CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 26 janvier 2024, n° 23/12019
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SL Krishna (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Le Cotty, M. Birolleau
Avocats :
Me Semhoun, Me Maratray-Baccuzat
Par acte du 18 avril 2018, M. et Mme [K] ont donné à bail commercial à la société O'Comptoir des locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 3], à [Localité 7], pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2018, moyennant un loyer annuel, hors charges et hors taxes, de 21.600 euros, payable mensuellement et d'avance.
A la suite du décès de M. [K], survenu le 30 janvier 2022, les locaux objet du bail appartiennent en indivision à Mme [Y] [K], sa fille, Mme [L] [K], et aux quatre enfants de sa seconde fille, [E] [K], à savoir M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J] et M. [U] [J] (ci-après les consorts [K] [J]).
Par acte du 1er août 2022, la société l'Authentique, venant aux droits de la société O'Comptoir, a cédé le fonds de commerce de 'Restauration française traditionnelle', exploité dans les locaux loués, à la société SL Krishna.
Le 2 mars 2023, les consorts [K] [J] ont fait délivrer à la société SL Krishna un commandement, visant la clause résolutoire, afin qu'il soit justifié de l'assurance des locaux loués et payé la somme de 3.870 euros au titre des loyers et provisions sur charges des mois de janvier et février 2023.
Par acte du 26 avril 2023, ils ont fait assigner la société SL Krishna devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux aux fins, notamment, de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la société locataire et condamnation de cette dernière au paiement, par provision, d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif. ,
Par ordonnance du 21 juin 2023, le premier juge a :
constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 2 avril 2023 ;
ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société SL Krishna et de tout occupant de son chef des lieux situés à [Adresse 3] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant dans les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de deux mois à l'expiration duquel il sera procédé à la mise en vente aux enchères publiques des biens paraissant avoir une valeur marchande, les autres biens étant réputés abandonnés, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société SL Krishna, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
condamné la société SL Krishna à payer à Mme [Y] [G] veuve [K], Mme [L] [K] épouse [D], M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J] et M. [U] [J] la somme provisionnelle de 3 829,02 euros (sans prise en compte du virement de 3 000 euros effectué le 30 mai 2023) au titre de l'arriéré locatif au 30 avril 2023, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi que les indemnités d'occupation postérieures ;
rejeté la demande de délai de paiement de la société SL Krishna ;
dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes des consorts [K]-[J], notamment celle formée au titre du dépôt de garantie ;
condamné la société SL Krishna aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement du 2 mars 2023 et à payer à Mme [Y] [G] veuve [K], Mme [L] [K] épouse [D], M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J] et M. [U] [J] la somme de 300 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
rejeté toutes les autres demandes des parties.
Par déclaration du 6 juillet 2023, la société SL Krishna a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes des consorts [K] [J], notamment celle relative au dépôt de garantie.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 décembre 2023, la société SL Krishna demande à la cour de :
infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions dont elle a relevé appel ;
la déclarer recevable en son appel :
statuant à nouveau,
à titre principal,
dire n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à voir constater la résiliation de plein droit du bail commercial du 18 avril 2018 par effet du commandement visant la clause résolutoire du 2 mars 2023 ;
dire n'y avoir lieu à référé sur la demande d'expulsion ainsi que sur toutes les prétentions des intimés ;
se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes formées par Mme [Y] [K], Mme [L] [K], M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J], M. [U] [J], et, en conséquence, les renvoyer à mieux se pourvoir au fond ;
À titre subsidiaire,
la déclarer recevable en sa demande de délais pour s'exécuter et de suspension des effets de la clause résolutoire ;
lui octroyer des délais rétroactivement jusqu'au 1er août 2023 pour fournir son attestation d'assurance et régler les sommes visées au commandement du 2 mars 2023 ;
suspendre les effets de la clause résolutoire du bail commercial du 18 avril 2018 durant les délais octroyés ;
constater qu'elle s'est exécutée dans les délais octroyés ;
dire que le commandement de payer délivré le 2 mars 2023 n'a pas pu mettre en jeu la clause résolutoire ;
rejeter la demande d'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial ;
en tout état de cause,
débouter Mme [Y] [K], Mme [L] [K], M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J], M. [U] [J] de l'ensemble de leurs demandes et appel incident ;
condamner solidairement Mme [Y] [K], Mme [L] [K], M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J] et M. [U] [J] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et des entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 12 décembre 2023, les consorts [K] [J] demandent à la cour de :
débouter la société SL Krishna de son appel ;
confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui sera réformée ;
Statuant à nouveau de ce chef,
condamner la société SL Krishna à leur payer la somme de 3.600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance
condamner la société SL Krishna à leur payer la somme de 3.360 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
condamner la société SL Krishna aux entiers dépens de l'instance ;
ordonner que les frais et honoraires prévus par l'article A 444-32 du code de commerce seront à la charge exclusive de la société SL Krishna et que Mme [Y] [K], Mme [L] [K], M. [R] [J], Mme [C] [J], Mme [X] [J] et M. [U] [J] ne supporteront pas les droits proportionnels de recouvrement des huissiers de justice.
La clôture de la procédure a été prononcée le 13 décembre 2023.
A l'issue de l'audience fixée pour les plaidoiries, il a été demandé aux intimés de produire en cours de délibéré un décompte actualisé de la dette locative, qu'ils ont produit par voie électronique et contradictoirement le 18 décembre 2023.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.
Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
Au cas présent, les consorts [K] [J] ont fait délivrer à la société SL Krishna, le 2 mars 2023, un commandement, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour avoir d'une part, justification de l'assurance des locaux loués et, d'autre part, paiement de la somme de 3.870 euros correspondant aux loyers et provisions sur charges des mois de janvier et février 2023.
Il résulte de l'extrait de compte locataire produit, arrêté au 13 avril 2023 (pièce n°5 des intimés), que les causes du commandement n'ont pas été acquittées dans le mois de cet acte, ce que ne conteste d'ailleurs pas la société SL Krishna tout comme elle ne conteste pas ne pas avoir justifié dans le mois du commandement que les locaux loués étaient couverts par une police d'assurance.
Pour s'opposer à l'acquisition de la clause résolutoire, la société SL Krishna soutient que cette clause contreviendrait aux dispositions d'ordre public de l'article L.145-41 du code de commerce et devrait être réputée non écrite en ce qu'elle crée une confusion sur le délai laissé au preneur pour s'exécuter, estimant qu'elle fait état de deux délais d'un mois dont un nécessairement plus court que le délai impératif fixé par le texte précité.
L'article XIV du bail, intitulé 'clause résolutoire', énonce qu' 'il est expressément convenu qu'à défaut de paiement à son échéance de toutes sommes dues en vertu du présent bail, qu'il s'agisse des loyers et/ou indemnités d'occupation ou des accessoires tels que charges, taxes, pénalités, intérêts, frais de poursuite, comme à défaut de paiement de tous arriérés dus par suite d'indexation, de révision ou de renouvellement, ou en cas d'inexécution d'une seule des conditions du bail, un mois après une mise en demeure restée infructueuse, le présent bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, même en cas de paiement ou d'exécution postérieurs à l'expiration du délai du mois'.
Cependant, cette clause rédigée en des termes clairs et dépourvus d'ambiguïté est conforme aux dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce en ce qu'elle prévoit qu'à défaut de paiement des loyers et/ou accessoires ou d'exécution d'une condition du bail, dans le mois du commandement de payer, le bail sera résilié de plein droit.
Contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, cette clause ne prévoit pas un second délai plus court, mais rappelle, en explicitant sa première partie, que le paiement ou l'exécution de l'obligation fait postérieurement au délai d'un mois ne fera pas obstacle à la résiliation du bail.
La société SL Krishna fait en outre valoir que la clause résolutoire ne peut être mise en oeuvre qu'en cas de manquement à une stipulation expresse du bail. Elle indique ainsi que le commandement porte sur le paiement du droit proportionnel et son coût, frais qui ne sont pas visés dans la clause résolutoire.
Or, force est de constater que le commandement de payer ne porte pas sur ces frais, qui ne sont indiqués que 'pour mémoire', seule la somme de 3.870 euros, correspondant au montant des loyers et provisions sur charges des mois de janvier et février 2023, étant expressément sollicitée dans l'acte.
En tout état de cause, il est rappelé qu'un commandement de payer délivré pour une somme supérieure au montant réel de la dette demeure valable à concurrence de celle-ci.
La société SL Krishna indique encore que la clause résolutoire étant d'interprétation stricte, elle ne saurait être mise en oeuvre que pour une obligation contractuelle qu'elle vise ; que si cette clause sanctionne le défaut de paiement, la mention générale 'inexécution d'une seule des conditions du bail' n'est pas suffisamment précise pour concerner l'obligation d'assurance.
Mais, contrairement à ce qui est soutenu, la clause, en visant 'l'inexécution d'une seule des conditions du bail' porte sur toutes les obligations du preneur contractuellement prévues et auxquelles ce dernier se serait soustrait. La société SL Krishna est, en application du bail, tenue de faire assurer les locaux contre tout dommage tel que défini à l'article 11.2 du contrat et de justifier auprès du bailleur de la souscription d'une police d'assurance, de son maintien et du règlement des primes.
Ainsi, la clause résolutoire peut être mise en oeuvre pour un manquement constaté à cette obligation.
Il est toutefois établi par les conditions du contrat 'Multirisque professionnelle' et l'attestation d'assurance produite en date du 29 juin 2023, que la société SL Krishna a souscrit auprès de la société Pacifica un contrat d'assurance garantissant les locaux loués depuis le 11 juillet 2022, l'échéance anniversaire du contrat étant fixée au 1er juin de chaque année.
Il résulte de ces pièces qu'à la date du commandement, les locaux étaient couverts par une assurance et qu'ainsi aucun manquement ne pouvait être reproché au locataire de ce chef de sorte que la mise en oeuvre de la clause résolutoire à ce titre se heurte à une contestation sérieuse.
En revanche, le défaut de paiement des causes du commandement de payer dont la validité ne se heurte à aucune contestation sérieuse, dans le mois de cet acte, ne peut que conduire au constat de la réunion des conditions d'acquisition de la clause résolutoire à la date du 2 avril 2023.
Sur la demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire
Selon l'article 1343-5, alinéa 1, du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années le paiement des sommes dues.
Au cas présent, il est relevé à la lecture du décompte locatif arrêté au 11 août 2023, qu'à cette date, la société SL Krishna s'était acquittée de l'intégralité de sa dette et qu'elle était à jour des loyers ayant couru depuis l'ordonnance entreprise et jusqu'à la date précitée.
Saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, la cour doit examiner la situation au jour où elle statue et peut accorder des délais de paiement rétroactifs et constater, le cas échéant, leur respect par le locataire.
Il résulte des éléments qui précèdent que le paiement de la dette locative est intervenu au plus tard le 11 août 2023.
Le décompte produit en cours de délibéré par les intimés, conformément à l'autorisation donnée, démontre encore que la société appelante a réglé l'intégralité des sommes dues pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2023, le solde locatif étant créditeur d'une somme de 31,18 euros au 15 décembre 2023.
Il convient donc d'accorder à la société SL Krishna un délai de paiement rétroactif jusqu'au 11 août 2023 et de constater que celui-ci ayant été respecté, la clause résolutoire est réputée n'avoir jamais joué.
Ainsi, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ordonné l'expulsion de la société SL Krishna et condamné cette dernière au paiement d'une indemnité d'occupation.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Au regard de l'issue du litige en appel, chacune des parties supportera les dépens qu'elle a exposés tant en première instance que devant la juridiction du second degré de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande des consorts [K] [J] relative au paiement des frais et honoraires prévus à l'article A.444-32 du code de commerce.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société SL Krishna au paiement, par provision, de l'arriéré locatif arrêté au 30 avril 2023 avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
L'infirme en ses autres dispositions dont il a été fait appel ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Constate que les conditions de l'acquisition de la clause résolutoire sont réunies à la date du 2 avril 2023 ;
Accorde à la société SL Krishna un délai expirant le 11 août 2023 pour s'acquitter de sa dette locative arrêtée à cette date, loyer du mois d'août 2023 inclus et suspend les effets de la clause résolutoire pendant ce délai ;
Constate que la société SL Krishna s'est intégralement acquittée de sa dette dans ce délai ;
Dit en conséquence que la clause résolutoire est réputée n'avoir pas joué ;
Constate que la société SL Krishna s'est par ailleurs acquittée de l'intégralité des loyers et provisions sur charges pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2023 ;
Dit que chacune des parties supportera les dépens exposés tant en première instance qu'en appel ;
Dit en conséquence n'y avoir lieu à statuer sur la demande relative au paiement des frais et honoraires prévus à l'article A.444-32 du code de commerce ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile tant pour les frais irrépétibles de première instance que d'appel.