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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 23 janvier 2024, n° 22/01335

AMIENS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grevin

Conseillers :

Mme Leroy-Richard, Mme Dubaele

Avocats :

Me Bidart-Decle, Me Boukris, Me Poilly, Me Le Roy, Me Gorrias

T. com. Soissons, du 17 févr. 2022, n° 2…

17 février 2022

DECISION

Se prévalant de sommes impayées en exécution de différents contrats et factures, la SAS [Adresse 5] a attrait M. [L] [G] en paiement par acte du 11 mai 2020 devant le tribunal de commerce de Soissons qui par jugement contradictoire du 17 février 2022 a déclaré la SAS [Adresse 5] recevable et fondée, condamné M. [L] [G] à payer à la SAS [Adresse 5] la somme de 71'598,90 € à parfaire des intérêts au taux Refi majorés de dix points s'agissant des sommes dues au titre des deux prêts puis des intérêts au taux de 3,5 fois l'intérêt légal s'agissant des factures impayées à compter du 24 avril 2020 jusqu'à parfait paiement, débouté M. [L] [G] de ses demandes, condamné M. [L] [G] à payer à la SAS [Adresse 5] la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par déclaration en date du 24 mars 2022 M. [L] [G] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 23 octobre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, M. [L] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

- prononcer la nullité des contrats de prêt du 30 septembre 2017 et de les déclarer de nul effet ;

- l'autoriser à titre subsidiaire à se libérer de sa dette en 24 mensualités et d'assortir les condamnations d'un taux d'intérêt à 0 % ;

- assortir à titre très subsidiaire les condamnations de l'intérêt au taux légal. 

En tout état de cause de condamner la SAS [Adresse 5] à payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 21 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés la SAS [Adresse 5] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. [L] [G] de ses demandes et y ajoutant de le condamner au paiement de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

SUR CE :

Sur la demande de nullité des contrats de prêt,

M. [L] [G] soutient que la SAS [Adresse 5] est mal fondée à agir en paiement contre lui en exécution de contrats passés en 2017 destinés à restructurer d'anciens prêts souscrits en 2012, en violation du monopole bancaire de l'article L. 511-5 du code monétaire et financier et à défaut de remplir les conditions prévues par la loi en terme de durée, de nature des liens entre le prêteur et l'emprunteur et sans placer l'entreprise emprunteuse dans un lien de dépendance économique comme l'impose l'article L. 511-5 3 bis et de l'article R. 511-2-1-1.

Il fait valoir que contrairement à ce qu'a motivé le premier juge ces contrats ne se contentent pas d'accorder des délais et des ristournes mais ont servi à restructurer un prêt 'plaisir Charonne' et un autre a financé l'acquisition d'un fonds de commerce.

Enfin il affirme que ces contrats constituent une pratique restrictive de concurrence au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce dans la mesure où ils le privent de la possibilité de trouver un autre fournisseur et partant caractérisent un lien de dépendance économique mais également en le privant de la possibilité de se prévaloir du régime des prêts bancaires et notamment du devoir de mise en garde.

L'intimée fait valoir que les prêts de 2012, ayant été restructurés en 2017, ne peuvent être remis en cause à défaut notamment de subsister à la restructuration et pour M. [G] d'en avoir sollicité la nullité dans le délai de 5 ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer cette action.

Elle fait valoir que le seul fait de consentir une opération de crédit en méconnaissance du monopole bancaire n'est pas de nature à entraîner l'annulation du contrat dès lors qu'elle n'a comme but que de consentir des avances et des délais de paiement à son cocontractant qu'elle approvisionne.

Elle ajoute que ces contrats ne constituent pas une pratique restrictive de concurrence dans la mesure où la durée des prêts n'est pas disproportionnée, que les conditions sont librement négociées et précisent les modalités de résiliation, faisant observer que la durée du contrat de fourniture est calquée sur celui de prêt, circonstance qui permet au souscripteur de changer de fournisseur dès qu'il a remboursé les sommes prêtées.

Si l'article L. 511-5 du code monétaire et financier dispose qu'il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel et qu'il est, en outre, interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement, l'article L. 511-7 prévoit que ces interdictions ne font pas obstacle à ce qu'une entreprise puisse dans l'exercice de son activité professionnelle consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement.

Pour que cette exception au monopole des établissements de crédit soit applicable, il suffit qu'un lien suffisamment étroit soit établi entre un contrat commercial et l'opération en cause, laquelle peut d'ailleurs emprunter des formes variées.

Il est admis que cette disposition est de nature à couvrir de façon large les crédits consentis par un fournisseur à sa clientèle étroitement liés à l'activité commerciale, alors même qu'ils ne sont pas affectés à la couverture d'une vente précise, dès lors qu'ils constituent le complément indissociable d'un contrat commercial.

En l'espèce M. [L] [G] ne prétend au dispositif de ses conclusions qu'à la nullité des contrats passés en 2017 et non ceux de 2012 de sorte qu'il n'y a pas de discussion sur ce point contrairement à ce que développe l'intimée.

La mention de ces contrats dans les conclusions n'est faite que pour replacer la discussion dans son contexte, l'appelant ne prétendant qu'à l'annulation des contrats souscrits en 2017 dont l'objet selon lui était de restructurer les anciens.

La SAS [Adresse 5] produit :

- un contrat de prêt du 30 mars 2017 dans lequel M. [L] [G] reconnaît lui devoir une somme de 31 653,16 € et s'engager à la rembourser en 60 mensualités (5ans) de 526,56 € au taux de 0%, le dit prêt étant conditionné (article 4) à ce qu'il se fournisse exclusivement auprès du prêteur ;

- une convention jointe au contrat précédent dénommée 'contrat de fourniture de farine' ;

- un contrat de prêt de la même date que le précédent dans lequel M. [L] [G] reconnaît lui devoir une somme de 36 047,97 € dans le cadre de la restructuration d'un compte client et s'engager à la rembourser en 72 mensualités (6 ans) de 500,67 € au taux de 0 % ;

- une convention jointe au contrat, dénommée « contrat de fourniture de farine ».

Ces crédits, consentis par la SAS [Adresse 5] qui est le fournisseur de farine de M. [L] [G] qui exerce l'activité de boulanger, sont étroitement liés à l'activité commerciale et constituent le complément indissociable du contrat de fourniture, de sorte qu'ils entrent dans les exceptions de l'article L. 511-7 du code monétaire et financier.

Ces contrats constituent une participation, par la SAS [Adresse 5], au financement de l'entreprise de boulangerie de M. [G], qui accepte de se fournir en farine auprès d'elle et il s'agit d'une opération purement financière dont la licéité est établie.

Les prêts litigieux ne rentrant pas dans les catégories de prêts prévus par l'article 167 de la loi du 6 août 2015 pouvant être consentis à moins de deux ans, il ne peut leur être imposé de remplir les conditions prévues aux articles L. 511-5 3 bis et R .511-2-1-1 2° et 3° du code monétaire et financier.

Par ailleurs, outre le fait que l'emprunteur peut contester les conditions d'exécution du contrat de prêt comme peut le faire un emprunteur auprès d'un établissement financier, les termes du contrat de fourniture de farine ne caractérisent pas une pratique restrictive de concurrence dans la mesure où les contrats sont à durée déterminée et peuvent être résiliés dans le cadre d'un remboursement anticipé des sommes dues.

En conséquence les prêts consentis par la SAS [Adresse 5] étant licites, il convient de débouter M. [L] [G] de sa demande tendant à en voir prononcer la nullité.

L'appelant fait grief à la société [Adresse 5] de ne pas l'avoir placé en position de pouvoir rembourser ses prêts pour les avoir consentis en mars 2017 avec une obligation de remboursement prenant effet au mois de décembre 2016.

Les termes de ces contrats caractérisent uniquement que pour éviter une rupture d'approvisionnement et pour permettre à M. [G] de poursuivre son activité la SAS [Adresse 5] a accepté de restructurer les prêts consentis dans des conditions financières ayant pris effet antérieurement à la régularisation des conventions, de sorte qu'il ne peut en être tiré quelconque conséquence au titre de la validité des conventions.

Enfin il soutient ne devoir aucune somme au titre d'un prêt « plaisir Charonne ».

S'il ressort des pièces qu'un des prêts de restructuration a permis d'apurer un prêt « plaisir Charonne » il n'en est plus demandé paiement.

La SAS [Adresse 5] ne demandant pas le paiement de sommes en exécution d'un contrat ainsi dénommé, ce moyen est inopérant.

La SAS [Adresse 5] est en conséquence bien fondée en sa demande en paiement.

Sur le taux d'intérêt applicable et la demande d'échelonnement.

M. [G] demande à pouvoir payer les sommes dues en 24 mensualités assorties d'un taux d'intérêt à 0 %.

Il fait valoir que les sommes dues ne peuvent être assorties du taux prévu à l'article L. 440-10 du code de commerce, applicable aux sommes dues dans le cadre de factures impayées et non de contrats de prêts.

Par ailleurs il fait remarquer que les contrats prévoient des prêts à taux 0 %.

Tout au plus il demande que les sommes dues soient assorties de l'intérêt au taux légal.

La SAS [Adresse 5] demande la confirmation du jugement ayant assorti la condamnation du taux prévu à l'article L. 440-10 du code de commerce nouveau (ancien article L. 441-6 du code de commerce).

En l'espèce pour se prononcer sur le taux d'intérêt applicable à la créance dont se prévaut la SAS [Adresse 5] il convient de détailler la nature des créances dont il est demandé paiement.

Des pièces produites par la SAS [Adresse 5] il est établi que cette dernière demande le paiement de sommes dues au titre des deux prêts de restructuration consentis en 2017 et au titre de 9 factures de fourniture de farine émises entre le 25 février 2010 et le 3 janvier 2019.

Elle a assorti ces demandes de condamnation aussi bien au titre des prêts que des factures de farine du taux refi + 10 points prévu à l'article L. 440-10 du code de commerce.

Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce devenu L. 441-10, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage.

(...). Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification.

Il ressort des pièces que les tableaux d'amortissement joints aux deux contrats de prêt sont rédigés comme suit :

prêt n° 287 :

montant du prêt : 31 653,16 €

taux d'intérêt : 0 %

durée du prêt : 60 mois

prêt n° 288 :

montant du prêt : 36 047,97 €

taux d'intérêt : 0 %

durée du prêt : 72 mois.

S'agissant de prêts remboursables à taux 0 % la SAS [Adresse 5] ne peut demander l'application des dispositions de l'article L. 441-6 devenu l'article L. 441-10 se trouvant à la sous-section 2 'délais de paiement' de la section 3 relative à la facturation et aux délais de paiement du chapitre 1er intitulé de la transparence des relations commerciales, qui s'applique à la facturation des prestations et qui se retrouve dans les conditions générales de vente alors que les prêts 287 et 288 sont soumis à des conditions particulières, qu'ils sont remboursables selon un tableau d'amortissement contractuellement prévu ne donnant pas lieu à facturation.

Les sommes dues au titre des deux prêts ne pourront être assorties que de l'intérêt au taux légal.

En revanche , aux termes de l'article 5 des conditions générales de vente est prévu que tout paiement de retard donnera lieu à des pénalités calculées avec intérêt annuel égal à trois fois et demie le taux d'intérêt légal en vigueur à l'échéance. Tout mois civil commencé est dû en totalité en ce qui concerne l'intérêt. Une indemnité de 40 € pour les frais de recouvrement sera facturée en cas de dépassement des délais de paiement selon les dispositions légales.

Des pièces produites il se comprend que la créance de la SAS [Adresse 5] se décompose comme suit :

Prêt n° 287 : 29 015,36 €

Prêt n° 288 : 32 042,61 €

Factures de farine : 8 328,91 € dont à déduire un paiement de 1 000 € soit 7 328,91 €.

Frais de recouvrement 360 €

Les parties s'entendent sur le point de départ des intérêts au jour du dernier décompte soit au 24 avril 2020 comme retenu par les premiers juges rappelant que M. [L] [G] a été mis en demeure à plusieurs reprises.

La créance de la SAS [Adresse 5] en principal s'élève à 68 386,88 € outre 360 € de pénalités forfaitaires et non 71 598,90 € comme l'a retenu le tribunal de commerce car cette somme était constituée du principal et d'intérêt calculés irrégulièrement.

En conséquence il convient de condamner M. [L] [G] à payer à la SAS [Adresse 5] les sommes suivantes:

- 61 057,97 € outre intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2020,

- 7 328,91 € outre intérêt annuel égal à trois fois et demie le taux d'intérêt légal en vigueur à compter du 24 avril 2020,

- 360 € au titre des pénalités pour les factures de farine.

M. [L] [G] qui ne produit aucune pièce relative à la situation de son entreprise prive la cour de la possibilité de lui accorder un échelonnement de sa dette.

Sur les demandes accessoires,

M. [L] [G] qui succombe en majorité supporte les dépens d'appel et est condamné à payer à la SAS [Adresse 5] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant le cour. En équité il convient de limiter au même montant la condamnation à ce titre en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe ;

Confirme le jugement sauf sur le montant des condamnations en principal intérêts et frais irrépétibles.

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne M. [L] [G] à payer à la SAS [Adresse 5] la somme de 61 057,97 € outre intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2020, 7 328,91 € outre intérêt annuel égal à trois fois et demie le taux d'intérêt légal en vigueur à compter du 24 avril 2020 et 360 € au titre des pénalités pour les factures de farine ;

Déboute M. [L] [G] de sa demande d'échelonnement de sa dette ;

Condamne M. [L] [G] à payer à la SAS [Adresse 5] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et 1000 € sur le même fondement au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne M. [L] [G] aux dépens d'appel.