CA Nîmes, 4e ch. com., 26 janvier 2024, n° 23/01643
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Damour (SARL)
Défendeur :
Saint Just (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Reche, Me Jacques Ferri
Par acte sous signature privée du 11 avril 2006, la société Saint Just a consenti un bail commercial à la société Vélo Sud portant sur des locaux d'une superficie de 500m² situés [Adresse 6] à [Localité 7].
Le 26 septembre 2014, la société bailleresse a délivré à sa locataire un congé avec offre de renouvellement du bail commercial. Celui-ci a été renouvelé.
Par acte du 20 janvier 2015, la société Vélo Sud a cédé son fonds de commerce à la société Vélos d'Amour, aujourd'hui dénommée Damour. Cette dernière s'est acquittée d'une caution d'un montant de 15 438 euros TTC.
Le 7 avril 2021, la société Vélos d'Amour a cédé son fonds de commerce.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 22 mars 2021, la société Saint Just a exercé son droit d'opposition sur le prix de vente du fonds pour un montant de 14 397,60 euros.
Suivant courrier du 19 avril 2021, la société Saint Just a informé la société Vélos d'Amour de ce qu'elle entendait lui rembourser un solde de caution à hauteur de 948,40 euros compte tenu du droit d'opposition préalablement exercé.
La société Vélos d'Amour ne conteste pas être redevable de la somme de 788,79 euros au titre de la quote-part des ordures ménagères (668,21 euros TTC), de l'eau (8,85 euros TTC) et de l'entretien des espaces verts (111,73 euros TTC).
Toutefois, par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 juillet 2021, reçue le 30 juillet 2021, la société Vélos d'Amour a sollicité de la société Saint Just le remboursement du reliquat de sa caution, à savoir la somme de 13 610,81 euros,en vain.
Par exploit du 8 février 2022, la société Damour a fait assigner la société Saint Just devant le tribunal judiciaire de Nîmes aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 13 610,81 euros au titre de la restitution du solde de dépôt de garantie avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juillet 2021, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la signification de la décision à intervenir. Elle sollicitait en outre la condamnation de la société Saint Just au paiement de la somme de 6 395 euros au taux pratiqué par la Banque de France sur titres, à compter du 22 janvier 2015 et jusqu'à la date de remboursement effectif, de la somme de 2 500 euros pour résistance abusive et de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement du 9 mai 2023, le tribunal judiciaire de Nîmes a :
-Constaté que la demande de rabat de l'ordonnance de clôture du 25 octobre 2022 est sans objet ;
-Déclaré l'action de la SARL Damour irrecevable ;
-Condamné la SARL Damour à supporter la charge des entiers dépens ;
-Condamné la SARL Damour à verser 1 000 euros à la SARL Saint Just au titre des frais irrépétibles ;
-Rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit ;
-Débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le 12 mai 2023, la S.A.R.L. Damour a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en ce qu'elle a déclaré son action irrecevable, l'a condamnée à supporter la charge des entiers dépens et l'a condamnée à verser 1 000 euros à la SARL Saint Just au titre des frais irrépétibles.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour de :
-Déclarer l'appel de la société Damour recevable et bien fondé ;
Et en conséquence,
-Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau ;
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil, les articles L145.40 et suivants du code de commerce,
-Juger l'action engagée par la société Damour parfaitement recevable ;
-Condamner la SARL Saint Just à payer à la société Damour la somme de 13 610,81 euros au titre de la restitution du solde du dépôt de garantie réalisé le 20 janvier 2015, avec intérêts au taux légal entre la mise en demeure du 30 juillet 2021 et le parfait paiement, au besoin sous astreinte de 500 euros par semaine de retard passé le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
-Condamner en outre la société Saint Just au paiement des intérêts au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, sur la somme de 6 395 euros à compter du 22 janvier 2015 et jusqu'à la date de remboursement effectif par application de l'article L 145-40 du Code de commerce ;
-Condamner, la SARL Saint Just au paiement de la somme 2 500 euros pour résistance abusive ;
-Débouter la SARL Saint Just de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
-Condamner la SARL Saint Just aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que son action est recevable. Elle expose que la fin de non-recevoir opposée par le preneur n'a aucun fondement juridique, que les textes visés dans le jugement déféré ne concernent pas le cas d'espèce, que le bailleur n'a fait aucune opposition conforme à la loi et qu'il n'a jamais accepté cette soi-disant opposition. Le preneur soutient exercer une action en restitution de dépôt de garantie d'un bail commercial qui est recevable en ce qu'elle est soumise au délai de prescription de droit commun de 5 ans et non au délai biennal de l'article L.145-60 du code de commerce.
Sur le fond, le preneur conteste devoir payer une quote-part des frais de gestion en l'absence de mention expresse dans le contrat de bail, s'insurge contre l'application de pénalités de retard alors qu'il n'a jamais réglé avec plus d'un mois de retard les loyers et en toute hypothèse demande leur réduction en ce que ces pénalités sont manifestement excessives. Outre le paiement du solde dû au titre du dépôt de garantie, le preneur sollicite le paiement d'intérêts sur le montant du dépôt de garantie supérieur à un mois de mensualité au visa de l'article L.145-40 du code de commerce et des dommages-intérêts pour procédure abusive.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'intimée demande à la cour de :
-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Nîmes le 9 mai 2023 et ce au visa des articles L. 141-14 et L. 141-15 du Code de commerce ;
En conséquence,
A titre principal,
Tenant l'absence de contestation à l'opposition à cession de fonds de commerce,
-Déclarer irrecevable la procédure diligentée par la SARL Vélos d'Amour ;
-La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
-La condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Subsidiairement,
Vu l'article 1231-1 du Code civil, le contrat de bail,
-Condamner la société Damour à une pénalité de 2 % à hauteur de 10 760 euros HT, soit 12 912 euros TTC ;
-La condamner au paiement des sommes suivantes :
125,67 euros HT soit 150,80 euros TTC au titre du poste quote-part frais de gestion (prorata de la taxe foncière),
556,84 euros HT, soit 668,21 euros TTC, en paiement de la quote-part TOM,
8,85 euros TTC au titre de l'eau,
111,73 euros TTC au titre de l'entretien des espaces verts.
-Juger, en conséquence, la retenue opérée par la SARL Saint Just à hauteur de 14 397,60 euros légitime et fondée ;
-Débouter, en conséquence, la société Vélos d'Amour, de l'ensemble de ses contestations ;
-La condamner encore au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir que les demandes du preneur sont irrecevables car il n'a pas contesté l'opposition au prix de vente du fonds dans les formes de l'article L.141-15 du code de commerce. Le bailleur expose que la quote-part des frais de gestion consiste au prorata facturé par la commune de la taxe foncière à la charge du locataire, que le preneur payait systématiquement son loyer en retard et qu'il n'était pas obligé de délivrer une mise en demeure au preneur. Il réfute l'argumentation du preneur à qui il demande de justifier que ses règlements ont été effectués à bonne date. Le bailleur soutient enfin que l'article L.145-40 du code de commerce concerne le paiement des loyers d'avance et non la caution, de sorte qu'il est inapplicable à l'espèce.
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Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur la recevabilité des demandes du preneur :
L'article L.141-14 du code de commerce dispose : « dans les dix jours suivant la dernière en date des publications prévues à l'article L.141-12, tout créancier du précédent propriétaire, que sa créance soit ou non exigible, peut former au domicile élu, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, opposition au paiement du prix. L'opposition, à peine de nullité, énonce le chiffre et les causes de la créance et contient une élection de domicile dans le ressort de la situation du fonds. Le bailleur ne peut former opposition pour loyers en cours ou à échoir, et ce, nonobstant toutes stipulations contraires. Aucun transport amiable ou judiciaire du prix ou de partie du prix n'est opposable aux créanciers qui se sont ainsi fait connaître dans ce délai. »
L'opposition sur prix de vente est une mesure conservatoire qui ne préjuge pas du bien-fondé de la créance. C'est la raison pour laquelle l'article L.145-15 du code de commerce prévoit une saisine du juge des référés en mainlevée de cette mesure conservatoire.
Il n'est pas contesté que le preneur n'a pas usé de cette faculté.
Mais la demande de restitution du dépôt de garantie formée par le preneur a un tout autre fondement juridique qui est l'application des clauses du contrat de bail au visa des articles 1103, 1104 du code civil, L.145-40 et suivants du code de commerce. Elle est donc soumise au délai de prescription de droit commun de 5 ans.
Dès lors, le jugement déféré ne pouvait faire application de l'article L.141-15 du code de commerce qui concerne la saisine du juge des référés pour faire obstacle au paiement par l'acquéreur au créancier du montant de son opposition.
L'action en restitution du dépôt de garantie est recevable.
Sur le fond :
Selon le bailleur, la somme de 125,67 euros HT soit 150,80 euros TTC au titre du poste quote-part frais de gestion correspond à un prorata de la taxe foncière.
Cependant, le contrat de bail stipule en son article 17 que le preneur rembourse à première demande au bailleur sa quote-part des charges hormis les taxes foncières.
Cette somme n'est donc pas due par le preneur.
L'article 14 du contrat prévoit un paiement mensuel et d'avance du loyer avant le 4 du mois. Tout paiement tardif donne lieu au paiement d'une pénalité correspondant à 2% du montant du loyer par mois de retard.
Le bailleur produit un relevé comptable faisant apparaître que les loyers ont été systématiquement payés en retard. Le preneur n'a notamment réglé aucun loyer entre le 22 février 2020 et le 25 mai 2020, le loyer du mois d'octobre 2020 a été réglé par la remise de deux chèques les 26 novembre et 4 décembre 2020.
Il est exact que des paiements sont finalement intervenus par chèque. Le preneur prétend avoir remis ses chèques à bonne date mais n'en apporte aucune preuve alors qu'il a la charge de démontrer qu'il est libéré du paiement du loyer. Aucune quittance de loyer n'est produite, aucun reçu émanant du bailleur.
Il n'est pas davantage démontré une renonciation tacite du bailleur à se prévaloir des clauses du contrat de bail. Une renonciation tacite doit être dépourvue d'équivoque et l'absence de réclamation des pénalités durant l'exécution du contrat de bail ne suffit pas à caractériser cette renonciation.
Il est par contre exact que le créancier ne s'explique aucunement sur les modalités de calcul de ces pénalités. Il n'indique pas sur quels loyers elles s'appliquent et ne fournit aucun décompte. N'appliquant pas le contrat de bonne foi en permettant au preneur de comprendre les sommes dont il est redevable, il convient de débouter le bailleur de sa demande en paiement des pénalités.
Il s'ensuit que le preneur est fondé à obtenir le paiement de la somme de 13 610,81 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juillet 2021, sans qu'il ne soit nécessaire, à ce stade, d'assortir la condamnation à paiement d'une astreinte.
Aux termes de l'article L.145-40 du code de commerce, « Les loyers payés d'avance, sous quelque forme que ce soit, et même à titre de garantie, portent intérêt au profit du locataire, au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, pour les sommes excédant celle qui correspond au prix du loyer de plus de deux termes. »
En l'espèce, le loyer est payable mensuellement et d'avance (article 14 du contrat de bail). L'article 16 du contrat indique qu'en garantie du paiement des loyers, le preneur verse entre les mains du bailleur une somme correspondant à un trimestre de loyers.
Le dépôt de garantie s'analysant comme un supplément de loyer, l'article L.145-40 du code de commerce, qui est d'ordre public, doit s'appliquer.
Les parties s'accordent cependant à dire que deux mois de loyer ont été réellement versés, soit la somme de 12 790 euros HT.
Le loyer étant payable par mois, c'est le mois qui constitue le terme, et le bailleur ne peut obtenir qu'un mois d'avance et un mois de dépôt de garantie ou deux mois de dépôt de garantie, si le loyer est payable à terme échu.
Civ. 3e, 6 mai 1985, Bull. civ. III, no 78.
Il s'ensuit que la somme de 6 395 euros HT doit porter intérêt au profit du locataire au taux pratiqué par la Banque de France depuis son versement le 20 janvier 2015.
Sur les dommages intérêts et frais de l'instance :
Le preneur ne caractérise pas la mauvaise foi du bailleur qui ne peut résulter de la seule appréciation inexacte de ses droits. Il sera donc débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Le bailleur, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer au preneur une somme équitablement arbitrée à 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action engagée par la société Damour,
Condamne la SARL Saint Just à payer à la société Damour la somme de 13 610,81 euros au titre de la restitution du solde du dépôt de garantie réalisé le 20 janvier 2015, avec intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 30 juillet 2021,
Dit n'y avoir lieu à assortir immédiatement cette condamnation d'une astreinte,
Condamne la société Saint Just à payer à la société Damour les intérêts au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, sur la somme de 6 395 euros à compter du 22 janvier 2015 et jusqu'à la date de remboursement effectif par application de l'article L.145-40 du Code de commerce,
Déboute la société Damour de sa demande de dommages intérêts pour résistance abusive,
Condamne la société Saint Just à payer à la société Damour une somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Saint Just aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.