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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 janvier 2024, n° 20/15597

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Energence C-Plus (Sasu)

Défendeur :

Kang (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Domain, Me Rocco, Me Bouzidi-Fabre, Me Finet

T. com. Paris, 13e ch., du 28 sept. 2020…

28 septembre 2020

FAITS ET PROCEDURE 

La société Kang, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 7 février 2000, a pour activité la diffusion et l'édition par tous moyens techniques et technologiques, notamment de télécomunication, de toutes informations et de tous services. Elle exploite la plateforme internet du même nom qui met en relation des prestataires, dénommés Masters, et des utilisateurs, dénommés Users, auxquels sont fournis des consultations téléphoniques et autres services. Ses conditions générales d'utilisation sont applicables aux Masters.

La société Energence C-Plus, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 30 mai 2014, a pour activité notamment le coaching individuel et collectif de vie, la voyance et la numérologie. Elle a pour présidente Mme [P] [F] et comme nom commercial "Sabrina de Sainte Ange".

C'est sous l'intitulé "Sabrina de Saint Ange" que la société Energence C-Plus a ouvert un compte Masters auprès de la société Kang.

Par lettre du 18 janvier 2019, la société Kang a notifié à la société Energence C-Plus la résiliation de son compte à l'issue d'un délai de 15 jours, lui reprochant d'avoir mis fin quasi systématiquement certains appels téléphoniques en raccrochant avant l'atteinte du palier de 3 minutes et, dans de nombreux cas, d'être restée quelques secondes avant de raccrocher lorsque le téléphone du client déclenche son répondeur, ce qui pénalise le client dont le compteur tourne et dont le crédit est débité.

La société Energence C-Plus a répondu, par lettre de son conseil du 23 janvier 2019, en contestant les griefs énoncés par la société Kang, en lui reprochant de ne pas lui avoir versé une partie de ses commissions et d'avoir rompu brutalement les relations, la privant d'un revenu de l'ordre de 10.000 € par mois.

Le 28 février 2019, la société Energence C-Plus a mis en demeure la société Kang de lui payer le montant d'une facture du 31 janvier 2019 et d'autres sommes correspondantes à des secondes de communication téléphonique non payées en 2016, 2017 et 2018.

C'est dans ce contexte que la société Energence C-Plus, le 11 avril 2019, a fait assigner la société Kang devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 28 septembre 2020, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

Débouté la société Energence C-Plus de ses demandes tendant à la condamnation de la société Kang au paiement :

- de la somme de 27.011,50 € TTC, à titre de commissions supplémentaires, et de ses demandes subséquentes,

- de la somme de 50.976 €, à titre de dommages-intérêts, pour indemnité de préavis,

- de la somme de 300.000 €, à titre de dommages-intérêts, en l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies,

Débouté la société Kang de sa demande d'indemnisation à hauteur de 6.807 €, faute de justification de son préjudice,

Condamné la société Energence C-Plus à payer la somme de 9.000 € à la société Kang au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamné la société Energence C-Plus aux dépens.

La société Energence C-Plus a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 20 octobre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 18 septembre 2023, la société Energence C-Plus demande à la Cour, au visa des articles 1104 et suivants du code civil ainsi que des articles L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce, de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, y faisant droit de :

Réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de versement de commissions au titre des secondes et statuant à nouveau, condamner la société Kang à lui payer :

- la somme de 27.011,50 € TTC, à titre de commissions, assortie de l'intérêt sur la base du taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement, majoré de 10 points de pourcentage, à compter du 22 février 2019, date de la mise en demeure, conformément à l'article L. 441-6 du code commerce,

- la somme de 200 € au titre des frais de recouvrement tels que prévus sur chacune des quatre factures,

Réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommages-intérêts liés à la rupture du contrat la liant à la société Kang et, statuant à nouveau, condamner la société Kang à lui payer :

- la somme de 50.976 €, au titre de l'indemnité de préavis,

- la somme de 300.000 €, au titre de l'indemnité de rupture,

Réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Kang la somme de 9.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, condamner la société Kang à lui payer la somme de 20.000 € à ce titre,

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Kang de sa demande en paiement de la somme de 6.807 €, à titre indemnitaire, et plus généralement la débouter de toutes ses demandes,

Condamner la société Kang aux dépens, "incluant les PV d'huissiers".

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 9 octobre 2023, la société Kang demande à la Cour de :

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité à hauteur de 6.807 € et :

- constater que la société Energence C-Plus a raccroché à 159 appels en 2 mois et 10 jours, ces faits constituant une faute contractuelle telle que définie au contrat et justifiant la résiliation,

- constater que la société Energence C-Plus s'est maintenue sur des répondeurs, ce qui constitue une atteinte à la réputation et à la non-honorabilité de la société Kang, justifiant la résiliation,

- dire et juger que la résiliation du contrat de la société Energence C-Plus en date du 18 janvier 2019 est totalement justifiée,

- dire et juger qu'au regard des fautes commises, la société Energence C-Plus sera déboutée de sa demande d'indemnité de rupture de 300.000 €, irrecevable de surcroît en ce qu'elle est forfaitaire,

- constater qu'au regard de l'article L 442-6 ancien du code de commerce, la société Energence C-Plus ne peut prétendre à une indemnité de rupture cumulée à une indemnité de préavis, s'étant prévalue de la rupture brutale des relations contractuelles,

- débouter en conséquence la société Energence C-Plus de sa demande d'indemnité de préavis de 50.976 €,

- constater en tout état de cause que la société Kang a bien respecté le préavis contractuel de 15 jours,

Statuant à nouveau, recevoir la société Kang en son appel incident et :

- constater qu'elle a subi un préjudice au regard du traitement des manquements de la société Energence C-Plus qui ont justifié des dépenses salariales à hauteur de la somme de 6.807 €,

- condamner la société Energence C-Plus à la dédommager et à lui payer la somme de 6.807 €,

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Energence C-Plus aux dépens et à lui payer la somme de 9.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Energence C-Plus aux entiers dépens et à lui payer la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 24 octobre 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1- Sur la demande de la société Energence C-Plus en paiement de la somme de 21.011,50 € au titre de commissions non payées :

La société Energence C-Plus rappelle que chaque client de la plateforme Kang choisit le Master avec lequel elle souhaite communiquer ; elle expose :

- qu'à chaque consultation, la société Kang facture le client pour le temps passé au téléphone, en tenant compte de chaque seconde écoulée,

- que deux fois par mois, la société Kang établit une pré-facture qu'elle propose au Master sous la forme d'une facture pro forma que le Master doit valider dans un court délai, moins de 72 heures week-end et jours fériés inclus,

- qu'une fois validée, cette facture éditée par la société Kang devient celle éditée au nom du Master et la société Kang, qui a déjà été payée par le client, règle alors les commissions dues au Master.

L'appelante fait valoir qu'elle s'est aperçue que la minute engagée, mais non complètement consommée, n'était pas payée au Master alors qu'elle était payée par le client à la plateforme. Elle fonde sa demande sur les Conditions générales d'utilisation antérieures au mois de juin 2019, qui stipulaient à l'article 4 que la commission versée au Master était calculée selon la formule : "Prix net de la prestation encaissé par la société Kang x le taux catégoriel (fixé à 55 %) - mutuelle"; elle verse aux débats des procès-verbaux d'huissier de justice dressés les 28 et 30 janvier 2019 ainsi que les 4 et 12 février 2019. Elle critique le jugement en ce qu'il a fait application des nouvelles Conditions générales d'utilisation de juin 2019, donc postérieures à la résiliation du contrat, qui stipulent que les communications d'une durée inférieure à une minute n'ouvrent pas droit à commission et en ce qu'il a retenu qu'elle n'avait pas contesté les montants émis alors qu'elle n'a accepté que les Conditions générales d'utilisation antérieures, que les secondes rémunérées en 2013/2014 ne l'étaient plus en 2017 et que le 7 mars 2017 elle a interrogé à ce sujet M. [Z], directeur général de la société Kang, lequel l'a renvoyé vers le service commercial qui n'a jamais répondu.

Pour s'opposer à cette prétention, la société Kang soutient :

- en premier lieu, qu'il n'existe aucune convention autorisant l'appelante à réclamer des intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne majorée de 10 points, ni de conditions générales qu'elle aurait fixées, que Mme [F] a validé les factures pro forma et édité ses propres factures selon le modèle proposé par la plateforme, ce qui démontre qu'elle connaissait parfaitement "la façon dont Kang honorait les prétentions des Masters";

- en deuxième lieu, s'agissant de la modification des Conditions générales d'utilisation destinées aux Masters, qu'elle a agi de bonne foi pour informer ses cocontractants de façon claire et nette;

- en troisième lieu, qu'elle n'a aucunement violé les articles 1114 et 1118 du code civil, relatifs à l'offre et à son acceptation, alors que conformément aux articles 1125 à 1127 du code civil, elle avait le droit de transmettre ses Conditions générales d'utilisation par voie électronique et que, par application de leur article 15, le Master disposait toujours de la possibilité de résilier le contrat en cas de modification des clauses qui ne lui conviendrait pas;

- en quatrième lieu, que l'appelante bafoue l'article 1104 (anciennement 1134) du code civil, qui dispose que la bonne foi doit prévaloir dans les relations contractuelles sachant qu'elle n'a jamais formulé la moindre réclamation, qu'elle n'a pas évoqué le droit qu'elle invoque et n'a jamais réclamé de commissions supplémentaires au titre des secondes de communication ne totalisant pas une minute;

- en cinquième lieu, que le Master perçoit 55 % HT de la somme perçue par Kang de l'utilisateur, ce qui est loin d'être ridicule, la plateforme engageant des dépenses importantes pour des campagnes de publicité;

- en sixième lieu, qu'elle se fonde à juste titre sur l'article 1120 du code civil qui dispose : "Le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières.", en soulignant que l'appelante avait validé le mode facturation et accepté cet usage pendant pratiquement cinq ans;

- en septième lieu, que contrairement à ce que Mme [F] a écrit dans une lettre envoyée en mars 2017 à M. [Z], les secondes n'étaient pas rémunérées en 2014;

- en huitième lieu, que l'huissier de justice ne pouvait se livrer qu'à un constat de ce qu'il constatait sur ordinateur et non donner foi à des listings présentés par Mme [F], l'article 1 alinéa 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ne lui permettant pas de tirer de ses constatations purement matérielles un avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.

Sur ce,

Il apparaît des pièces versées aux débats que le 7 mars 2017, Mme [F], agissant comme dirigeante de la société Energence C-Plus, a envoyé un mail à la société Kang pour lui signaler différentes erreurs affectant selon elle le calcul de ses "reversements"; elle y mentionnait alors : "Les secondes ne sont pas payées alors que si mes souvenirs sont bons en 2014 les secondes étaient rémunérées".

Or, la société Energence C-Plus ne rapporte pas la preuve que les secondes étaient rémunérées en 2014 et ne justifie d'aucune démarche auprès du service commercial de la société Kang auquel M. [Z] l'avait renvoyée dans sa réponse du 7 mars 2017.

Mme [F], avant comme après cette date, a validé les factures pro forma servant de base au calcul de ses commissions;

Ce faisant elle a implicitement mais nécessairement accepté que les secondes de communication n'entrent pas dans le calcul de ses commissions.

En conséquence, sa demande en paiement de la somme de 21.011,50 € doit être rejetée.

2- Sur les demandes de dommages-intérêts de la société Energence C-Plus pour rupture brutale de la relation commerciale établie :

La société Energence C-Plus soutient préalablement que les enregistrements sur la base desquels la société Kang entend établir son comportement fautif justifiant la résiliation de son compte Master sont illicites en ce qu'ils ont été réalisés sans le consentement de la société Energence C-Plus ni de ses clients utilisant la plateforme, violant ainsi les conditions générales en vigueur au moment de la rupture et le règlement général sur la protection des données.

L'appelante fait ensuite valoir qu'aucun des deux griefs invoqués par la société Kang dans sa lettre de résiliation ne sont des motifs de résiliation prévus au contrat, que ces deux griefs ne sont pas fondés et ne constituent pas une faute grave justifiant la rupture brutale. Elle expose ainsi :

- sur les prétendus raccrochages :

que la légitimité des attestations de Mme [C] et Mme [V], affirmant que des clients se seraient plaints, est contestable puisque rédigées par des personnes ayant le statut de salariés et que Mme [J], épouse d'un investisseur et ancien membre du comité de direction de la société Kang, avait déjà quitté la société Kang lors des faits incriminés qui seraient survenus en fin d'année 2018,

que la liste des 31 clients concernés produite par la société Kang est contredite par ses relevés d'appels à elle qui montrent qu'il s'agit de clients qui la consultent régulièrement, la mettent au plus haut dans les notations et ont continué à le faire après les prétendus incidents,

- sur les prétendus "non-raccrochages» avec les répondeurs :

que tous les appels indiqués dans la lettre de rupture ne duraient que quelques secondes le temps qu'elle réagisse et que, pour les clients réguliers, elle laissait parfois un message,

qu'aucun appel sur répondeur n'était rémunéré,

que le temps de communication sur répondeur n'a jamais fait l'objet d'une directive de la part de la société Kang et qu'il n'est nullement précisé dans les conditions générales un temps à ne pas dépasser, étant souligné que c'est la société Kang qui facture au client et encaisse le prix.

L'appelante conteste ensuite les griefs énoncés postérieurement à la rupture en expliquant :

- qu'elle avait tout intérêt à transformer un prospect (personnes qui la contactaient après des campagnes publicitaires de la société Kang), en client puisqu'elle gagnait sur chaque "transformation" un bonus de 20 €,

- qu'elle n'a aucunement entretenu un mauvais climat sur la plateforme et n'a jamais incité d'autres Masters à pratiquer certains prix à la minute,

- que les conditions générales ne prévoyaient pas la mise en place de "widgets", c'est à dire de renvois vers la société Kang,

- que rien ne lui interdisait de travailler pour d'autres plateformes, que c'est sous la pression de la société Kang qu'elle a dû se désinscrire de la plateforme Wengo en 2016 et ne s'y est ré-incrite qu'en 2019 pour de faibles revenus.

Pour réclamer la somme de 300.000 € en indemnisation de son préjudice, résultant de la brutalité de la rupture, l'appelante allègue :

- que le préavis de 15 jours est insuffisant pour une durée de relations de 5 ans et compte tenu de son état de dépendance économique,

-qu'après la résiliation, elle a perdu 50 % de son chiffre d'affaires,

- que son chiffre d'affaires moyen sur les exercices 2016, 2017 et 2018 s'est élevé à 101.950,66 € par an.

En dernier lieu, l'appelante considère que le préavis contractuel de 15 jours était insuffisant au regard des exigences de la plateforme à l'égard des Masters, qu'elle devait obtenir une indemnité de préavis de 6 mois au regard des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce et qu'en conséquence la société Kang doit aussi lui payer la somme de 50.976 € à ce titre.

La société Kang fait d'abord état de difficultés rencontrées par elle avec Mme [F] pendant les relations contractuelles ; elle expose en ce sens :

- que Mme [F] a entretenu un très mauvais climat sur la plateforme en incitant d'autres Masters à opter pour une autre pratique de prix à la minute, totalement farfelue, pour dissuader la clientèle d'y accéder;

- qu'en 2016, elle a répandu des propos inquiétants sur la plateforme ainsi qu'il est attesté par M. [Z] et par Mme [E], "chief operating officer" de la société Kang;

- qu'en dépit des demandes de Mme [V], directrice des relations clients de la société Kang, Mme [F] n'a pas mis en place le Widget qui permettait, en consultant le site du Master, d'arriver sur la plateforme Kang, le parrainage Master donnant droit pour celui-ci à un honoraire de 10 % du montant des dépenses effectuées par le client sur la plateforme, le client utilisateur bénéficiant quant à lui d'un forfait découverte de 15 € au lieu de 10 € habituellement offert aux prospects venus par un autre moyen;

- que le 5 octobre 2016, Mme [F] s'était engagée à se désinscrire de la plateforme Wengo, concurrente de Kang, mais s'y est reconnectée dès le 6 décembre 2018, soit avant de recevoir la lettre de résiliation du 18 janvier 2019, et qu'elle a perçu des revenus de Wengo pour des prestations de décembre 2018 et janvier 2019;

- qu'en mai 2016, Mme [F] s'est plainte de son mauvais classement, que M. [Z] lui a répondu en lui demandant de laisser tourner les nouveaux algorithmes de classement, lesquels placent les Masters en fonction de divers critères et que la société Kang a toujours fait en sorte de positionner équitablement Mme [F];

- que c'est au titre des frais de mutualisation qui prennent en compte les défauts de paiement des utilisateurs, que la société Kang règle la prestation effectuée par le Master sous déduction d'une "mutuelle anti-chargeback" de 2,02 € TTC.

Sous l'intitulé "les violations commises", afin de justifier du bien fondé de sa résiliation, la société Kang se réfère aux articles 3,12 et 13 du contrat et reproche à Mme [F] :

- d'avoir raccroché de façon intempestive 159 appels téléphoniques entre novembre 2018 et janvier 2019, ainsi que prouvé par les enregistrements et le listing (page 35 des conclusions)

- de ne pas avoir raccroché lorsqu'elle tombait sur un répondeur, ce qui engendrait des coûts de communication à la charge du client sans la moindre contrepartie,

- et encore qu'il n'est fait mention dans la lettre de résiliation que de 31 exemples d'appels raccrochés alors qu'il y a en réalité "116 clients raccrochés et les 159 appels raccrochés entre novembre 2018 et Janvier 2019" (page 40 des conclusions),

- que Mme [F] ne voulait pas traiter les nouveaux prospects et ne voulait pas avoir d'avis défavorable.

La société Kang prétend, notamment, que Mme [F] a dû raccrocher à 2.424 clients sur une moyenne de 3 ans ; sachant qu'elle aurait pu en conserver 10 %, soit 242, et que chacun aurait pu rapporter 1.525 € (panier moyen d'un client sur 5 ans), elle en déduit que sa perte s'élève à 369.050 €.

Pour contester le montant des dommages-intérêts demandés, la société Kang prétend :

- qu'il n'y a pas eu rupture brutale du contrat, mais résiliation pour faute avec respect du préavis contractuel;

- qu'à raison de ses nombreuses inexécutions contractuelles, Mme [F] ne saurait prétendre à aucun dédommagement;

- qu'elle ne peut cumuler une indemnité au titre du préavis de 50.976 € avec une indemnité pour rupture brutale des relations;

- que les relations n'ont duré que 3 ans et que l'appelante ne pourrait prétendre qu'à 1,5 mois de préavis;

- qu'il n'existe aucune dépendance économique de Mme [F] par rapport à la société Kang,

Mme [F] travaillant sur la plateforme Wengo, consultant aussi sur son site internet personnel et dans son cabinet privé, participant à des émissions de radio, écrivant des livres et proposant des séances de Reiki par téléphone pour retrouver bien-être et sérénité;

- que Mme [F] est de parfaite mauvaise foi, persistant à ne pas communiquer ses bilans 2018/2019, 2019/2020, 2020/2021 et 2021/2022 en dépit d'une sommation de communiquer du 8 juin 2023,

- qu'elle a demandé à la société Kang de déclarer ses revenus sur l'entreprise de son fils au nom duquel elle a adressé ses factures d'avril 2013 jusqu'au 1er octobre 2014 et que du 1er octobre 2014 au 1er février 2015 c'est la société Energence C-Plus qui a adressé ses factures à la société Kang, mais en réalité c'était son fils qui percevait les sommes, ce qui constitue une fraude fiscale,

- que Mme [F] a perçu de Wengo la somme de 565,21 € pour des prestations de décembre 2018 et celle de 542,69 € pour des prestations de janvier 2019.

Sur ce,

Préalablement, la Cour constate que si la société Energence C-Plus évoque dans le corps de ses conclusions l'illicéité des enregistrements de conversations sans son consentement ni celui des usagers de la plateforme en violation des conditions générales et du Règlement général sur la protection des données (RGPD), elle ne formule cependant aucune demande tirée de cette illicéité pour que les pièces soient écartées des débats mais en conteste seulement leur force probante.

A cet effet, contrairement à ce qu'avance la société Energence C-Plus, les conditions générales d'utilisation qu'elle produit aux débats (pièce n° 10) comme étant applicables entre les parties avant le 1er juin 2019 stipulent expressément en Partie B au point 6°) que "Le Master autorise formellement que la société kang puisse enregistrer les échanges effectués par les moyens de communication à distance utilisés et accepte expressément que les preuves de se propos oraux et écrits, résultant de l'enregistrement de ses échanges puissent être effectuées et produites par la société Kang dans le cadre de toute instance ou action amiable ou judiciaire."

La Cour constate également que les demandes de la société Energence C-Plus sont uniquement fondées sur la réparation d'un préjudice résultant la rupture brutale de la relation commerciales au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, en sorte qu'il n' y a pas lieu de statuer sur une éventuelle résiliation fautive du contrat de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société Kang.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Cette règle ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation (En ce sens Com., 14 octobre 2020, pourvoi n° 18-22.119).

* sur le caractère établi de la relation

Les parties ne contestent pas le caractère établi de la relation commerciale au sens des dispositions précitées à compter du 16 octobre 2014, date des premières facturations.

* sur l'existence d'une faute grave

La société Energence C-Plus conteste non seulement la réalité des manquements invoqués par la société Kang mais également leur caractère suffisamment grave pour justifier une rupture sans préavis suffisant compte tenu de l'ancienneté et la nature de la relation commerciale nouée entre les parties.

La résiliation notifiée par lettre du 18 janvier 2019 est fondée sur l'article 3 de ces Conditions qui ouvre à la société Kang : "un droit de résiliation sous réserve de prévenir le Master dans un délai de 15 jours par mail ou courriel en raison :

- du faible nombre de prestations payantes réalisées (nombre de commandes / nombre d'appels),

- d'une photographie non adaptée ou d'absence de photographie,

- des difficultés rapportées par les Users,

- des propos tenus s'ils excèdent le contenu contractuel,

- des commentaires alarmants publiés sur le site,

- en cas de réitération de refus de réaliser une prestation payante à un client (non-acceptation de commande sous 24 h / refus de prendre l'appel du consultant)."

Il y est encore stipulé : "La société Kang se réserve le droit de refuser l'accès à un Master ou de rompre l'accès au Service dans un délai de 15 jours par mail ou courrier dès lors qu'il ne remplit pas les conditions souhaitées par Kang, ne répond pas à l'éthique et aux caractéristiques du service Kang et/ou viole les présentes conditions générales d'utilisation et/ou les conditions particulières et/ou tout avenant."

La lette de résiliation ne vise que deux griefs : le raccrochage quasi systématique avant l'atteinte du palier-clé de 3 minutes, ce qui permet d'éviter la sanction d'une notation et le fait de rester quelques secondes sur le répondeur du client avant de raccrocher.

S'agissant du second grief, la société Kang appuie sa prétention sur un listing établi par ses soins à partir d'écoutes sur répondeur enregistrées du 2 novembre 2018 au 18 janvier 2019. Il en résulte des durées variantes entre 14 et 38 secondes. Si la société Kang estime devoir facturer ces secondes au client, la société Energence C-Plus, qui n'était rémunérée que si elle laissait un message sur le répondeur, n'avait aucun intérêt à rester en ligne sur un répondeur ; au vu de ces éléments, il ne peut être retenu une faute susceptible de voir résilier son compte.

S'agissant du premier grief, la société Kang annonce dans sa lettre 159 appels raccrochés sur la période du 2/11/2018 au 9/01/2019, tout en joignant une liste exhaustive de 31 appels passés entre le 25 décembre 2018 et le 8 janvier 2019.

Pour ces 31 appels, la société Energence C-Plus montre par ses fiches clients, d'autre part que pour la plupart il s'agit de clients qui la consultaient régulièrement et ont continué à le faire après les raccrochages évoqués, d'autre part des communications qui ont pu être coupées ou interrompues ont été reprises par la suite.

Pour les 93 autres clients "raccrochés", la société Energence C-Plus verse aux débats les bonnes appréciations de sept d'entre eux; elle justifie encore pour 6 d'entre eux que ce sont des clients réguliers qui la consultent régulièrement et depuis plusieurs années, et encore pour 4 autres que ce sont des clients récents qui l'ont consultés après les appels incriminés.

La société Energence C-Plus souligne à juste raison que des coupures peuvent intervenir pour des raisons techniques et sont alors indépendantes de sa volonté.

Les attestations des salariés de la société Kang n'ont pas une valeur probante suffisante, étant observé que le 14 janvier 2019, M. [Z] lui-même écrivait à Mme [F] en ces termes : "Tous nos vœux de réussite, de bonne santé avec plein de nouveaux projets sur 2019. Je sais que vous êtes une source intarissable de créativité et de découvertes nouvelles."

Ces griefs visés dans la lettre de résiliation ne sont donc pas suffisamment établis.

C'est en vain que la société Kang invoque d'autres inexécutions contractuelles qui seraient de nature à priver la société Energence C-Plus de l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce. D'abord la société Energence C-Plus n'avait aucune obligation contractuelle d'installer un "Wigdet". Ensuite, elle n'était tenue par aucune clause de non-concurrence et pouvait s'inscrire sur d'autres plateformes. Enfin, les attestations versées au dossier, qui émanent de salariés de la société Kang, ne suffisent pas à prouver que la société Energence C-Plus, en la personne de Mme [F], aurait entretenu un mauvais climat ou répandu des propos inquiétants sur la plateforme Kang.

Ainsi, l'ensemble des griefs invoqués par la société Kang ne sont pas suffisamment établis. De surcroît les fautes reprochées ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une résiliation immédiate.

* sur le délai de préavis

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La durée de la relation commerciale établie entre les parties a été d'un peu plus de quatre années. La société Energence C-Plus justifie réaliser plus de 90 % de son chiffre d'affaires avec la société Kang, sans toutefois justifier d'une dépendance économique ou de difficultés particulières pour trouver un autre partenaire pour ce type d'activité.

Dans ces circonstances, la Cour estime qu'un préavis de 2,5 mois était nécessaire mais suffisant. L'insuffisance de préavis est donc de 2 mois, la société Energence C-Plus ayant bénéficié du préavis contractuel de 15 jours.

* sur l'évaluation du préjudice

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture

La société Energence C-Plus justifie d'un chiffre d'affaires annuel moyen sur les exercices 2016 à 2018 de 101.950 €, soit un chiffre d'affaires mensuel moyen de 8496 €.

La société Energence C-PLus ne donne aucune explication sur sa marge sur coûts variable réclamant une indemnisation basée uniquement sur son chiffre d'affaires. Au regard de la nature de l'activité de prestation de service, et de la marge brute de production indiquée dans les bilans comptables versés aux débats, la Cour retient une marge de 90 % pour le calcul du préjudice, soit une marge mensuelle de 7646 €.

La perte de marge escomptée sur la période d'insuffisance de préavis de 2 mois s'établit à la somme de 15 292 €.

La société Energence C-Plus ne démontre aucun préjudice distinct consécutif à la brutalité de la rupture susceptible de lui ouvrir droit au paiement d'une indemnité complémentaire. La société Energence C-plus sera déboutée du surplus de ses demandes fondées sur la rupture brutale de la relation commerciale.

Le jugement sera partiellement infirmé de ce chef de préjudice.

3- Sur la demande de la société Kang en paiement de la somme de 6.807 €

La société Kang est mal fondée à obtenir paiement de cette somme au titre de dépenses salariales pour traiter les manquements de la société Energence C-Plus alors que ces manquements allégués ne sont pas retenus comme fautifs.

4- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Energence C-Plus aux dépens de première instance et à payer à la société Kang la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Kang, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Kang sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Energence C-Plus la somme de 9000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement seulement en ce qu'il a :

- débouté la société Energence C-Plus de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies,

- condamné la société Energence C-Plus aux dépens et à payer la somme de 9.000 € à la société Kang au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LE CONFIRME pour le surplus;

STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS ET Y AJOUTANT,

DIT que la société Kang a brutalement rompu la relation commerciale établie avec la société Energence C-Plus et engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige;

CONDAMNE la société Kang à payer à la société Energence C-Plus la somme de 15.292 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie;

DÉBOUTE la société Energence C-Plus du surplus de ses demandes indemnitaires;

CONDAMNE la société Kang aux dépens de première instance et d'appel;

CONDAMNE la société Kang à payer à la société Energence C-Plus la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

REJETTE toute autre demande.