Cass. 2e civ., 2 décembre 2021, n° 20-18.732
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Durin-Karsenty
Avocat général :
M. Aparisi
Avocats :
SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP Célice, Texidor, Périer
1. Les pourvois n° Z 20-18.732, A 20-18.733, B 20-18.734, C 20-18.735, D 2018.736, M 20-18.743, N 20-18.744, P 20-18.745, Q 20-18.746, R 20-18.747, S 20-18.748, T 20-18.749, U 20-18.750, V 20-18.751, W 20-18.752 et X 20-18.753 ont été joints en raison de leur connexité par une ordonnance du 27 novembre 2020.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Pau, 25 juin 2020), à la suite d'un litige opposant, dans un licenciement collectif pour motif économique, la Société de maintenance pétrolière S.M.P (la société) à seize salariés, MM. [HH] [E], [B] [Z], [FS] [F], [C] [X], [NO] [L], [S] [P], [N] [O], [LE] [T], [Y] [I], [R] [G], [UW] [U], [FS] [W], [M] [D], [FS] [J], [GM] [V], et [FS] [RR], un jugement d'un conseil des prud'hommes a été rendu le 8 février 2019.
3. Ayant interjeté appel par déclaration du 28 février 2019, la société a transmis ses conclusions d'appel le 3 juin 2019 par lettre recommandée, enregistrées au greffe le 5 juin.
4. Un conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu de prononcer la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 910-3 du code de procédure civile, par ordonnances du 29 août 2019 que les intimés ont déférée à la cour d'appel.
Examen des moyens
Sur le second moyen, en sa première branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief aux arrêts d'infirmer l'ordonnance déférée et de prononcer la caducité de la déclaration d'appel de la société SMP alors « que l'organisation d'une audience publique est une garantie fondamentale du procès équitable, à laquelle il ne peut être dérogé qu'exceptionnellement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a statué sans audience, sans motiver in concreto sa décision sur ce point en expliquant pourquoi elle était contrainte de procéder ainsi et en quoi les droits des parties étaient néanmoins respectés, et sans faire état de l'accord des parties ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut, à tout moment de la procédure, décider qu'elle se déroule selon la procédure sans audience.
8. L'alinéa 4 de cet article 8 énonce que la procédure sans audience s'applique aux affaires dans lesquelles la mise en délibéré de l'affaire est annoncée pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020. La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire ayant prorogé cet état d'urgence jusqu'au 10 juillet 2020, l'article 8 précité est donc applicable entre le 12 mars 2020 et le 10 août 2020.
9. Les arrêts, rendus le 25 juin 2020, relèvent que M. [K], conseil de la Société et M. [TG], conseil des intimés, ont expressément accepté le recours à la procédure sans audience en application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et ont déposé leurs dossiers le 30 avril 2020.
10. La société n'est, dès lors, pas recevable à critiquer devant la Cour de cassation la mise en oeuvre par la présidente de la formation de jugement de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance du 20 mai 2020.
Sur le second moyen, en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
11. La Société fait le même grief aux arrêts alors :
« 2°/ qu'en cas de force majeure, le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état peut écarter l'application des sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911 du Code de procédure civile ; qu'en l'espèce, la SAS SMP offrait de démontrer, certificat médical à l'appui, que son avocat, Maître [UB], avait été physiquement empêché de travailler du 22 mai au 3 juin pour raisons de santé et qu'il n'avait donc pas pu conclure dans le délai de l'article 908 du Code de procédure civile, mais qu'il avait ensuite fait toutes diligences pour satisfaire au plus vite aux obligations procédurales pesant sur l'exposante dès que cela lui avait été possible ; qu'en refusant de faire exception à la mise en oeuvre de la sanction du non-respect du délai susvisé, aux motifs que Maître [UB] aurait fait partie d'une équipe d'avocats, qu'il avait adressé un courrier le 24 mai pour communiquer le décompte des condamnations et avait conclu dès le 3 juin, ce qui était inopérant sur le fait que son accident de santé présentait les caractéristiques de la force majeure pour l'empêcher de conclure et de produire ses nombreuses pièces dans seize procédures, quand bien même il n'aurait pas été totalement incapable de la moindre action, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'absence d'irrésistibilité de l'état de santé de Maître [UB] pourtant empêché d'exercer son activité, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 910-3 du Code de procédure civile ;
3°/ que les règles de procédure ne peuvent être interprétées et mises en oeuvre d'une manière qui fasse d'elles un obstacle à l'accès au juge qui soit excessif et disproportionné au regard du but qu'elles poursuivent ; qu'en l'espèce, la SAS SMP offrait de démontrer, certificat médical à l'appui, que Maître [UB], son avocat, avait été physiquement empêché pour raisons de santé, du 22 mai au 3 juin, de conclure dans le délai de l'article 908 du Code de procédure civile, mais qu'il avait fait toutes diligences pour satisfaire au plus vite aux obligations procédurales pesant sur l'exposante dès que cela avait été possible ; qu'en refusant de faire exception à la mise en oeuvre de la sanction du non-respect du délai susvisé, aux motifs que Maître [UB] aurait fait partie d'une équipe d'avocats, qu'il avait adressé un courrier le 24 mai pour communiquer le décompte des condamnations et avait conclu dès le 3 juin, bien qu'il ne soit pas contesté que Maître [UB] avait bien été arrêté pour raisons de santé, qu'il n'a pas été constaté qu'il aurait tenté de frauder, qu'il n'a en rien retardé la procédure d'appel et que les objectifs poursuivis par les règles de la procédure d'appel avaient pu être satisfaits, la cour d'appel a retenu une interprétation excessive des conditions de l'article 910-3 du Code de procédure civile et érigé un obstacle disproportionné à l'accès de l'exposante au juge d'appel, et a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
12. Selon l'article 910-3 du code de procédure civile, en cas de force majeure, le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état peut écarter l'application des sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911.
13. Constitue, au sens de ce texte, un cas de force majeure la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable.
14. Les arrêts retiennent que la partie qui se prévaut de la force majeure doit démontrer que les effets de la caducité ne pouvaient être évités par des mesures appropriées et qu' aucun élément ne permet de retenir que M. [UB], lorsqu'il traite les dossiers de sa clientèle personnelle, ne bénéficie d'aucun support de la part du cabinet d'avocats Harley, dans lequel il exerce, constitué d'une trentaine de personnes et notamment une équipe en droit social dont il fait partie et qu'il s'en déduit qu'un membre de cette équipe était en mesure de le suppléer en cas d'empêchement, et de suivre ses instructions.
15. Ils ajoutent qu'il ressort des courriels qu'il a adressés à l'avocat des salariés de la société SMP que M. [UB] a été en mesure le 24 mai 2019 de communiquer le décompte des condamnations assorties de l'exécution provisoire et de donner des informations précises sur le règlement des sommes concernées et que c'est le jour même de son rétablissement, à savoir le 3 juin, qu'il a adressé à la cour ses conclusions d'une trentaine de pages concernant les seize salariés intimés, accompagnées de 269 pièces, ce qui suppose qu'il ait bénéficié d'un support, eu égard à son état de santé.
16. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel a pu en déduire qu'aucun cas de force majeure n'était démontré par l'appelante l'empêchant de conclure dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, de sorte que c'est à bon droit et sans méconnaître les dispositions de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle a constaté la caducité de la déclaration d'appel prévue par ce texte.
17. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.