Cass. com., 31 janvier 2024, n° 22-20.293
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Sabotier
Avocats :
SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, SARL Le Prado - Gilbert
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 2022), la société Apple Corps Limited (la société Apple Corps) est titulaire de la marque verbale de l'Union européenne « Beatles » enregistrée le 8 mars 1999 sous le numéro 219048 pour désigner différents produits et services en classes 6, 9, 14, 15, 16, 18, 20, 21, 24, 25, 26, 27, 28, 34, 41, et revendiquant la priorité de la demande anglaise n° 2060817 du 12 mars 1996.
2. Invoquant l'atteinte à la renommée de sa marque, elle a formé opposition à l'enregistrement de la marque « The Beatles », déposée le 29 décembre 2019 par M. [T] pour désigner différents produits et services en classes 12, 29, 30, 32, 33, 36, 39, 42, 45.
3. Par une décision du 16 février 2021, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a rejeté son opposition. La société Apple Corps a formé un recours contre cette décision.
Examen des moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief.
Mais sur le moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
5. La société Apple Corps fait grief à l'arrêt de rejeter son recours contre la décision du directeur général de l'INPI, alors « qu'en relevant que les produits et services pour lesquels la marque « THE BEATLES » étaient très différents des « disques sonores » pour lesquels la marque antérieure « BEATLES » est renommée, sans mettre en relation ce constat avec les autres facteurs pertinents du cas d'espèce et sans rechercher, au terme d'une appréciation globale de l'ensemble de ces facteurs, si, nonobstant la différence des produits et services, la marque demandée « THE BEATLES » n'évoquait pas la marque antérieure « BEATLES », compte tenu de la très forte similitude entre les signes en conflit, de l'importante renommée de cette marque antérieure et de son fort caractère distinctif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle :
6. Par un arrêt du 27 novembre 2008 (Intel, C-252/07), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne, doit être interprété en ce sens que l'existence d'un lien, au sens de l'arrêt du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon et Adidas Benelux (C-408/01), entre la marque antérieure renommée et la marque postérieure doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce.
7. Aux points 42 à 51 de cette décision, la Cour a énoncé que, parmi les facteurs pertinents peuvent être cités : le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné, l'intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, de la marque antérieure, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public. La Cour a également rappelé que la renommée d'une marque s'apprécie par rapport au public concerné par les produits ou les services pour lesquels cette marque a été enregistrée ; il peut s'agir soit du grand public, soit d'un public plus spécialisé (voir arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C-375/97, point 24) ; il peut être distinct, identique ou se chevaucher avec celui de la marque seconde, cette appréciation permettant de déterminer si le public visé par chacune des deux marques peut être confronté à l'autre marque et, en tenant compte de l'ensemble des autres facteurs pertinents du cas d'espèce, établir un lien entre elles.
8. Pour rejeter le recours de la société Apple Corps, l'arrêt retient que la forte similitude des signes en conflit et l'intensité de la renommée de la marque « Beatles » pour les « disques sonores » ne suffisent pas à caractériser le lien de rattachement qui doit être établi entre la marque renommée et le signe attaqué et qu'il doit, en outre, être tenu compte, à titre de facteur pertinent, de la nature des produits ou services en cause et de leur degré de proximité ou de dissemblance ainsi que du public concerné. Il ajoute que, dans la recherche du degré de proximité ou de dissemblance, sont pris en considération tous les facteurs pertinents qui incluent, en particulier, la nature, la destination, l'utilisation, ainsi que le caractère concurrent ou complémentaire des produits ou services en cause, ce qui exige de les mettre en relation par une analyse comparative qui incombait à l'opposante. L'arrêt relève ensuite que, faute d'une telle analyse, c'est avec raison que le directeur général de l'INPI a retenu, en présence de produits et services de la demande d'enregistrement contestée, très différents des « disques sonores » pour lesquels la marque « Beatles » est renommée, et en l'absence de démonstration, par la société Apple Corps, du lien que les consommateurs établiront entre les signes en conflit pour les produits en cause, que l'atteinte à la marque renommée n'est pas caractérisée.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, nonobstant la différence des produits et services en cause, le public pertinent n'était pas conduit, compte tenu de l'intensité de la renommée de la marque « Beatles » pour désigner les « disques sonores », de son caractère distinctif élevé et de la forte similitude des signes en présence, tous éléments que, par motifs propres et adoptés, elle constatait, à faire un lien entre cette marque antérieure et la marque seconde « The Beatles » pour une partie au moins des produits et services pour lesquels cette dernière marque avait été déposée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.