Décisions
Cass. com., 24 janvier 2024, n° 22-12.340
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2021), M. [W] et la société cabinet RG sont les commissaires aux comptes de, respectivement, la société Chestone France, ayant pour président M. [E], et la société Immobilière FDN, ayant pour président M. [T].
2. Soutenant que des fraudes dont elles avaient été victimes n'avaient pu être commises qu'en raison de manquements de leurs commissaires aux comptes dans l'exercice de leur mission, les sociétés Chestone France et Immobilière FDN les ont assignés aux fins de voir prononcer leur relèvement.
3. Parallèlement à cette instance, neuf sociétés du groupe Massena, auquel appartiennent les sociétés Chestone France et Immobilière FDN, ont assigné M. [W] et la société cabinet RG en responsabilité professionnelle.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
4. Les sociétés Chestone France et Immobilière FDN font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en relèvement, alors :
« 1°/ que les commissaires aux comptes peuvent, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, être relevés de leurs fonctions avant l'expiration normale de celles-ci, sur décision de justice, en cas de faute ou d'empêchement ; que ni le texte de l'article L 823-7 du code de commerce, ni la jurisprudence rendue en la matière ne subordonnent le prononcé de la décision de relèvement au caractère récent des fautes commises ; qu'en affirmant cependant, pour rejeter les demandes, que "des griefs trop anciens sont impropres à motiver une demande de relèvement", la cour d'appel, qui a ajouté au texte de loi une condition qu'il ne comporte pas, a violé l'article L 823-7 du code de commerce ;
2°/ que, dans leurs conclusions, MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN rappelaient, et le fait n'était pas contesté, qu'après la découverte, en juillet 2016, par une salariée du cabinet d'expertise comptable, d'un détournement de fonds opéré au moyen d'une fausse facture, ce n'était qu'après enquête et remise d'un rapport, le 3 octobre 2017, actualisé le 14 février 2019, par le cabinet d'expertise comptable Sorgem que l'ampleur, la durée et le caractère récurrent des détournements de fonds commis au préjudice des sociétés Chestone France et Immobilière FDN notamment, avaient été révélés, partant, que les manquements des commissaires aux comptes dans leurs fonctions étaient apparus ; qu'en se bornant, pour écarter la demande formée par MM. [E] et [T] tendant au relèvement du cabinet RG de ses fonctions de commissaire aux comptes de la société Immobilière FDN, à affirmer, par pure pétition, que "le cabinet RG a été reconduit comme commissaire aux comptes lors de l'assemblée générale du 12 juin 2017, soit postérieurement de onze mois à la découverte des détournements opérés, soit à une date où l'ampleur de ceux-ci avait donc pu être sinon établie de façon précise, tout du moins circonscrite dans leur ampleur", de sorte qu' "à cette date, en pleine connaissance de l'ampleur des malversations opérées, les associés n'ont pas estimé que la poursuite de la collaboration avec le cabinet RG était impossible", sans indiquer sur quels éléments elle se fondait pour retenir la connaissance de l'ampleur des détournements de fonds commis au préjudice de la société Immobilière FDN, à la date du 12 juin 2017, alors qu'à cette date les dirigeants de la société n'avaient pas encore reçu le premier rapport du cabinet Sorgem, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que, dans leurs conclusions, MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN rappelaient, et le fait n'était pas contesté, qu'après la découverte, en 2016, par une salariée du cabinet d'expertise comptable, de quelques détournements de fonds, ce n'était qu'après enquête et remise d'un rapport, le 3 octobre 2017, actualisé le 14 février 2019, par le cabinet d'expertise comptable Sorgem que l'ampleur, la durée et le caractère récurrent des détournements de fonds commis au préjudice des sociétés Chestone France et Immobilière FDN notamment, avaient été révélés, partant, que les manquements des commissaires aux comptes dans leurs fonctions étaient apparus ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter la demande formée par M. [E], tendant au relèvement de M. [W] de ses fonctions de commissaire aux comptes de la société Chestone France, que "le dirigeant de la société Chestone France, informé de l'existence des détournements depuis 2016, n'avait pas jugé utile de solliciter le relèvement des fonctions du commissaire aux comptes pendant plus de quatre ans, démontrant par là même qu'il continuait à faire confiance à celui-ci dans le cadre de la mission qui lui était confiée", sans rechercher ni constater la date à laquelle le dirigeant de la société avait été informé de l'ampleur, de la durée et du caractère récurrent des détournements de fonds commis au préjudice de la sociétés Chestone France, la cour d'appel a encore privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 823-7 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. L'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'affirmation selon laquelle les commissaires aux comptes n'ont pas procédé à une analyse des risques est inexacte et qu'il ne peut pas être déduit de la circonstance qu'ils n'ont pas analysé comme un risque de fraude le détachement depuis plusieurs années de M. [O], comptable salarié du cabinet d'experts comptables Diligencia, auprès des sociétés du groupe Massena, qu'ils ont commis une faute justifiant leur relèvement. Il retient également que les commissaires aux comptes ont procédé à une analyse des risques de fraude et ont conclu, conformément à la norme d'exercice professionnelle 630, qu'ils pouvaient s'appuyer sur les travaux de la société d'expertise comptable Diligencia pour considérer exactes les écritures enregistrées par M. [O], de sorte qu'ils n'ont pas estimé nécessaire de mettre en œuvre la procédure de circularisation des tiers fournisseurs. Il ajoute qu'eu égard à l'activité des sociétés Chestone et Immobilière FDN, les commissaires aux comptes ont orienté leurs contrôles sur la comptabilisation des actifs financiers de ces sociétés. Il en déduit que la preuve n'est pas rapportée qu'ils ont commis des fautes suffisamment graves pour fonder les demandes de relèvement de leur fonctions, de sorte que celles-ci doivent être rejetées.
6. Par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié le rejet des demandes des sociétés Chestone France et Immobilière FDN tendant au relèvement de M. [W] et de la société cabinet RG de leurs fonctions.
7. Le moyen, qui critique des motifs surabondants, est donc inopérant.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
8. Les sociétés Chestone et Immobilière FDN font le même grief à l'arrêt, alors « que les commissaires aux comptes peuvent, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, être relevés de leurs fonctions avant l'expiration normale de celles-ci, sur décision de justice, en cas de faute ou d'empêchement ; que constitue une situation d'empêchement l'existence d'un litige en cours, opposant une société à son commissaire aux comptes, à raison des fautes reprochées à ce dernier, l'antagonisme d'intérêts privant la relation contractuelle de l'impartialité et de la confiance nécessaires à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes ; que, dans leurs conclusions [d'appel], [MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN ] faisaient valoir qu'indépendamment de toute faute, "l'action en responsabilité professionnelle engagée notamment par les sociétés à l'encontre des commissaires aux comptes, actuellement pendante devant le tribunal judiciaire de Lille, engendre un inévitable antagonisme d'intérêts qui conduit les commissaires aux comptes à ne plus être en mesure de garantir à l'égard des sociétés Chestone France et Immobilière FDN le respect du secret professionnel que leur impose l'article 9 de leur code de déontologie" et que la cour "devra également relever les commissaires aux comptes de leurs fonctions eu égard au risque actuel de conflit d'intérêts entre les commissaires aux comptes" ; qu'en se bornant, pour débouter [MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN] de leurs demandes de relèvement de leurs fonctions des commissaires aux comptes des sociétés Chestone France et Immobilière FDN, à relever la tardiveté des demandes au regard de la date des fautes alléguées, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'action en responsabilité engagée le 3 mai 2019 par les sociétés à l'encontre de leurs commissaire aux comptes respectifs et, en conséquence, le litige en cours, n'étaient pas incompatibles avec l'exercice, par les commissaires aux comptes, de leurs fonctions, de sorte que ces derniers se trouvaient en situation d'empêchement, la cour d'appel a également privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 823-7 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
9. La seule introduction d'une action en responsabilité contre un commissaire aux comptes par l'entité au sein de laquelle il exerce sa mission ne constitue pas un empêchement justifiant son relèvement.
10. Les sociétés Chestone France et Immobilière FDN s'étant bornées à soutenir, dans leurs écritures d'appel, que l'action en responsabilité professionnelle engagée notamment par elles à l'encontre de leurs commissaires aux comptes devant un tribunal judiciaire engendrait un inévitable antagonisme d'intérêts conduisant ces derniers à ne plus être en mesure de garantir le respect du secret professionnel que leur impose l'article 9 de leur code de déontologie, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à de simples allégations, dépourvues d'offres de preuve.
11. Le moyen doit donc être rejeté.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.