CA Bourges, ch. civ., 25 novembre 2021, n° 21/00343
BOURGES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ceramiche Marca Corona (Sté)
Défendeur :
Bois & Matériaux (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Waguette
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Avocats :
SCP Avocats Centre, Selas Elexia Associés
EXPOSÉ DU LITIGE
En exécution d'une commande répertoriée sous le n° 1236, la société de droit italien Ceramiche Marca Corona a vendu à son distributeur français, la société Malet Matériaux, devenue PBM Aquitaine puis, après fusion absorption, Wolseley France Bois et Matériaux et en dernier lieu SAS Bois & Matériaux, des carrelages facturés le 18 avril 2003 sous le numéro 4160.
Les époux Y ont acquis ces carrelages à la société Wolseley le 9 mai 2003 pour les faire poser à leur domicile et le 28 septembre 2005, ils ont informé leur vendeur de l'usure prématurée des dits carrelages se manifestant par des rayures.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er mars 2006, la société Wolseley a alors informé son propre vendeur de l'existence d'un sinistre sur ledit carrelage et d'une convocation reçue de la société Aria, expert mandaté par la MAIF, assureur des époux Y.
Saisi à la demande des époux Y, qui avaient assigné la société Wolseley, le juge des référés a désigné, en qualité d'expert, M. X par ordonnance du 8 janvier 2007 rendue commune par la suite à la société Ceramiche Marca Corona.
L'expert a déposé son rapport le 29 août 2007.
Statuant, au vu de ce rapport, le tribunal de grande instance de Bordeaux, saisi par les époux Y, a, par jugement du 29 septembre 2009, condamné la société Wolseley à payer aux demandeurs les sommes de :
- 16.653,82 € avec indexation sur l'indice BT 01 du mois d'août au titre des travaux de reprise,
- 2.775 € en indemnisation des frais de relogement temporaire et déménagement,
- 1.000 € en indemnisation du préjudice de jouissance,
- 2.000 €, au titre des frais irrépétibles, outre dépens.
L'appel en garantie formé par la société Wolseley à l'encontre de la société Ceramiche Marca Corona qui avait initialement fait l'objet d'une jonction avec l'instance principale a été disjoint et renvoyé à la mise en état.
Le jugement du 29 septembre 2009 a été exécuté en octobre 2009.
Par jugement du 24 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Bordeaux, statuant sur l'appel en garantie, a déclaré recevable l'action engagée par la société Wolseley France Bois et Matériaux, et condamné la société Ceramiche Marca Corona à la garantir et relever indemne de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre au profit des époux Y par le jugement du 29 septembre 2009.
Il a également débouté la société de droit italien de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, comprenant les frais d'expertise, ainsi qu'en paiement d'une somme de 3.750 € au titre des frais irrépétibles.
Le tribunal, faisant application de la loi italienne, avait notamment rejeté la fin de non recevoir excipée par la défenderesse qui invoquait la prescription du droit à se prévaloir d'un défaut de conformité plus d'un an après la livraison des marchandises conformément aux dispositions de l'article 1495 du code civil italien, considérant que l'article 131 du code de la consommation italien, issu de la transposition d'une directive européenne, dérogeait à l'article 1495 précité en précisant que l'action se prescrit par un an à compter de l'exécution de sa prestation par celui ayant réparé le préjudice du consommateur et qu'en l'espèce cette prescription n'était pas acquise.
Par déclaration en date du 21 février 2012, la société Ceramiche Marca Corona a interjeté appel de la décision rendue.
Par arrêt du 12 septembre 2013, la cour d'appel de Bordeaux a rejeté la demande de sursis à statuer et confirmé la décision entreprise en toutes ses dispositions ajoutant la condamnation de l'appelante aux dépens ainsi qu'en paiement de la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles.
Sur la prescription, la Cour a considéré que la loi italienne n'était pas applicable au litige, que seule l'était la Convention de Vienne laquelle prévoyait en son article 40 la déchéance du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité lorsque, comme en l'espèce, le vendeur initial avait connaissance avant la livraison des marchandises du vice les affectant, nonobstant l'expiration du délai pour agir.
La société Ceramiche Marca Corona a régularisé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt et, par décision en date du 2 novembre 2016, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux et renvoyé la cause et les parties, dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, devant la cour d'appel de Poitiers.
La Cour de cassation a reproché à la Cour d'appel d'avoir déclaré l'action recevable en retenant que la Convention de Vienne étant seule applicable, seules les fins de non recevoir qu'elle édicte pouvaient être opposées aux parties alors que la Convention de Vienne, si elle impose à l'acheteur un délai pour dénoncer un défaut de conformité, ne comporte aucune règle de prescription et imposait au juge de se référer sur ce point à la loi désignée par les règles de conflit.
Par arrêt du 13 mars 2018, la cour d'appel de Poitiers a confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, y ajoutant, a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et condamné la société Ceramiche Marca Corona aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 15.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour a jugé inapplicable le droit italien au profit de la Convention de Vienne dès lors que l'action avait été intentée par les acquéreurs finaux des carrelages (les époux Y), qui résidaient en France, contre le vendeur final des mêmes carrelages qui était lui même une société de droit français domiciliée en France et que la livraison avait été effectuée en France.
Elle a, par suite, considéré que les articles 39 et 40 de la Convention, invoqués par les parties ne trouvaient pas à s'appliquer en ce qu'ils ne régissaient que les relations contractuelles entre vendeur et acheteur sans cependant concerner le recours récursoire du vendeur final contre son propre vendeur.
La société Ceramiche Marca Corona a formé un nouveau pourvoi à l'encontre de cet arrêt et, par décision du 1er juillet 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, à l'exception de celle qui déclare recevable l'action engagée par la société Bois et Matériaux contre la société Ceramiche Marca Corona, l'arrêt rendu le 13 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers.
Elle a remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Bourges.
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait violé, par refus d'application, l'article 39 de la Convention de Vienne, aux termes duquel l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au plus tard dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, en ce que, pour condamner la société Ceramiche Marca Corona à garantir la société Bois et Matériaux, l'arrêt avait considéré que le débat sur l'application des articles 39 et 40 de la Convention de Vienne était inopérant en retenant, en premier lieu, que l'action récursoire du vendeur final contre son propre vendeur trouvait sa cause non dans le défaut de conformité lui même mais dans l'action engagée contre le vendeur final par le consommateur, en second lieu, que la Convention de Vienne régissait les relations contractuelles entre vendeur et acheteur et ne s'appliquait pas à un tel recours.
La société Ceramiche Marca Corona a saisi la cour de céans par déclaration effectuée le 26 mars 2021 en application de l'article 1032 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 15 septembre 2021, la demanderesse au renvoi demande à la cour de :
Vu la Convention des Nations Unies conclue à Vienne le 11 avril 1980 et ses articles 39 § 2 et 40,
Vu la jurisprudence citée dans le Précis de Jurisprudence de la CVIM,
Vu la consultation du Professeur Z,
Au principal,
Infirmer le jugement du 24 janvier 2012 en ce qu'il a condamné la société Ceramiche Marca Corona à garantir et relevé indemne la SNC PBM Aquitaine, aux droits de laquelle vient la SAS Bois et Matériaux, de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre en faveur des époux Y par le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux du 29 septembre 2009 ; Juger que la SAS Bois et Matériaux est déchue du droit de se prévaloir de la prétendue non conformité en application de l'article 39 de la CVIM ;
Juger encore que la SAS Bois et Matériaux ne rapporte pas la preuve que la société Ceramiche Marca Corona avait connaissance de la prétendue non conformité ou vice des matériaux ;
Juger que la preuve de la prétendue non conformité n'est pas rapportée ;
Subsidiairement,
Juger que les désordres ne sont pas imputables à la société Ceramiche Marca Corona ;
En conséquence, débouter la société Bois et Matériaux de toutes ses demandes fins et conclusions ;
Condamner la société Bois et Matériaux à payer à la société Ceramiche Marca Corona la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile compte tenu de toutes les procédures (référé, 1ère instance, appel, cassation, 2ème appel, 2ème cassation et 3ème appel) et en tous les dépens distraits à la SCP Avocats Centre, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La demanderesse au renvoi soutient principalement que la Convention de Vienne est applicable au présent litige, que son article 39 prévoit une limite de 2 ans après livraison des marchandises pour invoquer un défaut de conformité et qu'ainsi l'intimé qui a reçu livraison des carrelages le 18 avril 2003 et lui a dénoncé le prétendu défaut de conformité le 1er mars 2006, est déchue du droit de se prévaloir de tout défaut de conformité sans pouvoir invoquer, pour échapper à la sanction, l'article 40 de la même convention qui suppose la connaissance du vice par le vendeur ou l'impossibilité de l'ignorer alors qu'il n'est nullement démontré qu'elle connaissait les vices allégués du carrelage et que cette connaissance ne pouvait se déduire de sa seule qualité de professionnel.
Subsidiairement, elle conteste que les carrelages livrés soient affectés d'un vice et soutient, contrairement à l'analyse erronée de l'expert judiciaire, que le carrelage, classé dans la norme PEI V, était adapté pour un immeuble à usage d'habitation puisque ce classement correspond à un matériau de la plus grande résistance conseillé pour des utilisations intensives et donc, a fortiori, parfaitement approprié pour une utilisation moins intensive.
Elle ajoute que l'expert n'a pas précisé avoir respecté les normes d'observation des désordres imposées par le DTU 52.1, pas plus qu'il n'a effectué d'analyse du carrelage et, au contraire, a procédé par affirmation ou supposition sans non plus se poser aucune question sur les conditions d'entretien du carrelage, ce qui prive son rapport de toute pertinence.
Par dernières conclusions signifiées le 20 septembre 2021, la société Bois et Matériaux demande à la cour de :
Déclarer l'appel de la société Ceramiche Marca Corona irrecevable et mal fondé ;
Déclarer la société Bois et Matériaux recevable et bien fondée en ses conclusions ;
Dire que les dispositions des articles 131 et suivants du code de la consommation italien sont applicables au litige opposant Bois et Matériaux et Ceramiche Marca Corona ;
Dire que l'action de la société Bois et Matériaux n'est pas prescrite ;
Dire que les dispositions de l'article 40 de la Convention des Nations Unies du 18 avril 1980 sont applicables au litige opposant Bois et Matériaux et Ceramiche Marca Corona ;
Dire et juger l'appelante irrecevable, en vertu du principe de l'estoppel et mal fondée à critiquer les conclusions du rapport de l'expert ;
Dire que la société Bois et Matériaux n'est pas déchue du droit de se prévaloir d'un défaut ou non conformité ;
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 24 janvier 2012 en toutes ses dispositions, au bénéfice de la société Bois et Matériaux venant aux droits de la société Wolseley France Bois et Matériaux ;
Condamner la société appelante aux entiers dépens de l'intégralité de la procédure, en ce compris la procédure de référé et d'expertise, et au paiement d'une indemnité de 39.000 € sur le fondement de l'article 700.
La société défenderesse fait principalement valoir que l'article 40 de la Convention de Vienne prévoit une exception au délai biennal pour dénoncer le défaut de conformité lorsque celui ci porte sur des faits que le vendeur connaissait ou ne pouvait ignorer et qu'il n'a pas révélé à l'acheteur.
Elle prétend, en l'espèce, que le vice, qui tient à la faiblesse de l'émail dans la composition du carrelage et à son épaisseur, était connu du vendeur ce qui résultait de son refus, depuis le début de la procédure, à produire les tests et essais auxquels la fabrication du carrelage était soumise ainsi que du défaut de collaboration dans le cadre de l'expertise qui n'avait pas permis la réalisation d'essais et de vérification. Elle s'étonne qu'après 10 ans de procédure la société Ceramiche Marca Corona SPA, de mauvaise foi, verse aux débats un rapport d'essais datant de 1998, prétendument retrouvé dans ses archives, qui est inutile aux débats puisque d'une part le carrelage en cause a été acquis en 2003 et d'autre part le test ne dit rien de la composition et de l'épaisseur de l'émail qui sont les causes du sinistre.
Elle ajoute que les experts amiable et judiciaire ont tous deux affirmé que le carrelage ne pouvait relever du classement PEI V en ce qu'il n'en présentait aucunement les caractéristiques de résistance à l'abrasion et que la société Ceramiche Arma Corona s'est contredite dans la même procédure en accusant d'abord le vendeur d'avoir manqué à son obligation de conseil envers les époux Y quant au choix de ce type de carrelage puis, abandonnant ce moyen, en prétendant par la suite que le matériau choisi était parfaitement adapté.
Enfin, elle soutient que les contestations du rapport d'expertise ne sont pas sérieuses et qu'il doit être pris en compte en tous ses éléments d'analyse.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux conclusions déposées par les parties qui développent leurs prétentions et leurs moyens.
SUR CE,
La recevabilité de la saisine de la cour n'est pas discutée ni discutable.
Sur l'étendue de la saisine
Aux termes des articles 623, 624 et 625 du code de procédure civile, la cassation est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres, la portée de cette cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce, elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire et, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la décision cassée.
En l'espèce, le périmètre de la saisine est aisément déterminable puisque la cassation résultant de l'arrêt du 3 février 2021 concerne le fond du litige et exclut la recevabilité de l'action de la société Bois et Matériaux contre la société Ceramiche Marca Corona qui n'est donc plus contestable.
Il s'en évince que la prescription et l'irrecevabilité de la demande évoquées sans autre développement par la société Bois et Matériaux dans ses conclusions sont sans objet.
Sur l'application au litige des dispositions des articles 131 et suivants du code civil italien
Dans le dispositif de ses dernières conclusions, la défenderesse au renvoi demande à la Cour de dire applicables au litige les dispositions susvisées du code civil italien.
Toutefois, le corps de ses conclusions n'évoque en aucun cas la question qui, manifestement, ne se pose plus. La demande est également sans objet.
Sur l'application du principe de l'estoppel
Là encore la société Bois et Matériaux conclut expressément à une irrecevabilité en vertu du principe de l'estoppel mais développe une argumentation sommaire sur ce point dont il semble résulter que la société italienne se serait contredite en soutenant d'abord que le vendeur avait failli à son devoir de conseil puis, abandonnant cette prétention, a contesté les conclusions du rapport d'expertise.
Toutefois, la Cour ne relève aucune contradiction entre ces deux moyens de défense qui sont simplement différents en leur fondement mais nullement inconciliables.
La prétention sera rejetée.
Sur la déchéance du droit invoqué par la société Bois et Matériaux
La cour d'appel de Poitiers a dit inopérant le débat sur l'application des articles 39 et 40 de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises ( la CIVM dite également Convention de Vienne),
ce dont lui a fait grief la Cour de cassation qui lui a reproché de violer ce texte par refus d'application.
Il n'est plus soutenu devant la cour de renvoi que les dispositions de la dite Convention ne seraient pas applicables au présent litige.
Il résulte de l'article 39 de la Convention que l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater.
Dans tous les cas, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d'une garantie contractuelle.
Si la société Ceramiche Marca Corona SPA se retranche derrière ce texte pour affirmer que le recours est tardif, la société Bois et Matériaux se prévaut pour sa part de l'exception posée par l'article 40 de la même
Convention selon lequel le vendeur ne peut se prévaloir des dispositions des articles 38 et 39 si le défaut de conformité porte sur un élément qu'il connaissait, ou ne pouvait ignorer et qu'il n'a pas révélé à l'acheteur.
Pour prétendre que la société italienne connaissait ou ne pouvait ignorer le défaut de son carrelage la société Bois et Matériaux fait valoir que son refus de communiquer à l'expert les pièces par lui réclamées concernant les tests et essais en laboratoire du carrelage litigieux ainsi que l'absence de coopération à l'expertise démontrent sa mauvaise foi. Elle ajoute qu'en sa qualité de fabricant la société Ceramiche Marca Corona ne peut ignorer les caractéristiques des matériaux vendus et ses faiblesses et se trouve responsable des produits qu'elle fabrique.
Il convient en premier lieu de rappeler que, contrairement à la législation française, la Convention de Vienne ne comprend aucune disposition relative à une présomption de connaissance des vices pouvant affecter le produit vendu opposable au vendeur du seul fait qu'il soit un professionnel.
Il en résulte qu'il appartient à l'acheteur de démontrer que son vendeur avait connaissance où ne pouvait ignorer la non conformité du produit vendu et, au regard des diverses jurisprudences relatives aux conditions d'application de l'article 40 de la Convention, cette connaissance relève à tout de le moins de la démonstration d'une négligence grave de la part du vendeur sinon de sa mauvaise foi caractérisée.
En l'espèce, les éléments versées aux débats établissent que :
- si l'expert judiciaire et avant lui l'expert de l'assureur des époux Y, ont pu constater que le carrelage litigieux était affecté d'une non conformité, celle ci n'a cependant été visible qu'après un certain temps d'usage et ne pouvait ainsi être décelée ou décelable par un simple examen visuel ni par la société Ceramiche ni par la société Bois et Matériaux qui a revendu ce carrelage sans aucune réserve,
- l'hypothèse d'un vice affectant de manière générale ce type de carrelage dont la société Ceramiche aurait été informée avant la vente n'est pas vraisemblable en l'absence de toute argumentation en ce sens par la société Bois et Matériaux et de l'allégation de cas similaires sur ce point,
- le fait que l'expert ait estimé que le carrelage posé chez les époux Y, dont il n'est pas contesté qu'il était classé en catégorie PEI V, ne répondait pas aux caractéristiques de résistance de cette catégorie, ne démontre pas pour autant qu'il en était ainsi pour l'ensemble des carrelages du même modèle produits par la société Ceramiche et que si l'expert judiciaire a conclu ainsi, il n'a cependant pas procédé à une quelconque analyse du carrelage sans qu'il puisse être prétendu par la société Bois et Matériaux que cette carence serait imputable à la société Ceramiche dès lors qu'à aucun moment l'expert n'a réclamé à celle ci de lui fournir un échantillon de ce carrelage et qu'il résulte du rapport d'expertise de l'assureur du 17 juillet 2006 qu'à cette date les époux Y étaient en possession d'un paquet non posé de ces carrelages sans qu'il soit expliqué pourquoi il n'a pas été mis à disposition de l'expert judiciaire lequel a relevé, lors de ses opérations commencées le 30 mars 2007, que les époux Y lui avaient indiqué ne disposer d'aucun stock du carrelage posé,
- enfin, si la société Ceramiche n'a effectivement pas fourni à l'expert, malgré sa demande, les résultats techniques d'essai en laboratoire du carrelage vendu, il sera fait observer d'une part que l'expert, pas plus que la société Bois et Matériaux, ne justifie sur quelle réglementation il se fonde pour affirmer le caractère obligatoire de tests et essais officiels pour chaque production et, d'autre part, que la société Ceramiche a versé aux débats, certes tardivement, un rapport d'analyse d'un laboratoire italien qui a porté en 1998 sur la production, à cette date, du carrelage litigieux et qui l'a classé en catégorie V sous laquelle elle a été vendue depuis lors.
Il s'évince de ce qui précède que la société Bois et Matériaux échoue à rapporter la preuve de ce que la société Ceramiche Marca Corona avait connaissance ou ne pouvait ignorer la non conformité des carrelages vendus au sens de l'article 40 de la Convention de Vienne dont les conditions ne sont pas remplies pour faire jouer l'exception à la déchéance encourue par application de l'article 39 de la même convention.
En conséquence et dans la mesure où il n'est pas contesté que la société Bois et Matériaux n'a pas dénoncé le défaut de conformité à son vendeur, au plus tard, dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, elle se trouve déchue du droit à se prévaloir du défaut de conformité, par application de l'article 39 précité.
La décision du tribunal de grande instance de Bordeaux sera donc infirmée.
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Chacune des parties conservera la charge des dépens personnellement exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée, et supportera la moitié des frais d'expertise judiciaire,
Il sera dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les seules limites de sa saisine,
Vu le jugement rendu le 24 janvier 2012 par le tribunal de grande instance de Bordeaux,
Vu l'arrêt rendu le 12 septembre 2013 par la cour d'appel de Bordeaux,
Vu l'arrêt rendu le 2 novembre 2016 par la Cour de cassation,
Vu l'arrêt rendu le 13 mars 2018 par la cour d'appel de Poitiers,
Vu l'arrêt rendu le 3 février 2021 par la Cour de cassation,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 24 janvier 2012 en ce qu'il a :
- condamné la société Ceramiche Marca Corona à garantir et relever indemne la SNC Wolseley France Bois et Matériaux de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre au profit des époux Y par le jugement du 29 septembre 2009,
- débouté la société Ceramiche Marca Corona de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, comprenant les frais d'expertise, ainsi qu'en paiement d'une somme de 3.750 € au titre des frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
Dit la société SAS Bois et Matériaux déchue du droit de se prévaloir de la non conformité des carrelages livrés par la société Ceramiche Marca Corona et facturés le 18 avril 2003 ;
Déboute, en conséquence, la SAS Bois et Matériaux de toutes ses demandes ;
Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens personnellement exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée, et supportera la moitié du coût de l'expertise judiciaire ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.