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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 30 janvier 2024, n° 22/02195

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint Jean de Monts (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Clerc, Me Bendrihem, Me Mazaudon, Me Burgaud

TJ Les Sables d'Olonne, du 12 juill. 202…

12 juillet 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Saint Jean de Monts est une filiale de la Société Eurogroup, opérateur touristique, qui depuis plus de 30 ans, exploite un fonds de commerce de résidence touristique, dénommé 'Domaine de Vertmarines', situé Route des Sables à Saint Jean de Monts, et pour lequel elle est immatriculée au Registre du commerce depuis 2007.

M. [T] [M] et Mme [D] [J] épouse [M] (ci-après les époux [M]) ont consenti le 4 juillet 2003 à la Société 'Gestion patrimoine Loisirs', aux droits de laquelle est venue la société Saint Jean de Monts, un bail commercial portant sur une villa de type Emeraude portant le numéro 16, Type EEA, comportant 4 chambres, salle de bain, salle de douche, séjour, piscine privative, terrasse et jardin, d'une capacité hôtelière de huit couchages.

Le bail a été consenti pour une durée de neuf années, débutant au lendemain du jour de l'achèvement de l'immeuble ou de la date d'acquisition, pour s'achever au 31 décembre de la neuvième année, soit le 31 décembre 2013.

Par acte extrajudiciaire en date du 26 juin 2017 les époux [M] ont notifié à la Société Saint Jean de Monts, un 'congé pur et simple avec offre d'indemnité d'éviction pour la date du 31 décembre 2017".

Les parties ont été en désaccord sur le montant de l'indemnité d'éviction.

Par acte d'huissier de justice en date du 29 juin 2018, les époux [M] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance des Sables d'Olonne pour voir désigner un expert afin d'évaluer l'indemnité d'éviction due à la suite du congé du 26 juin 2017.

Par ordonnance du 24 septembre 2018, le juge des référés a désigné M. [Z] [L] en définissant les missions d'expertise suivantes :

- visiter les lieux,

- rechercher tout élément permettant, au regard des lieux et de l'activité du preneur, des usages de la profession, de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation,

- proposer le montant de ces indemnités en déterminant les montants proposés au regard du point précédent,

- apporter tout élément utile à la compréhension et à la solution du litige,

- recueillir l'accord des parties et les concilier,

- établir un pré-rapport et répondre aux dires des parties.

M. [L] a déposé son rapport définitif le 28 février 2020 dont les conclusions sont les suivantes :

'L'indemnité d'éviction doit pouvoir être proposée dans une fourchette de 23.764 € à 25.966 €.

'La détermination de l'indemnité d'occupation est subordonnée aux modalités précises d'exploitation de la résidence en 2018 et en 2019 :

- Application de la clause recettes de 55 %, en cas de mise à disposition de droits de séjour,

- Evaluation d'une indemnité d'occupation de l'ordre de 10.000 € par année si absence de mise à disposition de droits de séjour.

Cette indemnité d'occupation se substitue au loyer courant en cas de non versement de ce dernier par le locataire, et ne s'ajoute pas.'

Par acte en date du 26 décembre 2019, préalablement au dépôt du rapport de l'expert, la société Saint Jean de Monts a fait assigner M. [T] [M] et Mme [D] [J] épouse [M] devant le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne en paiement d'une indemnité d'éviction sur la base de ce rapport d'expertise judiciaire, à hauteur de la somme de 69.700 euros, et en fixation d'une indemnité d'occupation.

Par jugement en date du 12 juillet 2022, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a statué ainsi :

- Condamne solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à payer à la société Saint Jean de Monts la somme de 25.966 euros à titre d'indemnité d'éviction ;

- Rappelle en application des dispositions de l'article L.145-29 du code de commerce que la société Saint Jean de Monts devra restituer les lieux et les clés à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] dans un délai de trois mois à compter du versement de l'indemnité d'éviction à cette société ou de la notification à celle-ci du versement de l'indemnité d'éviction à un séquestre ;

- Fixe l'indemnité d'occupation due à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] par la société Saint Jean de Monts, entre la date d'effet du congé jusqu'à la perception de l'indemnité d'éviction, au montant du loyer contractuel fixé par l'article 4 du bail, pour partie en nature, par la mise à disposition du bailleur de droits de séjours, et pour partie en numéraire selon une clause-recettes égale à 55% TTC du chiffre d'affaires TTC, et en tant que de besoin l'y condamne ;

- Condamne la société Saint Jean de Monts à verser à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] la somme de 374,40 euros au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour 2019 ;

- Déboute Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] de l'ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires, au titre de l'indemnité d'occupation pour les années 2018 à 2022 ;

- Dit n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties ;

- Déboute Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- Déboute Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- Condamne solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à verser à la société Saint Jean de Monts la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejette la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée par Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;

- Condamne solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] aux entiers dépens, en ce compris les frais de référé et ceux d'expertise, les frais de traduction de l'assignation, du jugement et de sa signfication, dont distraction au profit de Maître Cécile Larcher, avocat conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration en date du 30 août 2022, la Sarl Saint Jean de Monts a fait appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant les époux [M].

La Société Saint Jean de Monts, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 13 novembre 2023, demande à la cour de :

- Déclarer la Société SAINT JEAN DE MONTS recevable et bien fondée en son appel

Y faisant droit :

- Infirmer le Jugement dont appel en ce qu'il a :

- limité la condamnation solidaire de Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à payer à la société SAINT JEAN DE MONTS la somme de 25.966 euros à titre d'indemnité d'éviction ;

- condamné la société SAINT JEAN DE MONTS à verser à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] la somme de 374,40 euros au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour l'année 2019,

- dit n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties,

-débouté la société SAINT JEAN DE MONTS de ses demandes plus amples ou contraires au présent dispositif.

Statuant à nouveau de ces chefs,

- Condamner solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [M] [J] à payer à la société SAINT JEAN DE MONTS une somme de 76.266 euros à titre d'indemnité d'éviction, en suite du congé avec refus de renouvellement en date du 26 juin 2017,

- Déclarer infondés les époux [M] en toutes leurs prétentions et les débouter de toutes leurs demandes,

- Les déclarer infondés en leur appel incident,

En toute hypothèse, écarter des débats le rapport d'expertise et si nécessaire, désigner un nouvel expert pour évaluer l'indemnité d'éviction,

- Confirmer pour le surplus le jugement entrepris,

- Rappeler qu'au jour du paiement effectif de l'indemnité d'éviction, la société SAINT JEAN DE MONTS disposera d'un délai de trois mois pour cesser toute exploitation dans le bien loué, remettre les clefs et restituer les lieux à son bailleur, conformément aux dispositions de l'article L145-29 du Code de Commerce,

- Fixer l'indemnité d'occupation due par la société SAINT JEAN DE MONTS jusqu'à perception de l'indemnité d'éviction, aux mêmes clauses et conditions que le loyer, savoir, payable pour partie en nature, par la mise à disposition du bailleur de droits de séjours, et pour partie en numéraire, conformément à l'article 4 du bail liant les parties,

Subsidiairement, si la Cour devait fixer une indemnité d'occupation uniquement en numéraire,

- Juger qu'un coefficient de précarité de 20 % doit s'appliquer sur la valeur locative depuis la date du congé jusqu'à libération des lieux, en application de l'article L 145- 28 du Code de commerce,

- Juger que la contre-valeur des droits de séjours exercés par Monsieur [T] [M] et Madame [D] [M]-[J] depuis le 31 décembre 2017, date d'effet du congé, s'imputeront à due concurrence sur le montant total de l'indemnité d'occupation mise à la charge du preneur, au montant des tarifs publics en vigueur au jour de l'exercice des droits de séjours et condamner en tant que de besoin les époux [M] au remboursement du trop-perçu,

- En tout état de cause, condamner solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [M]-[J] à payer à la société SAINT JEAN DE MONTS une somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [M][J] aux entiers dépens, qui comprendront les dépens du référé, les frais d'expertise ainsi que les frais de traduction de l'assignation, de l'arrêt et des diverses significations, dont distraction au profit de Maître Jérôme CLERC, SELARL LEXAVOUÉ POITIERSORLEANS, Avocat constitué, dans les conditions de l'Article 699 du Code de Procédure Civile,

Les époux [M] , par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 16 novembre 2023, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire des SABLES D'OLONNE le 12 juillet 2022 en ce qu'il a :

- Fixé l'indemnité d'occupation due à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] par la société SAINT JEAN DE MONTS, entre la date d'effet du congé jusqu'à la perception de l'indemnité d'éviction, au montant du loyer contractuel fixé par l'article 4 du bail, pour partie en nature, par la mise à disposition du bailleur de droits de séjours, et pour partie en numéraire selon une clause-recettes égale à 55% TTC du chiffre d'affaires TTC, et en tant que de besoin, l'y condamne,

- Condamné la société SAINT JEAN DE MONTS à verser à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] la somme de 374,40 € au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour 2019,

Pour le surplus,

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire des SABLES D'OLONNE le 12 juillet 2022 en ce qu'il a :

- Condamné solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à payer à la société SAINT JEAN DE MONTS la somme de 25 966 € à titre d'indemnité d'éviction,

- Débouté Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] de l'ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires, au titre de l'indemnité d'occupation pour les années 2018 à 2022,

- Dit n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties,

- Débouté Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- Condamné solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à verser à la société SAINT JEAN DE MONTS la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejeté la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée par Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M],

-Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif,

-Condamné solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] aux entiers dépens, en ce compris les frais de référé et ceux d'expertise, les frais de traduction de l'assignation, du jugement et de sa signification, dont distraction au profit de Maître Cécile LARCHER, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

A titre principal,

- Fixer l'indemnité d'éviction à laquelle sont redevables M. et Mme [M] à l'égard de la société SAINT JEAN DE MONTS à la somme de 5 401 €,

- Les condamner au paiement de cette somme de 5 401 €,

- A titre subsidiaire et si par extraordinaire, la suppression du coefficient multiplicateur de 3 n'était pas retenue,

- Fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 16 203 €,

- Condamner Monsieur et Madame [M] au paiement de cette somme de 16 203 €,

En tout état de cause,

- Ordonner à la société SAINT JEAN DE MONTS de cesser toute exploitation dans le bien loué, remettre les clés et restituer les lieux à M. et Mme [M], conformément aux dispositions de l'article L 145-29 du code de commerce, dans un délai de 3 mois à compter du paiement effectif de l'indemnité d'éviction,

- Condamner la société SAINT JEAN DE MONTS à payer aux époux [M], au titre de l'année 2022 et des années postérieures, une indemnité d'occupation déterminée comme suit :

- soit l'application de la clause recettes de 55 % dans l'hypothèse où les époux [M] pourraient jouir de leur maison conformément aux dispositions du bail,

-ou à défaut, la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 10 015 €, à parfaire au prorata du temps de présence, en fonction de la date à laquelle la société SAINT JEAN DE MONTS aura libéré les locaux,

- Ordonner que les sommes dues par chacune des parties se paieront par compensation,

- Débouter la société SAINT JEAN DE MONTS de toutes autres demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société SAINT JEAN DE MONTS à verser à M. et Mme [M], chacun, la somme de 25 € par jour à compter de la date d'effet du congé, et jusqu'à parfait paiement, à titre de réparation du préjudice moral subi,

- Condamner la société SAINT JEAN DE MONTS à payer à M. et Mme [M] une somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure de première instance,

- Condamner la société SAINT JEAN DE MONTS aux entiers dépens de première instance, en ce compris les dépens de la procédure de référé et les frais d'expertise,

- Condamner la société SAINT JEAN DE MONTS à payer à Monsieur et Madame [M] la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel,

- Condamner la société SAINT JEAN DE MONTS aux entiers dépens et frais de l'instance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 Sur la demande tendant à écarter le rapport d'expertise et à désigner un nouvel expert :

Certes, comme le souligne la société Saint Jean de Monts, l'expert M. [L] ne s'est pas déplacé sur les lieux, manquant ainsi à la première des missions qui lui était confiées : 'Visiter les lieux'. La société appelante lui reproche d'avoir raisonné in abstracto. Pour autant, la cour observe qu'au cours des débats entre les parties, il n'est allégué d'aucun moyen tiré de l'état de l'immeuble pour influer sur l'évaluation de l'indemnité d'éviction : la discussion a exclusivement porté sur des données purement comptables et sur l'existence ou non de prestations hôtelière dont l'appréciation peut se faire par d'autres moyens qu'une visite des lieux. C'est pourquoi la cour dira, à l'instar du premier juge, qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'expertise de M. [L] et de désigner un nouvel homme de l'art.

2 Sur le choix de la méthode d'évaluation de l'indemnité d'éviction :

L'article L145-14 du code de commerce dispose :

'Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.'

Deux méthodes de calcul sont en débat pour évaluer l'indemnité d'éviction susvisée : celle dite de la méthode hôtelière et celle dite de la marge moyenne.

Après avoir exposé la première, l'expert l'a dite inappropriée et lui a préféré la seconde, faisant valoir que la société Saint Jean de Monts gérait des locaux sous le régime de la location saisonnière, et que la méthode de la marge était la mieux à même de valoriser un préjudice limité à la seule perte du contrat attaché à la résidence de M. et Mme [M], à savoir le manque à gagner économique pour la SARL Saint Jean de Monts, dans la limite du chiffre d'affaires généré par la villa des intimés, et de la marge.

Les époux [M] approuvent la méthode retenue par l'expert.

La SARL Saint Jean de Monts soutient en revanche que la méthode hôtelière doit être retenue en ce que :

-l'article L 145-14 du code de commerce susvisé dispose que l'indemnité d'éviction 'comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession',

-que plusieurs critères permettent d'affirmer que la SARL Saint Jean de Monts exerce une activité d'hôtellerie (répertoire SIRENE, convention collective applicable aux salariés, prestations de service offertes à la clientèle).

Les moyens échangés sur ce point appellent les deux observations suivantes.

D'une part, s'agissant des termes du contrat, l'article 2 du bail commercial unissant les parties stipule : 'Le preneur exercera, dans le local faisant l'objet du bail, de même que dans les locaux similaires qu'i1 prendra en location, une activité d'exp1oitation para-hôtelière consistant en la location meublée dudit local pour des périodes déterminées, avec la fourniture des différents services ou prestations para-hôtelière à sa clientèle.' La cour constate que si le terme 'para-hôtelière' figure dans cet article, il est aussi fait référence à la notion de 'location meublée', et il résulte de l'examen de l'activité de la société appelante que la location saisonnière qui génère peu de frais de fonctionnement, l'emporte sur les prestations de service para-hôtelières. Si bien que la méthode dite hôtelière ne s'impose pas nécessairement, au titre des usages de la profession tels qu'énoncés à l'article L 145-14 du code de commerce et que la méthode dite de la marge peut être retenue.

D'autre part et surtout, l'indemnité d'éviction doit être appréciée en prenant en considération exclusivement les locaux dont le preneur est évincé. Or, il convient de rappeler à cet égard la spécificité du présent litige : il consiste à évaluer le manque à gagner subi par la SARL Saint Jean de Monts du fait de son éviction du seul immeuble des époux [M] qui ne constitue jamais qu'un seul lot sur 48 villas. Il y a eu en l'occurrence perte partielle du fonds de commerce et l'appréciation du préjudice subi par le biais de la marge réalisée sur l'exploitation de ce lot est particulièrement adaptée. D'ailleurs, dans une procédure comparable concernant une résidence service (résidence étudiante) qui exerçait une activité de location de logements en meublé avec fourniture de services para-hôteliers au moyen de baux commerciaux consentis par des particuliers, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (n° 17-24458) a approuvé une cour d'appel qui a 'écarté le caractère indivisible du fonds et qui a souverainement retenu que les usages professionnels observés dans la branche d'activité de l'hôtellerie n'avaient pas à s'appliquer à l'activité d'exploitation de résidence étudiante'.

Au vu des observations qui précèdent, la méthode dite de la marge moyenne sera approuvée.

3) Sur le calcul de l'indemnité d'éviction selon la méthode dite de la marge moyenne :

L'expert a procédé au mode de calcul suivant :

-Moyenne sur les trois dernières années du chiffre d'affaires hébergement de la villa [M] par application d'un coefficient de 3 à 5 :

-Chiffre d'affaires hébergement (Application du taux de marge de 45 %) :

16.203 € (3) 21.604 € (4) 27.005 € (5)

-Chiffre d'affaire autre qu'hébergement (Application du taux de marge de 42,2 %) : 17.704 € (3) 23.609 € (4) 29.507 € (5)

-Application d'un taux de 10% pour trouble commercial et frais de remploi :

Sur la base d'un coefficient de 4, proposition d'une fourchette de 23.764 € à 25.966 €.

Ce mode de calcul est critiqué sur les trois points suivants :

1) La société appelante reproche à l'expert de ne pas avoir intégré dans les données d'exploitation du lot considéré, la valeur économique du droit de séjour des bailleurs.

2) Les deux parties reprochent à l'expert le coefficient par lui retenu :

-la société Saint Jean de Monts prétendant à l'application d'un coefficient de 9,

-les époux [M] prétendant à l'application d'un coefficient de 1 eu principal et de 3 subsidiairement.

3) Les parties sont en désaccord sur les indemnités accessoires.

Ces trois points seront examinés successivement.

a) Sur la valeur économique du droit de séjour des bailleurs :

La société Saint Jean de Monts affirme que les chiffres d'affaires enregistrés au titre de la villa litigieuse s'expliquent par le choix du bailleur de percevoir un loyer en nature plutôt qu'un loyer en numéraire et que le choix du propriétaire ne saurait pénaliser le preneur dans le calcul de l'indemnité d'éviction lui revenant.

Les époux [M] répliquent que si le bail avaient été renouvelé, ils auraient, comme par le passé, bénéficié de leurs droits de séjour et la société Saint Jean de Monts n'aurait pas pu davantage louer leur immeuble.

Ces moyens appellent les observations suivantes.

En application de l'article L 145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction a pour objet de réparer le préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail. Il convient d'indemniser le preneur, ni en deçà ni au-delà du dommage subi. Or, comme le font justement remarquer les intimés, s'il savaient accepté de renouveler le bail consenti à la société appelante, ils auraient pu continuer à user, dans la limite des dispositions contractuelles, du droit d'usage personnel de leur villa. Il n'y a donc pas lieu de valoriser, au titre du chiffre d'affaires de la villa n° 18, les semaines d'occupation par les époux [M] au cours des trois dernières années. La cour rappelle en outre que seule doit être prise en compte la rentabilité, c'est à dire la capacité à dégager du profit.

b) Sur le coefficient à appliquer :

La SARL Saint Jean de Monts conclut à l'application d'un coefficient de 9 en faisant valoir que dès lors que l'expert a exclu la méthode hôtelière, il devait aussi écarter la fourchette de coefficient allant de 3 à 5 propre à cette méthode, pour appliquer un coefficient de 9 correspondant à la durée du contrat s'il avait été renouvelé.

Les époux [M] répliquent que c'est le multiplicateur de 1 qui doit s'appliquer car le coefficient a pour objet de compenser la durée pendant laquelle le preneur n'aurait pas trouvé de formule de compensation du contrat rompu, qu'en l'espèce, il y a plus de cinq ans que le congé a pris effet et que la société preneuse a certainement retrouvé une nouvelle résidence à exploiter.

Ces moyens appellent les observations suivantes.

En page 13 de son rapport, l'expert M. [L] indique : 'Le fait de remplacer la résidence de M. et Mme [M] par une autre (à trouver), ne pourra générer de frais de déménagement ou de frais de transfert partiel de fonds de commerce'. Le principe est donc posé, et non discuté en soi par les parties, selon lequel il convient de prendre en considération la durée pendant laquelle la société Saint Jean de Monts est susceptible d'être privée d'une des villas constituant son fonds de commerce.

Si les époux [M] prétendent que compte tenu du temps écoulé depuis que le congé a pris effet, la société appelante a certainement retrouvé une nouvelle résidence à exploiter, aucun élément de preuve n'est versé à l'appui de cette affirmation et le coefficient de 1 sera donc écarté. A l'inverse, l'application du coefficient maximal de 9 conduirait les bailleurs à indemniser leur preneur au titre de l'hypothèse la plus défavorable : celle dans laquelle la SARL n'aurait toujours pas trouvé de lot de remplacement sur toute la durée du bail s'il avait été renouvelé, alors que la cour n'est en mesure d'apprécier qu'un simple risque

L'expert a précisé à l'occasion d'une réponse à un dire (page 22 de l'expertise) : 'Le risque du locataire reste la perte du contrat qu'il devra compenser dans les trois à cinq ans. Le coefficient de quatre apparaît une valeur moyenne acceptable'.

Entre 1 et 9, la cour retiendra le taux parfaitement médian de 4,5 à équidistance des deux extrêmes.

Le calcul s'opérera de la façon suivante :

Chiffre d'affaires hébergement (Application du taux de marge de 45 %) : 24.304 €,

Chiffre d'affaire autre qu'hébergement (Application du taux de marge de 42,2 %) : 26.554 €, soit une moyenne de 25.429 €.

c) Sur les indemnités accessoires :

En droit, il résulte de l'article L 145-14 du code de commerce que l'indemnité d'éviction peut être 'augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre'.

En l'espèce, à la base de calcul sur la moyenne des chiffres d'affaires (hébergement / autre qu'hébergement), l'expert a appliqué une majoration de 10 % au titre du trouble commercial et pour les frais de remploi.

La SARL Saint Jean de Monts sollicite une réparation au titre :

-du trouble commercial,

-des frais de remploi,

-des frais de déménagement.

Les époux [M] s'opposent à la majoration de 10% préconisée par l'expert en ce que selon eux, ajoutée au coefficient multiplicateur, elle reviendrait à indemniser deux fois le même préjudice.

Ces prétentions appellent les observations suivantes de la cour.

En ce qui concerne les frais allégués de déménagement, comme l'indiquent les époux [M], la société preneuse ne va pas déménager l'exploitation de son fonds de commerce du fait que le bail d'une seule villa sur les 48 constituant la résidence, n'a pas été renouvelé. La cour rejettera la demande d'indemnisation de ce chef.

L'indemnité de remploi est destinée à compenser : les droits de mutation qui seront dus pour acquérir un fonds de commerce ou un droit au bail de valeur équivalente, les frais d'acte et les frais de transaction.

L'indemnité pour trouble commercial est destinée à compenser la perte de temps générée par l'éviction dans la mesure où le preneur va devoir gérer la procédure d'éviction et rechercher un nouveau fonds de commerce.

Le non renouvellement du bail par les époux [M] ne va certes entraîner qu'une disparition très partielle de son fonds de commerce. Il n'en reste pas moins que pour le reconstituer, la SARL Saint Jean de Monts va être contrainte de rechercher une nouvelle villa à louer, ce qui va entraîner des frais réparables par une indemnité de remploi et des démarches qui pourront être compensées par l'allocation d'une somme au titre du trouble commercial. L'indemnisation de ces chefs répare un dommage distinct de la seule perte de rentabilité qui est compensée par le coefficient appliqué pour déterminer l'indemnité d'éviction de base.

Compte-tenu de l'ensemble de ces observations, en vue de réparer trouble commercial et de compenser les frais de remploi, l'indemnité d'éviction de base sera augmentée de 10% et les époux [M] seront condamnés à payer à la SARL Saint Jean de Monts la somme de :

25.429 € + 10 % = 27.971 €.

Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

4) Sur l'indemnité d'occupation :

En droit, l'article L145-28 du code de commerce dispose :

'Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

Par dérogation au précédent alinéa, dans le seul cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 145-18, le locataire doit quitter les lieux dès le versement d'une indemnité provisionnelle fixée par le président du tribunal judiciaire statuant au vu d'une expertise préalablement ordonnée dans les formes fixées par décret en Conseil d'Etat, en application de l'article L. 145-56.'

En l'espèce, le premier juge a statué sur ce pont comme suit :

'Fixe l'indemnité d'occupation due à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] par la société Saint Jean de Monts, entre la date d'effet du congé jusqu'à la perception de l'indemnité d'éviction, au montant du loyer contractuel fixé par l'article 4 du bail, pour partie en nature, par la mise à disposition du bailleur de droits de séjours, et pour partie en numéraire selon une clause-recettes égale à 55% TTC du chiffre d'affaires TTC, et en tant que de besoin l'y condamne.'

Les époux [M], appelants incident sur ce point, demandent à la cour de condamner la société Saint Jean de Monts à leur payer, au titre de l'année 2022 et des années postérieures, une indemnité d'occupation déterminée comme suit :

-soit l'application de la clause recettes de 55 % dans l'hypothèse où les époux [M] pourraient jouir de leur maison conformément aux dispositions du bail,

-ou à défaut, la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 10.015 €, à parfaire au pro rata du temps de présence, en fonction de la date à laquelle la société Saint Jean de Monts aura libéré les locaux.

La cour constate que l'indemnité d'occupation telle que le premier juge l'a fixée, est conforme aux dispositions de l'article L145-28 du code de commerce en ce qu'elle permet un maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

5) Sur la somme de 374,40 € réclamée par la société Saint Jean de Monts :

Le premier juge a condamné la société Saint Jean de Monts à payer aux époux [M] la somme de 374,40 € au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour 2019 au motif que la société preneuse ne pouvait nullement se prévaloir de la compensation avec une créance qu'elle aurait sur les bailleurs à hauteur de la somme litigieuse.

En cause d'appel, la cour constate que la société appelante produit en pièce n° 74 une facture de la SARL Plomberie Baril d'un montant de 374,40 € correspondant au remplacement d'un sèche-serviette dans la maison n° 16 du Domaine de Vertmarine. Cette villa correspond à celle des époux [M].

Il y a lieu donc de considérer que la preuve est rapportée d'une créance de la société Saint Jean de Monts sur les intimés à hauteur de 374,40 €. Le jugement sera donc réformé en ce qu'il a condamné la société Saint Jean de Monts à verser à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] la somme de 374,40 euros au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour 2019.

6) Sur les autres demandes :

Sur le demande de compensation entre les créances réciproques des parties :

Rien ne s'oppose à ce qu'il soit fait droit à cette demande. La cour ordonnera donc la compensation entre les créances réciproques des parties. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur le préjudice moral allégué par les époux [M] :

Les intimés sollicitent la somme de 25 € par jour à compter de la date d'effet du congé jusqu'à parfait paiement, au titre de la réparation de leur préjudice moral. Ils font valoir que la procédure a été rendue longue et complexe en ce que la société Saint Jean de Monts a refusé leur proposition initiale de paiement d'une indemnité d'éviction à hauteur de 14.852,50 €.

Ce moyen appelle les deux observations suivantes.

D'une part, l'indemnité d'éviction, telle que fixée par la cour est sensiblement supérieure à la proposition initiale des bailleurs et il ne saurait être reproché à la société appelante d'avoir eu recours à l'arbitrage du juge.

D'autre part, les bailleurs ont fait délibérément le choix, en vue de bénéficier d'avantages fiscaux, de mobiliser un outil juridique tripartite qui rendait nécessairement complexe le non renouvellement du bail commercial.

C'est pourquoi le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté les intimés de leurs demandes de ce chef.

Sur l'application de l'article L.145-29 du code de commerce :

La cour ne pourra que confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rappelé en application des dispositions de l'article L.145-29 du code de commerce que la société Saint Jean de Monts devra restituer les lieux et les clés à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] dans un délai de trois mois à compter du versement de l'indemnité d'éviction à cette société ou de la notification à celle-ci du versement de l'indemnité d'éviction à un séquestre.

Sur les frais et dépens :

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux [M] qui succombent seront déboutés de leur demande au titre des frais irrépétibles, condamnés aux entiers dépens d'appel et condamnés à payer à la SARL Saint Jean de Monts la somme de 3.000 € complémentaire en cause d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- Condamné solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à payer à la société Saint Jean de Monts la somme de 25.966 euros à titre d'indemnité d'éviction ;

- Condamné la société Saint Jean de Monts à verser à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] la somme de 374,40 euros au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour 2019 ;

- Dit n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties ;

Statuant à nouveau de ces trois chefs,

Condamne solidairement Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à payer à la société Saint Jean de Monts la somme de 27.971 € euros à titre d'indemnité d'éviction ;

Dit n'y avoir lieu à condamner la société Saint Jean de Monts à verser à Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] la somme de 374,40 euros au titre d'un reliquat d'indemnité d'occupation pour 2019 ;

Ordonne la compensation entre les créances réciproques des parties ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ;

Déboute Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] à payer à la SARL Saint Jean de Monts la somme de 3.000 € complémentaire en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne Monsieur [T] [M] et Madame [D] [J] épouse [M] aux entiers dépens d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.