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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 30 janvier 2024, n° 21/05923

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

E2M CVC (SARL), Saita Entreprise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Poirel

Conseillers :

Mme Vallée, M. Breard

Avocats :

Me d'Amiens, Me Durand, Me Leconte, Me Drey Daubechies

TJ bordeaux, 1re ch., du 19 oct. 2021, n…

19 octobre 2021

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La Sarl SAITA Entreprise, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux depuis le 7 octobre 1998 et transformée en SAS le 30 juillet 2020, exerce une activité d'installation d'équipements thermiques et de climatisation.

Au cours de l'année 2015, des pourparlers en vue de la cession de cette entreprise sont intervenus entre son dirigeant, M. [W] et M. [F], gérant de la société Etudes Méthodes Maintenance (E2M) et de la société PH Holding. Dans le cadre de ces négociations, un accord de confidentialité a été signé le 9 novembre 2015.

Ces pourparlers n'ont abouti à aucun accord portant cession de l'entreprise.

M. [F] a créé le 25 août 2016 la société DEUZAIR, devenue E2M CVC, ayant pour objet la réalisation de procédés thermiques.

Le 31 août 2016, la société DEUZAIR a embauché M. [U] en qualité de directeur d'exploitation de l'activité climatisation, celui-ci ayant démissionné de son emploi au sein de la société SAITA Entreprise par lettre du 2 août 2016.

Par acte du 20 septembre 2019, la société SAITA Entreprise a fait assigner les société E2M et DEUZAIR, ainsi que M. [P] [F] et M. [E] [U], afin de voir constater qu'ils se sont livrés à des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société SAITA Entreprise, de les voir condamner in solidum au paiement de la somme de 1 257 255 euros et de les enjoindre de cesser leurs activités de concurrence déloyale sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du jugement.

Par jugement du 19 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a : 

- condamné in solidum M. [E] [U], M. [P] [F], la Sarl E2M CVC et la Sarl Etudes Méthodes Maintenance (E2M) à payer à la Sas SAITA Entreprise la somme de 300 000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de concurrence déloyale, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- rejeté la demande de cessation des agissements sous astreinte,

- rejeté la demande reconventionnelle,

- condamné M. [E] [U], M. [P] [F], la société E2M CVC et la Sarl E2M à payer à la Sas SAITA Entreprise la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] [U], M. [P] [F], la société E2M CVC et la Sarl E2M aux dépens de l'instance,

- dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire,

- rejeté toutes autres demandes comme non fondées.

M. [E] [U] a relevé appel de ce jugement par déclaration électronique du 2 novembre 2021.

M. [P] [F] et les sociétés E2M et E2M CVC ont relevé appel par déclaration électronique du 9 novembre 2021.

La jonction de ces deux procédures sous le numéro RG 21/05923 a été ordonnée par avis du 18 octobre 2023;

M. [U], dans ses dernières conclusions en date du 6 novembre 2023 demande à la cour de :

A titre principal,

Infirmer le jugement rendu le 19 octobre 2021 par le Tribunal Judiciaire de Bordeaux en ce qu'il :

* condamne in solidum M. [E] [U], M. [P] [F], la Sarl E2M CVC et la Sarl Etudes Méthodes Maintenance (E2M) à payer à la SAS SAITA Entreprise la somme de 300.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de concurrence déloyale, qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

* rejette la demande reconventionnelle,

* condamne M. [E] [U], M. [P] [F], la société E2MCVC et la Sarl E2M à payer à la SAS SAITA Entreprise la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamne M. [E] [U], M. [P] [F], la société E2MCVC et la Sarl E2M aux dépens de l'instance,

* rejette toutes autres demandes comme non fondées.

- juger que la société SAITA Entreprise ne rapporte pas la preuve de manœuvres constitutives d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux qui aurait été diligentées par M. [E] [U] ;

- juger que la société SAITA Entreprise ne rapporte pas la preuve d'un débauchage fautif de salariés ayant engendré une désorganisation de l'Entreprise ;

- juger que les actes de concurrence déloyale allégués ne sont pas constitués ;

En conséquence :

- débouter la société SAITA Entreprise de l'ensemble de ses demandes au titre de la réparation du préjudice subi et de toutes demandes au surplus ;

A titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la Cour d'appel de Bordeaux viendrait à dire et juger que M. [E] [U] aurait procédé à des actes de concurrence déloyale,

- juger que M. [E] [U] a agi dans les limites de la mission qui lui était conférée dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail au sein de l'Entreprise DEUZAIR (sociétés E2M CVC et E2M) ;

- juger qu'il ne saurait être tenu responsable à l'encontre de la société SAITA Entreprise ;

En conséquence :

- débouter la société SAITA Entreprise de l'ensemble de ses demandes au titre de la réparation du préjudice subi et de toutes demandes au surplus ;

Dans l'hypothèse du prononcé d'une mesure d'expertise :

- condamner M. [F] et les sociétés E2M et E2M CVC à en supporter les frais ;

A titre infiniment subsidiaire, et dans l'hypothèse où la Cour d'appel de Bordeaux viendrait à dire et juger que M. [E] [U] aurait procédé à des actes de concurrence déloyale lorsqu'il était salarié au sein de la société DEUZAIR (sociétés E2M CVC et E2M) et qu'il reconnaîtrait ce dernier comme personnellement responsable,

- juger que la société SAITA Entreprise ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué et de la marge prétendument perdue ainsi que du lien direct entre la perte et les prétendus agissements déloyaux,

- juger l'absence de solidarité à l'encontre de M. [E] [U] ;

- juger que le quantum de la condamnation ne pourra qu'être symbolique à l'encontre de M. [E] [U] ;

En toutes hypothèses,

- confirmer le rejet de la demande de cessation des agissements sous astreinte ;

- débouter la société SAITA Entreprise de toute demande au surplus ;

- condamner la société SAITA Entreprise au paiement d'une somme de 5.000 € au titre de la procédure abusive (article 32.1 du Code de Procédure Civile) ;

- condamner la société SAITA Entreprise au paiement à M. [E] [U] d'une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre sa condamnation aux entiers dépens de l'instance et de la procédure.

M. [F] et les sociétés E2M et E2M CVC dans leurs dernières conclusions en date du 21 novembre 2023, demandent à la cour de :

À titre principal :

Réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX du 19 octobre 2021 en ce qu'il a :

* condamné in solidum M. [E] [U], M. [P] [F], la Sarl E2M CVC et la Sarl Etudes Méthodes Maintenance (E2M) à payer à la SAS SAITA Entreprise, la somme de 300.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de concurrence déloyale qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement ;

* rejeté la demande reconventionnelle présentée par M. [P] [F], la société E2M CVC et la Sarl E2M ;

* condamné M. [E] [U], M. [P] [F], la société E2M CVC et la Sarl E2M à payer à la SAS SAITA Entreprise la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné M. [E] [U], M. [P] [F], la société E2M CVC et la Sarl E2M aux dépens de l'instance ;

* rejeté toutes autres demandes de M. [P] [F], la société E2M CVC et la Sarl E2M comme non fondées.

- Statuant à nouveau, juger à titre principal :

- débouter la société SAITA Entreprise de l'intégralité de ses demandes et présentions formulées à l'encontre des sociétés E2M, E2M CVC (DEUZAIR) et M. [P] [F] ;

À titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la Cour, statuant à nouveau, estimeraient que l'existence de manœuvres de concurrence déloyale serait rapportée par la société E2M CVC :

- débouter la société SAITA Entreprise de l'intégralité de ses demandes et prétentions formulées à l'encontre de M. [P] [F] ;

- débouter la société SAITA Entreprise de l'intégralité de ses demandes et prétentions formulées à l'encontre de la société E2M ;

- rappeler que le préjudice indemnisable doit correspondre au dommage subi, sans perte ni gain pour la victime ;

- ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise et la nomination de tel expert qu'il plaira à la Cour ayant pour mission de déterminer le montant du préjudice effectivement subi par la société SAITA Entreprise sur les exercices 2016, 2017 et 2018 exclusivement ;

En tout état de cause :

- condamner la société SAITA Entreprise à verser solidairement aux sociétés E2M, E2M CVC (DEUZAIR) et à M. [P] [F], la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société SAITA Entreprise ,dans ses dernières conclusions déposées le 15 novembre 2023, demande à la cour de :

Confirmer l'ensemble du jugement du 19 octobre 2021 du tribunal judiciaire de Bordeaux (RG N° 19/09382), sauf en ce qu'il a fixé le préjudice de la Société SAITA Entreprise à la somme de 300.000,00 € et en ce qu'il a rejeté sa demande de cessation des agissements déloyaux sous astreinte de Messieurs [Z] [U] et [P] [F].

- débouter Messieurs [Z] [U] et [P] [F] et les sociétés E2M et E2M CVC de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions formées à l'encontre de la Société SAITA Entreprise.

Statuant à nouveau,

- condamner in solidum Messieurs [Z] [U] et [P] [F] et les sociétés E2M et E2M CVC à payer à la Société SAITA Entreprise la somme de 1.347.727,00 € assortie des intérêts légaux à compter de l'arrêt à intervenir,

- juger irrecevable la nouvelle demande de M. [E] [U] aux termes de ses conclusions datées du 6 novembre 2023 formulée ainsi :

« Juger que M. [E] [U] a agi dans les limites de la mission qui lui était conférée dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail au sein de l'Entreprise DEUZAIR (sociétés E2M CVC et E2M). »

- condamner solidairement Messieurs [Z] [U] et [P] [F] et les sociétés E2M et E2M CVC au paiement de la somme de 15.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 5 décembre 2023.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 21 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence de manœuvres déloyales :

Pour contester la décision entreprise en ce qu'elle a retenu sa responsabilité, M. [F] et ses sociétés font valoir que :

- seule la société PH Holding, qui n'est d'ailleurs pas en la cause, était tenue par un accord de confidentialité,

-il n'est nullement démontré que des informations confidentielles ont été transmises à la société PH Holding, ni même à M. [F], et notamment des informations afférentes aux contrats en cours, la liste des salariés ou tous autres éléments qui auraient pu être utilisées au détriment de la société SAITA, hormis les éléments comptables d'ores et déjà déposés au greffe,

- M. [F] n'étant lui-même pas signataire de l'accord, sa propre responsabilité ne peut être recherchée que sur le terrain délictuel sous la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité avec la faute,

- il lui est reproché d'avoir participé à un démarchage de clientèle et au débauchage de salariés de la société SAITA, sans que toutefois il soit établi que ce débauchage de 7 salariés en 3 ans, alors que les salariés n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence, a été à l'origine d'une désorganisation de la société,

- s'agissant des clients, le seul départ de plusieurs clients au profit de la société DEUZAIR ne caractérise pas davantage un acte de concurrence déloyale.

M.[U] rappelle que, salarié de la société SAITA de 2010 à 2016, il ne percevait aucune prime et n'était tenu par aucune clause de non concurrence, de sorte qu'il avait toute liberté de se faire recruter, y compris par un concurrent, et que le fait pour un salarié de quitter son entreprise pour une autre ne peut en soi caractériser un acte de concurrence déloyale s'il n'a été précédé d'aucune démarche active de la part du nouvel employeur, aucun acte positif de démarchage n'étant ici établi ou s'il n'est à l'origine d'aucune désorganisation effective de l'entreprise, qui n'est ici qu'alléguée.

De même, il conteste tout démarchage de clients par des procédés déloyaux et fait valoir qu'il n'aurait en toute hypothèse commis de tels actes qu'en qualité de salarié de la société DEUZAIR devenue E2M CVC.

Selon les dispositions de l'article 1382 ancien du code civil, devenu 1240, en leur version respectivement applicable au présent litige visant des faits antérieurs au 1er octobre 2016 et d'autres postérieurs, l'action en concurrence déloyale est une action de nature délictuelle nécessitant pour prospérer la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité, en sorte que n'étant pas de nature contractuelle, il importe peu que seule la société PH Holding ait été partie à l'accord de confidentialité avec la société SAITA.

Ainsi, si les accords de confidentialité se sont trouvés être le contexte d'une éventuelle concurrence déloyale, ils n'en sont pas la condition.

Les premiers juges ont encore justement rappelé que si, en application du principe de la liberté du travail, le salarié qui n'est pas tenu par une clause de non-concurrence conserve toute liberté de partir travailler pour un concurrent, ce principe a pour limite, en matière de débauchage, le cas où celui-ci s'accompagne de manœuvres déloyales ou entraîne la désorganisation de l'entreprise.

En l'absence de désorganisation qui en serait résulté, des manœuvres déloyales ne sauraient être évincées de la seule concomitance du départ de plusieurs salariés qui à elle seule ne suffit à caractériser un acte de concurrence déloyale, même accompagnée d'un déplacement de clientèle.

Il n'est pas contesté, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, que 7 employés sur les 20 de la société SAITA, dont il n'est pas indiqué qu'ils étaient liés par une clause de non-concurrence, ont quitté la société SAITA pour être débauchés sur trois années par la société DEUZAIR créée par M. [F] et devenue E2M CVC.

Ce seul constat est insuffisant, même en présence d'un débauchage massif, et nonobstant les relations qui existaient entre la société SAITA et la société PH Holding, représentée par M. [F], pour caractériser en soi un acte positif de débauchage et partant de concurrence déloyale.

Cependant, outre M. [U], qui selon l'organigramme qu'il verse lui-même aux débats (sa pièce n° 5), était employé de la société SAITA en qualité d'ingénieur à la tête du service maintenance et qui a donné sa démission avec demande de dispense de préavis le 2 août 2016 pour être embauché dès le 30 août suivant par la société DEUZAIR, il n'est pas contesté que deux autres salariés ont été débauchés dans un temps voisin de M. [U], M. [I], ancien technicien frigoriste du service de maintenance qui a donné sa démission le 25 septembre 2016 pour le 7 octobre suivant et a été embauché par la société DEUZAIR dès le 10 octobre 2016 et M. [G], également technicien du service maintenance qui a donné sa démission de l'entreprise pour le 9 novembre alors qu'il était embauché par la société DEUZAIR dès le 7 novembre 2016.

Or, ces trois salariés constituaient à eux seuls, selon le même organigramme, toute la branche maintenance de la société SAITA et il s'avère que ces débauchages sont concomitants de la création, à la date du 30 août 2016 qui constitue aussi celle de prise d'effet de l'embauche de M. [U], de la société DEUZAIR par M. [F] laquelle a commencé son activité dès le 1er septembre 2016 dans le domaine « Réalisation d'Etudes et de Méthodes et Réalisation de Procédé Thermique », dont il n'est pas contesté qu'il coïncide avec le domaine d'activité de la société SAITA « Société Aquitaine d'Installations Thermiques et Aérauliques », ainsi qu'en attestent les extraits K Bis de ces deux sociétés.

La création de cette entreprise accompagnée du débauchage de tous les salariés de la branche maintenance de la société SAITA apparaît elle-même se situer à la fin des relations confidentielles qui s'étaient nouées entre la société PH Holding représentée par M. [F] et la société SAITA, en vue de la cession de bloc de contrôle dans le cadre d'un accord de confidentialité signé le 9 novembre 2015, et qui n'ont finalement pas abouti puisque, sans être utilement contredite sur ce point, la société SAITA verse aux débats les différents échanges de mails entre son gérant, M. [W], et M. [F] (ses pièces 7 à 20), de 2015 jusqu'au 12 août 2016, date à laquelle M. [F] indiquait encore à son interlocuteur avoir obtenu un retour positif de la banque selon les modalités qu'ils étaient convenus (sa pièce 20).

Il sera pourtant constaté qu'à cette date, M. [U] avait d'ores et déjà donné sa démission depuis 10 jours de l'entreprise SAITA, qu'en cette période estivale il avait demandé de ne pas effectuer son préavis et que, dès le 30 août suivant, il était embauché par la société DEUZAIR, tout juste créée, laquelle commençait son activité dès le lendemain, 1er septembre, s'empressant de recruter les deux autres techniciens du service maintenance de son concurrent dont M. [F] disait, dans un courrier qu'il a adressé à la société SAITA, le 7 août 2016, dans le cadre d'une lettre d'intention intervenant en application de l'accord de confidentialité sus-visé, qu'il s'agissait d'un personnel "qualifié et motivé", attestant qu'il avait pu le constater dans le cadre des rapports confidentiels entre la société SAITA et PH Holding, qu'il représentait.

Ces débauchages, ne sauraient ainsi être le fruit du hasard et de la seule démarche des salariés de la SAITA, la démission de M. [U] en amont de la date de création de la société DEUZAIR alors que dans le même temps M. [F] assurait la société SAITA de ce que le projet d'achat de la société était en bonne voie atteste au contraire d'un stratagème auquel ont pris part tant M. [U] que M. [F] et qui passait également par le débauchage des deux autres salariés de la branche qui travaillaient sous les ordres de M. [U], ce qui est advenu dans les deux mois suivant, caractérisant ainsi une démarche active de recrutement et une volonté de nuire.

Ce qui est ici sanctionnable, n'est donc pas uniquement la concomitance des départs des salariés de la branche maintenance, mais bien leur concomitance avec lesdites négociations et surtout avec l'échec de ces mêmes négociations alors que dès avant la fin de celles-ci, M. [F] avait d'ores et déjà programmé la création de la société DEUZAIR dont le début d'activité passait par le débauchage des salariés de la branche maintenance de la société SAITA.

Le fait que 4 autres salariés aient quitté l'entreprise pour la société DEUZAIR sur une période de trois ans, pour un débauchage total de 7 salariés sur les 20 que comptait la société SAITA, ce qui en soi n'est pas suffisant pour caractériser un acte de concurrence déloyale, n'ajoute, ni ne retranche à une manœuvre positive de débauchage d'ores et déjà constituée.

Dans ce contexte de négociations confidentielles, le fait que l'activité de la nouvelle société DEUZAIR, dont M. [F] ne conteste pas qu'elle correspond au domaine d'activité de la société SAITA, soit également le domaine d'activité de sa propre société E2M, apparaît sans emport sur le caractère particulièrement déloyal du débauchage de tous les salariés du service de maintenance de la société SAITA, pas plus qu'il n'y a lieu de s'interroger sur le degré de confidentialité des informations qui ont pu être portées à la connaissance de M. [F] dans le cadre de ces négociations, dont il a été sus rappelé qu'elles constituaient le contexte des faits dénoncés par la société Saita.

Il est également reproché à la société DEUZAIR, à côté de ce débauchage massif, une captation déloyale de clientèle.

De la même manière, un transfert de clientèle pour des clients ayant le libre choix de leur prestataire et pouvant résilier périodiquement leurs contrats, ne suffit à caractériser un démarchage de clientèle constituant un acte de concurrence déloyale s'il ne s'accompagne de manœuvres déloyales, de sorte qu'il convient de rechercher si de telles manœuvres s'évincent des circonstances de la cause.

Il n'est pas contesté qu'à tout le moins les sociétés Foncières CMSA, CER FRANCE, VEC François LURTON, Monlycke Healthcare, parmi les clients cités par la société SAITA, ont rejoint la société DEUZAIR de la fin d'année 2016 à la fin d'année 2017, ce après avoir mis fin à leurs relations contractuelles avec la société SAITA, ce qui ne suffit pourtant pas à caractériser un démarchage fautif, ni davantage le fait que M. [U] s'était vu confier des fonctions de chargé d'affaires du service maintenance au terme desquelles il était en relation directe avec les clients assurant l'organisation, la coordination et les différentes réunions de chantiers.

Cependant, alors qu'il est justifié par la société SAITA (sa pièce n° 49) que M. [U] assurait également l'ensemble des relations avec les maîtres d'ouvrage, fournisseurs ainsi que la remontée de toutes informations commerciales utiles à l'entreprise, il apparaît que M. [U], qui dans le cadre du service maintenance avait ainsi une relation privilégiée avec la clientèle, n'a pas hésité à démarcher la société SAV RITTAL FRANCE, client de la société SAITA, lui proposant des prix bien inférieurs à ceux que la société SAITA pratiquait envers lui, ce dont il avait nécessairement connaissance, ainsi qu'en atteste un courrier de cette société de 2017 selon lequel M. [U] lui aurait proposé pour ses deux contrats des niveaux de prix 'bien inférieurs' à ceux que la société SAITA lui réservait, de l'ordre de 20 % inférieurs (pièce n° 53 de SAITA).

Pour le surplus, le message émanant de la société ID Région ne permet en aucun cas de retenir que la société DEUZAIR, ou M. [U] lui-même, aurait exercé un 'forcing' sur elle pour rejoindre cette société, ce que ne dit pas son écrit (pièce n° 53 de SAITA).

Quant au groupe ADF, incluant les sociétés ADF Technologie et ADF Iles de France, il ne peut être retenu avec les premiers juges qu'il était un client important de la société SAITA, le groupe n'ayant en lui-même aucune personnalité juridique et seule étant établie la relation contractuelle de la société SAITA avec la société ADF Iles de France ainsi qu'il résulte de l'ensemble des documents contractuels (ses pièces 41 à 48). Or, il résulte du message électronique également versé aux débats par la société SAITA (sa pièce n° 25) adressé à M. [U] mais alors qu'il était employé par la société DEUZAIR en mai 2017, que la seule relation contractuelle de la société DEUZAIR concerne la société ADF Technologies, société avec laquelle la société SAITA ne justifie pas qu'elle était elle-même en relation contractuelle, les sociétés d'un même groupe conservant une personnalité juridique propre. Aucun acte de concurrence déloyale n'est en conséquence établi à ce titre.

En définitive, si aucun acte de concurrence déloyale ne peut être retenu s'agissant des clients ayant quitté la société SAITA pour rejoindre la société DEUZAIR, il demeure à l'égard de la société SAV RITTAL FRANCE de la part de M. [U] des faits de démarchage constituant un acte de concurrence déloyale mais il n'est pas indiqué par la société SAITA que ce client, qui apparaissait par ailleurs ouvert à la discussion, ait finalement résilié ses contrats avec la société SAITA, en sorte qu'il n'a pas été suivi d'effet.

Quoi qu'il en soit, dans le contexte sus-retenu de débauchage déloyal de toute la branche maintenance de la société SAITA auquel il a été sus retenu que M. [U] ne pouvait être étranger, cette pratique déloyale à l'égard d'un client de son ancien employeur caractérisé également l'intention de nuire de M. [U].

Contrairement à ce que demande la société SAITA, M. [U] ne peut être déclaré irrecevable en ce qu'il invoque à son profit, pour la première fois devant la cour, le bénéfice de l'immunité salariale pour d'éventuels actes de concurrence déloyale commis en qualité de salarié de la société DEUZAIR ou E2M CVC, dès lors que cette immunité ne constitue pas une prétention mais un moyen de défense. Pour autant, il ne saurait prétendre à aucune immunité en qualité de salarié de la société DEUZAIR s'agissant des conditions dans lesquelles il a été débauché, qu'il ne pouvait ignorer, dès lors qu'elles participent de manœuvres déloyales commises antérieurement à la signature de son contrat de travail avec la société DEUZAIR.

Quant à M. [F], s'il était gérant de la société E2M, c'est à titre personnel qu'il représentait la société PH Holding dans le cadre des accords de confidentialité et non en qualité de gérant de la société E2M, ainsi qu'il ressort de ces accords et c'est donc en cette seule qualité et non en qualité de gérant de la société E2M qu'il est entré en relation avec M. [W], représentant la société SAITA, peu important dès lors qu'il ait échangé avec M [W] par messages électroniques ou adresse électronique portant la mention E2M avec laquelle il n'apparaît pas que la société SAITA ait jamais été en relation.

Il n'est par ailleurs nullement démontré, ni même allégué, que la société E2M avait un quelconque intérêt à la création de la société DEUZAIR dont elle est demeurée étrangère et c'est d'ailleurs à titre personnel, pour son propre compte et dans l'unique intérêt de la société qu'il projetait de créer que M. [F] s'est adonné à des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société SAITA.

En conséquence, la société E2M à l'encontre de laquelle il n'est établi aucun acte positif de débauchage des salariés de la société SAITA, sera mise hors de cause ainsi qu'elle le sollicite, seuls M. [F], M. [U] et la société E2M CVC du fait de la société DEUZAIR, pouvant se voir reprocher des actes de concurrence déloyale.

C'est donc à bon droit que, sous cette réserve, les premiers juges ont retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale, sans qu'il y ait lieu de s'interroger en conséquence à ce stade sur la question de la désorganisation de la société.

Sur le préjudice :

La société SAITA forme appel incident sur le montant de son préjudice qu'elle estime sous-évalué notamment au regard de la perte de clients importants détournés par M. [U], M. [F], la société DEUZAIR et la société E2M CVC, constituée par une perte de chiffre d'affaires cumulée jusqu'en 2018 mais également en 2019 et 2020, sollicitant l'allocation d'une somme de 1 347 727 euros.

Il n'est pas retenu que la perte de quatre clients au profit de la société DEUZAIR ait été le fruit d'actes positifs de détournement de clientèle et il a été écarté le détournement de la société ADF Technologies. Cependant, si le départ des trois salariés de la branche maintenance en deux mois a nécessairement désorganisé un temps l'entreprise et pu se trouver à l'origine d'un préjudice qui s'est traduit par une baisse importante d'activité, il a pu également engendrer une perte de clients, dans une proportion que la cour n'est pas mise en mesure d'apprécier.

Par ailleurs, l'estimation de son préjudice par la société SAITA est contestable en ce qu'il est évalué en termes de perte de chiffre d'affaires plutôt qu'en perte de taux de marge brute. Ainsi, les seuls éléments comptables fournis par la société SAITA ne permettent pas en l'état de chiffrer son préjudice.

La cour se doit cependant d'indemniser ce préjudice qui n'est pas contestable en vertu du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit.

Il convient en conséquence d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise aux frais avancés de la société SAITA qui y a intérêt, ainsi qu'il sera dit au dispositif, les dépens et demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile étant en conséquence réservées.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale mais uniquement de la part de M. [F], M. [U], la société DEUZAIR et la société E2M CVC au détriment de la société SAITA par le seul débauchage des trois salariés de la branche maintenance, dont M. [U], au profit de la société DEUZAIR.

Infirme le jugement entrepris pour le surplus.

Statuant à nouveau des chefs réformés :

Déclare hors de cause la société E2M,

Avant dire droit :

Ordonne une mesure d'expertise comptable confiée à :

Mme [T] [C]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Tél : [XXXXXXXX02]

Fax : [XXXXXXXX01]

Port. : [XXXXXXXX03]

Mèl : [Courriel 12]

Avec pour mission de :

- prendre connaissance du dossier, convoquer les parties ;

- entendre les parties assistées le cas échéant de leurs conseils et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution de la mission d'expertise ;

- se faire remettre tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission et entendre tous sachants ;

-déterminer le préjudice économique résultant pour la société SAITA du débauchage de l'ensemble des trois salariés de la branche maintenance de cette société entre les mois d'août 2016 et novembre 2016 en précisant ses conséquences en termes de perte de marge brute ou selon toute autre méthode idoine ;

- de façon générale, donner toute indication utile à la solution du litige ;

Rappelle que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile,

Rappelle que l'expert ne pourra recueillir l'avis d'un autre technicien que dans une spécialité distincte de la sienne, et qu'il pourra recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce que soient précisés leur nom, prénom, adresse, et profession ainsi que, s'il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêt avec elles,

Fixe à la somme de 3.000 € la provision que la SAS SAITA Entreprise devra consigner à la régie de la cour d'appel dans le délai de 2 mois du présent arrêt, faute de quoi l'expertise pourra être déclarée caduque, à moins que cette partie ne soit dispensée du versement d'une consignation par application de la loi sur l'aide juridictionnelle, auquel cas les frais seront avancés par le Trésor,

Dit que si l'expert entend, au cours de ces opérations, solliciter une consignation complémentaire, il devra en communiquer le montant au juge chargé du contrôle de l'expertise, et ce, après avoir 15 jours auparavant consulté les parties qui devront elles-mêmes communiquer à l'expert et au juge chargé du contrôle de l'expertise leurs observations dans les 10 jours suivant réception de cette information,

Désigne pour suivre l'expertise, le juge chargé du contrôle des expertises auprès de la cour d'appel de Bordeaux.

Dit qu'à l'occasion du dépôt de son rapport d'expertise définitif, l'expert devra, 10 jours avant d'en faire la demande auprès du magistrat chargé du contrôle de l'expertises, communiquer l'évaluation définitive de ses frais et honoraires aux parties, et ce, afin de permettre à ces dernières de formuler toutes observations utiles auprès du juge chargé du contrôle des expertises.

Dit que l'expert devra déposer son rapport en un seul exemplaire au greffe de la cour d'appel, dans le délai de 5 mois suivant la date de la consignation, sauf prorogation accordée par le magistrat chargé du contrôle de l' expertise, et ce, sur demande présentée avant l'expiration du délai fixé,

Dit que l'expert qui souhaite refuser sa mission en informera le service des expertises dans les 15 jours suivant la notification de la décision, sans autre avis du greffe.

Dit que l'expert pourra commencer ses opérations sur justification du récépissé du versement de la provision délivrée par le régisseur à la partie consignataire, à moins que le magistrat chargé du contrôle lui demande par écrit de le commencer immédiatement en cas d'urgence.

Renvoi l'affaire à la mise en état cabinet du 6 novembre 2024.

Réserve les dépens et demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.