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Décisions

Cass. com., 24 janvier 2024, n° 22-11.768

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Cass. com. n° 22-11.768

23 janvier 2024

Faits et procédure
 
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 24 janvier 2022), et les productions, le capital de la société New Plv était, à la suite du décès de [U] [R], détenu par les héritiers de ce dernier, en indivision, à concurrence de 49,5 %, par Mme [X], sa veuve, à concurrence de 14,9 %, par M. [O] à concurrence de 28,2 % et par plusieurs autres associés à concurrence de 7,4 %.
 
2. Par une ordonnance du 19 septembre 2018, rendue sur requête de M. [O], rectifiée par une ordonnance du 8 novembre 2018, le président d'un tribunal de commerce a désigné la société [K] [N] en qualité d'administrateur provisoire de la société New Plv. La mission de l'administrateur provisoire été prorogée jusqu'au 19 mai 2020 par ordonnances des 19 mars et 9 octobre 2019.
 
3. Par un arrêt du 11 décembre 2019, une cour d'appel a rétracté l'ordonnance du 19 septembre 2018.
 
4. Le 26 juin 2020, M. [N], agissant au nom de la société [K] [N], aux droits de laquelle est venue la société Arva administrateurs judiciaires associés, a déposé, auprès du président d'un tribunal de commerce, une requête aux fins de constater l'exécution de sa mission d'administrateur provisoire, d'y mettre fin et de fixer ses honoraires.
 
Examen des moyens
 
Sur le second moyen, pris en ses première et quatrième branches
 
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
 
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
 
Enoncé du moyen
 
6. La société New Plv fait grief à l'ordonnance du premier président de rejeter sa demande d'annulation de l'ordonnance du 6 août 2020, de fixer la rémunération de M. [N] sur la période du 19 septembre 2018 au 11 décembre 2019 à une certaine somme, de dire que cette rémunération est à sa charge et de rejeter ses demandes, notamment de dommages et intérêts, alors « que la rétractation de l'ordonnance sur requête entraîne l'annulation des mesures exécutées sur le fondement de celle-ci ; qu'en l'espèce, pour écarter le moyen soulevé selon lequel la mission de l'administrateur ayant été annulée, elle est réputée n'avoir jamais été accomplie, le premier président a jugé que "l'arrêt du 11 décembre 2019 a rétracté, et non annulé, l'ordonnance ayant désigné l'administrateur provisoire et en conséquence simplement mis fin à la mission d'administration provisoire de la société New Plv par la Selarl [K] [N]. Ce faisant, tirant les conséquences de la fiction qu'entraîne la rétractation, la cour a estimé que cette mission avait bien été, au moins partiellement, réalisée, comme le reconnaît d'ailleurs la société New Plv en employant le terme ‘réputé'. L'ordonnance du 19 septembre 2018 était, de droit, exécutoire par provision, ce qu'une mention de son dispositif a même pris soin de rappeler. M. [N] était donc tenu d'exécuter la mission qui lui était judiciairement confiée, dans les délais qui lui étaient impartis. Les prorogations judiciairement accordées ont ensuite validé cette exécution jusqu'au prononcé de l'arrêt du 11 décembre 2019, antérieur à la dernière échéance fixée au 19 mai 2020, même si les ordonnances de prorogation ont ensuite été elles aussi rétractées. La Cour de cassation a admis pour un expert judiciaire (Soc., 15 mai 2013, pourvoi n° 11-24.218) que le coût de l'expertise dont l'annulation a été prononcée soit supporté par celui auquel il incombe en considérant, d'une part, que, tenu de respecter un délai qui court de sa désignation, pour exécuter la mesure d'expertise, l'expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la juridiction de recours se soit prononcée sur la décision rejetant une demande d'annulation du recours à un expert, et alors, d'autre part, que l'expert ne dispose d'aucune possibilité effective de recouvrement de sa rémunération par ailleurs. En l'espèce, la rétractation de l'ordonnance du 19 septembre 2018 l'ayant désigné prive également M. [N] de tout titre lui permettant de percevoir une rémunération de son travail effectif. Dès lors, c'est sans méconnaître les conséquences de cette rétractation que le président du tribunal de commerce de Bobigny a estimé pouvoir émettre un nouveau titre à cette fin" ; qu'en statuant ainsi, le premier président s'est mépris sur les conséquences de la rétractation de l'ordonnance sur requête ayant nommé un administrateur provisoire, dont il résultait que les actes effectués en exécution de la décision rétractée étaient annulés et réputés n'avoir jamais existé et que la requête en fixation d'honoraires était donc privée de toute base légale, et a violé l'article 496 du code de procédure civile. »
 
Réponse de la Cour
 
7. En dépit de l'effet rétroactif attaché à la rétractation de l'ordonnance ayant désigné, sur requête, un administrateur provisoire, celui-ci est bien fondé à solliciter une rémunération pour ses diligences.
 
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
 
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
 
Enoncé du moyen
 
9. La société New Plv fait le même grief à l'ordonnance du premier président, alors « que la requête en fixation d'honoraires doit être motivée à peine d'irrecevabilité ; qu'en l'espèce, elle faisait valoir que la requête n'était pas motivée et ne comportait l'indication d'aucune pièce jointe, puisqu'elle sollicitait le paiement d'honoraires sans justifier de l'accomplissement d'une mission ou de diligences quelconques par le requérant, et en déduisait que le président du tribunal de commerce avait été irrégulièrement saisi et que son ordonnance était donc nulle ; que le premier président a rejeté le moyen aux motifs que : "Sur le premier moyen, il y a lieu de rappeler que le défaut de motivation suffisante de la requête n'est pas sanctionné par une nullité aux termes de l'article 494 du code de procédure civile, à supposer ce texte applicable à la demande de fixation de la rémunération d'un administrateur provisoire. De même, les autres textes sur lesquels la Sas New Plv fonde sa tentative de démonstration d'une irrégularité de l'acte ayant saisi le président du tribunal de commerce de Bobigny ne prévoit pas davantage cette sanction, et guident seulement l'appréciation du bien-fondé de la demande. Sur le second moyen, il sera effectivement constaté que l'ordonnance frappée de recours est motivée au regard du rapport de M. [N] sur l'exécution de sa mission alors qu'il n'est pas contesté que, comme le relèvent la Sas New Plv et M. [O], le rapport de fin de mission n'était pas joint à la requête en fixation d'honoraires. Cependant, si cette circonstance fragilise la motivation de la décision, elle ne saurait avoir porté atteinte au principe de la contradiction dans une procédure qui, en première instance, n'est pas contradictoire. Ainsi, les moyens développés par la Sas New Plv ne sont pas de nature à entraîner l'annulation sollicitée de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Bobigny du 6 août 2020" ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la requête n'était pas motivée et ne comportait l'indication d'aucune pièce jointe la justifiant, ce dont il se déduisait qu'elle était irrecevable, le premier président a violé les articles 16 et 494 du code de procédure civile. »
 
Réponse de la Cour
 
10. Selon l'article R. 814-27 du code de commerce, la rémunération des administrateurs judiciaires au titre des mandats qui leur sont confiés en matière civile est fixée sur justification de l'accomplissement de leur mission par le président de la juridiction les ayant désignés. Cette décision est susceptible de recours selon les règles des articles 714 à 718 du code de procédure civile.
 
11. Selon l'article 714 du code de procédure civile, l'ordonnance de taxe rendue par le président d'une juridiction de première instance peut être frappée par tout intéressé d'un recours devant le premier président de la cour d'appel, le délai de recours étant d'un mois, courant à compter de la notification de l'ordonnance.
 
12. Selon l'article 496 du même code, s'il n'est pas fait droit à la requête déposée sur le fondement de l'article 493, appel peut être interjeté à moins que l'ordonnance n'émane du premier président de la cour d'appel. Le délai d'appel est de quinze jours, courant à compter du jour du prononcé de l'ordonnance ou de la date à laquelle le requérant en a eu connaissance. L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse. S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.
 
13. Il découle de la comparaison entre ces textes que la demande de rémunération formée par un administrateur provisoire sur le fondement de l'article R. 814-27 du code de commerce n'obéit pas au régime des ordonnances sur requête prévues aux articles 493 à 498 du code de procédure civile.
 
14. Le moyen, qui invoque une violation de l'article 494 du code de procédure civile, est donc inopérant.
 
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
 
Enoncé du moyen
 
15. La société New Plv fait le même grief à l'ordonnance du premier président, alors :
 
« 2°/ que le requérant, qui conserve la qualité de demandeur dans l'instance en référé-rétractation, succombe lorsque l'ordonnance sur requête est rétractée et doit donc assumer la charge tant des conséquences de la rétraction de la décision dont il a poursuivi l'exécution provisoire à ses risques et périls, que des conséquences de l'annulation qui en résulte des mesures prises en exécution de celle-ci, à commencer par la rémunération de l'auxiliaire de justice illégalement désigné, peu important que les diligences de ce dernier aient profité à la société administrée ; qu'en l'espèce l'ordonnance de désignation d'un administrateur provisoire a été rétractée, après que la cour d'appel de Paris a jugé que, contrairement à ce qu'avait prétendu le requérant, d'une part, rien ne justifiait qu'il soit dérogé à la contradiction et, d'autre part, que le débat contradictoire avait permis de constater qu'aucune des conditions requises pour la désignation d'un administrateur provisoire n'était remplie et, notamment, que la requête qui arguait fallacieusement d'un blocage de la société avait en réalité été déposée la veille de l'assemblée réunie pour désigner un nouveau président et que c'était à l'initiative du requérant que la désignation de l'organe dirigeant n'avait pas eu lieu, de sorte que la requête était non seulement irrecevable, mais également abusive ; que pour néanmoins juger que la rémunération de l'administrateur provisoire devait être payée par la société New Plv et non par le requérant, M. [O], le premier président a retenu que, "outre que, par principe, la désignation d'un administrateur provisoire intervient dans l'intérêt de la société, ce qui justifie que la rémunération de l'administrateur soit mise à sa charge, en l'espèce, nonobstant l'argument de la société New Plv qui compare le montant réclamé par la Selarl Arva à la perte de 306 628,98 euros enregistrée à la fin de l'exercice clos le 31 décembre 2017, il y a lieu de relever, à la suite de M. [O], que l'intervention de l'administrateur provisoire a notamment conduit au versement par M. [P] [R], avocat et frère de [U] [R], le gérant décédé de la société New Plv, de la somme de 650 000 euros qui avait été déposée sur son compte Carpa sans que la cause de ce dépôt ait été explicitée, et au versement par Mme [W] [R] d'une somme de 520 000 euros correspondant à des fonds de la société. Pour le surplus, si les investigations réalisées sous la supervision de l'administrateur provisoire ont pu être utilisées dans une procédure pénale, il n'en demeure pas moins qu'elles avaient vocation à permettre de faire valoir les droits de la société face à des soupçons de détournements. Rien ne justifie alors qu'il soit fait exception au principe et que la rémunération de l'administrateur provisoire soit mise à la charge de l'associé minoritaire qui a sollicité sa désignation, le caractère non contradictoire de la procédure en première instance, qui découle des textes applicables, ne pouvant lui être reproché. La jurisprudence dont se prévaut la société New Plv, qui a ouvert la possibilité de mettre ces frais à la charge du gérant d'une société en raison de sa mauvaise gestion, ou d'un associé en raison de son comportement, ne saurait être transposée en l'espèce à défaut de preuve que les difficultés rencontrées par la société New Plv, au demeurant contestées par celle-ci, seraient imputables à l'action de M. [O]. Ajoutant à l'ordonnance frappée de recours, la présente décision mettra donc la rémunération de M. [N] en qualité d'administrateur provisoire de la Sas New Plv à la charge de cette société" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants pris de ce que l'administrateur provisoire aurait agi dans l'intérêt de la société, de l'absence de caractère fautif de l'absence de contradiction en première instance et de l'absence de lien de causalité entre les difficultés de l'entreprise et le comportement de M. [O], quand ce dernier avait mis en œuvre une ordonnance illicite à ses risques et périls et devait en assumer les conséquences, le premier président a violé les articles 720 et 721 du code de procédure civile, ensemble l'article 496 du code de procédure civile, l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
 
3°/ qu'en statuant ainsi, sans rechercher concrètement si M. [O] n'avait pas sollicité abusivement, en l'état des éléments d'information dont il disposait à la date de la requête, la désignation d'un administrateur provisoire, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles 720 et 721 du code de procédure civile, ensemble l'article 496 du code de procédure civile, l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
 
Réponse de la Cour
 
16. En cas de désignation d'un administrateur provisoire d'une société, ses honoraires sont à la charge de celle-ci, même si l'ordonnance le désignant est ensuite rétractée.
 
17. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
 
PAR CES MOTIFS, la Cour :
 
REJETTE le pourvoi.