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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 18 janvier 2024, n° 22/00249

DOUAI

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Design Consulting (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gilles

Conseillers :

Mme Mimiague, Mme Vanhove

Avocats :

Me Drancourt, Me Guerin, Me Liénart

TJ Lille, du 7 déc. 2021, n° 19/09000

7 décembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] a exercé la profession d'agent commercial indépendant. Puis, il a créé la société [U] conseil.

Par acte du 24 février 2017, la société [T] [Z] développement, représentée par son gérant M. [Z], a acquis de M. [U] sa carte d'agent commercial « Wimag qu'il détient personnellement et qu'il exploite sous forme de société à savoir SARL [U] conseil », pour le compte de la société de droit belge Wimag, dont l'activité est l'agencement et la création des intérieurs de magasins spécialisés dans l'alimentation, moyennant un prix de 200 000 euros. Le contrat prévoyait un accompagnement du repreneur par le cédant pendant une période transitoire d'une année, jusqu'au 31 décembre 2017, en contrepartie du versement d'une commission de 4 %.

L'acte de cession comportait une clause de non-concurrence souscrite par le cédant, pour une durée de cinq années sur la France entière pour toute activité d'agencement de magasins concurrentielle.

Préalablement, le 13 décembre 2016, la société Wimag avait signé avec la société [T] [Z] développement un contrat d'agence commerciale.

Considérant ensuite que M. [U] avait repris une activité concurrentielle et démarché des clients à son préjudice, la société [T] [Z] développement a, par courrier recommandé du 7 mai 2018, avec accusé de réception non retiré, mis en demeure M. [U] de cesser toute opération de concurrence sur le territoire français et de l'informer de l'ensemble des démarches entreprises afin de mettre un terme à ce qu'elle estimait être une violation de la clause de non-concurrence. 

Par courrier du 29 août 2018, M. [U] a sollicité de la société [T] [Z] développement la mise en place d'un contrat d'apport d'affaires avec un commissionnement à hauteur de 7,5 %.

Par courrier du 31 août 2018, le conseil de la société [T] [Z] développement s'opposait à la demande de M. [U] et le mettait en demeure de cesser ses actes de concurrence déloyale.

Le 1er septembre 2018, M. [U] a créé la société Design consulting dont il est le président.

Par courrier du 12 septembre 2018, le conseil de M. [U] a contesté toute concurrence déloyale, ainsi que la validité de la clause de non-concurrence.

Après investigations réalisées par un détective privé qu'elle a mandaté, la société [T] [Z] développement a saisi le juge des requêtes du tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir l'autorisation de procéder à un constat au visa de l'article 145 du code de procédure civile, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 15 février 2019.

Les opérations de constat ont été menées les 8 et 29 avril 2019 par un huissier instrumentaire Me [I], assisté de M. [H], expert en informatique qui a établi un rapport technique.

Par acte d'huissier de justice du 3 décembre 2019, la société [T] [Z] développement a fait assigner M. [U] et la société Design consulting devant le tribunal judiciaire de Lille afin de voir cesser les actes de concurrence déloyale qu'elle dénonce et en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 7 décembre 2021, cette juridiction a :

- rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 15 février 2019,

- rejeté la demande tendant à voir annuler les opérations de saisie menées par Me [I], huissier de justice, en exécution de l'ordonnance rétractée du 15 février 2019 et les actes subséquents,

- rejeté la demande tendant à voir ordonner la destruction par Me [I] de tous supports qui auraient servi au transfert des pièces appréhendées,

- rejeté la demande tendant à voir ordonner à Me [I] ou à la société DRD de restituer à M. [U] l'intégralité des pièces appréhendées en copie ou en original au cours des opérations du 8 avril 2019 de Me [I], huissier de justice,

- rejeté la demande tendant à voir faire interdiction sous astreinte à la société DRD d'utiliser de quelque manière que ce soit toute information ou tout document issu de l'exécution de l'ordonnance sur requête du 15 février 2019 et plus généralement des actes subséquents,

- déclaré nulle la clause de non-concurrence prévue à l'acte de cession du 24 février 2017 conclu entre la société [T] [Z] développement et M. [U],

- débouté la société [T] [Z] développement de sa demande tendant à voir interdire à M. [U] et à la société Design consulting de se livrer à des actes de concurrence de la société DRD, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée,

- débouté la société [T] [Z] développement de sa demande tendant à voir condamner M. [U] à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de la violation de son obligation de non-concurrence ou subsidiairement au titre de la violation de son obligation de garantie,

- débouté la société [T] [Z] développement de sa demande tendant à voir condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui payer la somme de 189 300 euros au titre des commissions détournées,

- débouté la société [T] [Z] développement de sa demande tendant à voir condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image,

- débouté M. [U] de sa demande tendant à voir condamner la société DRD à lui payer la somme de 10 500 euros au titre des commissions de 1 % dues pour l'exercice 2018,

- condamné la société [T] [Z] développement aux dépens, en ce compris ceux relatifs à l'ordonnance sur requête du 15 février 2019, aux frais d'huissier et de rapport technique en date des 8 et 29 avril 2019,

- condamné la société [T] [Z] développement à payer à M. [U] et la société Design consulting la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 17 janvier 2022, la société [T] [Z] développement a relevé appel de cette décision, tendant à sa réformation en ce qu'elle a :

- déclaré nulle la clause de non-concurrence prévue à l'acte de cession du 24 février 2017 conclu entre la société [T] [Z] développement et M. [U],

- l'a déboutée de sa demande tendant à voir interdire à M. [U] et à la société Design consulting de se livrer à des actes de concurrence de la société DRD, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée,

L’a déboutée de sa demande tendant à voir condamner M. [U] à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de la violation de son obligation de non concurrence ou subsidiairement au titre de la violation de son obligation de garantie,

- l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui payer la somme de 189 300 euros au titre des commissions détournées,

- l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image,

- l'a condamnée aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 18 septembre 2023, la société [T] [Z] développement demande à la cour de :

- réformer le jugement dans les termes de sa déclaration d'appel,

Statuant à nouveau,

- juger que la clause de non-concurrence souscrite entre les parties a été violée par M. [U],

- juger que la garantie d'éviction due par M. [U] à son égard a été violée par celui-ci,

- interdire à M. [U] et la société Design consulting que ce soit directement ou indirectement de se livrer à des actes de concurrence à son égard, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée, au besoin l'enjoindre en ces termes,

- condamner M. [U] à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de la violation de son obligation de non-concurrence ou subsidiairement au titre de la violation de son obligation de garantie,

- condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui verser la somme de 189 300 euros au titre des commissions détournées,

- condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image,

En toute hypothèse,

- débouter M. [U] et la société Design consulting de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting à lui régler la somme de 9 931,18 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. [U] et la société Design consulting aux frais et dépens, en ce compris les frais et honoraires de l'huissier et de l'expert informatique dans le cadre du constat, pour un montant de 4 424,89 euros dont distraction au profit de Me [O] dans les termes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code de procédure civile.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 19 septembre 2023, M. [U] et la société Design consulting demandent à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 15 février 2019, rejeté sa demande tendant à voir annuler les opérations de saisie et les actes subséquents, rejeté la demande tendant à voir ordonner la destruction par l'huissier de tous supports qui auraient servi au transfert des pièces appréhendées, rejeté la demande tendant à voir ordonner à l'huissier ou à la société [T] [Z] développement de restituer à M. [U] l'intégralité des pièces appréhendées, rejeté la demande tendant à voir interdire sous astreinte à la société [T] [Z] développement d'utiliser de quelque manière que ce soit toute information ou tout document issu de l'exécution de l'ordonnance et plus généralement des actes subséquents, a débouté M. [U] de sa demande tendant à voir condamner la société [T] [Z] développement à lui payer la somme de 10 500 euros au titre des commissions de 1 % dues pour l'exercice 2018,

- confirmer le jugement pour le surplus,

En conséquence,

- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue le 15 février 2019,

- annuler les opérations de saisies menées par Me [I] huissier de justice, en exécution de l'ordonnance rétractée et les actes subséquents,

- ordonner la destruction par Me [I] de tous supports qui auraient servi au transfert des pièces appréhendées, avec rédaction d'un procès-verbal de destruction, et remise d'un exemplaire dudit procès-verbal à M. [U],

- ordonner à Me [I] ou à la société [T] [Z] développement de restituer à M. [U] l'intégralité des pièces appréhendées en copie ou en original au cours des opérations du 8 avril 2019 de Me [I] huissier de justice,

- faire interdiction à la société [T] [Z] développement d'utiliser de quelque manière que ce soit toute information ou tout document issu de l'exécution de l'ordonnance sur requête et plus généralement des actes subséquents,

- dire que tout manquement constaté à cette interdiction sera sanctionné par une astreinte de 10 000 euros par manquement constaté,

- débouter la société [T] [Z] développement de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société [T] [Z] développement à payer à M. [U] la somme de 10 150 euros au titre des commissions impayées sur l'exercice 2018,

- condamner la société [T] [Z] développement à leur payer à chacun la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2023. Plaidée à l'audience du 4 octobre 2023, l'affaire a été mise en délibéré au 11 janvier 2024, prorogé au 18 janvier 2024.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 25 septembre 2023, M. [U] et la société Design consulting demandent à la cour de rejeter l'élément complémentaire de la pièce 9 intitulé « extraits de compte facebook de la boucherie [N] », au motif que la communication de cette pièce 1h30 avant la clôture de l'instance est tardive et déloyale, ne leur ayant pas permis de répliquer dans le temps imparti avant la clôture, étant précisé que l'extrait du compte Facebook date de janvier 2019.

Par note en délibéré transmise par la voie électronique le 5 décembre 2023, les parties ont été invitées, en application des dispositions de l'article 442 du code de procédure civile, à faire valoir leurs observations uniquement sur le point suivant sous huit jours : l'irrecevabilité de la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête formée par M. [U] et la société Design Consulting (et des demandes qui en découlent d'annulation de la saisie etc) dès lors que seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance pouvait être saisi d'une demande de rétractation de celle-ci.

Par note en délibéré transmise par la voie électronique le 5 décembre 2023, la société [T] [Z] développement a indiqué s'en tenir à ses écritures dans lesquelles elle faisait siens les motifs du jugement de première instance sur ce point.

Par note en délibéré transmise par la voie électronique le 13 décembre 2023, M. [U] et la société Design ont indiqué ne pas contester l'irrecevabilité de la demande de rétractation de l'ordonnance.

MOTIVATION

Sur la demande tendant à écarter « l'élément complémentaire de la pièce 9 »

La cour doit tenir compte des conclusions de M. [U] et la société Design consulting du 25 septembre 2023, postérieures à l'ordonnance de clôture, s'agissant de conclusions par lesquelles elle demande le rejet des débats de pièces produites tardivement par la société [T] [Z] développement.

Aux termes des dispositions de l'article 135 du code de procédure civile, le juge peut écarter des débats les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.

En complétant sa pièce n° 9 par des extraits d'une page issue du réseau social Facebook 1 heure 30 avant l'ordonnance de clôture, ce qu'elle ne conteste pas, la société [T] [Z] développement n'a pas mis M. [U] et la société Design consulting en temps utile en mesure de les examiner, de les discuter et d'y répondre.

En conséquence, ces extraits constituant une partie de la pièce n° 9 de la société [T] [Z] développement doivent être écartés des débats.

Sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête et ses conséquences,

M. [U] et la société Design consulting sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 15 février 2019 ainsi que les demandes d'annulation des opérations de saisie, de destruction de tout support ayant servi au transfert des pièces appréhendées, restitution de pièces saisies, d'interdiction d'utiliser les pièces sous peine d'astreinte en cas de manquement qui en découlaient. Ils sollicitent la rétractation de l'ordonnance dès lors qu'il n'était pas justifié de déroger au principe du contradictoire et que la société [T] [Z] développement ne justifiait d'aucun motif légitime.

La société [T] [Z] développement sollicite la confirmation du jugement sur ce point, faisant valoir que M. [U] et la société Design consulting font cette demande devant la mauvaise juridiction et auraient dû saisir le juge des requêtes de la demande de rétractation, ce qu'ils n'ont pas fait.

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Selon l'article 875 du même code, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

L'article 496 alinéa 2 du même code dispose que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

Ces dispositions ont été interprétées comme visant, après la notification de l'ordonnance sur requête lors de l'exécution de la mesure, à rétablir le contradictoire et à permettre ainsi au juge qui l'a rendue d'examiner à nouveau la requête qui lui avait été soumise en présence de celui à l'encontre duquel l'ordonnance a été obtenue. Elles ont ainsi pour effet de replacer le juge et le requérant dans la même situation que celle précédant l'élaboration de l'ordonnance, en présence cette fois de l'adversaire et en introduisant la contradiction.

Ces dispositions constituent un mécanisme exclusif de toute autre procédure, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance pouvant être saisi d'une demande de rétractation de celle-ci.

Il s'en déduit que la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 15 février 2019 présentée par M. [U] et la société Design consulting à titre reconventionnel devant le tribunal de commerce saisi par la société [T] [Z] développement d'une demande d'indemnisation de son préjudice, doit être déclarée irrecevable, de même que les demandes d'annulation des opérations de saisie, de destruction de tout support ayant servi au transfert des pièces appréhendées, restitution de pièces saisies, d'interdiction d'utiliser les pièces sous peine d'astreinte en cas de manquement qui en découlaient (2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-11323 et Com., 2 décembre 2020, pourvoi n°18-25.197).

Le jugement sera réformé en ce qu'il a rejeté ces demandes, ces demandes devant être déclarées irrecevables.

Sur les demandes formées par la société [T] [Z] développement,

Sur la clause de non-concurrence,

Le contrat de cession de la carte d'agent commercial de M. [U] à la société [T] [Z] développement contient une clause de non-concurrence aux termes de laquelle M. [U] « s'interdit d'exercer une activité d'agencement de magasins concurrentielle à la carte présentement cédée, soit directement soit indirectement, soit en représentation d'un mandat, soit en exploitation directe ou pour un tiers. Cette interdiction est conclue pour une durée de cinq ans sur la France entière ».

La société [T] [Z] développement soutient que cette clause, qui est parfaitement valable, a été violée par M. [U].

M. [U] et la société Design consulting soutiennent que la clause est nulle en ce qu'elle est disproportionnée et en ce qu'elle est contraire aux dispositions de l'article L. 134-14 du code de commerce. Ils ajoutent en outre qu'elle a été parfaitement respectée.

Aux termes de l'article L. 134-14 du code de commerce, inséré dans le chapitre consacré aux agents commerciaux, le contrat peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat. Cette clause doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l'agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat. La clause de non-concurrence n'est valable que pour une période maximale de deux ans après la cessation d'un contrat.

Si M. [U] et la société Design consulting soutiennent que la clause de non-concurrence prévue en l'espèce est nulle puisqu'elle n'est pas conforme aux exigences de ce texte, la cour constate, ainsi que le relève la société [T] [Z] développement, que ce texte réglemente la clause de non-concurrence pouvant être insérée dans un contrat d'agent commercial, ce que n'est pas le contrat conclu en l'espèce entre la société [T] [Z] développement et M. [U], s'agissant d'un contrat de cession d'une carte d'agent commercial. En conséquence, la clause de non-concurrence qui s'y trouve n'est pas soumise aux dispositions de ce texte, peu important que le contrat de cession prévoit un accompagnement de la société [T] [Z] développement par M. [U] postérieurement à la cession pendant une période transitoire avec une rémunération par des commissions.

La clause de non-concurrence souscrite en l'espèce est néanmoins soumise aux dispositions de droit commun applicables à toute clause de non-concurrence. En effet, une clause de non-concurrence n'est valable que si elle respecte certaines conditions de validité : elle ne peut se justifier que par un intérêt légitime de celui qui bénéficie de l'avantage concurrentiel et, quand bien même elle serait légitime, elle doit être proportionnée, ce qui implique la limitation de la clause quant au lieu et au temps et quant à l'activité prohibée.

La clause de non-concurrence se justifie en l'espèce par un intérêt légitime de la société [T] [Z] développement qui, ayant acquis pour la somme de 200 000 euros la carte d'agent commercial de M. [U] pour commercialiser les produits de la société Wimag, s'est donc vu céder la valeur commerciale de cette carte d'agent commercial et doit pouvoir être protégée pour un certain temps vis-à-vis de M. [U] pour qu'elle puisse entrer sur le marché et s'y implanter.

En outre, s'agissant de la proportionnalité de cette clause, la cour constate que sa limitation à la France entière est cohérente avec le fait que le contrat d'agent commercial conclu à l'origine entre M. [U] et la société Wimag prévoyait que les visites, prospections et interventions se limitaient à la seule France. Il n'était aucunement question, contrairement à ce que soutiennent M. [U] et la société Design consulting, d'une limitation de la zone de commerciale à la région Hauts-de-France, la région parisienne et la Seine-Maritime. Aucune disproportion n'est ainsi caractérisée concernant la limitation territoriale de la clause de non-concurrence.

La durée de cinq ans prévue en l'espèce n'apparaît pas davantage disproportionnée dès lors qu'un accompagnement d'une année était prévu par M. [U] contre rémunération, que le coût de cession de la carte d'agent commercial était important et que compte-tenu de la spécificité de l'activité consistant à vendre des aménagements à destination de magasins d'alimentation, il était nécessaire de laisser à la société [T] [Z] développement un temps suffisant pour entrer dans le marché, s'y implanter et y être connue, peu important que l'activité cédée ne comprenne pas de fidélisation de clientèle.

Enfin, aucune disproportion n'est caractérisée non plus s'agissant de l'activité visée. La clause interdit en effet à M. [U] d'exercer une activité d'agencement de magasins concurrentielle à celle de la carte cédée, ce qui signifie qu'il s'agit de l'agencement de magasins pour le compte de la société Wimag, puisque la carte cédée porte précisément sur les agencements de magasins commercialisés par cette société. Cette limitation est donc proportionnée puisqu'elle n'empêche pas M. [U] d'exercer normalement une activité professionnelle, mais seulement d'exercer l'activité professionnelle d'agent commercial qu'il exerçait pour la société Wimag et qu'il a cédée à la société [T] [Z] développement moyennant la somme de 200 000 euros.

Il convient en outre de rappeler, même si cela n'autorisait en tout état de cause pas la stipulation d'une clause de non-concurrence disproportionnée, que M. [U] a cédé sa carte d'agent commercial dans le cadre d'un départ en retraite, ce qui résulte de l'annonce qu'il a passée bien qu'il le conteste désormais.

Le jugement sera en conséquence réformé en ce qu'il a déclaré nulle la clause de non-concurrence prévue dans l'acte de cession du 24 février 2017 et M. [U] et la société Design consulting seront déboutées de leur demande de prononcé de la nullité de cette clause.

Si M. [U] soutient qu'il a respecté la clause de non-concurrence et n'a exercé aucune activité concurrentielle à l'activité de la carte cédée, la cour constate cependant qu'il a violé cette clause de non-concurrence.

Il doit d'abord être rappelé que dans le cadre du contrat conclu entre les parties, un accompagnement de la société [T] [Z] développement par M. [U] était prévu pendant une période transitoire courant sur l'année 2017 et que dans ce cadre, la rémunération de M. [U] était de 4 %, la société Wimag lui versant directement une commission de 3 % (un contrat d'agent commercial est conclu directement entre la société Wimag et M. [U] dans ce but) et la société [T] [Z] développement lui versant une commission de 1 %. Le contrat mentionne sur ce point « initialement il était convenu que M. [U] se faisait fort d'obtenir de la SPRL Wimag que la commission versée soit portée de 12 % à 15 % afin de permettre à M. [Z] de lui reverser une commission de 4 % pendant la période transitoire. La SPRL Wimag a préféré conclure directement un accord de commissionnement avec M. [U] de 3 %, laissant à M. [Z] la charge de reverser un complément de commission de 1 % pendant la période transitoire ».

Il résulte des pièces produites par la société [T] [Z] développements issus de l'ordinateur de M. [U] et notamment des fichiers intitulés « factures par année » ainsi que des devis trouvés dans son ordinateur, que celui-ci en 2017, 2018 et 2019 a établi des devis directement pour la société Wimag et a perçu des commissions directement de la société Wimag sans qu'elles ne correspondent à la commission de 3 % prévue dans le cadre de l'accompagnement pour l'année 2017. En effet, il existe différents tableaux concernant l'activité de M. [U], certains mentionnant la commission Wimag de 3 % et la commission « [T] », soit celle de la société [T] [Z] développement, ce qui indique qu'il s'agit de contrats relevant de l'accompagnement convenu entre les parties, d'autres ne faisant aucune mention des deux types de commissions et prévoyant une commission supérieure aux 3 % versés par la société Wimag pour les ventes relevant de l'accompagnement. M. [U] ne peut valablement soutenir qu'il ne s'agissait que de devis qui ne se sont pas concrétisés, dans la mesure où la mention « vendu » figure au début des lignes du tableau pour certaines ventes.

L'étude de ces tableaux permet de relever les ventes suivantes pour lesquelles M. [U] est intervenu directement pour la société Wimag et a perçu une rémunération supérieure aux 3 % convenus pour l'accompagnement de la société [T] [Z] développement :

- client [X] vente du 20 février 2019, montant global 400 000 euros, commission 12 000 euros,

- client [N] vente du 10 octobre 2018, montant global 170 000 euros, commission 10 200 euros,

- client [E] vente du 15 janvier 2019, montant global 150 000 euros, commission 20 000 euros,

- client [B] vente du 30 juin 2017, montant global 128 900 euros, commission 47 740 euros,

- client [D] vente du 30 août 2018, montant global 170 000 euros, commission 6 070 euros,

- client Factaria vente du 15 décembre 2019, montant global 330 000 euros, commission 40 000 euros.

Il résulte également de ces tableaux que de nombreux autres clients ont été démarchés par M. [U], qui a établi des devis et prévoyait des commissions plus importantes que les 3 % du contrat d'accompagnement, sans que les contrats n'aient été signés au jour des fichiers dans l'ordinateur de M. [U], la mention « en cours » figurant à la place de « vendu » (Hecquet pour 220 000 euros avec une commission de 22 000 euros, [Z] pour 210 000 euros avec une commission de 22 000 euros, [Z] [Y] pour 310 000 euros avec une commission de 30 000 euros, Votte pour 70 000 euros avec une commission de 8 500 euros, ainsi que d'autres clients pour lesquels les montants de commande et de commissions ne sont pas mentionnés).

La cour constate donc que M. [U] a poursuivi son activité d'agent commercial pour la société Wimag après la cession de sa carte à la société [T] [Z] développement, pour une partie dans le cadre de l'accompagnement de la société [T] [Z] développement contractuellement prévu mais également bien au-delà de ce seul accompagnement, contrairement à ce qu'il soutient, en souscrivant directement des contrats avec des clients pour le compte de la société Wimag qui donnaient lieu à une commission qui était versée à lui seul et bien plus élevée que les 3 % que la société Wimag devait lui verser dans le cadre de l'accompagnement de la société [T] [Z] développement.

M. [U] a donc engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société [T] [Z] développement en ne respectant pas son engagement de non-concurrence.

La société [T] [Z] développement ne sollicitant l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de la garantie légale d'éviction que subsidiairement à son indemnisation sur le fondement du non-respect de la clause de non-concurrence, il n'y a pas lieu pour la cour d'examiner ce moyen.

Sur les demandes formées par la société [T] [Z] développement en réparation de son préjudice

Aux termes de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

La société [T] [Z] développement sollicite :

- qu'il soit interdit à M. [U] et à la société Design consulting que ce soit directement ou indirectement de se livrer à des actes de concurrence à son égard, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée, au besoin l'enjoindre en ces termes,

- la condamnation de M. [U] à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de la violation de son obligation de non-concurrence,

- la condamnation solidaire de M. [U] et de la société Design consulting à lui verser la somme de 189 300 euros au titre des commissions détournées,

- la condamnation solidaire de la société [T] [Z] développement et M. [U] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image.

La durée prévue par la clause de non-concurrence étant désormais dépassée, le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a débouté la société [T] [Z] développement de sa demande tendant à interdire, sous astreinte, à M. [U] et la société Design consulting de se livrer à des actes de concurrence à son égard.

S'agissant du préjudice économique de la société [T] [Z] développement, elle l'estime à la somme de 150 000 euros, se basant sur un pourcentage du prix de cession de la carte qu'elle évalue à 75%.

Il est établi que le chiffre d'affaires de M. [U] dans le cadre de son activité d'agent commercial pour la société Wimag était de 180 730 euros en 2013, 176 671 euros en 2014, 195 127 euros pour 2015 et 240 000 euros en 2016.

Le chiffre d'affaires de la société [T] [Z] développement est justifié de la façon suivante : 182 216 euros pour 2017, 214 129 euros pour 2018, 101 671 euros pour 2019, 104 104 euros pour 2020 et 143 741 euros pour 2021.

Il est ainsi démontré que le chiffre d'affaires de la société [T] [Z] développement a chuté pour les années 2019, 2020 et dans une moindre mesure pour l'année 2021. Cette baisse de chiffre d'affaires est nécessairement en lien de causalité avec l'activité concurrentielle qu'exerçait M. [U] pour le compte de la société Wimag, les contrats passés directement par celui-ci étant autant de contrats que ne pouvait conclure la société [T] [Z] développement.

Compte tenu de ces éléments, le préjudice économique subi par la société [T] [Z] développement en lien avec la faute contractuelle commise par M. [U] peut être évalué à la somme de 80 000 euros.

Le jugement sera réformé en ce qu'il a débouté la société [T] [Z] développement de sa demande d'indemnisation et M. [U] sera condamné à payer à la société [T] [Z] développement la somme de 80 000 euros à ce titre, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière.

La société [T] [Z] développement ne peut à la fois solliciter des dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique en raison de la violation de l'obligation de non-concurrence par M. [U] et solliciter en outre la somme de 189 300 euros au titre des « commissions détournées », s'agissant des commissions qui selon elle ont été perçues par M. [U] alors qu'elles auraient dû lui être versées. En outre, la cour relève que dans la liste des clients établie par la société [T] [Z] développement, un grand nombre sont des clients dont les noms figurent dans les fichiers de M. [U] sans que la mention « vendu » ne soit apposée, ce qui ne permet pas de démontrer que M. [U] a perçu les commissions réclamées.

Enfin, s'agissant du préjudice d'image dont se prévaut la société [T] [Z] développement, qu'elle fonde sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, la cour constate que celle-ci soutient que M. [U] indique à toute personne que le dirigeant de la société [T] [Z] développement n'est pas capable de gérer la clientèle et n'est pas à la hauteur, ce qui n'est aucunement démontré, pas plus que la réalité du préjudice d'image qu'elle invoque.

En conséquence, le jugement ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a débouté la société [T] [Z] développement de ces demandes.

Sur la demande formée par M. [U] au titre des commissions impayées.

M. [U] sollicite la condamnation de la société [T] [Z] développement à lui payer la somme de 10 150 euros au titre des commissions impayées sur l'exercice 2018.

La cour relève cependant, ainsi que l'ont fait les premiers juges, que, contrairement à ce que soutient M. [U], la société [T] [Z] développement conteste lui devoir ces sommes et que M. [U] ne fonde sa demande que sur les tableaux qu'il a lui-même établis et qui ont été appréhendées dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance sur requête, sans apporter aucun autre élément de preuve du bienfondé des commissions impayées qu'il sollicite. Les contrats concernés, cosignés par lui et M. [U] conformément au contrat de cession de sont pas produits, alors même que l'accompagnement transitoire devait ne porter, d'après les termes du contrat de cession, que sur l'année 2017 et qu'il sollicite des commissions pour l'année 2018.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de paiement des commissions impayées de l'exercice 2018.

Sur les prétentions annexes,

Le sens de l'arrêt conduit à réformer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

M. [U], qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais et honoraires de l'huissier et de l'expert informatique et avec faculté de recouvrement direct au profit de Me [O] de ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. En équité, M. [U] sera condamné à payer à la société [T] [Z] développement la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Écarte des débats « extraits de compte facebook de la boucherie [N] » constituant une partie de la pièce n° 9 de la société [T] [Z] développement ;

Réforme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société [T] [Z] développement de sa demande tendant à voir interdire à M. [U] et la société Design consulting de se livrer à des actes de concurrence sous astreinte, a débouté la société [T] [Z] développement de sa demande de condamnation solidaire de M. [U] et la société Design consulting à lui payer la somme de 189 300 euros au titre des commissions détournées, a débouté la société [T] [Z] développement de sa demande au titre du préjudice d'image et a débouté M. [U] de sa demande au titre des commissions de l'exercice 2018 ;

Statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant,

Déclare irrecevables la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 15 février 2019, présentée par M. [U] et la société Design consulting à titre reconventionnel, et les demandes d'annulation des opérations de saisie, de destruction de tout support ayant servi au transfert des pièces appréhendées, restitution de pièces saisies, d'interdiction d'utiliser les pièces sous peine d'astreinte en cas de manquement qui en découlaient ;

Déboute M. [U] et la société Design consulting de leur demande de prononcé de la nullité de clause de non-concurrence ;

Condamne M. [U] à payer à la société [T] [Z] développement la somme de 80 000 euros au titre de son préjudice économique subi du fait de violation de la clause de non-concurrence, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière ;

Condamne M. [U] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de l'huissier et de l'expert informatique, avec faculté de recouvrement direct au profit de Me [O] de ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Condamne M. [U] à payer à la société [T] [Z] développement la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.