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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 23 janvier 2024, n° 21/00571

ORLÉANS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Maisons Pierre (SAS)

Défendeur :

Revision Commissariats aux Comptes (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Conseillers :

M. Sousa, Mme Grua

Avocats :

Me Gatefin, Me Levy, Me Desplanques, Me Siu Billot, Me Laval, Me Delhomme

TJ Orléans, du 3 février 2021

3 février 2021

FAITS ET PROCEDURE :

Par jugement en date du 20 janvier 2012, le tribunal de commerce de Paris, saisi sur assignation de la société Maisons Pierre, a :

- dit que les sociétés Constructions Traditionnelles de Val-de-Loire (ci-après CTVL) et Fousse Constructions ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Maisons Pierre,

- condamné in solidum les sociétés CTVL et Fousse Constructions à payer à la société Maisons Pierre la somme de 1 540 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de préjudices subis,

- condamné in solidum les sociétés CTVL et Fousse Constructions à payer à la société Maisons Pierre la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les sociétés CTVL et Fousse Constructions de leurs demandes reconventionnelles et la société Maisons Pierre de toutes autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum les sociétés CTVL et Fousse Constructions aux dépens.

Par arrêt du 27 février 2013, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement, débouté les sociétés CTVL et Fousse Constructions de leurs demandes de dommages et intérêts et condamné la société Maisons Pierre à payer aux sociétés CTVL et Fousse Constructions la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens. 

La société Maisons Pierre a formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 20 mai 2014, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il a rejeté les demandes formées par la société Maisons Pierre au titre du parasitisme contre les sociétés CTVL et Fousse Constructions, et a renvoyé la cause et la partie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Le 28 juillet 2014, les sociétés CTVL et Fousse Constructions ont saisi la cour d'appel de renvoi.

Par ordonnance du 30 avril 2015, le premier président de la cour d'appel de Paris a rejeté leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement du 20 janvier 2012.

Par ordonnance sur incident rendue le 19 novembre 2015, la radiation du rôle de l'affaire a été ordonnée pour défaut d'exécution du jugement de première instance.

L'affaire n'a pas été réinscrite devant la cour d'appel de renvoi.

Par jugement du 21 avril 2016, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard des sociétés CTVL et Fousse Constructions, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement rendu le 19 mai 2016. Par jugement rendu le 22 novembre 2017, la date de cessation de paiement des deux sociétés a été reportée au 31 décembre 2014.

Par actes d'huissier en date des 24 et 30 mai 2017, la société Maisons Pierre a fait assigner la société Révision Commissariats aux comptes (Revcom), commissaire aux comptes de la société Fousse Constructions, et M. [I] [U], commissaire aux comptes de la société CTVL, en responsabilité devant le tribunal de grande instance d'Orléans.

Par jugement en date du 3 février 2021, le tribunal judiciaire d'Orléans a :

- déclaré recevable l'action en responsabilité diligentée par la société Maisons Pierre à l'encontre de la société Révision Commissariats aux comptes et de M. [I] [U] par actes d'assignation délivrés le 24 mai 2017 et le 30 mai 2017 mais irrecevables les demandes de la société Maisons Pierre à l'encontre de la société Révision Commissariats aux comptes concernant les faits antérieurs au 24 mai 2014 et celles à l'encontre de M. [I] [U] concernant les faits antérieurs au 30 mai 2014 ;

- dit que la responsabilité professionnelle de la société Révision Commissariats aux comptes, en sa qualité de commissaire aux comptes de la société Fousse Constructions, et de M. [I] [U], en sa qualité de commissaire aux comptes de la société Constructions Traditionnelles de Val-de-Loire ne peut être engagée à l'égard de la société Maisons Pierre ;

- débouté la société Maisons Pierre de ses demandes aux fins de condamner in solidum la société REVCOM et M. [I] [U] à lui payer la somme de 200 000 euros en réparation de la perte de chance d'adapter les mesures d'exécution à la santé financiere réelle des sociétés CTVL et Fousse Constructions, la somme de 75.000 euros en réparation des frais engagés pour suivre les procédures d'exécution forcée, et la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- débouté M. [I] [U] de sa demande aux fins de condamner la société Maisons Pierre à lui verser une indemnité de 30 000,00 euros pour procédure abusive ;

- condamné la société Maisons Pierre à payer à la somme de 5 000,00 euros à la société REVCOM et la somme de 5 000,00 euros à M. [I] [U] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Maisons Pierre au paiement des entiers dépens de la présente instance ;

- accordé à la SCP Laval-Firkowski et à la SCP Wedrychowski & Associés, avocats au barreau d'Orléans, en application de l'article 699 du code de procédure civile, le droit de recouvrer directement contre la société Maisons Pierre, condamnée aux dépens, ceux des dépens dont elles ont fait l'avance sans avoir reçu provision ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration en date du 22 février 2021, la société Maisons Pierre a relevé appel de l'intégralité des chefs de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [I] [U] de sa demande aux fins de condamner la société Maisons Pierre à lui verser une indemnité de 30 000,00 euros pour procédure abusive.

Les parties ont constitué avocat et ont conclu.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 27 mai 2022, la société Maisons Pierre demande à la cour de :

- déclarer la société Maisons Pierre bien fondée en son appel,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société Maisons Pierre ; débouté la société Revcom et M. [I] [U] de leur demande en procédure abusive ;

- l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau :

- déclarer non prescrites l'ensemble des demandes de la société Maisons Pierre ;

- condamner in solidum la société Revcom et M. [I] [U] à payer à la société Maisons Pierre la somme de :

o 200 000 euros en réparation de la perte de chance d'adapter les mesures d'exécution à la santé financière réelle des sociétés Ctvl et Fousse Constructions ;

o 75 000 euros en réparation des frais engagés pour suivre les procédures d'exécution forcée ;

o 25 000 euros en réparation du préjudice moral ;

- débouter la société Revcom et M. [I] [U] de lintégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner in solidum la société Revcom et M. [I] [U] à payer à la société Maisons Pierre la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 11 août 2022, M. [I] [U] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 3 février 2021 en ce qu'il a rejeté les prétentions de la société Maisons Pierre formées à l'endroit de M. [U] ; condamné la société Maisons Pierre à payer à la somme de 5 000 euros à la société REVCOM et la somme de 5 000 euros à M. [U] en application de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné la société Maisons Pierre au paiement des entiers dépens de la présente instance,

A titre incident,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 3 février 2021 en ce qu'il a déclaré recevable l'action en responsabilité diligentée par la société Maisons Pierre à l'encontre de M. [U] par acte d'assignation délivré le 30 mai 2017 ; débouté M. [U] de sa demande aux fins de condamner la société Maisons Pierre à lui verser une indemnité de 30 000 euros pour procédure abusive ;

En conséquence, statuant à nouveau :

A titre principal,

- juger irrecevable la société Maisons Pierre en ses prétentions à l'encontre de M. [U] à raison du défaut de qualité pour agir et de la prescription,

A titre subsidiaire,

- juger la société Maisons Pierre mal fondée en ses prétentions à l'encontre de M. [U],

- juger que la société Maisons Pierre n'établit à l'encontre de M. [U] aucun grief ni aucun préjudice en relation causale,

En tout état de cause,

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions ainsi que tout appel incident formés à l'encontre de M. [U],

- condamner la société Maisons Pierre à payer à M. [U] une somme de 30 000 euros pour procédure abusive,

- condamner la société Maisons Pierre à payer à M. [U] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Maisons Pierre aux dépens dont distraction au profit de la SCP Valérie Desplanques en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 5 août 2021, la société Révision Commissariats aux comptes demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Orléans du 3 février 2021, en ce qu'il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de la société Maisons Pierre à l'encontre de la société Révision Commissariat aux comptes (REVCOM) concernant les faits antérieurs au 24 mai 2014 ; dit que la responsabilité professionnelle de la société Révision commissariat aux comptes (REVCOM), en sa qualité de commissaire aux comptes de la société Fousse constructions, ne peut être engagée à l'égard de la société Maisons Pierre, puisqu'il n'existe aucun lien de causalité entre les griefs émis à l'encontre des commissaires aux compte et les préjudices prétendument subis par l'appelante ; débouté la société Maisons Pierre de ses demandes aux fins de condamner in solidum la société REVCOM et M. [U] à lui payer la somme de 200 000 euros en réparation de la perte de chance d'adapter les mesures d'exécution à la santé financière réelle des sociétés CTVL et Fousse construction, la somme de 75 000 euros en réparation des frais engagés pour suivre les procédures d'exécution forcée, et la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral ; débouté par conséquent la société Maisons Pierre de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Orléans du 3 février 2021, en ce qu'il a jugé recevable l'action en responsabilité diligentée par la société Maisons Pierre, alors qu'elle ne démontre pas en quoi le préjudice qu'elle prétend avoir subi serait distinct du préjudice collectif des créanciers inhérent à la procédure collective.

Et statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable l'action en responsabilité diligentée par la société Maisons Pierre, pour défaut de qualité à agir.

En tout état de cause :

- condamner la société Maisons Pierre à verser à la société REVCOM, la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la SCP Laval - Firkowski, conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2023.

MOTIFS

1 - Sur la qualité pour agir de la société Maisons Pierre

Moyens des parties

M. [U] fait valoir que la demande en responsabilité dirigée contre lui est irrecevable en ce que la société Maisons Pierre n'a pas qualité pour agir, en application de l'article L.622-20 du code de commerce, au terme duquel le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seule qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, faute pour elle d'établir un préjudice distinct de celui des autres créanciers de CTVL et Fousse Constructions. Elle relève que la société Maisons Pierre revendique la condamnation de M. [U] au montant des créances qui n'ont pas pu être recouvrées auprès de la société CTVL du fait de la disparition du gage commun résultant de la déconfiture de celle-ci, de sorte qu'il s'agit d'un préjudice consécutif à l'insolvabilité du failli qui n'est pas distinct de celui qu'ont subi les autres créanciers de la société CTVL et de la société Fousse Constructions.

La société Revcom soulève également l'irrecevabilité de l'action de la société Maisons Pierre en application de cet article, la société Maisons Pierre ne démontrant pas en quoi son préjudice serait distinct du préjudice collectif des créanciers inhérent à la procédure collective.

La société Maisons Pierre répond :

- que la Cour de cassation, depuis 2015, a réduit considérablement l'ampleur de la notion de préjudice collectif ;

- que le préjudice dont elle demande réparation est distinct de celui des autres créanciers, l'action intentée contre les commissaires aux comptes ne visant pas à leur reprocher d'être à l'origine de l'état de cessation des paiements des sociétés CTVL et Fousse Constructions, mais d'avoir commis des fautes dans leur mission de certification qui l'ont empêchée d'adapter, comme elle aurait pu le faire à défaut, les mesures d'exécution dont elle disposait. Le fait que les deux sociétés aient été placées en procédure collective importe peu, et le prejudice dont elle demande réparation, à savoir la perte de chance d'avoir pu adapter les mesures d'exécution à la réalité des bilans financiers des sociétés CTVL et Fousse Constructions, n'a rien de commun avec les autres créanciers. Elle ne poursuit pas contre les commissaires aux comptes l'exécution du jugement du 20 janvier 2012 mais leur condamnation à des dommages et intérêts d'un montant de 200 000 euros en raison d'une perte de chance, de sorte qu'elle n'agit pas pour se faire indemniser d'un préjudice résultant de la procédure collective.

Réponse de la cour,

En application de l'article L.622-20 du tribunal de commerce :

« Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seule qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Le mandataire judiciaire a qualité pour mettre en demeure un associé ou un actionnaire de verser les sommes restantes dues sur le montant des parts et actions souscrites par lui.

Le mandataire judiciaire communique au juge-commissaire et au ministère public les observations qui lui sont transmises à tout moment de la procédure par les contrôleurs.

Les sommes recouvrées à l'issue des actions introduites par le mandataire judiciaire ou, à défaut, par le ou les créanciers nommés contrôleurs, entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l'entreprise selon les modalités prévues pour l'apurement du passif ».

En application de ce texte, seul le représentant des créanciers a qualité pour agir dans l'intérêt collectif des créanciers.

Un créancier ne donc peut agir que s'il justifie d'un préjudice personnel, distinct de celui des autres créanciers. Il est donc nécessaire de déterminer si le préjudice invoqué par la société Maisons Pierre est un préjudice qui lui est personnel, distinct du préjudice collectif des créanciers.

L'action en l'espèce diligentée par la société Maisons Pierre est une action en responsabilité diligentée contre un tiers, le commissaire aux comptes en charge du contrôle des comptes des sociétés CTVL et Fousse Constructions, action qui vise à réparer le préjudice subi par la société Maisons Pierre en raison des fautes qu'il leur reproche d'avoir commis dans l'exercice de leur mission, et qui l'ont conduit à apprécier de façon inadaptée les mesures d'exécution d'une décision de justice, rendue à son bénéfice, ce qui l'a privée de la possibilité de voir exécuter cette condamnation dans des proportions plus importantes. Il ne leur est pas reproché d'avoir contribué à la constitution du passif de ces sociétés et à leur mise en liquidation judiciaire ni demandé d'acquitter une créance impayée puisque ce sont des dommages et intérêts qui leur sont réclamées en raison des conséquences, propres à la société Maisons Pierre, des manquements qui leur sont reprochés.

Ce préjudice, qui consiste donc dans la perte de chance de diligenter plus tôt des actes d'exécution d'un jugement adaptés à la situation réelle de ces sociétés et d'obtenir le recouvrement d'une somme plus importante, est un préjudice personnel à la société Maisons Pierre, distinct du préjudice collectif des créanciers né du défaut de paiement des dettes sociales inhérent à la procédure collective et est étranger à la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de l'application de ce texte.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

Moyens des parties,

M. [U] fait valoir que les faits antérieurs au 30 mai 2014 sont prescrits. Il expose en effet que les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent « par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été révélé, à compter de sa révélation », que le délai de prescription court à compter de la certification des comptes lorsqu'il leur est reproché d'avoir délivré une certification erronée, que seule une dissimulation intentionnelle permet de reporter le point de départ de ce délai, dissimulation non établie en l'espèce de sorte que l'acte introductif d'instance lui ayant été signifié le 30 mai 2017, les faits antérieurs au 30 mai 2014 sont prescrits.

La société Revcom estime également que l'assignation lui ayant été délivrée le 24 mai 2017, tout fait antérieur au 24 mai 2014 est prescrit, à défaut de toute volonté de dissimulation de sa part, de sorte que le délai triennal a couru à compter des rapports de certification, exercice par exercice.

La société Maisons Pierre répond qu'il s'agit d'un délai continu, avec faute dommageable qui s'inscrit dans la durée, de sorte qu'en application de l'article 2224 du code civil, son action n'est pas prescrite. Elle ajoute que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les commissaires aux comptes ont commis des dissimulations qui retardent le point de départ du délai de prescription.

Réponse de la cour

En application de l'article L.822-18 du code de commerce :

« Les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254 ».

L'article L. 225-254 auquel il renvoie dispose :

« L'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié crime, l'action se prescrit par dix ans ».

Le délai de prescription de l'action en responsabilité engagée contre un commissaire aux comptes court donc, lorsqu'il lui est reproché un manquement dans la certification des comptes, à compter de la certification des comptes litigieux. Lorsque la même erreur a été réitérée d'exercice en exercice, chaque erreur doit être considérée comme une faute nouvelle (Com., 27 sept. 2017, n° 16-17.725).

Il est exact que le délai de prescription ne court qu'à compter de la date de révélation du fait dommageable si celui-ci a été dissimulé. Toutefois, la dissimulation susceptible de lui être imputable, pour retarder le point de départ de la prescription, doit émaner du commissaire aux comptes lui-même et non d'un tiers, et implique que soit établie de sa part l'intention de camoufler volontairement des éléments qu'il savait devoir révéler et donc la volonté d'éviter que ses clients ou des tiers prennent connaissance d'un élément qui aurait dû être porté à leur connaissance (Cass. com., 28 juin 2005, pourvoi n° 03-11.207). Une simple négligence ne permet donc pas de différer le point de départ du délai de prescription. La certification pure et simple de comptes irréguliers, même si elle a pu retarder la prise de conscience de la victime, ne saurait équivaloir à une manœuvre dissimulatrice si le demandeur est dans l'incapacité de démontrer que le fait dommageable a été délibérément voilé (Cass. com., 17 déc. 2002, Sté Gang c/ X). Au caractère erroné et fautif de la certification, doivent donc s'ajouter des circonstances particulières distinctes, caractérisant la volonté du commissaire aux comptes de cacher le problème.

Or en l'espèce, il est reproché aux commissaires aux comptes :

- d'avoir manqué à leur mission de contrôle dans la mesure où dans leurs rapports afférents aux exercices 2010 à 2014, ils ne font jamais état de l'absence de provision ni de la nécessité d'en constituer une.

Une simple négligence n'est pas de nature à différer le point de départ du délai. Le délai de prescription a donc couru chaque année à compter de la certification des comptes, de sorte que la prescription est acquise à ce titre pour les comptes certifiés après le 30 mai 2014 pour M. [U], assigné en justice par acte du 30 mai 2017, et après le 24 mai 2014 pour la société Revcom, assignée par acte du 24 mai 2017 ;

- d'avoir manqué à leur mission de certification des comptes de l'exercice 2014 en certifiant les comptes de l'exercice 2014 alors qu'ils étaient irréguliers, et non sincères et fidèles ; cette certification est intervenue en juin 2015. Le délai de prescription de trois ans n'était donc pas écoulé lors de l'introduction des instances en responsabilité en mai 2017 ;

- d'avoir manqué à leurs devoirs de révélation et d'alerte en publiant depuis 2009 des comptes erronés, faute d'avoir provisionné une quelconque somme pour faire face à une condamnation éventuelle dans le cadre du litige les opposant à la société Maisons Pierre, en n'alertant pas leurs clients du risque pour la pérennité de leur société en cas de condamnation. De simples négligences ne sont pas de nature à différer le point de départ du délai, et il n'est pas justifié que ces manquements, à les supposer établis, ont été commis volontairement dans un but de dissimulation.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que l'action en responsabilité est prescrite pour les faits antérieurs au 24 mai 2014 pour la société Revcom, et au 30 mai 2014 pour M. [U].

3 - Sur les manquements reprochés aux commissaires aux comptes

Moyens des parties

La société Maisons Pierre reproche à la société Revcom et à M. [U] d'avoir commis des manquements dans le contrôle et la certification des comptes en ce que :

- ils ont manqué à leur obligation de contrôle, dans la mesure où ils ont certifié les comptes sans faire aucune observation ou réserves, en dépit de l'absence de toute provision constituée pour faire face à une éventuelle condamnation d'un montant réclamé de 15 millions d'euros, et ce même après la condamnation intervenue en 2012, en paiement d'une somme de 1,54 millions d'euros. Elle estime que compte tenu de l'absence totale de provision, et vu les montants concernés, ils ont manqué à leurs obligations légales et engagent leur responsabilité à ce titre. Elle ajoute qu'à compter de l'année 2014 les manquements sont encore plus flagrants puisque les commissaires aux comptes passent sous silence l'arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2014 et ses conséquences en fait comme en droit, dont ils avaient pourtant parfaitement connaissance puisqu'une date de plaidoirie en décembre 2015, nécessairement devant la cour de renvoi, est mentionnée dans les rapports annuels et que les attestations qu'ils ont rédigées les 9 et 10 juin 2015, produites dans le cadre d'un litige devant le juge de l'exécution, le démontrent.

- ils ont manqué à leur mission de certification des comptes, dans la mesure où les comptes donnent l'illusion de sociétés en excellente santé financière, alors qu'elles étaient, dès le 31 décembre 2014, en état de cessation des paiements ;

- ils ont manqué à leurs devoirs de révélation et d'alerte ; en effet les commissaires aux comptes auraient dû rapporter au procureur de la République le fait que des comptes erronés aient été publiés depuis 2009 en raison de l'absence de provision, ce qui est constitutif d'un délit, et ils ne justifient pas non plus avoir alerté leurs clients ou le tribunal de commerce du risque pesant sur la pérennité de ces sociétés en raison du risque de condamnation puis de la condamnation intervenue en 2012.

M. [U] répond qu'aucune faute ne peut lui être reprochée puisque :

- en application des dispositions du plan comptable général, le différend constituait une source de passif éventuel qui, en tant que tel, devait figurer en annexe et non pas faire l'objet d'une provision. Or à partir de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 février 2013, le passif ne pouvait être considéré comme certain, ni même probable, mais était simplement éventuel. L'enjeu du litige était d'ailleurs clairement exprimé dans le rapport, de sorte que le commissaire aux comptes n'avait pas à émettre une quelconque réserve. S'agissant enfin des comptes de l'année 2014, les dirigeants avaient mentionné dans l'annexe le fait qu'un pourvoi avait été interjeté par la société Maisons Pierre et que la plaidoirie était prévue en décembre 2015 et il ne pouvait suspecter l'inexactitude de cette mention.

- sur l'absence de déclenchement de la procédure d'alerte :

- la procédure d'alerte des dirigeants (art 234-1 du code de commerce) n'avait pas à être déclenchée puisque la société CTVL avait pris les mesures nécessaires pour se défendre puisqu'elle avait confié le litige à un avocat ;

- s'agissant de l'absence prétendue de révélation de faits délictueux, d'une part aucun délit n'est établi, et d'autre part la société Maisons Pierre n'est pas recevable à arguer d'un grief puisque cette procédure est destinée au Procureur de la République et ne donne lieu à aucune publicité.

La société Revcom fait valoir que la société Maisons Pierre est malvenue à lui reprocher une absence de provision des sommes qui lui ont été allouées par une juridiction, dans la mesure où elle en a été la première informée, et qu'elle était parfaitement en mesure d'évaluer le risque de non-recouvrement des sommes obtenues à l'encontre de la société Fousse Constructions, au vu de leurs montant, de sorte que leur comptabilisation à titre de provision n'y aurait rien changé. Elle rappelle que les comptes n'ont été certifiés que le 12 juin 2015, donc 4 mois après le début des saisies attribution sur les clients, et qu'il n'y avait aucune obligation de provision pour l'exercice 2013 ainsi que le rappelle M. [P], pas plus que pour l'exercice 2012 puisqu'au moment de la certification en juin 2013 l'arrêt d'appel était déjà intervenu. S'agissant de l'absence de vérification de la procédure de cassation, elle rappelle que le commissaire aux comptes n'est tenu que d'une obligation de moyens et que les subtilités procédurales d'une cassation partielle et d'un renvoi après cassation non suivi d'effet ont pu lui échapper. S'agissant du manquement au déclenchement d'une procédure d'alerte, elle rappelle que cette faute est, selon une jurisprudence constante, sans incidence sur l'éventuel retard apporté au dépôt de bilan lorsque les actionnaires connaissaient la situation de la société, et qu'à prétendre le contraire, cela ne ferait que démontrer que la société Maisons Pierre aurait de toutes façons été dans l'incapacité de recouvrer l'intégralité des sommes allouées par le tribunal de commerce, qu'on ne voit pas quel délit la société Revcom aurait dû révéler au Procureur de la République et qu'en tout état de cause, les commissaires aux comptes ne sont, là encore, tenus que d'une obligation de moyens.

Réponse de la cour,

En application de l'article L. 822-17 du code de commerce :

« Les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.

Leur responsabilité ne peut toutefois être engagée à raison des informations ou divulgations de faits auxquelles ils procèdent en exécution de leur mission.

Ils ne sont pas civilement responsables des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux, sauf si, en ayant eu connaissance, ils ne les ont pas signalées dans leur rapport à l'assemblée générale ou à l'organe compétent mentionnés à l'article L. 823-1 ».

* s'agissant des comptes antérieurs à l'exercice 2014,

Si l'action est prescrite en ce qui concerne le contrôle et la certification des comptes antérieurs à l'année 2013 (les comptes de l'exercice 2012 ayant notamment été certifiés le 12 juin 2013 par la société Revcom et le 11 juin 2013 par M. [U]), les comptes de l'exercice 2013 ont été certifiés en juin 2014 de sorte que l'action n'est pas prescrite pour les manquements afférents au contrôle de ces comptes.

Les commissaires aux comptes sont tenus de vérifier que les comptes de l'exercice sont réguliers, sincères, et propres à donner une image fidèle de l'entreprise. Ils doivent donc contrôler la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes sociaux, vérifier les valeurs et écritures comptables de la société, examiner la pertinence et la concordance avec les comptes annuels des informations figurant dans le rapport des dirigeants ou les documents adressés aux associés.

La comptabilité sociale est dite régulière lorsqu'elle a été dressée conformément aux lois en général et aux règles de la technique comptable en particulier. Le commissaire aux comptes doit s'assurer qu'ont été respectés des grands principes, au rang desquels le principe de prudence, qui est l'appréciation raisonnable des faits, afin d'éviter le risque de transfert sur l'avenir d'incertitudes présentes susceptibles de grever le patrimoine et les résultats de la société.

Le principe de prudence est prévu par l'article L. 123-20 du code de commerce qui dispose, dans sa version applicable au litige :

« Les comptes annuels doivent respecter le principe de prudence. Pour leur établissement, le commerçant, personne physique ou morale, est présumé poursuivre ses activités.

Même en cas d'absence ou d'insuffisance du bénéfice, il doit être procédé aux amortissements et provisions nécessaires.

Il doit être tenu compte des risques et des pertes intervenus au cours de l'exercice ou d'un exercice antérieur, même s'ils sont connus entre la date de la clôture de l'exercice et celle de l'établissement des comptes ».

En l'espèce, au 31 décembre 2013, la cour d'appel avait certes infirmé le jugement de première instance ayant prononcé à l'enconte des sociétés CTVL et Fousse constructions une condamnation d'1;54 millions d'euros, mais cet arrêt était frappé de pourvoi de sorte qu'il n'était pas définitif.

Il s'agissait donc, à ce stade, d'un passif éventuel, constitué d'une obligation potentielle à l'égard d'un tiers dont l'existence sera confirmée ou infirmée en raison d'événements futurs qui ne dépendant pas de la société contrôlée.

La mise en œuvre du principe de prudence justifiait de comptabiliser, dans l'exercice 2013, certifié par les commissaires aux comptes en juin 2014, une provision pour litiges compte tenu du pourvoi interjeté contre l'arrêt d'appel du 27 février 2013, qui faisait peser une incertitude sur l'issue du litige, noté d'ailleurs comme constituant un 'fait majeur' dans le bilan, et qui faisait peser sur les sociétés CTVL et Fousse constructions un risque de condamnation d'un montant conséquent compte tenu des sommes en jeu.

Si la constitution d'une provision à ce titre ne relevait pas d'une obligation comptable mais du principe de prudence, il n'en demeure pas moins que les commissaires aux comptes sont tenus de vérifier que les comptes qu'ils contrôlent respectent ce principe.

L'absence de toute provision à ce titre aurait donc dû conduire les commissaires aux comptes à faire des observations et réserves, ce qu'ils n'ont pas fait puisqu'ils ont au contraire, en dépit du litige toujours pendant à hauteur de cassation, certifié ces comptes sans réserve.

Ils ont ce faisant commis un manquement dans leur mission de contrôle des comptes de l'exercice 2013 puisque le principe de prudence prévu par l'article L. 123-20 du code de commerce n'avait pas été respecté de sorte qu'ils auraient dû émettre des réserves sur ce point lors de la certification des comptes au regard de l'absence de comptabilisation d'une quelconque provision au titre d'un litige mettant en jeu des sommes importantes.

* sur la certification des comptes de l'exercice 2014,

L'arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2014, qui a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 27 février 2013 en ce qu'il avait rejeté la demande de condamnation de la société Maisons Pierre, a donc fait revivre le jugement de première instance sur ce point de sorte la condamnation en paiement d'une somme de 1,54 millions d'euros prononcée par celui-ci s'est trouvée de nouveau exécutoire.

Cette condamnation étant assortie de l'exécution provisoire, il s'agissait d'un passif certain pour les sociétés CTVL et Fousse Constructions puisque l'échéance et le montant en était fixés de façon précise et qu'elles en étaient, jusqu'à la décision éventuelle de la cour d'appel de renvoi, qui en l'espèce n'est jamais intervenue puisque l'affaire a été radiée en 2015, effectivement redevables. Cette condamnation, qui constituait donc un passif exigible et déterminé dans son montant, aurait donc dû figurer au passif de ces sociétés à la clôture de l'exercice 2014.

Tel n'a pas été le cas.

Les comptes certifiés en 2014 ne reflétaient donc pas avec exactitude la situation de la société et dénaturaient la situation de l'entreprise puisqu’un passif exigible d'un montant de 1,54 millions d'euros avait été omis.

Les commissaires aux comptes indiquent n'avoir pas eu connaissance de cet arrêt de la Cour de cassation, et donc du caractère de nouveau exécutoire du jugement de première instance.

Toutefois, il convient de relever que :

- d'une part il est établi par les pièces produites qu'ils ont respectivement les 9 et 10 juin 2015 rédigé des attestations, qui ont été produites devant le juge de l'exécution au soutien d'une demande de délais de paiement, dans lesquelles ils indiquent que les sociétés CTVL et Fousse Constructions ne disposent pas 'd'une trésorerie leur permettant de s'acquitter d'une charge exceptionnelle telle que celle relative à la condamnation' du tribunal de commerce de Paris, ce qui tend à démontrer qu'ils savaient que cette décision était de nouveau exécutoire ; ils ne fournissent d'ailleurs pas d'explication quant aux raisons ayant présidé à la rédaction de ces attestations, lesquelles ont été produites devant le juge de l'exécution, saisi d'une demande de délais de paiement qui ne s'expliquait que parce que le jugement était de nouveau exécutoire. Ils soutiennent donc vainement qu'ils ignoraient, les 9 et 10 juin 2015, que le jugement était à nouveau exécutoire.

- mais en tout état de cause, et à supposer même qu'ils aient ignoré cette information comme ils l'affirment, il convient de relever qu'étant tenus de vérifier la sincérité et la fidélité des comptes, et ne pouvant se contenter de procéder à un contrôle de pure forme des informations reçues de la part des dirigeants, il leur appartenait de procéder aux vérifications nécessaires à l'exercice de leur mission, sans se contenter, s'agissant d'un 'fait majeur de l'exercice', d'une mention aussi floue que celle figurant dans le paragraphe 'Règles et méthodes comptables' en page 15 des comptes de l'année 2014 : « Pourvoir en cassation formé par la société Maisons Pierre à l'encontre rendu par la cour d’appel de Paris le 27 février 2013. Plaidoirie prévue en décembre 2015". Cette formule, aussi imprécise qu'ambigüe, ne pouvait rendre compte de l'état exact de cette procédure puisqu'elle ne comportait aucune précision ni sur l'objet ni sur la date de cette 'audience de plaidoirie' devant intervenir en décembre 2015, ni même sur la juridiction concernée, ce qui aurait dû les inciter à se renseigner plus avant sur l'état d'avancement de la procédure sans s'en remettre à une formule aussi lacunaire, afin de déterminer si devait être comptabilisé à ce titre un passif ou non. Il convient de relever qu'une simple interrogation des sociétés CTVL et Fousse Constructions aurait suffi à les renseigner puisque ces sociétés n'ignoraient pas l'existence de la décision de la Cour de cassation dans la mesure où elles avaient, dès le 28 juillet 2014 ainsi que mentionné dans la décision du 15 avril 2015, saisi la cour d'appel de renvoi et qu'elles avaient introduit, à la date de certification des comptes, plusieurs procédures devant la cour d'appel de renvoi et devant le juge de l'exécution (instance en suspension de l'exécution provisoire devant le Premier Président de la Cour d'appel, l'ordonnance ayant été rendue le 15 avril 2015 et en contestation de saisies-attribution, un premier jugement du JEX en date du 5 janvier 2015, confirmé en appel le 23 avril 2015, ayant validé les saisies pratiquées par la société Maisons Pierre le 26 juin 2014, puis un second, suite à une assignation du 15 avril 2015, rendu le 21 septembre 2015 ayant validé les saisies attribution pratiquées les 12, 14 et 30 mars 2015).

Ils ne pouvaient dès lors se satisfaire d'une mention aussi vague s'agissant d'un fait majeur pour ces sociétés.

- enfin, qu'en tout état de cause, et a minima, même en méconnaissance de l'arrêt de la Cour de cassation, le principe de prudence ci-dessus rappelé justifiait, en considération du pourvoi en cours faisant peser une incertitude sur l'issue de litige, et des sommes en jeu, qu'ils expriment dans leur rapport des observations et réserves concernant l''absence d'un poste 'provisions pour litige' dans leur rapport de certification de l'exercice clos le 31 décembre 2013, ce qu'ils n'ont pas fait ainsi qu'il résulte du rapport de M. [U] en date du 10 juin 2014 et du rapport de la société Revcom en date du 12 juin 2014.

Il en résulte que les commissaires aux comptes ont commis une faute en certifiant les comptes de l'exercice 2014 alors qu'ils n'étaient pas réguliers, sincères et fidèles et qui ne traduisaient pas la réalité de la situation financière de ces deux sociétés tenues de faire face à un passif exigible de plus de 1,5 millions d'euros au 31 décembre 2014. Force est d'ailleurs de constater qu'elles étaient dès le 31 décembre 2014 en état de cessation de paiement puisque la date de cessation a été reportée à cette date dans le cadre de la procédure collective ultérieurement ouverte.

* sur le manquement au devoir de révélation au Procureur et au devoir d'alerte,

La société Maisons Pierre leur reproche encore d'avoir manqué à leur devoir de révélation et d'alerte :

- d'une part en raison du non-respect de l'article L. 823-12 al.2 du code de commerce qui oblige les commissaires aux comptes à révéler au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, constitués en l'espèce par le fait pour les dirigeants d'avoir publié ou présenté aux actionnaires des comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice ;

- d'autre part en ce qu’en application de l'article L. 234-1 du code de commerce, ils auraient dû informer le président du CA ou du directoire des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, et à défaut de réponse, les inviter, par un courrier dont copie est adressé au président du tribunal de commerce, à faire délibérer le conseil d'administration ou le conseil de surveillance sur les faits relevés.

S'agissant en premier lieu du devoir de révélation au Procureur de la République, il est exact que les commissaires aux comptes ont, en juin 2015, certifié des comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine. Toutefois, ce manquement, à le supposer établi, est sans lien avec le préjudice de la société Maisons Pierre puisque c'est le Procureur qui aurait dû être alerté et non les tiers.

S'agissant en second lieu du devoir d'alerte du président d'administration ou du directoire, il résulte des éléments du dossier, et en particulier des attestations des deux commissaires aux comptes établies les 9 et 10 juin 2015, que l'existence d'un passif de 1,54 million d'euros était de nature à compromettre la pérennité des deux sociétés et aurait donc dû être porté à la connaissance du président du CA et du directoire. Ils ne justifient pas l'avoir fait.

Le fait que les sociétés CTVL et Fousse Constructions avaient déjà confié la défense de leurs intérêts à un avocat dans le cadre du litige en cours ne les dispensaient pas d'alerter les présidents du CA et du directoire sur les faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, afin qu'ils soient informés des risques que faisait peser cette procédure sur la continuité de l'exploitation.

Il s'agit donc là d'un manquement au devoir d'alerte qui leur incombait. Toutefois, cette alerte, destinée aux présidents du CA ou du directoire et dont les tiers ne sont pas bénéficiaires, n'était pas destinée aux tiers et était donc sans incidence sur les décisions et actes de la société Maisons Pierre.

Sur le préjudice et le lien de causalité,

* Sur la demande en paiement d'une somme de 200 000 euros,

Moyens des parties,

La société Maisons Pierre fait valoir que :

- les fautes commises par les commissaires aux comptes lui ont fait perdre une chance d'exécuter une décision de justice dans des conditions normales, en lui permettant d'adapter sa stratégie d'exécution à la situation financière réelle de ses débiteurs, puisque s'ils avaient exigé qu'une provision suffisante soit constituée, l'exécution de cette condamnation aurait été intégrée dans leurs bilans, permettant ainsi plus aisément son exécution spontanée d'une part, et elle aurait conduit à donner instantanément une image plus fidèle de la situation financière des sociétés CTVL et Fousse Constructions, à savoir une assise financière inquiétante, de sorte qu'elle n'aurait pas mis en œuvre des saisies-attributions coûteuses à l'encontre des sociétés CTVL et Fousse Constructions qui se sont révélées infructueuses et qui ont retardé l'exécution de la décision de justice rendue en sa faveur, et elle aurait procédé, par priorité, de façon plus massive, à des saisies-attribution auprès des clients de ces sociétés sans attendre le 12 février 2015.

- le tribunal a à tort retenu l'absence de préjudice au motif qu'elle pouvait procéder à des saisies attributions auprès de tiers avant le 12 février 2015, alors que l'exécution spontanée est le principe, et qu'en outre, la saisie de tiers devait être pratiquée en dernier recours compte tenu de l'atteinte qui en résultait à l'image des deux sociétés.

- le tribunal a à tort retenu que la perte de chance n'était pas établie dès lors qu'elle pouvait engager des mesures d'exécution dès le jugement du 20 janvier 2012, alors d'une part que cette période est selon le tribunal prescrite, alors deuxièmement que l'arrêt de cassation a ouvert de nouveaux droits de sorte que le jugement de 2012 n'a aucune conséquence sur le préjudice allégué, et alors enfin qu'elle a en réalité diligenté de nombreuses mesures d'exécution mais ne les avait pas produites en première instance, ce qu'elle fait à hauteur d'appel en tant que de besoin.

S'agissant de l'évaluation de son préjudice, elle explique qu'entre le 12 février 2015 et le 14 avril 2016, date de la procédure collective, il s'est écoulé 429 jours durant lesquels une somme de 988 400,52 euros a pu être saisie, soit une moyenne de 2303,96 euros par jour, alors que si les commissaires aux comptes avaient rempli leurs missions, la société Maisons Pierre aurait immédiatement saisi les clients dès l'arrêt de cassation, de sorte qu'elle a perdu un temps précieux d'exécution entre le 20 mai 2014 et le 12 février 2015, soit 263 jours, pendant lesquels elle aurait pu saisir environ 2303,96 euros par jour soit 605 941,48 euros au total. Elle estime qu'elle a perdu une chance de recouvrer cette somme, perte de chance qu'elle évalue à 200 000 euros.

M. [U] répond que la société Maisons Pierre ne démontre pas de préjudice en lien causal avec les fautes qu'elle lui reproche car :

1°/ la société Maisons Pierre avait connaissance de l'action qu'elle menait contre la société CTVL de sorte qu'elle disposait des éléments d'information nécessaires pour apprécier la situation financière de la société CTVL et prendre une décision éclairée, de sorte qu'elle ne peut légitimement se prévaloir du fait qu'elle ignorait le risque pesant sur cette société en raison de cette action ; la lecture des comptes lui était indifférente ;

2°/ il n'y a pas de lien chronologique entre les mesures d'exécution initiées par la société Maisons Pierre entre mai 2014 et juin 2015 et le rapport de certification du commissaire aux comptes du 17 juin 2015 sur les comptes clos au 31 décembre 2014. En effet, les informations contenues dans les rapports de certification antérieurs à l'exercice 2014 étaient sans objet puisque le passif n'était alors qu'éventuel, n'étant devenu certain qu'après l'arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2014. Et le rapport de certification du 17juin 2015 est sans lien causal avec la décision d'exécuter prise par la société Maisons Pierre dès le mois de mai 2014, ni sur les modalités d'exécution antérieures à ce rapport. Subsidiairement, contrairement à ce que soutient la société Maisons Pierre, la lecture des comptes clos au 31 décembre 2014 montre que les disponibilités sont très faibles (21 378 euros) et les créances clients (10 313 395 euros) sont très inférieures aux dettes fournisseurs (13.111 137 euros) de sorte qu'on ne pouvait pas conclure à la lecture de ces comptes que la société CTVL était en mesure de débourser 1,5 millions d'euros sans mettre en péril son activité.

3°/ il n'y avait pas de solution alternative en termes de modalités d'exécution.

Elle en déduit que la société Maisons Pierre ne démontre aucune perte de chance.

La société Revcom estime qu'il n'y a aucun lien de causalité entre les manquements allégués et les préjudices invoqués, qu'aucune provision ou procédure d'alerte n'aurait offert de chance suffisamment sérieuse à la société Maisons Pierre de recouvrer d'une meilleure façon sa créance.

Réponse de la cour,

Les commissaires aux comptes contestent l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice dont l'indemnisation est demandée et les fautes qui leur sont reprochées.

L'indemnisation d'un préjudice suppose en effet que soit rapportée la preuve d'un lien de causalité avec les fautes retenues.

Il convient dès lors de rechercher si les fautes commises par les commissaires aux comptes sont à l'origine des préjudices dont la société Maisons Pierre demande l'exécution, consistant dans la perte d'une chance de recouvrer une somme complémentaire de 605 941,48 euros.

Cette somme correspond aux sommes qu'elle aurait selon elle pu recouvrer entre le 20 mai 2014 et le 12 février 2015, en procédant par voie de saisies attribution entre les mains des tiers clients dès le 20 mai 2014 si elle avait connu dès cette date la réelle situation financière des sociétés CTVL et Fousse Constructions.

Or il convient de relever que :

- le fait pour les commissaires aux comptes d'avoir certifié le17 juin 2015 des comptes non réguliers, sincères et fidèles comme ne faisant pas apparaître un passif exigible de 1,54 millions ne peut être à l'origine de l'inadéquation des actes d'exécution antérieurs à cette date. A supposer en effet que les commissaires aux comptes aient refusé à cette date de certifier les comptes de l'exercice 2014, cela n'aurait eu aucune incidence sur les actes d'exécution auxquels la société Maisons Pierre avait procédé antérieurement, entre le mois de mai 2014 et le 12 février 2015. Elle avait en effet, en juin 2015, déjà commencé à procéder aux saisies-attribution sur les clients de sorte que la certification à cette date de comptes insincères a été sans incidence sur ses actes d'exécution.

- s'agissant de l'absence de mention d'une provision pour litiges dans les comptes de l'exercice 2013 :

- la société Maisons Pierre ne précise pas en quoi l'absence de mention dans les comptes antérieurs à 2014 d'une provision pour litiges, qui est une simple opération comptable, aurait été de nature à faciliter l'exécution de la décision ;

- en tout état de cause, l'absence de comptabilisation d'une telle provision était sans incidence sur sa connaissance de la situation financière réelle de la société puisqu'étant à l'origine du litige en cours, elle en connaissait parfaitement l'existence de sorte qu'elle connaissait parfaitement le risque qui pesait sur ces sociétés en raison de ce litige, et que l'absence de comptabilisation d'une provision dans les comptes de ces sociétés, dont elle a pu se convaincre à la lecture des comptes, n'a pas pu avoir d'incidence sur l'analyse qu'elle a faite de la situation financière réelle de ces deux sociétés.

- s'agissant enfin du manquement au devoir de révélation au Procureur de la République et d'alerte des présidents du CA ou du Directoire, il convient de relever :

- que la société Maisons Pierre ne justifie pas en quoi le manquement au devoir d'alerte du Procureur de la République ou des présidents du CA ou du Directoire, non destinées aux créanciers, a pu avoir une incidence sur ses actes d'exécution ;

- qu'en outre, ces alertes ne pouvaient être données avant la clôture de l'exercice 2014 puisque c'est à cette date que l'absence de mention d'un passif exigible dans les comptes est apparue et a révélé qu'il était de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de la société, de sorte que le fait que ces alertes n'aient pas été données est sans incidence sur les actes d'exécution auxquels il a été procédé entre mai 2014 et le 12 février 2015.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'absence de lien de causalité entre les manquements reprochés aux commissaires aux comptes et le préjudice tenant à la perte de chance de recouvrer une somme plus importante faute pour elle d'avoir procédé à des saisies attribution auprès des clients de ces sociétés entre le 20 mai 2014 et le 12 février 2015.

* s'agissant de la demande en paiement d'une somme de 75 000 euros correspondant aux frais d'huissier, d'avocat et au temps passé pour les mesures d'exécution

Moyens des parties,

La société Maisons Pierre sollicite le paiement d'une somme de 75 000 euros. Elle indique que les mesures d'exécution forcées ont donné lieu à des frais d'huissier d'un montant de 28 067,69 euros et à des frais d'avocats, ainsi qu'à un investissement en temps de la part des dirigeants de la société Maisons Pierre dont elle est fondée à demander à l'indemnisation

M. [U] sollicite le rejet de cette demande, au motif que leur quantum n'est pas établi, que les frais d'avocat ne sont pas en relation causale avec les travaux du commissaire aux comptes, étranger au différend entre la société Maisons Pierre et le groupe Fousse-CTVL, et qu'ils ne sont pas plus corrélés aux modalités de la saisie puisqu'on ne voit pas en quoi le fait de procéder à des saisies attribution plutôt qu'à des saisies de comptes bancaires influencerait le montant des honoraires d'avocat, frais d'avocat de surcroît indemnités au titre des frais irrépétibles octroyés par les juridictions parisiennes et orléanaises dans le cadre du différend avec le groupe Fousse-CTVL.

La société Revcom indique qu'il n'y a là aucun préjudice indemnisable dans la mesure où la société Maisons Pierre aurait fait face, dans tous les cas, aux mêmes difficultés de recouvrement de sa créance.

Réponse de la cour

La société Maisons Pierre justifie avoir supporté des frais d'huissier pour la mise en œuvre de mesures d'exécution. Toutefois, ces frais ne sont pas la conséquence des fautes commises par les commissaires aux comptes puisqu'il ne peut être reproché aux commissaires aux comptes le fait que les sociétés CTVL et Fousse Constructions n'aient pas exécuté spontanément les condamnations mises à leur charge, qu'elles aient refusé de le faire ou se soient trouvées dans l'impossibilité de le faire, aucune de ces deux hypothèses n'étant la conséquence des fautes commises par les commissaires aux comptes. Les mesures d'exécution auquel il a été procédé entre mai 2014 et le 12 février 2015, inadaptées à la réalité de la situation financière des sociétés CTVL et Fousse Constructions selon la société Maisons Pierre, ne peuvent en outre être la conséquence d'un défaut de certification des comptes de l'année 2014 intervenu ultérieurement, en juin 2015, et l'absence de comptabilisation d'une provision pour litiges dans l'exercice 2013 est, pour les raisons ci-dessus exposées, sans lien avec le préjudice invoqué par la société Maisons Pierre, qui connaissait l'existence du litige en cours.

Il en est de même des frais d'avocat et du temps passé par les dirigeants de la société Maisons Pierre pour l'exécution de la condamnation prononcée par le jugement de 2012, qui résultent du défaut d'exécution spontanée par les sociétés CTVL et Fousse Constructions des condamnations mises à leur charge, ce qui n'est pas imputable aux commissaires aux comptes. Ils n'auraient pas été moindres si les commissaires aux comptes avaient certifié en juin 2015 des comptes faisant apparaître le passif de 1,54 millions d'euros et si les comptes 2013 avaient intégré une provision pour litiges.

En conséquence, la demande à ce titre sera rejetée.

* S'agissant de la demande en paiement d'une somme de 25 000 euros pour préjudice moral

Moyens des parties

La société Maisons Pierre indique qu'elle pensait obtenir réparation de son préjudice après plus de sept années de procédures éprouvantes et s'est finalement trouvée dans l'impossibilité d'exécuter cette condamnation, ce qui lui cause un préjudice moral important.

M. [U] soutient que ce chef de demande n'est pas établi, ni dans son principe ni dans son quantum et qu'on ne voit pas à quel titre les travaux du commissaire aux comptes auraient été de nature à générer un préjudice moral.

La société Revcom indique qu'il n'y a pas de préjudice indemnisable dans la mesure où la société Maisons Pierre aurait fait face, dans tous les cas, aux mêmes difficultés de recouvrement de sa créance.

Réponse de la cour

L'impossibilité pour la société Maisons Pierre de recouvrer l'intégralité de sa créance n'est pas la conséquence des fautes commises par les commissaires aux comptes puisque la certification de comptes réguliers en juin 2015 et la constitution d'une provision pour risques en 2013 n'auraient pas modifié la situation financière des sociétés CTVL et Fousse Constructions, à l'origine de l'impossibilité dans laquelle elles se sont trouvées de s'acquitter de la condamnation mise à leur charge.

La demande de la société Maisons Pierre à ce titre sera rejetée.

Sur la demande de M. [U] en dommages et intérêts pour procédure abusive.

Moyens des parties

M. [U] soutient que l'action de la société Maisons Pierre à son encontre est abusive en ce qu'elle ne peut soutenir qu'elle ignorait le procès qu'elle intentait elle-même contre la société CTVL.

La société Maisons Pierre estime que le tribunal a débouté à juste titre M. [U] de sa demande à ce titre et demande confirmation du jugement à ce titre.

Réponse de la cour,

Il n'est pas démontré que l'action de la société Maisons Pierre, qui reproche à M. [U] des manquements dans l'exercice de sa mission dont certains ont été reconnus comme avérés, ait été engagée de mauvaise foi ou dans des conditions de nature à caractériser un abus dans son droit d'agir en justice.

M. [U] sera débouté de sa demande à ce titre.

Sur les demandes accessoires,

La société Maisons Pierre supportera les dépens de la procédure d'appel.

Les circonstances de la cause ne justifient pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les demandes à ce titre seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME en toutes ses dispositions critiquées le jugement entrepris ;

Y ajoutant :

REJETTE les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Maisons Pierre aux dépens de la procédure d'appel, dont distraction au profit de la SCP Valérie DESPLANQUES et de la SCP Laval-FIrkowski conformément à l'article 699 du code de procédure civile.