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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3 et 1, 18 janvier 2024, n° 21/03776

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Générale Immobilier Patrimonial (SAS)

Défendeur :

Eco Patrimoine (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Hongre-Boyeldieu, Me Corvaisier

T. com. Nanterre, ch. 3, du 14 mai 2021,…

14 mai 2021

EXPOSE DU LITIGE

La société Primaxia, aujourd'hui dénommée Société Générale Immobilier Patrimonial, ci-après dénommée SGIP, est spécialisée dans l'investissement immobilier neuf. Son activité consiste à commercialiser des biens immobiliers pour le compte de promoteurs, notamment de la société Sogeprom, filiale de la Société Générale.

A cette fin, elle a fait appel à des mandataires, dits conseillers immobiliers agréés Primaxia, ci-après dénommés CIAP, personnes physiques ou morales.

Par acte sous seing privé du 20 août 2012, la société Primaxia a consenti à la société Eco Patrimoine, dirigée par M. [R] [G], un mandat commercial pour une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction, portant sur la vente de programmes immobiliers. Ce contrat faisait référence à l'accord de partenariat conclu par la société Primaxia avec la Société Générale, aux termes duquel cette dernière devait adresser au mandataire des clients intéressés par un investissement dans le secteur de l'immobilier neuf.

A la fin de l'année 2017, la société Primaxia a décidé de modifier son réseau de distribution et d'internaliser la commercialisation des programmes immobiliers.

Par courrier du 20 avril 2018, la société Primaxia a notifié à la société Eco Patrimoine la rupture de son mandat au 20 août 2018 et a proposé une prolongation du préavis jusqu'au 19 octobre 2018.

Par courrier recommandé du 1er août 2018, la société Eco Patrimoine a fait part à la société Primaxia de son refus de prolongation du préavis. Elle a reproché à cette dernière un manquement à ses obligations contractuelles, à l'origine d'une chute des opérations commerciales en 2018.

Par courrier du 2 août 2018, la société Eco Patrimoine a réclamé à la société Primaxia le paiement de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L.134-12 du code de commerce, ainsi que le bénéfice du 'droit de suite' contractuellement prévu.

Cette demande n'a pas reçu de suite favorable de la part de la société Primaxia.

Par acte d'huissier en date du 16 avril 2019, la société Eco Patrimoine a fait assigner la SGIP, venant aux droits de la société Primaxia, devant le tribunal de commerce de Caen.

Par un jugement en date du 8 janvier 2020, le tribunal de commerce de Caen s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement du 14 mai 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Débouté la Société Générale Immobilier Patrimonial de sa demande de dire non applicable à la société Eco Patrimoine le statut d'agent commercial fixé par les articles L.134-1 et suivants du code de commerce ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 139.742 € à titre d'indemnité de rupture de contrat d'agent commercial ;

- Débouté la société Eco Patrimoine de sa demande de dommages et intérêts complémentaires en réparation du préjudice subi pour rupture anticipée d'un contrat d'agent commercial ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial à supporter les dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 14 juin 2021, la SGIP a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 18 septembre 2023, la SGIP demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu le 14 mai 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :

- Débouté la Société Générale Immobilier Patrimonial - précédemment dénommée Prixamia - de sa demande de dire que le statut d'agent commercial fixé par les articles L.134-1 et suivants du code de commerce n'était pas applicable à la société Eco Patrimoine ;

- Condamné « la Société Générale Immobilier Patrimonial - précédemment dénommée Prixamia - à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 139.742 € à titre d'indemnité de rupture de contrat d'agent commercial ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial - précédemment dénommée Prixamia - à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile » ;

- Ordonné « l'exécution provisoire du jugement » ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial - précédemment dénommée Prixamia - à supporter les dépens ;

- Confirmer le jugement rendu le 14 mai 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :

- Débouté la société Eco Patrimoine de sa demande de dommages et intérêts complémentaires en réparation du préjudice subi pour rupture anticipée d'un contrat d'agent commercial ;

En conséquence et statuant à nouveau,

A titre principal,

- Juger que l'exercice de cette activité de commercialisation est soumis aux dispositions de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 ;

- Juger que la société Eco Patrimoine en sa qualité de personne morale ne bénéficie pas de la dérogation instituée par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 au profit des seules personnes physiques ;

- Juger en conséquence que l'activité de la société Eco Patrimoine relève du statut des agents immobiliers qui est exclusif du statut des agents commerciaux ;

En conséquence,

- Débouter la société Eco Patrimoine de l'ensemble de ses demandes, en ce compris sa demande de paiement d'une indemnité de rupture d'un montant de 202.056 € et d'une indemnité d'un montant de 6.377,66 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécuter de manière loyale le contrat ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait que l'activité de la société Eco Patrimoine relevait du statut d'agent commercial prévu par le code de commerce,

- Juger que le montant de l'indemnité de rupture due par la Société Générale Immobilier Patrimonial à la société Eco Patrimoine ne peut être supérieur à six mois de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du contrat de mandat ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Eco Patrimoine au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Eco Patrimoine aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 30 octobre 2023, la société Eco Patrimoine demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Débouté la Société Générale Immobilier Patrimonial de sa demande de dire non applicable à la société Eco Patrimoine le statut d'agent commercial fixé par les articles L.134-1 et suivants du code de commerce ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial (auparavant dénommée Prixamia) à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial (auparavant dénommée Prixamia) à supporter les entiers dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la Société Générale Immobilier Patrimonial (auparavant dénommée Prixamia) à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 139.742 € à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial ;

- Débouté la société Eco Patrimoine de sa demande de dommages et intérêts complémentaires en réparation du préjudice subi pour rupture anticipée d'un contrat d'agent commercial ;

Statuant à nouveau,

- Condamner la Société Générale Immobilier Patrimonial, venant aux droits de la société Prixamia, à verser à la société Eco Patrimoine la somme de 168.121 € HT au titre de l'indemnité de rupture sur le fondement de l'article L.134-12 du code de commerce ;

- Condamner la Société Générale Immobilier Patrimonial, venant aux droits de la société Prixamia, à verser à la société Eco Patrimoine la somme de 6.377,66 € à titre de dommages et intérêts complémentaires en réparation du préjudice subi ;

- Débouter la Société Générale Immobilier Patrimonial de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la Société Générale Immobilier Patrimonial, venant aux droits de la société Prixamia, à verser à la Société Eco Patrimoine la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre à supporter les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2023. Elle a été révoquée à l'audience du 27 juin 2023, puis à nouveau prononcée le 9 novembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'application du statut d'agent commercial

La SGIP dénie à la société Eco Patrimoine le bénéfice du statut d'agent commercial de l'article L.134-1 du code de commerce, dès lors qu'il n'est pas applicable aux personnes morales exerçant une activité de négociateur immobilier, puisque cette activité fait l'objet de dispositions législatives particulières et impératives en application de la loi d'ordre public n°70-9 du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, qui vise l'activité consistant à s'entremettre de manière habituelle dans la réalisation d'opérations portant sur des immeubles appartenant à autrui.

Elle soutient que l'exception admise à l'article 4 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970 ne bénéficie qu'aux seuls négociateurs immobiliers personnes physiques, qui sont seuls susceptibles d'obtenir l'attestation permettant d'habiliter un négociateur immobilier au sens de l'article 4 de la loi du 2 janvier 1970, dès lors que le contrôle du bulletin n°2 du casier judiciaire prévu à l'article 3, II du décret du 20 juillet 1972, auquel renvoie l'article 9 du même décret, qui ne vise que les personnes physiques, n'est pas possible pour les personnes morales;

Elle conteste l'application conventionnelle du statut d'agent commercial. Elle soutient que les dispositions de la loi Hoguet constituent des dispositions d'ordre public auxquelles il n'est pas possible de déroger conventionnellement et qu'en tout état de cause, les stipulations du mandat n'établissent pas que les parties ont voulu, de manière certaine et non équivoque, appliquer le statut d'agent commercial par dérogation aux dispositions de la loi Hoguet.

La SGIP estime en tout état de cause que la société Eco Patrimoine n'a pas exercé d'activité relevant du statut d'agent commercial, dès lors d'une part, qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir de négociation concernant les conditions de vente et les tarifs qui étaient fixés par le mandant et d'autre part, qu'elle n'a assuré aucune mission de prospection puisque la clientèle lui était apportée par la société Primaxia et la banque partenaire et que le catalogue des programmes immobiliers était mis à sa disposition par la société Primaxia.

La société Eco Patrimoine répond que le contrat, rédigé par la société Primaxia, a été expressément soumis aux dispositions des articles L.134-1 et suivants du code de commerce régissant le statut des agents commerciaux. L'intimée rappelle que la Cour de cassation dans son arrêt du 17 mai 2023 a confirmé que le titulaire de la carte professionnelle visée à l'article 3 de la loi Hoguet peut habiliter une personne morale elle-même titulaire de la carte professionnelle et que cette dernière se voit en conséquence appliquer le statut des agents commerciaux. Elle indique qu'étant titulaire de la carte professionnelle et non salariée de la société Primaxia, elle bénéficie de la dérogation prévue à l'article 4 de la loi Hoguet.

*****

Selon l'article L134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

L'application du statut d'agent commercial ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties dans le contrat mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

Il résulte de la combinaison des articles L.134-1 du code de commerce, 4, alinéas 1 et 2, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de cette loi que le titulaire de la carte professionnelle prévue à l'article 3 de la loi précitée a la possibilité d'habiliter une personne à négocier, s'entremettre ou s'engager pour son compte, si celle-ci justifie de l'attestation visée à l'article 9 du décret précité ou si celle-ci est elle-même titulaire de la carte professionnelle et que le statut des agents commerciaux lui est alors applicable.

La société Eco Patrimoine communique en pièce n°13 la copie de la carte professionnelle l'autorisant à réaliser des " transactions sur immeubles et fonds de commerce ", délivrée par la Préfecture du Calvados le 7 août 2012.

La SGIP soutient que la société Eco Patrimoine ne disposait d'aucun pouvoir de prospection et de négociation comme le requièrent pourtant les dispositions de l'article L.134-1 précité. L'appelante explique d'une part, que la clientèle lui était apportée par la banque partenaire et que le catalogue des programmes immobiliers était mis à sa disposition par la société Primaxia et d'autre part, que les conditions de vente et les tarifs étaient fixés par le mandant.

En réponse, la société Eco Patrimoine invoque la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui a adopté une conception large du pouvoir de négociation, qui n'implique pas la possibilité de modifier le prix. L'intimée explique que le contrat de mandat lui confie une mission de prospection à l'article 2 et qu'ainsi, elle négociait les ventes des programmes immobiliers qui lui étaient confiés avec les candidats acquéreurs qui lui étaient adressées par la société Primaxia mais qu'elle procédait également à la recherche d'acheteurs pour le compte de cette dernière. Elle indique qu'elle était également en charge de l'animation du réseau d'agences de la Société Générale, des évènements clients, de la formation des conseillers en gestion de patrimoine (CGP), de l'assistance des conseillers clientèle, de la gestion des réclamations clients, de sorte qu'il ne peut être prétendu que son rôle se limitait à celui de simple intermédiaire de vente de biens immobiliers. La société Eco Patrimoine soutient qu'elle bénéficiait d'un pouvoir de négociation portant y compris sur les prix.

S'agissant du pouvoir de prospection, il résulte du contrat conclu entre les parties que " Le mandant charge le mandataire de négocier pour son compte avec les clients qu'il lui adressera, la vente de programmes immobiliers qui lui est confiée ". Au-delà du pouvoir de négociation qui est expressément stipulé, la clause ajoute que " En fonction de l'offre disponible, le mandataire pourra autoriser le mandataire à présenter aussi l'offre du mandant à sa propre clientèle ".

Au surplus, la mission de prospection ayant pour objet d'apporter de nouveaux clients au mandant, la cour constate que la société Eco Patrimoine produit en pièce n°33 un support de présentation se rapportant à une réunion organisée par la société Primaxia pour les CIAP, le 9 septembre 2014, dont il ressort que le mandant a demandé à ces derniers d'assurer " 2 interventions réseau et une conférence clients par DEC ", de " former tous les nouveaux CGP ' de son secteur, de " descendre les portefeuilles des CC PRO et BG de son secteur pour détecter les prospects éligibles ". Dans le courriel du 22 septembre 2014 accompagnant ce support de présentation, M. [H], représentant de la société Primaxia, confirme la nécessité pour les CIAP d'intervenir auprès des conseillers en gestion de patrimoine : " Agissez auprès des CGP afin que les fiches clients soient systématiquement créées (') Animez le RSO (') Accompagnez vos CGP dans l'animation du marché BG (') Identifiez les clients potentiels avec les CC (') 84 clients de la DR ont acté entre 2004 et 2008, objectif : les rencontrer. En pièce jointe, vous trouverez les clients du portefeuille ".

Ces actions ont bien pour finalité d'accroître la clientèle du mandant. La société Eco Patrimoine produit des supports de formation relatifs à l'investissement immobilier patrimonial et au dispositif de la loi Pinel, ainsi que de nombreux emails se rapportant à sa participation à des réunions de présentation de la société Primaxia et des programmes immobiliers commercialisés à la clientèle de la Société Générale, notamment le 4 octobre 2014, le 18 mai 2017, le 11 mai 2018 ou aux conseillers en gestion de patrimoine, comme le 6 septembre 2016, le 29 mars 2017, ou encore à l'occasion des mails des 19 février 2015 et 1er février 2018.

Comme le soutient la SGIP, les conseillers en gestion de patrimoine ne sont certes pas des prospects, néanmoins, il est constant qu'en application du contrat, la société Eco Patrimoine avait pour mission de réaliser des ventes de biens immobilier avec les clients que ces conseillers devaient lui adresser. Il est indéniable qu'en intervenant auprès des conseillers en gestion de patrimoine, la société Eco Patrimoine a contribué activement à la recherche et au développement de la clientèle de la société Primaxia, devenue SGIP. Au surplus, comme indiqué précédemment, la société Eco Patrimoine établit avoir participé à des réunions directement avec les clients des banques partenaires (cf courriels des 19 mai 2017 et 9 mai 2018).

Dans ces conditions, il ne peut être contesté que la société Eco Patrimoine disposait d'un pouvoir de prospection.

Concernant le pouvoir de négociation, comme indiqué précédemment, le contrat de mandat conclu le 20 août 2012 entre les parties stipule que " Le mandant charge le mandataire de négocier pour son compte avec les clients qu'il lui adressera, la vente de programmes immobiliers qui lui est confiée ". La société Eco Patrimoine communique en pièce n°32 un échange d'emails intervenu entre elle et la société Primaxia, dans le cadre duquel elle a demandé et obtenu du mandant une réduction de prix au bénéfice d'un client, afin de parvenir à la conclusion de la vente. Si le mandataire ne pouvait manifestement décider seul de remises accordées aux prospects, il n'en demeure pas moins qu'il a entrepris des négociations portant sur les conditions financières de l'opération, afin de favoriser la vente. L'intimée communique également des courriels, notamment ceux des 3 décembre 2013, 7 et 16 octobre 2015 établissant qu'elle négociait le montant de sa commission pour parvenir à finaliser la transaction.

Au surplus, il n'est pas discuté que la société Eco Patrimoine avait pour mission de présenter aux prospects l'offre immobilière de la société Primaxia, de sélectionner au sein de ce panel de biens immobiliers, celui ou ceux correspondant le mieux à la situation et aux attentes des investisseurs sur les plans financier et fiscal, puis de convaincre les clients potentiels de conclure la vente. L'intimée communique d'ailleurs en pièces n°44 et 45, notamment, des emails des 28 février et 7 juin 2018 qui confirment le travail d'étude et de sélection opéré par le CIAP dans l'offre immobilière de la société Primaxia afin de trouver le produit le plus adapté aux capacités et attentes du client. Alors que la faculté de modifier les conditions des contrats et/ou les prix n'est pas indispensable à la caractérisation du pouvoir de négociation, il apparaît en l'espèce que la société Eco Patrimoine disposait effectivement d'un tel pouvoir dans le but de développer la clientèle de la société Primaxia.

En conséquence et par confirmation du jugement, il doit être considéré que le statut d'agent commercial est applicable à la société Eco Patrimoine.

Sur l'indemnisation consécutive à la rupture du contrat d'agent commercial

La SGIP conteste le quantum de la demande de dommages et intérêts, indiquant que l'usage consistant à évaluer l'indemnité de cessation de contrat à deux années de commissions brutes et acquises évaluées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat, ne lie pas le juge et qu'elle ne saurait en l'espèce excéder 6 mois au regard du caractère particulièrement avantageux du contrat de mandat ayant permis à la société Eco Patrimoine de bénéficier de la clientèle apportée par la société Primaxia. L'appelante ajoute que les opérations immobilières conclues n'avaient pas vocation à se renouveler avec les mêmes clients.

La SGIP conteste tout manquement à l'obligation de bonne foi et de loyauté. Elle fait valoir que l'obligation contractuelle figurant à l'article 4 du contrat n'est qu'une obligation de moyens. L'appelante explique que le référencement de nouveaux salariés Primaxia auprès des agences de la banque partenaire n'a été mis en place, dans chacun des secteurs concernés, qu'au terme des contrats de mandat conclus avec les CIAP et qu'il a été clairement exposé aux conseillers en gestion de patrimoine de ces différentes agences bancaires la nécessité de poursuivre leur collaboration avec les différents CIAP référencés jusqu'au terme de leur mandat. La SGIP affirme ainsi que jusqu'au terme de son mandat, soit jusqu'au 19 août 2018, la société Eco Patrimoine n'a été mise en concurrence avec aucun nouveau salarié de la société Primaxia.

La société Eco Patrimoine répond que le droit à indemnisation est d'ordre public en application de l'article L.134-12 du code de commerce et que l'indemnité est habituellement et de longue date, évaluée par la jurisprudence à une somme équivalente à deux années de commissions brutes, ce qui correspond à une juste évaluation du dommage. Cependant, elle reproche aux premiers juges d'avoir pris en compte, comme base de calcul de son préjudice, l'année 2018, au regard de l'exécution déloyale de ses obligations contractuelles par la société Primaxia en 2018. Elle réclame une somme de 168.121 € sur la base des années 2016 et 2017.

La société Eco Patrimoine demande par ailleurs à la cour de lui allouer une indemnité de 6.377,66 € de dommages et intérêts du fait de la baisse drastique du nombre de clients qui lui ont été adressés à compter de l'annonce par la SGIP de la résiliation aux conseillers en gestion de patrimoine des agences Société Générale. Elle considère que le mandant a manqué à son obligation de loyauté en ne lui permettant pas d'exécuter normalement son mandat.

*****

Sur l'indemnité compensatrice

Comme rappelé précédemment, en application de l'article L.134-12 du code de commerce, l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Il est d'usage que cette indemnité soit évaluée sur la base de deux années de commissions brutes calculées à partir de la moyenne des trois dernières années d'exécution du contrat.

L'indemnité prévue à l'article L.134-12 du code de commerce a pour objet la réparation du préjudice qui résulte, pour l'agent commercial, de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

La SGIP soutient que la société Eco Patrimoine n'a ni prospecté, ni fidélisé de clientèle pour la société Primaxia, compte tenu de l'apport de clientèle et de la nature des biens proposés.

Cependant, pour les motifs précités, la société Eco Patrimoine a usé de son pouvoir de prospection afin de développer la clientèle de la société Primaxia, qui doit être distinguée de celle des agences bancaires. Si les clients de la société Primaxia étaient effectivement ceux des agences bancaires, il n'en demeure pas moins que par l'action de prospection de la société Eco Patrimoine, soit par l'intermédiaire des conseillers en gestion de patrimoine, soit directement auprès des clients des agences bancaires, a contribué au développement de la clientèle de la société Primaxia. Par ailleurs, la notion de fidélisation de la clientèle doit, en l'espèce, être appréhendée par rapport au marché particulier de l'investissement immobilier neuf. Il doit en outre être souligné qu'à l'occasion des ventes, le prêt immobilier proposé était émis par la Société Générale, contribuant ainsi à la fidélisation de la clientèle du groupe auquel appartient la SGIP, anciennement dénommée Primaxia. Enfin, il ne peut être contesté que du fait de la rupture du mandat, la société Eco Patrimoine n'a plus été en mesure de bénéficier des prospects provenant des agences bancaires de la Société Générale, banque partenaire de la SGIP.

Néanmoins, il ne peut être occulté que le partenariat existant entre la société Primaxia et la banque Société Générale, a facilité le travail de prospection, puisqu'une grande part du travail de prospection a été effectué par le CIAP auprès des CGP, professionnels, titulaires de portefeuilles clients, et non directement auprès de tous les clients des agences bancaires.

La société Eco Patrimoine communique une attestation de son expert-comptable, la société Socomex, du 23 février 2022, dont il ressort que le chiffre d'affaires HT réalisé par l'intimée du fait des prestations accomplies pour le compte de la société Primaxia s'est élevé en 2016 à la somme de 92.014 €, en 2017 à la somme de 76.107 € et en 2018 à la somme de 34.877 €.

La société Eco Patrimoine demande à la cour d'écarter l'année 2018 de l'assiette de calcul du montant moyen de ses commissions, au regard de la baisse anormale d'activité qu'elle impute à la société Primaxia.

Le mandat liant les parties a pris fin le 20 août 2018, de sorte que le chiffre d'affaires de l'année 2018 se rapporte à 8 mois d'activité et non 12. Néanmoins, il apparaît que le montant des commissions n'a atteint que 70 % du montant des commissions de l'année 2017 proratisé sur 8 mois. La société Eco Patrimoine justifie avoir, par mail du 13 avril 2018, interpellé en ces termes la société Primaxia sur sa baisse d'activité liée à l'interrogation des CGP à la suite de la notification par le mandant de la résiliation des contrats des CIAP :

" Je me permets de vous interroger suite à l'information de la rupture de nos mandats lors de la réunion téléphonique du 22 mars.

Les conseillers de la Société Générale ont été informés de la modification de l'organisation commerciale (mis à part les conseillers en banque privée).

Ils s'interrogent sur le fait de pouvoir nous envoyer des contacts, et jusqu'à quel moment.

Et actuellement, je ne sais pas quoi leur répondre car je n'ai pas la date de mon préavis. Je ne sais pas si mon contrat s'arrête dans un mois ou à la fin d'année.

Dès lors, les conseillers hésitent à me solliciter car, si mon contrat s'arrête rapidement, ils ne souhaitent pas me confier la relation.

Vous est-il possible de me communiquer la date probable d'envoi du courrier m'informant de la rupture du mandat nous liant, ainsi que de la durée du préavis '

Je vous remercie de votre retour, qui me permettra d'assurer une continuité dans mon activité".

En l'absence de réponse à ce courriel, la société Eco Patrimoine a, par courrier du 2 août 2018, à nouveau alerté la société Primaxia à propos de l' " effondrement des opérations commerciales et commissions " constaté depuis plusieurs mois.

Par courriel en réponse du 3 août 2018, le directeur général de la société Primaxia, M. [N], s'est contenté d'indiquer à la société Eco Patrimoine que le nom de son successeur lui serait rapidement communiqué et de le remercier pour son investissement jusqu'au terme du mandat.

Si la société Primaxia soutient avoir demandé aux conseillers en gestion de patrimoine de maintenir leur activité auprès des CIAP jusqu'à l'issue de leur contrat et n'avoir référencé les nouveaux salariés Primaxia qu'à l'issue des contrats de mandat des CIAP, ces affirmations ne sont étayées par aucun élément probant, l'appelante ne justifiant pas de la diffusion aux conseillers en gestion de patrimoine du " projet d'internalisation des forces de vente " produit en pièce n°15. La cour constate qu'il n'a pas été répondu à l'alerte émise par la société Eco Patrimoine à deux reprises et que son chiffre d'affaires en 2018 révèle une baisse effective de son activité par rapport à 2017.

En conséquence, la cour retiendra pour l'année 2018 le chiffre d'affaires de 2017, proratisé aux 7 mois et 20 jours d'activités.

Le chiffre d'affaires des 3 dernières années s'établit donc comme suit :

2015 (du 20 août au 31 décembre) : 3.964 €

2016 : 92.014 €

2017 : 76.107 €

2018 (jusqu'au 20 août 2018) : 48.565 €

Soit un montant annuel moyen de : 73.550 €.

Compte tenu de ces éléments et des circonstances de l'espèce, notamment de la durée de la relation contractuelle, il convient d'allouer à la société Eco Patrimoine une indemnité compensatrice d'un montant de 65.000 €.

Sur l'exécution déloyale du contrat par le mandant

L'article L.134-4 du code de commerce dispose que : " Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat ".

Pour les motifs précités, il est établi que la société Primaxia n'a pas mis la société Eco Patrimoine en mesure d'exécuter son mandat, caractérisant ainsi une exécution déloyale du contrat.

La société Eco Patrimoine sollicite une somme de 6.377,66 € de dommages et intérêts au titre des commissions perdues pendant la période de préavis de 3 mois.

Cependant, le préjudice subi par la société Eco Patrimoine ne peut correspondre qu'à une perte de chance de réaliser le chiffre d'affaires escompté pendant le préavis.

Au regard des éléments de la procédure, il sera alloué à la société Eco Patrimoine une somme de 5.000 € au titre des commissions perdues pendant le préavis.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la solution du litige, le jugement entrepris sera confirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.

Par ailleurs, la SGIP qui succombe à titre principal, supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions relatives au quantum de l'indemnité compensatrice et à la demande indemnitaire au titre des commissions perdues pendant le préavis,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne la Société Générale Immobilier Patrimonial à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 65.000 € à titre d'indemnité compensatrice ;

Condamne la Société Générale Immobilier Patrimonial à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 5.000 € au titre des commissions perdues pendant le préavis ;

Condamne la Société Générale Immobilier Patrimonial aux dépens d'appel ;

Condamne la Société Générale Immobilier Patrimonial à payer à la société Eco Patrimoine la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.