportée au soutien des allégations de la société Rosbeef! sur le prétendu impact psychologique et la désorganisation provoquée par la rupture. Concernant le préjudice d'image, la société Decathlon soutient que l'organisation d'un appel d'offre 2 ans après que la société Rosbeef! ait remporté celui de 2017 ne peut pas être considéré comme humiliant étant donné qu'aucun délai n'avait été fixé pour leurs relations, d'autant plus que le changement d'agence n'a pas fait l'objet d'une communication dénigrante et que la société Rosbeef! a été informée du résultat de l'appel d'offre le 4 décembre2019 soit 5 jours avant la publication du communiqué de presse à ce sujet.

Réponse de la Cour,

Alors que la société Decathlon avait validé avec la société Rosbeef ! le plan de communication 2020 et que les premières mises en production des opérations de communication étaient en cours, la société Rosbeef ! devait apprendre le changement de stratégie de communication de la société Decathlon (pièce n°8 Decathlon) et était invitée à prendre part à un appel d'offre par simple courriel du 3 octobre 2019 (pièce n°18 Rosbeef). Par la suite, la société Decathlon ne justifie pas avoir personnellement informé la société Rosbeef ! avec laquelle elle s'était engagée pour la campagne 2020 de ce qu'elle avait choisi une autre agence pour la remplacer, la société Rosbeef ! apprenant avoir été évincée par un article de presse (pièce n°25).

Ces circonstances sont effectivement vexatoires et de nature à nuire à l'image de l'agence de communication Rosbeef !.

En l'état des éléments d'appréciation versés aux débats, la Cour évalue le préjudice moral et d'image de la société Rosbeef ! à la somme globale de 15 000 euros.

En conséquence le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Rosbeef ! de ces chefs de préjudice, et la société Decathlon SE sera condamnée à lui verser la somme de

15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et d'image.

Sur la demande de la société Rosbeef ! de remboursement de frais de compétition

Exposé des moyens

La société Rosbeef! fait principalement valoir que la société Decathlon a fait preuve de mauvaise foi dans l'organisation et le déroulement de la compétition pour l'appel d'offre fin 2019, ce qu'elle assimile à un comportement de mauvaise foi dans les négociations précontractuelles et demande à être indemnisée des frais engagés qu'elle aurait pu éviter si la compétition n'avait pas été fautive, sur le fondement des articles 1104 et 1112 du code civil. Concernant la notification de la compétition, la société Rosbeef! avance qu'elle a été informée de son organisation après les autres agences comme l'indique le courrier de l'agence Romance en date du 2 octobre 2019 demandant des précisions sur la compétition, alors que la société Rosbeef! a été informée seulement le 3 octobre 2019. D'autant plus qu'elle n'a reçu cette information que cinq jours avant la compétition, un conseil extérieur, alors même qu'elle travaillait tous les jours avec Decathlon. Concernant le déroulement de la compétition, elle souligne que le jury a été modifié à l'occasion du second tour, composé uniquement du nouveau directeur marketing. Elle soutient à cet égard que le changement d'agence de communication en plein milieu du contrat de 2020 s'explique par l'arrivée de ce nouveau directeur. Elle ajoute que le conseil extérieur n'est pas gage d'impartialité car il était au courant de la volonté de Decathlon de ne plus travailler avec Rosbeef! et des risques juridiques qui pourraient en découler.

La société Rosbeef! en déduit qu'elle n'aurait jamais pu remporter cet appel d'offre auquel elle a été invitée de mauvaise foi et réclame la somme de 274 820 ,35 euros en remboursement de ses frais de participation à la compétition.

La société Decathlon SE fait valoir pour l'essentiel qu'elle a fait preuve de loyauté dans l'organisation de l'appel d'offre de 2019 puisqu'elle a d'abord informé la société Rosbeef! de changements à venir dans sa stratégie de communication par email du 23 septembre 2019, puis de l'ouverture de l'appel d'offre par courrier du 3 octobre 2019 et ce en même temps que les autres candidats. Elle avance que la loyauté n'est remise en cause ni par le fait que l'appel d'offre soit organisé par un tiers permettant une plus grande impartialité, ni par le fait qu'un membre du jury soit le futur directeur marketing de Decathlon, alors encore salarié chez Leroy Merlin. Elle soutient qu'en réalité la société Rosbeef! a simplement été moins convaincante que les autres agences, comme en attestent les comptes-rendus des équipes Decathlon et du conseil extérieur sur la présentation des candidats.

La société Decathlon relève que les frais prétendument engagés par la société Rosbeef! pour cet appel d'offre sont incohérents et exagérés, en effet selon la pièce adverse 21 pas moins de 19 collaborateurs auraient travaillé sur le projet, soit près d'un tiers de l'agence, pour 274.820,35 euros, alors que selon les dires de la société Rosbeef! la société Decathlon représente à peine 30% de son chiffre d'affaires. Elle en conclut que la société Rosbeef! connaissait les risques d'un appel d'offre et que sa mauvaise gestion financière ne peut être imputée à Decathlon, de sorte qu'elle n'a pas à l'indemniser à hauteur de 50.000 euros pour sa participation à l'appel d'offre.

Réponse de la Cour,

Selon l'article 1112 du code civil, l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de bonne foi.

Si les motifs qui précèdent ont mis en évidence une rupture abusive et vexatoire de l'engagement contractuel de la société Decathlon à l'égard de la société Rosbeef ! pour la campagne de communication 2020, en revanche les pièces produites aux débats par la société Decathlon (pièces n° 47,49,50), non utilement contredites par celles produites par la société Rosbeef ! (notamment pièces n° 18, 20, 26, 58 ), mettent en évidence une réelle mise en compétition des trois agences concurrentes, par une évaluation précise et comparative de chacun des trois candidats à l'issue de deux tours de présentation.

Dès lors la société Rosbeef ! échoue à démontrer une mauvaise foi de la part de la société Décathlon dans la sélection du candidat à l'issue de l'appel d'offre fin 2019 de nature à caractériser une rupture abusive de pourparlers au sens des dispositions de l'article 1112 du code civil.

En conséquence, la société Rosbeef ! sera déboutée de sa demande de remboursement de frais et le jugement sera infirmé de ce chef de préjudice.

Sur les demandes de dommages-intérêts de la société Rosbeef ! au titre d'actes de parasitisme

Exposé des moyens

La société Rosbeef! fait valoir que la société Decathlon a réalisé trois campagnes publicitaires inspirées des propositions créatives de la société Rosbeef!, ce qui constitue selon elle du parasitisme dont les conséquences dommageables sont indemnisables sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil. Elle soutient que la société Decathlon ne conteste pas de tels agissements et qu'elle a même arrêté la diffusion des dites campagnes et modifié ses slogans dès réception de la mise en demeure réalisée par la société Rosbeef!.

Concernant les films "le sport vous manque", la société Rosbeef! expose que la société Decathlon a diffusé des spots publicitaires réalisés par l'agence Romance dont le principe créatif était identique à celui proposé par la société Rosbeef! lors de la compétition dans le cadre de l'appel d'offre de 2019, consistant à utiliser des images tournées par les consommateurs. Concernant l'accroche "Le Monde est notre terrain de jeu", la société Rosbeef! explique qu'elle avait proposé cette formule dès le 12 septembre 2017 dans le cadre de sa participation à la première compétition pour l'appel d'offre de 2017. Enfin, concernant la collection capsules de vêtements de sport féminin revisités par une influenceuse, la société Rosbeef! explique qu'elle avait proposé cette idée à la société Decathlon dans sa présentation du 28 novembre 2019, que jamais auparavant la société Decathlon n'avait confié une partie du design de ses vêtements à une influenceuse et que la similitude des produits imaginés par la société Rosbeef! et ceux créés par Decathlon achevait de démontrer le parasitisme.

Pour l'ensemble de ces agissements, la société Rosbeef! réclame une indemnisation équivalente à la perte de marge brute qu'elle aurait pu avoir en présentant ses propositions créatives à un autre annonceur en exclusivités. Sur le fondement d'autres campagnes similaires elle estime son préjudice à 300.000,00 euros au titre du parasitisme et à 150.000,00 euros au titre du préjudice moral et d'image découlant de l'usage de ses créations sans son autorisation.

La société Decathlon fait valoir pour l'essentiel qu'il ne peut lui être reproché des actes de parasitismes concernant les trois campagnes publicitaires.

Concernant le film "le sport vous manque", la société Decathlon expose que les idées retenues pour ce spot étaient très différentes de celles préconisées par la société Rosbeef! qui conseillait de s'inspirer des créations des consommateurs pour en faire des films professionnels ; alors que la société Decathlon, empêchée par la crise du covid de tourner en extérieur, a utilisé les films fournit par les consommateurs. Elle ajoute que la société Rosbeef! n'a pas subi de préjudice, ayant déjà été rémunérée pour des spots sur le sport en extérieur qui n'ont pas pu être diffusé du fait de leur indomptabilité avec la réalité de la crise du Covid-19. Concernant ensuite l'accroche "Le Monde est notre terrain de jeu", la société Decathlon conteste que cette formule soit une création de la société Rosbeef! puisqu'elle l'utilisait antérieurement à leur collaboration, en atteste l'utilisation des formules "la planète est notre terrain de jeu", "le sport est notre terrain de jeu" et "le Monde est mon terrain de jeu" en 2016 qui ne sont que des variantes. Elle explique que son renoncement immédiat à l'usage de cette signature relève de la précaution et non de la reconnaissance d'une faute, étant observé que la société Rosbeef! n'apporte pas la preuve d'une création originale protégée par un droit d'auteur. Enfin, concernant la collection capsules de vêtements de sport féminin revisitée par une influenceuse, la société Decathlon conteste que la société Rosbeef! puisse s'approprier l'idée de faire appel à des influenceurs, d'autant plus qu'elle n'invoque aucun droit de propriété à ce titre.

Réponse de la Cour,

Fondé sur les articles 1240 et 1241 du code civil, le parasitisme suppose l'existence d'une faute.

Le parasitisme consiste, pour un agent économique, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements, indépendamment de tout risque de confusion. Il requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

La société Rosbeef ! produit aux débats divers pièces et explications pour mettre en évidence que la société Decathlon a repris ses principes créatifs reposant sur :

-l'utilisation de films courts composés d'images proposées ou tournées par les internautes et extraites de YouTube ou de plateformes équivalentes - histoires vraies des consommateurs créant un esprit « feel good »

- la formulation du slogan « le monde est notre terrain de jeu »

- l'idée d'une série limitée de vêtements de sport féminin à partir de produits classiques et emblématiques de la marque revisités par une "influenceuse" sur les réseaux sociaux

Cependant la société Rosbeef ! ne verse aux débats aucun élément permettant de démontrer que ses « principes créatifs » sont le fruit d'un savoir-faire ou d'une notoriété acquise au prix d'un travail reconnu et des investissements particuliers et dans le sillage duquel la société Decathlon a entendu se placer sans bourse délier.

Dès lors, à défaut d'établir des agissements parasitaires, la société Rosbeef ! sera déboutée de ses demandes de dommages-intérêts à ce titre. Le jugement sera confirmé de ce chef de préjudice.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Decathlon aux dépens et à payer à la société Rosbeef ! la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Decathlon, succombant pour l'essentiel en son appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Decathlon sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Rosbeef ! la somme complémentaire de 5000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a :

- débouté la société Decathlon de son exception d'incompétence au profit du tribunal judiciaire de Paris,

- débouté la société Rosbeef ! de ses demandes au titre de la concurrence déloyale parasitaire en ce compris celles de préjudice d'image et moral qui en seraient les conséquences,

- condamné la société Decathlon aux dépens de première instance et à payer à la société Rosbeef ! la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir de la société Decathlon ;

Condamne la société Decathlon SE à payer à la société Rosbeef ! la somme de 550 000 euros de dommages-intérêts en réparation du gain manqué subi du fait de l'inexécution de son engagement contractuel au titre du plan de communication 2020 ;

Condamne la société Decathlon SE à payer à la société Rosbeef ! la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et d'image subi du fait de la rupture de la relation contractuelle dans des circonstances vexatoires ;

Déboute la société Rosbeef ! des demandes au titre des frais engagés pour la nouvelle compétition ;

Condamne la société Decathlon SE aux dépens d'appel ;

Condamne la société Decathlon SE à payer à la société Rosbeef ! la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.