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Décisions

CE, 8e et 3e ch. réunies, 11 mars 2022, n° 453440

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

CE n° 453440

10 mars 2022

M. A... L... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, de déclarer nulle ou d'annuler la convention d'occupation précaire du domaine communal qu'ils ont conclue le 15 février 2016 avec la commune de Cap-d'Ail (Alpes-Maritimes), à titre subsidiaire, d'annuler certaines clauses de cette convention, notamment celles qui écartent l'existence d'un fonds de commerce au titre de cette occupation, et d'enjoindre à la commune de régulariser la situation par une nouvelle convention.

Par un jugement n° 1601897 du 26 juin 2018, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18MA03151 du 9 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. L... et M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 juin et 8 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. L... et M. B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du 26 juin 2018 et, à titre principal, de déclarer la juridiction administrative incompétente pour statuer sur le litige et, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement, à défaut de régularisation, la convention litigieuse en tant qu'elle écarte la constitution d'un fonds de commerce et exclut un droit à indemnisation ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cap-d'Ail la somme de 5 000 euros au titre de l' article L. 761-1 du code de justice administrative .

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu : - le code général de la propriété des personnes publiques ; - le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes, - les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. L... et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la commune de Cap d'Ail ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. L... et M. B... exploitent, sur une parcelle appartenant à la commune de Cap-d'Ail, un restaurant sous l'enseigne " La Pinède ". A la suite de l'expiration d'une précédente convention d'occupation conclue en 1995, la commune de Cap-d'Ail a conclu le 15 février 2016 avec M. L... et M. B... une convention d'occupation précaire de cette parcelle pour une durée de cinq ans. Ces derniers ont saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant, à titre principal, à ce qu'il déclare nulle ou annule cette convention et, à titre subsidiaire, à ce qu'il annule certaines clauses de cette convention dont une clause stipulant que l'occupation ne donnerait lieu à la création d'aucun fonds de commerce. Ils se pourvoient en cassation contre l' arrêt du 9 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre le jugement du 26 juin 2018 de ce tribunal rejetant leur demande.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Avant l'entrée en vigueur de la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, intervenue, le 1er juillet 2006, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné.

3. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la parcelle sur laquelle est situé l'établissement des requérants appartient à un terrain acquis par la commune de Cap-d'Ail à la suite d'un arrêté préfectoral du 7 avril 1951 portant déclaration d'utilité publique pour la création d'un espace libre ouvert au public, que des escaliers ont été construits sur ce terrain pour permettre au public de rejoindre, depuis la voie communale, le chemin des douaniers aménagé sur les rochers surplombant la mer et que la commune y a installé une aire de pique-nique, des toilettes et une douche.
En déduisant de ces faits, qu'elle a souverainement appréciés sans les dénaturer, que ce terrain était directement affecté à l'usage du public et appartenait par suite au domaine public de la commune, la cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt suffisamment motivé, ne les pas inexactement qualifiés.
Elle a pu, sans erreur de droit, en déduire que le litige portant sur la convention d'occupation précaire conclue entre la commune et les requérants pour permettre l'exploitation d'un restaurant sur une partie de ce terrain ressortissait à la compétence de la juridiction administrative.

Sur la contestation de la validité de la convention d'occupation :

4. D'une part, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation.

5. D'autre part, aux termes de l' article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ". Il résulte de ces dispositions, issues de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l'entrée de cette loi, que le législateur a reconnu aux occupants d'une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d'exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d'occupation à la condition qu'ils disposent d'une clientèle propre distincte des usagers du domaine public.

6. La cour administrative d'appel de Marseille a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la clause figurant à l'article 3 de la convention litigieuse, selon laquelle l'occupation du domaine ne donnerait pas lieu à la création d'un fonds de commerce, formait un ensemble indivisible avec les autres stipulations. En jugeant que la méconnaissance par une telle clause des dispositions de l'article L. 2124-32-1 du code général des propriétés publiques ne pouvait constituer, à elle seule, un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation de la convention ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention, la cour, par un arrêt suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. L... et M. B... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l' article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l' article L. 761-1 du code de justice administrative .

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de M. L... et M. B... est rejeté. Article 2 : M. L... et M. B... verseront à la commune de Cap-d'Ail la somme de 3 000 euros au titre de l' article L. 761-1 du code de justice administrative . Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... L..., M. E... B... et la commune de Cap-d'Ail. Délibéré à l'issue de la séance du 23 février 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. M... F..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. J... O..., M. G... N..., M. C... P..., M. K... I..., M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.