Cass. 2e civ., 3 juin 2021, n° 21-70.006
COUR DE CASSATION
Arrêt
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Kermina
Avocat général :
M. Gaillardot
La Cour de cassation a reçu le 8 mars 2021, une demande d'avis formée le 16 février 2021 par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Lyon, dans une instance opposant en appel M. et Mme [W] à la société Ladret, la société L'Auxiliaire, la société Peltier Bois Lyon et la société Generali Iard.
Énoncé de la demande d'avis
1. La demande est ainsi formulée :
« Aux termes de l'article 907 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, en procédure ordinaire avec désignation d'un conseiller de la mise en état, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 780 à 807.
L'article 907 renvoie ainsi à l'article 789 qui définit, aux termes de sa nouvelle rédaction, les compétences du conseiller de la mise en état comme celles du juge de la mise en état, avec notamment une compétence pour statuer sur " 6° les fins de non-recevoir".
La réforme de la procédure civile ajoute un pouvoir considérable dans son étendue et ses conséquences au magistrat chargé de la mise en état, dont les pouvoirs se trouvaient antérieurement limités, en cause d'appel, à la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel et des conclusions des parties.
L'article 795 du même code prévoit une possibilité d'appel devant la cour d'appel des ordonnances du juge de la mise en état lorsque " 2° Elles statuent sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir".
L'article 916 du code de procédure civile, modifié seulement par le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 réformant la procédure civile, applicable aux instances en cours à compter du 1er janvier 2021, prévoit que les ordonnances du conseiller de la mise en état qui statuent sur une fin de non-recevoir, sont susceptibles de déféré.
L'article 123 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, conserve le principe selon lequel les fins de non-recevoir peuvent être invoquées en tout état de cause, c'est-à-dire devant le tribunal ou pour la première fois en cause d'appel, prenant cependant en compte des possibilités d'exceptions "s'il en était disposé autrement".
Par ailleurs, aux termes des dispositions de l'article 542 du même code, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
La combinaison de l'ensemble des dispositions susvisées autorise-t-elle le conseiller de la mise en état à statuer sur une fin de non-recevoir déjà tranchée en première instance par le juge de la mise en état, ou le tribunal, ce qui revient à donner à ce dernier le pouvoir de confirmer, infirmer ou annuler la décision du premier juge alors même que ce pouvoir n'est dévolu qu'à la cour en application de l'effet dévolutif de l'article 542 du code de procédure civile ?
Doit-on au contraire considérer, par analogie avec le régime applicable aux exceptions de procédure, que l'étendue du pouvoir du conseiller de la mise en état en matière de fins de non-recevoir est limitée aux fins de non-recevoir soulevées pour la première fois en cause d'appel et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision du juge de la mise en état ou du tribunal ? »
Examen de la demande d'avis
2. Le conseiller de la mise en état, magistrat de la cour d'appel, chargé de l'instruction de l'appel, dispose de pouvoirs spécifiques, notamment définis par référence à ceux du juge de la mise en état du tribunal judiciaire à l'article 907 du code de procédure civile. Ce texte dispose : " à moins qu'il ne soit fait application de l'article 905, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 780 à 807 et sous réserve des dispositions qui suivent". Ces dernières dispositions comportent, aux articles 914 et 916, des règles particulières en matière de fins de non-recevoir.
3. Dès lors, la réforme issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui a conféré au juge de la mise en état la compétence, énoncée à l'article 789, 6° du code de procédure civile, pour «statuer sur les fins de non-recevoir», s'applique également au conseiller de la mise en état.
4. La réforme issue de ce décret du 11 décembre 2019 s'inscrit, en outre, dans le cadre fixé par le code de l'organisation judiciaire, notamment dans son livre III relatif aux juridictions du second degré. L'article L.311-1 de ce code donne ainsi compétence à la cour d'appel, sous réserve des compétences attribuées à d'autres juridictions, pour connaître des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort, et précise qu'elle statue souverainement sur le fond des affaires. Selon les articles L.312-1 et L.312-2 du même code, la cour d'appel statue en formation collégiale, sa formation de jugement se composant d'un président et de plusieurs conseillers. Le code de procédure civile complète cet ordonnancement juridique par son article 542, selon lequel l'appel, tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
5. L'appel engageant, au terme d'une jurisprudence constante, une nouvelle instance (Ass. Plén., 3 avril 1962, pourvoi n° 61-10142, Bull. 1962, Ass. Plén., n° 1), il résulte de la seconde phrase du II de l'article 55 du décret du 11 décembre 2019 que le nouveau renvoi opéré à l'article 789, 6°, par l'article 907, est applicable aux appels formés à compter du 1er janvier 2020.
6. Pour autant, il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 3 et 5 que les nouvelles attributions conférées par le décret du 11 décembre 2019 au conseiller de la mise en état s'exercent sous réserve que soit ouvert contre ses décisions un déféré devant la cour d'appel, organe juridictionnel appelé à trancher en dernier ressort les affaires dont elle est saisie. A cette fin, le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 a complété l'article 916 du code de procédure civile pour étendre le déféré aux ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur toutes fins de non-recevoir. Dans la rédaction antérieure de ce texte, le déféré n'était ouvert qu'à l'encontre des ordonnances par lesquelles ce conseiller tranchait les fins de non-recevoir tirées de l'irrecevabilité de l'appel et celles tirées de l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910 et 930-1 de ce code, dont la connaissance lui était déjà confiée par l'article 914, dans des conditions spécifiquement fixées par ce texte.
7. Ce décret du 27 novembre 2020 étant, au terme de son article 12, alinéa 2, entré en vigueur le 1er janvier 2021, pour s'appliquer aux instances d'appel en cours, le conseiller de la mise en état ne peut donc statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu'il relève d'office qu'à compter de cette date.
8. Sous cette réserve, la détermination par l'article 907 du code de procédure civile des pouvoirs du conseiller de la mise en état par renvoi à ceux du juge de la mise en état ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l'appel et les règles de compétence définies par la loi. Seule la cour d'appel dispose, à l'exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d'infirmer ou d'annuler la décision frappée d'appel, revêtue, dès son prononcé, de l'autorité de la chose jugée.
9. Il en résulte que le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.
EN CONSÉQUENCE, la Cour est d'avis que :
le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.