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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 18 janvier 2024, n° 21/19004

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cevivachia (SAS)

Défendeur :

Club La Panfoulia (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Lebée

Avocats :

Me Duffour, Me Cheviller, Me Guillemain

TJ Paris, 18e ch. 2e sect., du 7 oct. 20…

7 octobre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 1er août 2000, Mme [D], épouse [F]-[R], a donné à bail commercial à la société [8] Club La Panfoulia (la société [8]), en cours de formation, constituée entre [V] [R] et [I] [R], avec pour objet l'activité « Bar café dit « littéraire », restaurant avec licence IV, concerts instrumentaux, spectacles éventuels, librairie, édition livres et tous supports, innovations instrumentales, production musique et vidéo tous supports y compris internet » des locaux commerciaux dépendant de l'immeuble sis [Adresse 5] à [Localité 12], à usage de « Club de jazz ([8] CLUB) bar, café littéraire et musical, restaurant avec licence IV (P 12363) librairie, éditions, concerts et spectacles éventuels ' suite et continuité du [8] Club, pour une durée de neuf ans à effet au 1er août 2000, moyennant un loyer en principal de 180 000 francs, soit 27 440,82 euros, payable trimestriellement à terme.

Le 29 novembre 2002, la société [8] a consenti à la société Europia en cours de formation, représentée par ses trois associés M. [W] [J], Mme [K] [M] et M. [A] [M], une location-gérance de fonds de commerce situé [Adresse 5] à [Localité 12], moyennant le paiement du loyer et des charges, outre une redevance mensuelle de 1 525 euros hors taxes pendant six mois, puis une redevance mensuelle de 2 287 euros à compter du 1er juin 2003, pour une année à compter du 1er décembre 2002, les éléments du fonds de commerce comprenant notamment son enseigne « La Panfoulia » et le droit à licence de boissons de 4e catégorie. Le 5 décembre 2002 les parties ont signé un inventaire du matériel et des installations.

Un deuxième, puis un troisième contrat de location-gérance de fonds de commerce ont été consentis à la société Europia, représentée par M. [J], les 19 décembre 2003 et 30 novembre 2004, moyennant le paiement du loyer et des charges, la redevance mensuelle étant portée à la somme de 2 487 euros hors taxes à compter du 1er décembre 2004.

Le 15 novembre 2007, la société [8] a consenti un contrat de location-gérance de fonds de commerce à la société Sogerest, en cours d'immatriculation, représentée par ses deux associés, MM. [J] et [N], moyennant le paiement du loyer et des charges, outre une redevance mensuelle de 2 508,36 euros hors taxes à compter du 1er décembre 2007. Un deuxième, puis un troisième contrat de location-gérance de fonds de commerce ont été consentis à la société Sogerest, représentée par son gérant, M. [N], les 11 décembre 2008 et 30 novembre 2009, moyennant le paiement du loyer et des charges, outre une redevance mensuelle fixée successivement à la somme de 2 730 euros hors taxes à compter du 1er décembre 2008 et à la somme de 3 030 euros hors taxes à compter du 1er décembre 2009.

Par la suite, la société [8] a consenti à la société Somagerest, en cours d'immatriculation, représentée par son gérant, M. [J], un contrat de location-gérance de fonds de commerce le 13 novembre 2010, pour une durée de deux années s'achevant le 30 novembre 2012, moyennant le paiement du loyer et des charges, outre une redevance mensuelle de 3 100 euros hors taxes à compter du 1er décembre 2010. La locataire-gérante a bénéficié de trois autres contrats de location-gérance conclus le 27 novembre 2012, pour une durée d'un an s'achevant le 30 novembre 2013, le 30 novembre 2012, pour une durée de deux ans s'achevant le 30 novembre 2014 et le 20 novembre 2014, pour une durée d'un an s'achevant le 30 novembre 2015 et moyennant le paiement du loyer et des charges, outre une redevance mensuelle hors taxes fixée à la somme de 3 450 euros à compter du 1er décembre 2012.

Le 6 octobre 2015, la société [8] a consenti à la société CeViVaChia, en cours d'immatriculation, représentée son président, M. [J], un contrat de location-gérance de fonds de commerce, pour une durée de cinq ans avec un terme au 30 novembre 2020, moyennant une redevance mensuelle hors taxes de 4 000 euros.

Le 27 juin 2017, la société CeViVaChia a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, la société [8] et M. [V] [F]-[R] aux fins essentielles de voir ordonner la requalification du contrat de location-gérance en date du 6 octobre 2015 et reconnaître à la société CeViVaChia, la titularité d'un bail commercial avec effet au 1er décembre 2015, pour 9 ans, aux clauses et conditions contenues dans le contrat de location-gérance, à l'exception de celles qui s'avéreraient contraires à l'ordre public et dire notamment qu'en termes de loyer, celui du bail commercial sera réputé égal au seul loyer des murs, soit la somme de 34 176 euros par an.

À la suite du décès à [Localité 11], le 7 avril 2019, de [V] [F]-[R], les consorts [R], ses héritiers, sont intervenus volontairement à l'instance. Par jugement du 7 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a, en substance, déclaré recevable leur intervention, débouté la société CeViVaChia de sa demande de requalification du contrat de location-gérance du 6 octobre 2015 en bail commercial à effet au 1er décembre 2015, dit que le contrat de location-gérance du 6 octobre 2015 liant la société [8] et la société CeViVaChia avait pris fin le 30 novembre 2020 et ordonné l'expulsion de cette dernière, a rejeté la demande d'astreinte formée par les consorts [R] et la société [8] ainsi que leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, a condamné la société CeViVaChia à leur verser la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens dont la distraction a été ordonnée.

La société CeViVaChia a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 29 octobre 2021.

Par arrêt en date du 12 mai 2021, la cour d'appel de Paris avait infirmé l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris ayant condamné la société CeViVaChia à payer une provision sur les loyers, relevant qu'il y avait une contestation sérieuse sur l'exigibilité des loyers pendant la période dite Covid et une instance au fond sur la requalification du contrat de location-gérance.

La société [8] a fait procéder le 16 mars 2022 à une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la société CeViVaChia à hauteur de la somme de 141 425,25 euros TTC, le compte saisi étant créditeur à hauteur de 672 530 euros.

MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D'APPEL

Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :

Vu les conclusions récapitulatives de la société CeViVaChia, en date du 6 décembre 2023, tendant à voir la cour « ordonner » la requalification du dernier contrat en date du 6 octobre 2015 et à lui reconnaître la titularité d'un bail commercial avec effet au 1er décembre 2015, pour 9 ans aux clauses et conditions contenues dans le contrat de location-gérance, à l'exception de celles qui s'avéreraient contraires à l'ordre public résultant du droit commun du contrat de louage et du statut des baux commerciaux, dire notamment qu'en termes de loyer, celui du bail commercial sera réputé égal au seul loyer des murs, soit à la somme de 34 176 euros par an, ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par la société [8], condamner la société [8] à lui rembourser la somme de 288 000 euros en remboursement des redevances indument versées, juger que les demandes tendant à voir condamner la société CeViVaChia au paiement de sommes au titre de la redevance des murs jusqu'au 30 novembre 2020, des consommations d'eau et de la somme de 14 500 euros par mois à compter du 1er décembre 2020 sont des demandes nouvelles et partant, des demandes irrecevables, déclarer les intimés irrecevables et (sic) mal fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions, condamner les intimés solidairement au paiement d'une indemnité de 20 000 euros en remboursement des frais non taxables et en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu les conclusions récapitulatives de la société [8] et des consorts [R], en date du 6 décembre 2023, tendant à voir la cour rejeter les conclusions de la société CeViVaChia du 5 décembre 2023, à titre subsidiaire, si les conclusions n'étaient pas rejetées, se déclarer incompétent (sic) au profit du conseiller de la mise en état pour trancher sur une fin de non-recevoir, débouter, au visa des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, la société CeViVaChia de sa demande d'irrecevabilité des demandes, juger irrecevable, en toute hypothèse, mal fondé l'appel interjeté, confirmer le jugement déféré en ses dispositions ayant rejeté et débouté toutes les prétentions de la société CeViVaChia, débouter la société CeViVaChia de ses demandes, infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [8] et les consorts [R] de leur demande tendant à voir la mesure d'expulsion assortie d'une astreinte par jour de retard et de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, valider la saisie-conservatoire pratiquée sur le compte de la Banque Populaire Rive de [Localité 9], fixer l'indemnité d'occupation à compter du 1er décembre 2020 à la somme mensuelle par avance HT et HC de 14 500 euros, condamner la société CeViVaChia à payer les sommes de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts sur appel abusif, 20 000 euros au titre des frais non répétibles exposés devant la cour, 56 767,84 euros au titre de la redevance des murs, de la location-gérance et de la licence pour la période entre le 1er avril et le 30 novembre 2020 augmentés [d]es intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2021, lesquels intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, 1 605,94 euros au titre des frais de consommation d'eau non remboursés, augmentés les intérêts au taux légal à compter de la même date, lesquels intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, 14 500 euros HT/HC au titre de l'indemnité d'occupation par mois à compter du 1er décembre 2020 et jusqu'à restitution des locaux, sous déduction des paiements effectués par la société CeViVaChia depuis le 1er décembre 2020, outre le remboursement des charges et taxes telles qu'elles sont prévues au contrat de location-gérance, juger que l'intégralité des frais de saisie seront à la charge de la société CeViVaChia, ordonner son expulsion et celle de tout occupant de son chef, sous astreinte, passé le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de 5 000 euros par jour de retard et pendant 90 jours, puis de 10 000 euros par jour de retard pendant un nouveau délai de 90 jours, condamner la société CeViVaChia aux entiers dépens dont la distraction est demandée.

DISCUSSION

Les parties ont pu répliquer à leurs dernières écritures de sorte qu'il n'y a pas lieu de les écarter.

Sur l'irrecevabilité des prétentions des intimés :

L'appelante ne développant pas de moyens à l'appui de cette fin de non-recevoir formulée de façon générale, elle ne sera pas examinée.

Sur l'appel principal :

Sur l'existence du fonds de commerce donné en location :

Selon l'article 1165 du code civil dans sa rédaction alors applicable, les conventions n'ayant d'effet qu'entre les parties contractantes, ne nuisent point au tiers et ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121, non applicable en l'espèce.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, la société CeViVaChi étant une personne morale distincte des précédentes sociétés locataires-gérantes et n'allèguant pas de transmission universelle à son profit du patrimoine de ces sociétés, au demeurant liquidées et radiées, ne peut se prévaloir des droits et obligations découlant des précédents contrats consentis à ces sociétés, ni des actions judiciaires en requalification des contrats conclus les 19 décembre 2003 et 30 novembre 2004, ou en nullité de certaines clauses de ces contrats que la société Europia aurait pu éventuellement mener, la circonstance que M. [J], président de la société CeViVaChia, ait été associé des deux premières sociétés et gérant de la dernière étant indifférente.

Selon l'article L. 144-1 du code de commerce, constitue un contrat de location-gérance celui par lequel le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ou d'un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant, qui l'exploite à ses risques et périls.

Le statut des baux commerciaux est inapplicable au contrat de location-gérance.

Il appartient au loueur de démonter l'existence du fonds de commerce donné en location.

D'après le contrat de location-gérance du 6 octobre 2015 les éléments du fonds de commerce donné en location comprennent :

« - la clientèle, l'achalandage et l'enseigne La Panfoulia qui y sont attachés, le droit au bail ci-après désigné;

- le droit à la licence de boissons de 4e catégorie appartenant personnellement à M. [V] [R] ;

- l'installation, le matériel et le mobilier commercial servant à son exploitation, dont un inventaire descriptif a été dressé contradictoirement entre les parties le jour de l'entrée en jouissance et qui sera pris en charge par le locataire gérant qui en sera seul responsable. »

La société CeViVachia admet avoir bénéficié par l'effet du contrat qui lui a été consenti en 2015 d'un local commercial, d'une licence IV, d'un nom commercial, selon elle sans valeur, puisque n'ayant jamais été exploité par le prétendu bailleur, mais qu'en raison de l'absence d'achalandage, de matériels et de clientèle, le fonds de commerce donné en location n'existait pas.

Le contrat de bail et la licence sont versés aux débats.

Sur l'absence d'achalandage :

L'appelante se borne à affirmer que l'achalandage n'existait pas.

L'achalandage se définit par la partie de la clientèle de passage davantage retenue par l'emplacement du fonds de commerce que par la personne ou l'activité du commerçant. L'existence du droit au bail portant sur des locaux situé dans le coeur du quartier du Marais n'étant pas discutée par l'appelante, la question ne se distingue pas vraiment de celle de l'existence d'une clientèle propre, qui sera abordée plus bas.

Sur l'existence du matériel :

L'appelante soutient que le matériel n'existait pas, pour avoir été acquis par les précédents locataires-gérants.

Cependant, si le bailleur du fonds ne communique pas l'inventaire contradictoire du matériel et du mobilier mentionné dans le contrat du 6 octobre 2015, l'inventaire du matériel et du mobilier établi contradictoirement le 5 décembre 2002 entre M. [V] [R] et les trois associés de la société Europia est versé aux débats par la société [8].

Ce document établit que le fonds de commerce comportait à cette date le mobilier (30 tables, 63 chaises bistrot, 5 tabourets, luminaires, fauteuil, canapé..), la vaisselle (verres, assiettes, tasses, carafes, plats..), les ustensiles de cuisine (saladier, planches de travail, pèse aliments, marmites, mixeur...) ainsi que l'équipement professionnel (chambre froide, armoires frigo, congélateur, piano quatre feux, bain marie, machine à café, machine à laver le verre, machine à laver la vaisselle, caisse enregistreuse, ...) nécessaires aux activités de bar, café littéraire et musical, restaurant autorisées dans le contrat de location-gérance du 29 novembre 2002.

Aux termes du paragraphe 9 du même contrat de location-gérance du 29 novembre 2002, la locataire-gérante devait « entretenir en bon état de service le matériel et le mobilier servant à l'exploitation du fonds, particulièrement les groupes frigorifiques et la chaudière, de les rendre à la fin de la location gérance conformément à l'inventaire dressé entre les parties. Toutes les réparations d'entretien seront à sa charge même celles qui seraient rendues nécessaires par l'usure normale desdits mobiliers et matériels. » ; chacun des contrats de location-gérance consentis par la société [8], y compris celui la liant à la société CeViVaChia comporte une clause similaire à la clause 9 du premier contrat de location-gérance et renvoie à un inventaire dressé entre les parties dont aucun n'est versé aux débats par la société [8].

Pour autant, l'appelante verse aux débats une attestation de la société d'experts-comptables Gramatum, expert-comptable des sociétés Somagerest et CeViVaChia, et cinq factures établies à l'ordre de la société Sogerest et de la société Somagerest pour la période allant de 2007 à 2015 portant sur le remplacement de la chaudière existante en 2007, de la VMC de la cuisine en 2012, la pose d'une VMC dans les sanitaires en 2014, des travaux de réfection de peintures de changement de flexible et de pose d'une crédence en inox en 2015, des menus travaux électriques en cuisine pour un montant de 458,90 euros (en 2015) et cinq factures établies à son ordre datées de 2016, de 2017 et de 2018, relatives à la mise en place d'un bac à graisse, au remplacement de la tôle antidérapante ou des plaques d'inox sur la devanture, au remplacement du moteur d'extraction de la hotte et à l'achat d'une caisse enregistreuse alors qu'un tel matériel figurait bien dans l'inventaire de 2002. Ces quelques achats de matériel effectués par les différents locataires-gérants sur une période de 15 ans démontrent que le fonds de commerce était équipé de ses éléments corporels, matériel et de mobilier mis à disposition par le loueur du fonds de commerce, étant ajouté que l'appelante ne verse aux débats aucun document par lequel elle même ou l'un ou l'autre des locataires-gérants auraient enjoint au loueur de leur délivrer un fonds de commerce permettant les activités de bar, café littéraire et musical, restaurant, ou de maintenir ce fonds en état d'exploitation, par la fourniture du mobilier et du matériel nécessaires à cette activité.

Sur l'existence de la clientèle :

Il convient d'examiner si lorsque le 29 novembre 2002, la société [8], dont le gérant était M. [F]-[R], a consenti à la société Europia en formation un contrat de location-gérance, le fonds de commerce existait. En l'espèce, Mme [R] avait consenti le 1er août 2000 à la société Gills un bail portant sur les locaux pour une activité de « bar café dit littéraire, restaurant avec licence IV, concerts instrumentaux, spectacles éventuels, librairie, édition livres et tous supports, innovations instrumentales, production musique et vidéo tous supports y compris internet » , étant précisé aux termes du bail que l'activité était la continuité de celle du Gills Club exploitée dans une partie des lieux loués.

Contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, le fait, non discuté et démontré par l'extrait K versé aux débats par l'appelante, que [V] [R] ait exploité un club de jazz et littéraire sous la même enseigne depuis 1968 et qu'il ait été personnellement titulaire de la licence IV établit, comme le précise le bail consenti le 29 novembre 2002, que l'activité était, à tout le moins pour sa partie « café littéraire et musical », la continuité de celle de [V] [R], associé de la société preneuse, la circonstance qu'il ne soit pas justifié de la cession de droits éventuelle intervenue entre [V] [R] (RCS A 68 9160) et la société [8] étant indifférente à cet égard.

Le contrat de location-gérance précisait que le fonds de commerce n'était ouvert à la clientèle que depuis le 1er janvier 2002, d'importants travaux d'aménagement ayant été effectués au cours du premier exercice social, que par conséquent les chiffres de l'exercice 2001 n'étaient pas significatifs et n'étaient mentionnés ici que pour satisfaire aux obligations légales et que toutes les installations dudit fonds étaient en bon état de fonctionnement. Il énonçait que le fonds comprenait la clientèle, l'achalandage et l'enseigne La Panfoulia qui y étaient attachés, le droit au bail et le droit à la licence de boissons de 4e catégorie appartenant personnellement à M. [V] [R] ainsi que l'installation, le matériel et le mobilier commercial servant à son exploitation, dont un inventaire descriptif avait été dressé contradictoirement entre les parties le jour de l'entrée en jouissance et qui sera pris en charge par le locataire gérant qui en sera seul responsable.

Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'existence des éléments corporels du fonds de commerce est établie.

Le loueur obtenait le 22 novembre 2002, soit antérieurement à la prise d'effet du contrat, l'ordonnance prévue à l'article 144-4 du code de commerce réduisant le délai prévu à l'article 144-3, pour des raisons de santé, lesquelles ne sont pas discutées par la société CeViVaChia. Il établit, ainsi que l'a relevé le premier juge et que le soutiennent les intimés, l'existence de la clientèle et l'exploitation du fonds de commerce en produisant trois attestations établies par des personnes ayant fréquenté régulièrement le restaurant à l'enseigne « La Panfoulia » au cours de l'année 2000 et une attestation établie par un parlementaire ayant fêté sa réélection en 2002 dans cet établissement.

Il résulte de ces éléments qu'à la date de la conclusion du contrat de location-gérance les éléments corporels et incorporels constitutifs de l'existence du fonds de commerce de la société [8] existaient, étant relevé que la société CeViVaChia ne produit aucune pièce permettant de démontrer, au-delà d'affirmations de principe, que ce fonds n'avait pas été exploité entre la conclusion du bail commercial et celle du contrat de location-gérance avec la société Europia et que la clientèle aurait été créée par cette dernière. En particulier, elle ne verse aux débats aucune réclamation à cet égard de la société Europia, pas plus que des sociétés locataires-gérantes qui se sont succédées dans les lieux et ne justifie pas du remplacement du matériel dont elle allègue l'obsolescence.

Les locataires-gérants successifs ayant nécessairement restitué à l'issue de leurs contrats le fonds de commerce donné en location-gérance, la société CeViVaChia a tout aussi nécessairement bénéficié de la clientèle du fonds de commerce constituée par le bailleur dudit fonds et transmise à chacun des locataires-gérants successifs.

En outre, l'appelante ne soutient pas avoir créé la clientèle du fonds de commerce, ex nihilo, à la suite de la conclusion du contrat de location-gérance en date du 6 octobre 2015, peu important à cet égard qu'un de ses associés ait été également l'associé des autres sociétés précédemment locataires-gérantes. Il est donc établi que la société [8] a mis à la disposition de la société CeViVaChia un fonds de commerce comprenant l'ensemble des éléments corporels et incorporels pour l'exercice des activités de bar, café littéraire et musical, restaurant.

Sur le moyen tiré de l'identité du bailleur des murs et du loueur du fonds de commerce :

La société CeViVaChia soutient que la société [8] se comporte comme un simple propriétaire des murs en ne participant ni à l'aménagement du fonds et aux travaux de mise en conformité nécessaires et de sécurité prescrits par la Préfecture de police de [Localité 9] en 2007, ni au paiement des primes d'assurances, pour en déduire que, de son côté, elle agit non en tant que locataire-gérante mais en tant que preneur à bail commercial. Elle se prévaut également du paiement direct du loyer entre les mains du bailleur, de l'absence de remboursement au locataire-sortant du dépôt de garantie et de paiement de dépôt de garantie par les locataires-gérants entrants successifs, de l'absence d'état des lieux de sortie et d'entrée et d'inventaire des éléments matériels mis à disposition, révélant selon elle « l'identité parfaite entre le bailleur des murs et le bailleur du fonds » et « le caractère fictif des contrats de location-gérance ». Elle relève en outre que la société [8] a toujours laissé aux locataires-gérants successifs le soin d'assurer la continuité des contrats de travail.

Cependant, ainsi que l'a relevé le premier juge, la clause 18 du contrat du 6 octobre 2015 prévoit que la locataire-gérante doit continuer les polices d'assurances en cours, en acquitter les primes avec exactitude, la clause 12 précisant qu'il s'agit des « assurances de toute nature ». Le paiement des primes d'assurances n'excède donc pas ses obligations contractuelles.

Aux termes de la clause 8, la locataire-gérante doit entretenir à ses frais en bon état de réparations locatives les locaux où ledit fonds est exploité et les rendre à la fin de la location-gérance en conformité avec les stipulations du bail et entretenir en bon état de service le matériel et le mobilier servant à l'exploitation du fonds, les rendre à la fin de la location-gérance conformément à l'inventaire dressé entre les parties, les réparations d'entretien étant à sa charge même celles qui seraient rendues nécessaires par l'usure normale desdits mobiliers et matériels. Les factures versées aux débats par la demanderesse ne permettent pas d'établir si le remplacement de la chaudière en 2007, et de la VMC de la cuisine en 2012, la pose d'une VMC dans les sanitaires en 2014, les travaux de réfection de peintures, de changement de flexible et de pose d'une crédence en inox en 2015, les menus travaux électriques en cuisine pour un montant de 458,90 euros en 2015, le remplacement du moteur d'extraction de la hotte en 2017 excèdent l'obligation d'entretien et de réparation, y compris celles dues au titre de l'usure normale incombant aux locataires-gérants successifs aux termes des contrats les liant à la société [8]. En tout état de cause, l'éventuel manquement de la société [8] à son obligation de délivrance ou d'entretien de la chose louée résultant de l'absence de bac à graisse et d'une caisse enregistreuse conforme aux dernières réglementations, ou l'absence d'entretien des plaques de revêtement de la devanture, seules dépenses prises en charge par la société CeViVaChia, ne saurait à elle seule démontrer que la société [8] se comporte exclusivement comme le propriétaire des murs ne conférant à la société CeViVaChia que la seule jouissance de l'immeuble, et non comme un bailleur de fonds de commerce.

De même, la lettre du 18 juillet 2007 émanant de la sous-direction de la sécurité du public de la préfecture de police de [Localité 9] comportant une liste de prescriptions dont des mesures de sécurité à réaliser (justification de la mise en dépression permanente de l'espace-cuisine, mise en place d'un dispositif d'arrêt d'urgence de l'alimentation en énergie des appareils de cuisson, suppression des rideaux au droit des deux issues sur rue...) dont la demanderesse se prévaut pour justifier de l'absence d'investissements de la société [8] caractérisant selon elle, le comportement d'un bailleur de murs, a été adressée aux associés de la société Europia ; l'appelante ne justifie pas que cette lettre ait été transmise à la société [8] avec une demande de réalisation de travaux et que cette lettre ait fait l'objet d'une suite administrative. De son côté, le loueur justifie avoir fait procéder à des travaux de mise en conformité du tableau électrique du système d'éclairage et de la réfection du réseau électrique du bar et de la salle de restauration en juin 2009 lorsque ceux-ci se sont avérés nécessaires, à la demande de la locataire-gérante de l'époque.

La société CeViVaChia ne justifie pas que depuis la mise en location-gérance du fonds de commerce en 2002, la bailleresse, puis ses ayants droits, aient perçu directement de la locataire-gérante le paiement du loyer des murs, le contrat de location-gérance du 6 octobre 2015 stipulant que le paiement du loyer, des charges et de la redevance doit être effectué entre les mains du loueur du fonds, la société [8].

De plus, il ne peut être déduit de l'absence de remboursement au locataire-sortant du dépôt de garantie et de paiement de dépôt de garantie par les locataires-gérants entrants successifs, de l'absence d'état des lieux de sortie et d'entrée et d'inventaire des éléments matériels mis à disposition, une identité du bailleur des murs et du bailleur du fonds de commerce, ces faits ne dénotant qu'un manque de rigueur et une négligence de la société [8] dans la gestion de ses affaires mais également une négligence des locataires-gérantes successives lesquelles n'ont pas exigé la restitution du dépôt de garantie à la date d'échéance du dernier contrat de location-gérance les liant avec la société [8]. En outre, contrairement aux allégations de l'appelante, le bail commercial du 1er août 2000 prévoit bien le versement par la société [8] d'un dépôt de garantie égal à trois mois de loyer, soit la somme de 4 500 francs hors taxes et hors charges, autonome du dépôt de garantie prévu dans le contrat de location-gérance dont le loueur pouvait exiger la stipulation afin d'assurer l'exécution des charges et conditions du contrat.

Enfin, l'appelante n'expose pas en quoi le fait que les salariés soient restés attachés au fonds de commerce a une incidence sur la validité du contrat de location-gérance.

Il résulte de ces éléments que l'appelante n'établit ni que le loueur se soit comporté comme le bailleur ni la fictivité du contrat de location-gérance.

Sur le caractère frauduleux des contrats successifs :

L'appelante invoque successivement la fraude fiscale mise en place pour permettre à la famille [R], propriétaire de l'immeuble du [Adresse 5] de diviser le loyer entre le propriétaire des murs, à l'époque, Mme [R] et son fils, ce, sans supporter par l'impôt que supposait la perception de l'entier loyer par Mme [R] et sa redistribution à son fils, la fraude procédant de contrats de location-gérance successifs et fictifs, le bailleur ayant imposé à M. [J] la régularisation de 13 contrats de franchise (') tous souscrits au profit de sociétés différentes et portant sur un même fonds et la fraude tendant à éluder les prescriptions des articles L. 145-15 et L. 145-6 du code de commerce réputant non écrits les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement ou tendant à interdire au locataire de céder son bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise.

La cour adopte les motifs du premier juge qui pour débouter l'appelante de sa demande de requalification et dire qu'aucune fraude n'était établie a relevé que la société CeViVaChia ne verse aux débats aucun écrit de la société [8] ou des propriétaires des murs, exigeant la liquidation des sociétés locataires-gérantes en contrepartie de la conclusion d'un nouveau contrat de location-gérance, que les deux attestations produites par la société CeViVaChia ne font que reprendre les déclarations d'un tiers, dont les termes ne sont pas révélateurs de l'existence d'un montage juridique frauduleux à l'initiative de la société [8] et qu'il ressort des pièces versées par les intimés que c'est à la demande de M. [J] qu'un nouveau contrat de location-gérance a été consenti par la société [8] alors que le gérant de celle-ci avait, sans aucune ambiguïté, fait part de sa volonté de voir la société Somaregest dirigée par M. [J] libérer les lieux.

Sur l'appel incident :

Sur la demande d'astreinte :

Il n'y a pas lieu d'assortir la décision autorisant l'expulsion d'une astreinte.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté des demandes relatives au paiement des redevances jusqu'au 30 novembre 2020, d'une somme au titre des consommations d'eau au titre des années 2018 et 2019 et d'une indemnité d'occupation à compter du 1er décembre 2020 :

L'appelante soutient que ces demandes formées par la société [8] sont irrecevables comme nouvelles tandis que la société [8] soutient que seul le conseiller de la mise en état est compétent pour connaître de cette fin de non-recevoir et que ces demandes, formulées dès mars 2022 sont la conséquence et le complément nécessaire de celles menées en 1re instance.

Cependant, l'examen des fins de non-recevoir relatives à l'interdiction de soumettre des prétentions nouvelles en appel et à l'obligation de présenter dès les premières conclusions l'ensemble des prétentions sur le fonds relatives aux conclusions, relève de l'appel et non de la procédure d'appel et la cour est donc compétente pour en connaître.

En l'espèce, s'il est exact que devant le premier juge, la société [8] n'avait pas formé de demandes reconventionnelles en paiement d'indemnités d'occupation, des redevances échues ou de factures d'eau, celles-ci se rattachent aux prétentions originaires de nullité du contrat de location-gérance et de requalification de celui-ci en bail commercial par un lien suffisant et auraient été recevables en appel par application de l'article 567 du code de procédure civile. La société [8] n'ayant pas formé dès ses premières conclusions d'appel en date du 22 février 2022 de demandes reconventionnelles relatives aux redevances et factures impayées, seule est recevable, par application de l'article 910-4 du même code, la demande en paiement d'une indemnité d'occupation.

Le contrat de location-gérance étant venu à son terme le 30 novembre 2020, la société CeViVaChia est redevable à compter du 1er novembre 2020 d'une indemnité d'occupation que la cour fixe à la somme mensuelle de (5 102,68 + 3 803 +183,60 = )9 089, 28 euros correspondant aux sommes dues antérieurement au titre de la redevance, du loyer et de la licence IV.

Sur les demandes relatives à la saisie conservatoire :

Les intimés demandent à la cour de valider la saisie conservatoire pratiquée le 16 mars 2022 à la suite d'une ordonnance du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris en date du 24 février 2022, rendue sur requête en date du 22 février 2022 tandis que l'appelante demande à la cour d'ordonner sa mainlevée.

Par message Rpva en date du 7 décembre 2023, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur la fin de non-recevoir tirée de son défaut de pouvoir de validation d'une saisie conservatoire.

Par message Rpva, chacune des parties a fait connaître à la cour qu'elle renonçait à sa demande relative à la validation ou la mainlevée de la saisie conservatoire.

Selon l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires, autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en œuvre et il résulte des articles R. 523-7 à R. 523-9 du code des procédures civiles d'exécution qu'il appartient au créancier qui a fait pratiquer une saisie conservatoire et qui a obtenu un titre exécutoire constatant l'existence de sa créance de signifier au tiers saisi et au débiteur un acte de conversion, que le débiteur peut contester devant le juge de l'exécution.

Il n'entre donc pas dans les pouvoirs de la cour, laquelle n'est pas saisie d'un recours à l'encontre d'une décision de première instance du juge de l'exécution, de valider une saisie conservatoire.

Ce défaut de pouvoir juridictionnel constitue une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, qui peut être soulevée en tout état de cause, conformément à l'article 123 du même code.

Les demandes de validation ou de mainlevée de la saisie conservatoire sont donc irrecevables.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive :

Les intimés sollicitent la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Le droit d'exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s'il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l'appréciation de ses droits. Tel n'apparaît pas le cas en l'espèce, un tel abus de la part de l'appelante ne pouvant se déduire de l'échec de son action.

En outre, les intimés ne rapportent pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant de l'obligation de défendre à la procédure.

La demande de dommages-intérêts n'est par conséquent pas justifiée. Le jugement sera confirmé de ce chef et toute demande formée à hauteur d'appel sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité de procédure allouée.

L'appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer aux intimés, en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement attaqué ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes relatives à la saisie conservatoire et en paiement des redevances échues ou de factures d'eau ;

Déclare recevable la demande en paiement d'une indemnité d'occupation ;

Fixe à la somme de 9 089, 28 euros le montant de l'indemnité d'occupation due par la société CeViVaChia à la société [8] Club La Panfoulia à compter du 1er décembre 2020 jusqu'à la remise des clés ;

Condamne la société CeViVaChia à payer à la société [8] Club La Panfoulia la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile ;