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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 20 avril 2023, n° 21/01780

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Xpfibre (SAS)

Défendeur :

Free (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barbier

Conseillers :

Mme Schmidt, Mme Tréard

Avocats :

Me Guyonnet, Me Justier, Me Lallement, Me Fréget, Me Sénac de Monsembernard, Me Delannoy

CA Paris n° 21/01780

19 avril 2023

Vu le recours formé par la société SFR FTTH à l'encontre de la décision n° 2020-1498-RDPI de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse du 17 décembre 2020, par déclaration déposée au greffe le 28 janvier 2021 ;

Vu l'exposé des moyens au soutien de ce recours déposé au greffe le 26 février 2021 par la société SFR FTTH ;

Vu les observations en réponse déposées au greffe le 8 février 2022 par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ;

Vu le mémoire n° 1 déposé au greffe le 13 septembre 2021 par la société Free ;

Vu les observations récapitulatives déposées au greffe le 12 septembre 2021 par la société SFR FTTH, devenue XPFibre ;

Vu le mémoire n° 2 déposé au greffe le 17 octobre 2022 par la société Free ;

Vu l'avis du ministère public du 10 novembre 2022 transmis le 14 novembre 2022 aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 17 novembre 2022 les conseils des sociétés XPFibre, Free, celui de l'ARCEP et le ministère public

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie du recours formé par la société SFR FTTH, devenue XPFibre (ci-après « SFR FTTH »), contre une décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après « l'Autorité » ou « l'ARCEP »), en règlement de différend l'opposant à la société Free (ci-après « Free »).

2.Le différend porte sur les conditions d'accès en cofinancement au réseau de communications électroniques très haut débit en fibre optique FttH (Fiber to the Home ou « fibre jusqu'au domicile ») déployé par SFR FTTH dans certaines zones géographiques.

Le déploiement du réseau FttH

3.Le déploiement du réseau FttH s'inscrit dans le cadre du programme national « très haut débit » (le PNTHD lancé en 2010, devenu en 2013 le Plan France très haut débit-PFTHD), qui a découpé le territoire national en plusieurs zones en fonction de leur densité de population.

4.Dans les zones les plus denses du territoire, dite « ZTD », le déploiement de plusieurs réseaux étant a priori rentable, les opérateurs privés y déploient chacun leur propre réseau.

5.En dehors de ces zones très denses (zones moins denses dites ZMD, où le déploiement de plusieurs réseaux n'apparaît pas rentable (zones dites ZMD), le Gouvernement a lancé le 4 août 2010 un appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII) à l'issue duquel les sociétés Orange et SFR ont déclaré vouloir déployer sur fonds propres de nouvelles boucles locales FttH couvrant 3600 communes représentant environ 57 % de la population et 20 % du territoire.

6.En 2018, les sociétés Orange et SFR, confirmant leurs déclarations d'intentions, ont pris des engagements de déploiement devant le ministre chargé des communications électroniques. Ce dernier les a acceptés et rendus opposables par arrêté pris, après avis de l'ARCEP, en application de l'article L. 33-13 du code des postes et télécommunications électroniques (ci-après « CPCE »). À cette occasion, le périmètre des engagements de déploiement a évolué par un transfert à SFR d'un périmètre géographique, devant initialement être déployé par Orange, zone dite SFOR. Cette zone n'est pas concernée par le différend opposant les parties.

7.Sur incitation du Gouvernement, des collectivités locales ont lancé en 2018 des appels à manifestations d'engagements locaux (AMEL) afin d'accélérer la couverture numérique de leur territoire.

8.SFR s'est engagée, dans ce cadre, à déployer sur ses fonds propres un réseau FttH sur de nouvelles communes. Ces intentions de déploiement ont fait l'objet d'engagements qui ont été rendus juridiquement opposables en application de l'article L. 33-13 du CPCE.

9.Le 18 décembre 2018, le groupe Altice, auquel SFR appartient, a créé la société SFR FTTH. Le 1er mars 2019, SFR a apporté à SFR FTTH son activité de déploiement et d'exploitation de réseau FttH en ZMD.

10.Dans les zones n'ayant pas fait l'objet de déclarations d'intentions d'investissement, les collectives publiques ont la possibilité, avec une subvention de l'État, de déployer ou d'acquérir puis d'exploiter directement (régie) ou indirectement (généralement dans le cadre d'une délégation de service publique), un réseau de télécommunications à très haut débit, dit réseau d'initiative publique « RIP », sur le fondement de l'article L. 1425-1 du code général des collectives territoriales.

La régulation de la FttH

11.La régulation de la FttH repose notamment sur le principe dit de « mutualisation » de la partie terminale des réseaux FttH déployé par tout opérateur.

12.Ce principe, énoncé à l'article L. 34-8-3 du CPCE, vise à garantir l'accès de la partie terminale des réseaux FttH, qu'il n'est pas économiquement viable de répliquer, à l'ensemble des opérateurs et, ainsi, à éviter les situations de monopole sur le marché de détail dans lesquelles l'opérateur ayant installé le réseau serait seul en capacité structurelle de proposer ses services aux utilisateurs finals.

13.La mutualisation repose ainsi sur le partage de la ligne installée par le premier opérateur (appelé « opérateur d'immeuble » en zones très denses et « opérateur d'infrastructure » en zones moins denses, ci-après « OI »), depuis un point de son réseau désigné comme le « point de mutualisation » jusqu'aux utilisateurs finals.

14.Pour garantir l'effectivité du principe de mutualisation, l'article L. 34-8-3 du CPCE prévoit que chaque OI doit assurer l'accès à la partie terminale du réseau « dans des conditions transparentes et non discriminatoires », et permettre « le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables ».

15.Les articles L. 36-6 et L. 36-8-3 du CPCE ont confié à l'ARCEP le soin de préciser les règles et modalités d'accès au réseau FttH.

16.En application de ces textes, l'ARCEP a adopté deux décisions réglementaires :

' la décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée (ci-après la « décision cadre 2009 ») ; cette décision contient des dispositions communes aux ZTD et ZMD et des dispositions spécifiques au ZTD ;

' la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2012 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses (ci-après la « décision cadre 2010 ») ; cette décision, concerne ainsi uniquement les ZMD.

17.Dans ces décisions (art. 3 de la décision cadre 2009, art. 1 et 9 de la décision cadre 2010), l'ARCEP a énoncé que les conditions tarifaires de l'accès devaient être raisonnables et respecter les principes d'objectivité, de pertinence, d'efficacité, de transparence et de non-discrimination.

18.S'agissant en particulier des deux premiers principes précités, elle les a définis de la manière suivante :

' le principe d'objectivité : la tarification mise en œuvre par l'opérateur doit pouvoir être justifiée à partir d'éléments de coûts clairs et opposables ;

' le principe de pertinence : les coûts doivent être supportés par les opérateurs qui les induisent ou ont usage des infrastructures ou prestations correspondantes ;

19.Par ailleurs, il résulte du cadre fixé par ces décisions qu'en vertu du principe de transparence, chaque OI doit publier, avant le déploiement de la partie terminale du réseau, une offre d'accès détaillant les conditions techniques et tarifaires.

20.S'agissant des ZMD (zones moins denses), l'offre doit proposer un accès sous différentes formes, lesquelles doivent traduire différents niveaux dans l'échelle des investissements, que sont le cofinancement et la location passive, et permettre d'en gravir les échelons.

21.Ainsi, selon les décisions précitées, le cofinancement permet à l'opérateur commercial (ci-après « OC ») d'obtenir des droits d'usage à long terme et amortissables, soit ab initio, dès les appels à cofinancement moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts d'installation, soit a posteriori, après l'installation du réseau, moyennant une contribution au partage des coûts qui, tenant compte du risque encouru, comprend une prime de risque (évaluée à partir d'un taux de rémunération du capital).

22.Ce cofinancement comprend deux tarifs :

' l'un, non récurrent (forfaitaire), payable en deux temps : d'abord, lors de la mise à disposition du point de mutualisation (PM, qui permet de raccorder tous les locaux d'une zone donnée), ensuite, lors de la mise à disposition des points de branchement optique (PBO, équipement situé au pied du local pour raccorder son ou ses occupants).

' l'autre, récurrent, payable mensuellement par accès en aval du point de mutualisation.

23.La location mensuelle à la ligne, offre de court terme résiliable à tout moment, permet aux opérateurs qui n'ont pas les capacités de participer au cofinancement d'accéder au réseau mutualisé et de développer une base de clientèle suffisante pour leur permettre de migrer vers le cofinancement en souscrivant des tranches de cofinancement a posteriori. À cette offre de location passive s'applique un taux de rémunération du capital conférant une prime de risque.

24.Ces primes de risque, que l'opérateur d'infrastructure peut intégrer dans ses tarifs d'accès en cofinancement a posteriori ou en location passive, permettent de créer un écart tarifaire qui met concrètement en œuvre le principe de l'échelle des investissements.

25.Les articles 4 de la décision cadre de 2009 et 9 de la décision cadre de 2010 imposent aux OI, en vertu du principe de transparence, d'établir, et de mettre à jour, des informations relatives aux coûts retraçant les investissements réalisés et présentant un degré de détail suffisant pour permettre le contrôle par l'Autorité du respect des principes précités.

26.L'ARCEP a publié en 2015 des éléments d'orientation sur la tarification en zone moins dense, constitués d'un modèle (ci-après « le modèle de 2015 ») et de son document d'accompagnement, ayant vocation à servir de support aux négociations tarifaires entre les différents acteurs du marché de gros par l'introduction d'une méthodologie de référence. Ledit modèle a notamment été utilisé en 2015 par l'Autorité pour établir les lignes directrices relatives à la tarification de l'accès aux réseaux FttH d'initiative publique (RIP).

27.Le modèle de 2015 prend la forme d'un tableur « Excel » dans lequel sont renseignés différents paramètres que sont notamment les coûts de déploiement et d'exploitation du réseau FttH, les modalités de rémunération des capitaux investis au travers d'un taux de WACC (acronyme du terme anglais « weighted average cost of capital », coût moyen pondéré du capital) et de primes de risque (distinctes pour le cofinancement et la location), ainsi que des hypothèses de revenus.

28.Ce modèle est constitué de deux modules.

29.Le premier module est relatif au cofinancement. Il permet de déterminer le niveau du tarif récurrent de cofinancement assurant une rentabilité de l'opérateur d'infrastructure, à partir d'un tarif non récurrent de cofinancement donné.

30.Le deuxième module est relatif à la location. Il permet, à partir des tarifs de cofinancement, de déterminer le tarif de location assurant une rentabilité à un opérateur de gros fictif qui achèterait des tranches de cofinancement auprès de l'OI pour les revendre en location à la ligne aux opérateurs commerciaux sur un marché de gros secondaire.

31.L'ARCEP a également publié une modélisation ascendante d'un réseau de « boucle locale optique mutualisée », dit modèle « BLOM », permettant d'évaluer les coûts de déploiement des réseaux FttH. Quatre versions ont été publiées entre 2017 et 2020, avec les codes sources, à l'issue de consultations publiques auxquelles ont contribué des opérateurs de détail, des opérateurs de gros spécifiquement actifs sur le FttH ainsi que d'autres acteurs de marché.

32.La modélisation est notamment fondée sur l'hypothèse d'une réutilisation des infrastructures de génie civil du cuivre existantes. Elle est réalisée en deux étapes : une première étape consiste à déterminer les tracés et le dimensionnement des réseaux FttH nécessaires à la couverture de la zone considérée ; une seconde étape consiste à évaluer pour la zone considérée les coûts d'investissement, en prenant en entrée les informations sur les tracés de réseau obtenues à l'issue de la première étape.

33.Lors des publications du modèle BLOM en 2020, l'Autorité a également publié des fichiers d'entrée, les unités d'œuvre résultats du modèle agrégées nationalement et par département (avec, dans les deux cas, la décomposition entre zones très denses, zones moins denses d'initiative privée et zones moins denses d'initiative publique), ainsi que, lors de la publication de septembre 2020, les coûts calculés par le modèle au format tableur.

34.Enfin, aux termes de l'article L. 34-8-3, alinéa 3 du CPE, dans sa rédaction applicable (l'alinéa 3 est venu le « III » de ce texte depuis une réforme du 28 mai 2021) les accès fournis par un OI font l'objet d'une convention qui en fixe les conditions techniques et tarifaires. Cette convention est communiquée à l'ARCEP lorsque celle-ci en fait la demande.

35.Les différends relatifs à la conclusion ou à l'exécution de cette convention sont soumis à l'ARCEP conformément à l'article 36-8 du CPE ' texte qui fixe les pouvoirs de cette autorité en matière de règlement de différend.

36.Ce texte, en son II, prévoit ainsi :

« En cas d'échec des négociations, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut également être saisie des différends portant sur :

(')

2bis : La mise en œuvre des obligations des opérateurs prévues par le présent titre et le chapitre III du titre II, notamment ceux portant sur la conclusion ou l'exécution de (') la convention d'accès prévue à l'article L. 34-8-3 (') ». (soulignement ajouté par la Cour)

37.Conformément à l'article L. 130 du CPCE, les différends sont soumis à la formation du collège de l'Autorité dite « RDPI » (règlement des différends, de poursuite et d'instruction), composée de quatre membres, dont le président de l'Autorité. Cette formation est également compétente pour les décisions d'enquête prévue à l'article L. 32-4 du CPCE et celles ayant trait à l'exercice des poursuites dans le cadre de la procédure de sanction ' ouverture, mise en demeure, notification des griefs.

L'ouverture d'une enquête administrative sur les tarifs FttH de SFR et SFR FTTH

38.Par une décision n° 2020-0077 du 21 janvier 2020, la formation RDPI, sous la présidence du président de l'Autorité, a ouvert une enquête administrative, sur le fondement de l'article L. 34-2 du CPCE, à l'encontre des sociétés SFR et SFR FTTH concernant leurs obligations comptables et tarifaires d'accès aux lignes FttH, telles que résultant du cadre réglementaire posé par l'article 34-8-3 du CPE et des décisions cadres de 2009 et 2010.

39.Dans cette décision, s'agissant en particulier des tarifs d'accès aux lignes FttH, l'Autorité a constaté que le tarif de location à la ligne, proposé dans l'offre de SFR FTTH d'accès dans les zones moins denses, était très supérieur aux tarifs pratiqués par des OI de taille comparable alors même que ses tarifs de cofinancement sous-jacents s'élèvent à des niveaux comparables à celui des autres opérateurs. Elle a également constaté que les informations que lui a adressées SFR, en réponse à sa demande du 7 janvier 2019 de transmission d'élément permettant de justifier la construction de ses principaux tarifs d'accès dans les zones moins denses, n'étaient pas suffisantes.

40.Enfin, elle a relevé que SFR FTTH l'avait informée le 17 décembre 2019 d'un projet d'augmentation de ses tarifs d'accès à son réseau FttH dans les zones moins denses, concernant tant le tarif de cofinancement que le tarif de location à la ligne sans l'accompagner d'éléments explicatifs, qui serait mis en œuvre dans un contexte où les tarifs d'accès dans des zones moins denses pratiqués par d'autres OI de taille comparable sont restés très stables.

41.S'agissant des obligations comptables pesant sur SFR FTTH en tant qu'OI, énoncées aux articles 4 et 9 des décisions cadres de 2009 et 2010, l'Autorité a considéré que les éléments fournis par SFR l'ont été dans des délais biens supérieurs à ceux fixés dans la demande, et qu'ils étaient incomplets.

42.C'est en considération de ces éléments que l'Autorité, dans sa formation RDPI, a estimé nécessaire d'ouvrir une enquête administrative.

43.Il est constant qu'à ce jour, aucun acte d'enquête n'a été accompli.

Le différend opposant les parties et la décision attaquée

44.Depuis 2018, Free investit en cofinancement dans les réseaux déployés par SFR en zone AMII suivant une convention d'accès signée le 26 janvier 2018.

45.Lors de l'apport par SFR à SFR FTTH de son activité de déploiement et d'exploitation de réseaux, cette convention d'accès a été transférée à SFR FTTH.

46.Le 31 octobre 2019, SFR FTTH a informé Free qu'elle entendait augmenter ses tarifs d'accès et a transmis une nouvelle annexe tarifaire applicable au 1er février 2020.

47.Dans cette nouvelle annexe, le montant de cofinancement ab initio passe pour chaque logement de 510 euros à 520 euros tandis que la redevance mensuelle par ligne active dans le cadre d'un cofinancement de 20 % passe de 4,96 euros à 5,42 euros.

48.SFR FTTH a ensuite transmis, par courrier électronique en date du 8 janvier 2020, un nouveau projet de contrat dénommé « Contrat d'accès aux Lignes FTTH de SFR FTTH en dehors des Zones Très Denses V2.0 » (ci-après le « contrat d'accès ») ayant vocation à se substituer au précédent contrat et reprenant la nouvelle grille tarifaire.

49.Ce contrat stipule une clause fixant la durée des droits d'usage à 20 ans à compter de la mise à disposition du point de mutualisation, prévoyant trois renouvellements successifs, chacun en contrepartie du versement d'un euro symbolique, le premier pour une nouvelle période de 20 ans et les deux suivants pour des périodes de 10 ans, soit une période totale de 60 ans.

50.L'article 6.6.3. du contrat d'accès prévoit ' de manière similaire à ce qui était prévu par l'ancien contrat de SFR ', qu'« En cas de cession par SFR FTTH de tout ou partie des infrastructures composant les Lignes FTTH, et s'il y a lieu, SFR FTTH s'engage à mettre tout en œuvre pour faire accepter au cessionnaire une clause au terme de laquelle les droits et conditions d'accès Lignes FTTH, octroyés aux Opérateurs Commerciaux présents sur la Zone de Co-investissement considérée, seront identiques ou à tout le moins similaires à ceux de SFR FTTH ou aux engagements pris par SFR FTTH envers l'Opérateur dans le cadre du présent Contrat et ce, afin de leur permettre de poursuivre leur exploitation commerciale desdites Lignes FTTH dans des conditions similaires aux présentes. Dans l'hypothèse où SFR FTTH ne parviendrait pas à obtenir cette clause du cessionnaire, les prestations de maintenance réalisées sur les Lignes FTTH concernées seront résiliées de plein droit, sans indemnité » (soulignement ajouté par la Cour)

51.En cas de changement de contrôle du cofinanceur, l'article 26 du nouveau contrat d'accès, clause dite « intuitu personae », réserve à SFR FTTH « le droit ['] de résilier le Contrat en fournissant tout motif adapté ['] SFR FTTH proposera par la suite à l'Opérateur contrôlé par son nouvel actionnariat un Contrat que SFR FTTH s'engage à négocier de bonne foi. SFR FTTH renoncera à mettre en œuvre cette résiliation dès lors que l'Opérateur sera en mesure de justifier de ses capacités à assumer ses engagements au titre du présent Contrat en fournissant des garanties de solvabilité au moins équivalentes à celles qui préexistaient préalablement à ce changement de contrôle » . En cas de résiliation pour ce motif, « les Parties se rapprocheront pour organiser le maintien des droits d'usage concédés ».

52.S'agissant du niveau des tarifs, le nouveau contrat prévoit une clause d'indexation (article 15.4) ainsi que la possibilité pour SFR FTTH de faire évoluer ses tarifs dans les conditions fixées à l'article 19, lequel autorise SFR FTTH à les modifier à la hausse à tout moment, moyennant le respect d'un préavis de trois mois, à l'exception toutefois de certains tarifs, dont ceux en cofinancement qui ne peuvent être modifiés que dans trois situations :

« ' à la suite d'une décision de l'ARCEP saisie en règlement de différend, ou

' en tant que résultante d'une évolution de la réglementation applicable aux déploiements des lignes FTTH sur la zone concernée, ou

' en cas d'évènement extérieur dument motivé, indépendant de la volonté de SFR FTTH, bouleversant l'économie générale du contrat et ayant pour effet de renchérir les coûts de déploiement et d'exploitation des Lignes FTTH pouvant être mises à disposition au titre du présent Contrat »

53.Free a contesté la nouvelle grille tarifaire et en particulier la hausse du tarif en cofinancement, les clauses relatives à la pérennité des droits d'usage en cas de cession par SFR FTTH de ses infrastructures de réseau FttH ou de changement de contrôle de Free, cofinanceur, ainsi que celles relatives aux évolutions tarifaires.

54.Des échanges ont eu lieu entre les parties sur ces différents aspects du contrat.

55.Estimant que les négociations avaient échoué, Free a saisi l'Autorité en règlement de différend.

56.La saisine, enregistrée le 22 juillet 2020, comporte trois catégories de demandes qui visent à obtenir la modification du contrat sur :

' la pérennité des droits d'usage en cas de cession ou d'évolution capitalistique par l'octroi :

' d'une garantie des droits d'usage sur l'ensemble de leur durée contractuelle, et a minima sur 40 ans, y compris dans le cas où SFR FTTH transférerait tout ou partie du réseau cofinancé à une société tierce ou un tiers (demande 1a) ;

' du versement d'une indemnité compensatrice au profit de Free dans l'hypothèse où SFR FTTH ne parviendrait pas à assurer la continuité des droits d'usage, indemnité fondée sur le coût que représenterait pour Free la compensation de cette perte anticipée des droits (demande 1b) ;

' de la suppression des clauses conférant à SFR un pouvoir de résiliation ou de modification des clauses essentielles du Contrat en cas d'évolution capitalistique ou de changement de contrôle d'un des deux cocontractants, et en particulier la suppression de la partie « changement de contrôle » figurant à l'article 26 du contrat d'accès (demande 1c) ;

' l'évolution des tarifs (demande 2) par l'octroi :

' d'un encadrement des facultés de modification unilatérale des conditions tarifaires liées à l'offre de cofinancement et pour les prises situées en zone AMII, une clause prévoyant qu'une évolution ne puisse intervenir qu'aux deux conditions cumulatives suivantes : la modification tarifaire unilatérale s'effectue en application de l'indexation tarifaire prévue à l'article 15.4 du contrat d'accès pour les seuls tarifs listés aux articles 15.4.1 et 15.4.2., et la modification tarifaire unilatérale ne conduit pas à ce que le cumul des tarifs récurrents excède la moyenne des tarifs récurrents constatés en zone AMII à périmètre de réseau et de prestations similaires ; les autres modifications de tarifs ou création d'un nouveau tarif ne pouvant être effectuées que par l'intermédiaire d'un avenant négocié de bonne foi et signé par les deux parties au Contrat ;

' le niveau des tarifs par l'octroi d'un encadrement :

' du tarif de cofinancement total applicable aux lignes FTTH en co-investissement ab initio des prises situées en zone AMII afin qu'il ne soit pas supérieur à 513,6 euros et la redevance mensuelle par ligne active afin qu'elle soit inférieure à 5,12 euros HT pour un cofinancement à hauteur de 20 % et, pour les autres tranches, cohérente avec les pratiques de marché (demande 3a) ;

' du tarif récurrent de maintenance du câblage client final attaché aux prises cofinancées en zone AMII afin qu'il reflète les coûts constatés, et en particulier qu'il soit égal à zéro euro pour Free qui ne commande pas ces opérations de maintenance (demande 3b).

57.Après avoir retenu sa compétence et considéré la saisine recevable, l'Autorité a fait droit aux demandes de Free en décidant que SFR FTTH devait, à compter de la notification de la décision, d'une part, transmettre à Free dans un délai d'un mois un premier projet de contrat modifiant le projet de contrat de SFR FTTH concernant l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique dans la zone SFMD et, d'autre part, transmettre à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de trois mois, le projet de contrat modifié :

' par lesquels il est prévu explicitement qu'en cas transfert de tout ou partie des lignes à très haut débit en fibre optique du réseau cofinancé, SFR FTTH est tenu de garantir à la société Free, en contrepartie de son cofinancement, la continuité des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées à ces droits (art.1 de la décision attaquée) ;

' par lesquels il est prévu un mécanisme visant à une juste indemnisation de la société Free en cas de perte de tout ou partie des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées à ces droits à l'occasion du transfert des lignes à très haut débit en fibre optique de SFR FTTH (art. 2 de la décision attaquée) ;

' par lesquels la partie relative au « Changement de contrôle de l'Opérateur » de l'article 26 du projet de contrat est modifiée dans les conditions prévues à la partie 4.3.2 de la décision : « la nature des garanties attendues et les conditions dans lesquelles elles peuvent être exigées ainsi que celles relatives à une éventuelle résiliation s'inscrivent dans les mécanismes généraux déjà prévus par le Contrat, comme par exemple en renvoyant aux conditions prévues à l'article 18. » (art.3 de la décision attaquée) ;

' concernant la partie de la zone AMII comprise au sein de la zone SFMD, complétant les articles 15.4.1 et 15.4.2 et 19 par un mécanisme visant à ce qu'au-delà d'un seuil à définir par le contrat, toute évolution tarifaire envisagée fasse l'objet d'un avenant négocié de bonne foi entre les parties (art. 4 de la décision attaquée).

58.Aux termes de l'article 5 de la décision attaquée, l'Autorité a fait obligation à SFR FTTH de prévoir, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, au sein de la zone SFMD, pour les lignes situées en zone AMII, que le tarif de cofinancement ab initio du segment point de mutualisation ' point de branchement optique (PM-PBO) des lignes à très haut débit en fibre optique prévu par le projet de contrat de SFR FTTH concernant la zone SFMD ne soit pas supérieur à 513,6 € et que le tarif de la redevance mensuelle par ligne ne soit pas supérieur à 5,12 € pour un cofinancement à hauteur de 20 % et, pour les autres tranches soit en cohérence avec ce tarif.

59.C'est la décision attaquée.

Le recours entrepris

60.Par son recours, SFR FTTH demande à la Cour :

' d'annuler et/ou réformer intégralement les articles 2, 4 et 5 de la décision ;

' statuant à nouveau, juger que la société SFR FTTH est fondée à appliquer le contrat en l'état (soit avant l'adoption de la décision), c'est-à-dire :

' sans que celui-ci ne comprenne de mécanisme visant à une juste indemnisation au profit de la société Free en cas de perte de tout ou partie des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées à ces droits en cas de transfert des lignes FTTH de SFR FTTH ;

' sans compléter ses articles 15.4 et 19 par un mécanisme visant à ce que toute évolution des Tarifs de cofinancement en zone AMII au sein de la SFMD au-delà d'un seuil à définir fasse l'objet d'un avenant négocié de bonne foi entre les parties ;

' sans modification des tarifs de cofinancement en zone AMII tels que fixés à l'annexe 2 du Contrat, lesquels sont justifiés et raisonnables, à savoir :

' 520 euros pour le tarif non-récurrent de cofinancement ;

' 5,80 euros pour le tarif récurrent de cofinancement pour une tranche de cofinancement de 5 %, 5,60 euros pour une tranche de cofinancement de 10 %, 5,50 euros pour une tranche de cofinancement de 15 %, 5,42 euros pour une tranche de cofinancement de 20 %, 5,36 euros pour une tranche de cofinancement de 25 %, 5,29 euros pour une tranche de cofinancement de 30 %, 5,29 euros pour une tranche de cofinancement de 35 % et au-delà.

et, en conséquence, rejeter les demandes 1.b, 2 et 3.a de la société Free ;

' condamner Free à payer à SFR FTTH la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

61.Free conclut au rejet du recours et à la condamnation de SFR FTTH à lui payer la somme de 150 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

62.L'Autorité et le ministère public considèrent que le recours doit être rejeté.

63.Sont donc en discussion devant la Cour les demandes tendant :

' à l'indemnisation de Free en cas de perte des droits d'usage acquis en cofinancement du fait d'un transfert par SFR FTTH de son réseau ; (demande 1b)

' à encadrer les évolutions tarifaires ; (demande 2)

' à diminuer le niveau des tarifs de cofinancement (demande 3).

MOTIVATION

I. SUR LA VIOLATION DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE

64.SFR FTTH met en cause l'impartialité de la formation RDPI du collège de l'ARCEP. Elle invoque la décision d'ouverture de l'enquête administrative sur le niveau de ses tarifs dans des termes stigmatisants et les propos publics tenus par le président de l'Autorité, président de la formation RDPI révélant un parti pris contre SFR FTTH le qualifiant de « passager clandestin du système ». Autant d'éléments qui selon SFR FTTH sont de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de la formation RDPI lors de l'adoption de la décision attaquée. Elle fait valoir, en réplique à la fin de non-recevoir soulevée par l'ARCEP et Free, que d'une part, il n'est pas démontré que le principe selon lequel on ne peut pas soulever de moyen nouveau en appel serait applicable au recours contre les décisions de l'ARCEP et, que d'autre part, elle n'a pas pu renoncer à ce moyen dès lors qu'elle était dans l'incapacité de le soulever au cours de la procédure devant l'Autorité faute de dispositions spécifiques le permettant. Elle ajoute, qu'en tout état de cause, une violation du droit à un tribunal impartial, garanti à l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») constitue un moyen d'ordre public qui peut être invoqué à tout moment de la procédure.

65.Free soutient que le moyen est irrecevable faute d'avoir été soulevé devant l'ARCEP et souligne que ce même moyen avait été soulevé par SFR FTTH dans le cadre d'une autre procédure de règlement de différend l'opposant à Bouygues Telecom. Sur le fond, elle conclut au rejet du moyen pour les mêmes motifs que ceux exposés par l'Autorité.

66.L'Autorité s'interroge sur la recevabilité du moyen, soulignant qu'il n'a pas été soulevé devant elle et, qu'au surplus, SFR FTTH y avait expressément renoncé lors de l'audience devant l'ARCEP dans l'affaire antérieure l'opposant à Bouygues Telecom et portant également sur les tarifs de son contrat d'accès, notamment au regard des principes de bonne foi et de loyauté procédurale. Elle ajoute qu'il résulte de la jurisprudence européenne que la violation de l'article 6 § 1 de la CSDH n'est pas encourue lorsque la décision de l'autorité administrative est susceptible d'un recours de plein contentieux devant un organe juridictionnel qui satisfait à l'exigence d'impartialité.

67.Sur le fond, elle expose que les procédures d'enquête et de règlement de différend ont des contextes, des objets et des finalités bien distincts si bien qu'on ne peut considérer qu'elles amènent l'ARCEP à connaître de faits identiques, contrairement à ce qu'affirme SFR FTTH. De plus, exiger de l'ARCEP qu'elle choisisse entre l'une ou l'autre de ces procédures reviendrait in fine à remettre en cause l'effectivité de son action de régulateur. Elle souligne que tant les termes de la décision d'ouverture d'enquête, antérieure à la saisine de Free, que les propos du président de l'ARCEP sont neutres et objectifs.

68.Le ministère public expose que l'article 563 du code de procédure civile qui permet aux parties d'invoquer des moyens nouveaux pour justifier en appel, les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, sous réserve de ne pas introduire par ce biais, de nouvelles prétentions en cause d'appel, n'est pas expressément écarté par les dispositions particulières aménageant le recours contre les décisions de l'ARCEP et a donc vocation à s'appliquer. Il ajoute qu'il n'existe pas de procédure de récusation dont SFR FTTH aurait pu se prévaloir devant l'Autorité et que SFR FTTH doit pouvoir présenter un moyen mettant en cause l'impartialité de l'Autorité, au soutien de son recours sauf à priver ce dernier de son effectivité.

69.Sur le fond, il partage l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour :

70.En premier lieu, il convient de rappeler que l'article R. 11-2 du code des postes et télécommunications électroniques, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose :

« Par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours contre les décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prévues à l'article L. 36-8 sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions suivantes [art. R. 11-3 à R. 11-8]. »

71.Il se déduit de ce texte que les dispositions du code de procédure civile, autres que celles relatives à la procédure d'appel prévues au titre VI du livre II du code de procédure civile, comme les principes généraux qui y ont été rattachés par la Cour de cassation, sont applicables aux recours portés devant la présente Cour dès lors qu'elles ne sont pas contraires aux règles et principes régissant les recours contre les décisions de l'Autorité énoncées aux articles R. 11-3 à R. 11-8 du code des postes et télécommunications électroniques, ni incompatibles avec la nature de la procédure.

72.Aucune disposition du CPCE aménageant les modalités du recours contre les décisions adoptées par l'Autorité en matière de règlement de différend ne prévoit de règles particulières relatives aux moyens présentés au soutien de ce recours à l'exception de l'article R. 11-3 dudit code qui impose au demandeur au recours de déposer, à peine d'irrecevabilité, son exposé des moyens dans un certain délai.

73.Cette disposition particulière ne contredit ni ne déroge au principe édicté à l'article 563 du code de procédure civile figurant au livre I du code de procédure civile, selon lequel les parties peuvent invoquer en cause d'appel des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. L'auteur du recours peut donc invoquer un moyen nouveau qu'il n'avait pas présenté devant l'Autorité, à la condition toutefois de le présenter dans les formes et délais prévus à l'article R. 11-3 du CPCE précité.

74.Par ailleurs, la circonstance que SFR FTTH n'ait pas mis en cause l'impartialité de la formation RDPI lors de la procédure suivie devant l'Autorité ne saurait valoir renonciation expresse et non ambiguë de sa part à présenter un moyen pris de la violation de l'article 6 § 1 de la CSDH à l'occasion du recours formé devant la cour d'appel, dès lors qu'il est constant qu'il n'existe aucune disposition spécifique permettant à une partie de contester l'impartialité de la formation RDPI prise dans son ensemble ou celle de l'un de ses membres avant que l'Autorité ne se prononce sur le différend. C'est dès lors en vain que l'ARCEP se prévaut de la position de SFR FTTH dans le cadre d'un règlement de différend l'opposant à un autre opérateur.

75.En outre, la Cour, saisie d'un recours de pleine juridiction, peut annuler ou réformer en tous points les décisions de règlement de différend de l'ARCEP. Dès lors il ne saurait être interdit à une partie d'appuyer son recours en annulation sur un moyen pris d'une atteinte au principe d'impartialité.

76.En second lieu, sur le fond, l'enquête ouverte par la formation RDPI de l'Autorité le 21 janvier 2020 a pour objet de « recueillir (') l'ensemble des informations ou documents nécessaires pour s'assurer du respect par la société SFR FTTH de ses obligations tarifaires d'accès à ses lignes de communication électroniques à très haut débit en fibre optique en zones moins denses, et du respect par les sociétés SFR et SFR FTTH de leurs obligations de comptabilisation, qui pèsent sur elles au titre des dispositions du code des postes et télécommunications électroniques et des décision n° 2009-1106 et n° 2010-1312 ».

77.Il est constant que cette enquête, conduite sous l'autorité de la directrice générale l'ARCEP, n'a donné lieu à aucun acte d'investigation de sorte qu'il convient de déterminer si la seule décision de la RDPI d'ouvrir une enquête était de nature à créer un doute objectivement justifié sur son impartialité lors du règlement du différend.

78.Ainsi qu'il résulte des éléments exposés aux paragraphes 38 et suivants du présent arrêt, l'enquête ouverte par la formation RDPI couvre, pour partie, les mêmes faits que ceux faisant l'objet du différend dont a été saisie l'Autorité en ce qu'elle porte sur le niveau des tarifs d'accès au réseau FttH déployé par SFR puis par SFR FTTH. Toutefois, elle a pour seule finalité, à ce stade, de recueillir des informations en vue de s'assurer du respect par deux opérateurs, l'un ayant pris la suite de l'autre dans le déploiement et l'exploitation de ce réseau, de leurs obligations légales et réglementaires.

79.Dès lors, cette décision d'ouverture d'enquête ne saurait constituer un pré-jugement d'une éventuelle méconnaissance par ces deux opérateurs desdites obligations, peu important qu'elle ait été prise, après des échanges entre l'Autorité et d'autres opérateurs sur les inquiétudes suscitées chez ces derniers par le projet de hausse tarifaire de SFR FTTH.

80.Aussi, la circonstance que ce soit la même formation du collège qui a décidé d'ouvrir cette enquête et qui a tranché le différend n'est pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de cette formation lors de l'adoption de la décision attaquée.

81.Quant aux motifs de la décision d'ouverture d'enquête, ils soulignent, d'une part, le caractère insuffisant des explications et pièces transmises par SFR et SFR FTTH en réponse aux demandes du régulateur pour expliquer leur tarif et le projet de hausse tarifaire de SFR FTTH.

82.Ils soulignent, d'autre part, que « le projet d'augmentation tarifaire serait mis en œuvre dans un contexte où les tarifs d'accès en zones moins denses des autres opérateurs d'infrastructure de taille comparable sont restés stables » et que le tarif actuel de location à la ligne est « très supérieur aux tarifs pratiqués par des opérateurs d'infrastructure de taille comparable alors même que les tarifs de cofinancement sous-jacents de SFR FTTH s'élèvent à des niveaux comparables à ceux des autres opérateurs ».

83.Ces derniers motifs reposent sur des constats purement factuels issus notamment d'un examen objectif du marché dont n'est tirée aucune déduction ou conclusion particulière. Ils n'induisent ni ne suggèrent une critique sur le niveau des tarifs, ni aucune appréciation de fond sur leur caractère raisonnable. Ils ne sont donc pas de nature à faire naître un doute sur un éventuel parti pris de la part de la formation RDPI.

84.Par ailleurs, SFR FTTH admet que le cadre réglementaire du déploiement des réseaux FttH impose un lien entre les coûts et les tarifs, lien qui résulte des principes d'objectivité et de pertinence rappelés au paragraphe 18 du présent arrêt. La circonstance que la décision d'ouverture de l'enquête tende à recueillir des éléments permettant de vérifier l'adéquation entre les tarifs et les investissements réalisés et prévisionnels n'est ainsi que la traduction de la volonté de l'Autorité de vérifier l'existence de ce lien, et ne laisse en rien supposer un parti pris de cette dernière sur l'absence de conformité des tarifs de SFR FTTH aux principes précités.

85.S'agissant des propos publics du président de l'Autorité, en particulier ceux tenus au cours d'un « chat » vidéo public de l'ARCEP du 11 avril 2020 ayant pour sujet « Les territoires connectés », le président répondant à la question « L'ARCEP va-t-elle réévaluer les coûts récurrents facturables aux usagers du réseau selon la réalité des coûts d'exploitation ' », a indiqué : « 'ce que je voudrais dire c'est que nous sommes conscients de la question de la tarification de la fibre qui est un sujet très sensible pour tout le monde. Il y a aujourd'hui dans les zones privées un travail en cours de l' ARCEP puisque ça ne vous aura pas échappé qu'il y a un des grands opérateurs qui déploie la fibre en zone privée qui a des pratiques tarifaires qui posent question. Je voudrais dire que l'ARCEP y travaille. L'ARCEP ne laissera pas de passagers clandestins du système, ne laissera pas un acteur qui profiterait de la situation pour pratiquer des prix plus élevés en ayant instauré un monopole privé. Comptez bien sur l' ARCEP pour remettre les points sur les « i » sur ce sujet. ».

86.Ces propos mettent ainsi en exergue l'existence « d'un travail en cours de l'ARCEP » sur les tarifs d'un opérateur privé en raison de leur niveau élevé. Bien qu'ils ne le désignent pas nommément, ils visent nécessairement SFR FTTH dès lors que ce dernier est le seul opérateur privé qui, à la date du 11 avril 2020, faisait l'objet d'une procédure en cours en raison du niveau de ses tarifs, à savoir une enquête ouverte contre lui sur le fondement de l'article 32-4 du CPCE et dont le président avait connaissance pour avoir signé la décision d'ouverture.

87.Toutefois, le président s'est borné à indiquer que les tarifs de cet opérateur « posent question », sans porter une appréciation de fond sur ces tarifs. Puis, de manière plus générale, il a affirmé que dans le cadre de sa mission, l'ARCEP ne laissera aucun opérateur profiter du réseau FttH déployé par d'autres sans participer au coût (passager clandestin) ni aucun opérateur profiter du système pour pratiquer des tarifs élevés. Aussi, l'expression « Comptez bien sur l' ARCEP pour remettre les points sur les « i » sur ce sujet. », traduit la volonté de l'ARCEP de veiller à ce que les intérêts des uns et des autres, OI et OC, soient respectés afin d'éviter tant les passagers clandestins que les effets nocifs des situations de rente monopolistique.

88.Ces propos généraux, loin de suggérer que les tarifs pratiqués par SFR FTTH nécessitent une intervention de la part de l'Autorité pour le contraindre à pratiquer des tarifs conformes à ses obligations règlementaires, ne font que rappeler la mission de l'ARCEP et ses pouvoirs de régulateur.

89.Ils ne sont donc pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'absence de parti pris du président de l'Autorité sur les tarifs de SFR, et partant sur son impartialité.

90.Enfin, SFR FTTH invoque les propos tenus par le président de l'Autorité au cours d'une audition du 22 avril 2020 devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat au cours de laquelle ont notamment été évoqués les impacts de la crise sanitaire sur le déploiement des réseaux FttH et un article de presse sur le recours au chômage partiel par certains opérateurs. Le président a réagi en indiquant : « Notre objectif est de débloquer les investissements et les innovations au plus vite après la fin du confinement ('). Tout dépendra aussi de la réactivité du tissu des sous-traitants. Vous avez raison, ('), nous pouvons demander des efforts aux opérateurs ; certains y sont prêts, et les ont anticipés. Tous n'ont pas recouru au chômage partiel de la même manière ». Ces propos suggèrent une critique en creux du recours au chômage partiel par SFR dès lors que l'article de presse précité le désigne expressément. Ils sont toutefois sans lien direct avec les tarifs de SFR FTTH, objets du différend et ne traduisent pas d'animosité contre le groupe SFR ou un parti pris du président contre ce groupe.

91.Ils ne sont pas de nature à créer un doute objectivement justifié sur l'impartialité du président de la formation RDPI et pas davantage sur celle de cette formation prise dans son ensemble.

92.Le moyen est rejeté.

II. SUR LA FORMALISATION DU DIFFÉREND

93.SFR FTTH soutient que le différend n'était pas formalisé concernant les demandes 1b, 2 et 3a. Elle expose que la saisine est intervenue alors que les négociations étaient en cours, la saisine datant du 22 juillet 2020 et Free ayant annoncé le 30 juin 2020 la transmission d'un nouveau contrat devant prendre en compte les demandes d'évolution qu'elle entendait accepter. Elle souligne avoir reçu les demandes de Free au début de la première période de confinement, qui a perturbé son organisation interne, ce qui explique qu'elle n'a pas pu répondre plus tôt. Elle soutient que sa position sur les demandes de Free n'était pas acquise à la date de la saisine, contrairement à ce qu'a retenu l'Autorité dans la décision attaquée et reproche à cette dernière d'avoir retenu des éléments postérieurs à la saisine pour caractériser l'échec de négociations. Elle ajoute que les demandes de Free n'étaient ni précises ni motivées.

94.Free répond que l'échec des négociations est caractérisé dès lors que plusieurs courriers antérieurs à la saisine de l'ARCEP ont été envoyés par Free à SFR FTTH formulant des demandes, identiques à celles contenues dans la saisine, qui ont été explicitement rejetées ou sont restées sans réponse satisfaisante.

95.L'Autorité expose que l'éventualité de la transmission d'une hypothétique version modifiée du contrat d'accès, alors que Free l'avait réclamée à plusieurs reprises, ne pouvait bloquer la saisine de l'ARCEP alors que le désaccord était manifeste : quatre mois et demi d'échanges marqués d'abord par une longue période de silence de SFR FTTH puis par des refus explicites de SFR FTTH sur la plupart des demandes montrent sans équivoque que les parties ne parviennent pas à s'entendre.

96.Le ministère public considère que les différents échanges entre les parties démontrent l'existence de plusieurs points de désaccords clairement identifiés, correspondant à l'objet de la saisine de Free de sorte que la condition relative à l'échec des négociations est en l'espèce remplie.

Sur ce, la Cour :

97.Il résulte des termes de l'article L. 36-8 du CPCE que l'Autorité ne peut être saisie en règlement de différend portant sur la conclusion de la convention d'accès à un réseau de télécommunications FttH qu'en cas d'échec des négociations entre l'opérateur tiers et l'OI.

98.En l'espèce, après plusieurs réunions entre elles et se fondant sur la nature des droits en cofinancement, Free a demandé à SFR FTTH dans une première lettre du 16 mars 2020 (pièce Free n° 15) de lui adresser, sous quinzaine, un contrat d'accès modifié visant à lui garantir « des droits d'usage à long terme » et « les conditions essentielles d'accès associées à ces droits », « sur l'ensemble de leur durée contractuelle, et a minima sur 40 ans, ce y compris dans le cas où SFR FTTH transférerait, que ce soit par cession, transfert, apport ou tout autre mécanisme, tout ou partie du réseau cofinancé à une société tierce », et prévoyant, dans l'hypothèse où SFR FTTH ne parviendrait pas à assurer la continuité des droits d'accès, le versement d'une indemnité compensatrice, devant être fondée sur le coût du passage en location comme le précise une note en bas de page de cette lettre.

99.Dans cette même lettre, Free a demandé la suppression de la faculté réservée à SFR FTTH de « modifier unilatéralement les conditions tarifaires, en particulier, par l'introduction de nouveaux tarifs ou la modification des tarifs des principales prestations » et que « toute évolution tarifaire ne puisse être mise en œuvre qu'au travers et à compter de la signature d'un avenant préalablement négocié de bonne foi entre les parties. ». Free a précisé que ce principe général « pourrait éventuellement souffrir d'une exception, qui serait l'application d'une modification des tarifs qui de manière cumulative, n'excéderait pas le plafond d'indexation prévu à l'article 15-4 « ni » la moyenne des tarifs récurrent constatés en zone AMII à périmètre de réseau et de prestations similaires ».

100.En outre, considérant qu'il n'existait aucune raison objective et économiquement raisonnable que les tarifs de SFR FTTH excèdent ceux pratiqués par Orange dans d'autres zones AMII, Free lui a demandé la modification des tarifs du contrat de telle manière que « le tarif de cofinancement ab initio soit inférieur à 515 euros ; le tarif récurrent attaché aux lignes cofinancées soit inférieur à 5,12 euros HT pour un cofinancement à hauteur de 20 % et, pour les autres tanches, cohérent aux pratiques du marché ».

101.Enfin, Free a sollicité « la suppression pure, simple et complète de [la] clause d'intuitu personae » en exposant que cette clause « met entre les mains de SFR FTTH un droit de vie et de mort sur le contrat » en cas de modification de la situation capitalistique de son cocontractant et que « cette clause artificielle que SFR FTTH n'aurait jamais acceptée de manière symétrique, vise à restreindre artificiellement les capacités financières du groupe Illiad ».

102.En l'absence de réponse de la part de SFR FTTH, dont les activités ont été maintenues pendant la période de confinement et qui n'établit pas que ses services étaient dans l'incapacité de le faire au cours de cette période, Free a réitéré ses demandes, dans les mêmes termes, par une lettre du 3 juin 2020 et enjoint à SFR FTTH de lui adresser un contrat modifié sous quinze jours.

103.SFR FTTH a répondu par une lettre du 30 juin 2020 (pièce SFR FTTH n° 8) aux termes de laquelle, tout en acceptant de revoir la rédaction de la clause relative à la pérennité des droits « pour la rendre plus engageante vis-à-vis de Free », elle a explicitement refusé de mettre en place un mécanisme d'indemnisation dans l'hypothèse où SFR FTTH ne parviendrait pas à assurer la continuité des droits d'usage en cas de cession de son réseau (« SFR FTTH n'entend pas fixer contractuellement d'indemnité compensatrice en cas de manquement de la part du cessionnaire »). Elle a également refusé d'encadrer les évolutions unilatérales de tarifs dans les conditions demandées par Free puisqu'elle a proposé de fixer le plafond de ces évolutions sur la base des tarifs d'Orange majorés d'un coefficient de 15 %. Elle a par ailleurs refusé de modifier les tarifs du contrat, les estimant justifiés.

104.Enfin, elle a refusé de supprimer la clause « intuitu personae » (« SFR FTTH n'entend pas supprimer cette clause ») et s'est bornée à proposer d'en « modifier la rédaction s'agissant des modalités de cession du contrat, afin que celle-ci soit automatique, dès lors que le repreneur apporterait un niveau de garanties suffisantes sur lesquelles nous devons nous accorder ».

105.Elle a conclu sa lettre en indiquant être disposée à « proposer une évolution du contrat » et en annonçant la transmission d'un projet « dans les prochains jours ».

106.Ainsi, il résulte de cet échange, d'une part, que les demandes de Free étaient formulées de manière claire, précise et motivée dans des termes permettant à SFR FTTH tant de comprendre les motivations de Free que de prendre position, ce qu'elle n'a pas manqué de faire en refusant d'accéder à certaines de ces demandes et en acceptant d'autres, comme en attestent les termes de sa lettre du 30 juin 2020. D'autre part, SFR FTTH n'a pas accompagné sa lettre de proposition concrète de modification s'agissant des points qu'elle acceptait de modifier alors que les demandes de Free avaient déjà fait l'objet de nombreux échanges entre les parties lors de réunions qui se sont déroulées de mai 2019 à février 2020, comme le précise expressément SFR FTTH dans sa réponse datée du 30 juin.

107.Force est de constater que Free a relancé SFR FTTH le 7 juillet 2020 la sommant de lui adresser un projet de contrat modifié pour le 13 juillet 2020. En réponse, SFR FTTH s'est à nouveau engagée à le faire, mais « d'ici le 23 juillet » prétextant n'avoir reçu la lettre de Free que le 16 juillet tout en demandant la tenue d'une réunion intermédiaire, qui n'avait été nullement évoquée dans son courrier du 30 juin 2020.

108.Il est constant qu'aucun projet de contrat n'a été adressé le 23 juillet 2020.

109.En outre, SFR FTTH, dans ses réponses des 30 juin et 16 juillet, n'a jamais opposé à Free l'imprécision ou l'évolution ou encore l'absence de motivation de ses demandes de nature à empêcher la tenue de négociations de bonne foi. À cet égard, et ainsi que l'a relevé à juste titre la décision attaquée, la circonstance, invoquée par SFR FTTH, que la demande de Free sur le niveau des tarifs de cofinancement aurait évolué au cours des discussions est sans incidence dès lors que Free a demandé de manière constante à obtenir des tarifs identiques à ceux pratiqués en zone AMII en se référant à ceux pratiqués par Orange, ce que SFR FTTH a expressément refusé en opposant notamment l'existence de raisons objectives justifiant selon elle l'application de tarifs différents de ceux d'Orange.

110.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le refus explicite de SFR FTTH de certaines des demandes de Free et l'absence de transmission de contrat modifié sur les autres, en dépit des demandes répétées de Free, caractérisent un échec des négociations au sens de l'article L. 36-8 du CPCE. C'est en conséquence à juste titre que l'Autorité a considéré que la saisine, relative à la pérennité des droits (demandes 1a et 1b), à l'encadrement des évolutions tarifaires (demande 2) et au niveau des tarifs (demande 3a) était recevable.

111.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

III. SUR LES MOYENS VISANT L'ARTICLE 2 DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (INSTAURATION D'UN MÉCANISME D'INDEMNISATION DE LA PERTE DES DROITS D'USAGE EN CAS DE CESSION DU RÉSEAU)

A. Sur la violation de l'article L. 36-8 du CPCE

112.SFR FTTH soutient que l'article 2 de la décision attaquée méconnaît l'article L. 36-8 du CPCE.

113.Elle fait valoir, en premier lieu, que l'Autorité n'était pas compétente pour trancher la demande tendant à l'indemnisation de Free en cas de perte de ses droits d'usage dans l'hypothèse d'un transfert par SFR FTTH de son réseau (demande 1b). Elle soutient que cette demande relève du régime de la responsabilité civile et ne concerne ni directement ni indirectement les conditions techniques et financières d'accès au réseau. Elle souligne que les modalités de mise en œuvre de la responsabilité de l'OI sont indépendantes de la durée des droits d'usage consentis et de leurs éventuelles conditions de résiliation. Elle invoque la pratique décisionnelle de l'Autorité et en particulier, la décision n° 2010-1232 par laquelle l'Autorité a clairement écarté sa compétence pour connaître des clauses relatives à la responsabilité civile.

114.Elle soutient, en second lieu, que l'injonction prononcée par l'article 2 est imprécise en ce qu'elle ne donne aucun élément permettant de déterminer ce qu'est une juste indemnisation et ce qu'il faut entendre par la perte des conditions essentielles d'accès associées aux droits d'usage. Elle souligne que la difficulté de traduire contractuellement l'injonction de l'article 2 a conduit les parties à s'accorder sur une prorogation de délai de sept mois. Elle ajoute que les injonctions prononcées par l'ARCEP en règlement de différend doivent être précises et intelligibles en vertu du principe de la légalité des délits et des peines dès lors que leur méconnaissance peut donner lieu au prononcé de sanctions.

115.Free répond, en premier lieu, que l'Autorité était compétente pour trancher sa demande dès lors que la question de la durée des droits d'accès au réseau et son corollaire, l'octroi d'une indemnité compensatrice en cas de perte de ces droits sont en lien avec les conditions tarifaires de l'accès, la pérennité des droits d'usage étant la contrepartie directe du prix payé par Free, et une condition nécessaire et indissociablement liée à la prestation d'accès au réseau FttH de SFR FTTH. Elle souligne que la durée du droit d'usage fait partie intégrante des conditions d'exécution de la prestation d'accès puisqu'elle définit l'étendue temporelle des droits qui sont conférés à Free en contrepartie du paiement des tarifs récurrents et non-récurrents prévus au contrat, et détermine ainsi la rentabilité de son investissement.

116.Free fait valoir, en second lieu, que le point de savoir si l'injonction est précise ne relève pas du principe de légalité des délits et des peines puisque le non-respect éventuel d'une injonction prononcée par l'ARCEP serait qualifiée uniquement au regard de la mise en demeure qui serait prononcée par cette dernière. Elle soutient qu'en l'espèce, l'injonction prononcée est claire et précise, et parfaitement intelligible pour un OI d'envergure tel que SFR FTTH, laquelle est également OC sur certaines zones. Elle ajoute que la prorogation à sept mois convenue entre les parties, loin d'établir un acquiescement de sa part à l'imprécision de l'injonction, révèle surtout la difficulté des parties à converger, totalement étrangère au libellé de l'injonction mais imputable à la mauvaise volonté dont SFR FTTH fait preuve en cherchant dans l'attente du résultat de son recours par tous moyens à retarder la mise en œuvre d'une injonction pourtant pleinement exécutoire.

117.L'Autorité expose que la durée et la pérennité des droits consentis à l'OC en contrepartie de son investissement sont des caractéristiques indissociables de l'accès, comme elle l'a déjà indiqué dans sa décision n° 20180569 RDPI relative au différend opposant les sociétés Orange et Free, confirmée en cela par la Cour d'appel de Paris, et que l'indemnité versée en contrepartie de la perte anticipée de ces droits est le corollaire de la clause de maintien des droits en cas de transfert de tout ou partie du réseau. La question de l'indemnisation due par l'OI en cas de défaillance de sa part à assurer la continuité des droits d'usage et conditions essentielles à ces droits est ainsi étroitement liée aux conditions d'accès sur lesquelles l'ARCEP peut se prononcer en règlement de différend.

118.Elle fait valoir, pour les mêmes motifs que ceux invoqués par Free, que le principe de légalité des délits et des peines n'a pas vocation à s'appliquer à une injonction prononcée en règlement de différend. Elle souligne, s'agissant des termes de l'injonction, que l'expression « juste indemnisation » n'a rien d'imprécis mais renvoie, comme indiqué dans la décision attaquée, à une indemnisation en rapport avec le préjudice réel subi, compte tenu du niveau d'investissement consenti par Free dans le cadre du cofinancement du réseau de SFR FTTH, et de nature à éviter une remise en cause de la portée des principes de l'accès pérenne aux lignes du réseau déployé et de prévisibilité légitimement attendue par l'opérateur cofinanceur. Les termes « perte de tout ou partie des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées » recouvrent non seulement la perte des droits d'usage mais également des conditions essentielles associées à ces droits, conduisant de facto à la perte de ces droits. Telles seraient le cas par exemple non seulement de la non reprise des droits d'usage mais également des modifications de conditions d'accès qui compromettraient la pérennité des droits d'usage consentis initialement à Free en contrepartie de son cofinancement : par exemple évolution significative des conditions financières du cofinancement ou modification de la durée ou de la portée des droits concédés.

119.Le ministère public partage l'analyse de Free et de l'Autorité et considère que le moyen doit être rejeté.

Sur ce, la Cour :

120.Il résulte des termes de l'article L. 36-8 du CPCE que l'ARCEP est compétente pour régler les différends portant sur la mise en œuvre par un OI de son obligation de mutualiser l'accès à la partie terminale de son réseau FttH dans des conditions économiques et techniques raisonnables, et qu'en particulier, elle est compétente pour les différends portant sur la conclusion ou sur l'exécution des conventions d'accès au réseau FttH.

121.Ce texte précise en outre que l'Autorité doit, dans une décision motivée, préciser les conditions équitables d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'accès doit être assuré.

122.Il s'en déduit que l'Autorité est compétente pour régler les différends portant sur des clauses de ces conventions d'accès lorsqu'elles sont relatives aux conditions financières ou techniques de l'accès.

123.En l'espèce, la demande de Free tendait à l'insertion dans le contrat d'accès au réseau FttH de SFR FTTH d'une clause lui permettant d'obtenir une indemnisation de la perte anticipée de ses droits d'usage acquis en cofinancement, et ce faisant, à écarter, dans cette hypothèse, l'application de la clause générale limitative de responsabilité stipulée au contrat au profit de SFR FTTH qui plafonne le montant de l'indemnité due par cette dernière à 150 000 euros.

124.Les clauses du contrat d'accès au réseau FttH, objet du différend, portent certes sur des aspects indemnitaires en lien avec la responsabilité civile de SFR FTTH. Elles présentent néanmoins un lien étroit avec les conditions financières d'accès à ce réseau. En effet, cette indemnisation constitue le corollaire du maintien, pendant toute la durée de l'exploitation du réseau, des droits d'usage acquis et que la durée et la pérennité des droits consentis à l'OC sur le réseau en contrepartie de son investissement sont des caractéristiques indissociables de l'accès au réseau, comme la décision attaquée le rappelle en pages 20 et 21, point non contesté par SFR FTTH. C'est cette exigence de pérennité des droits qui a motivé la décision de l'ARCEP d'imposer à SFR FTTH de garantir cette continuité en faveur de Free en cas de transfert de tout ou partie des lignes FttH du réseau cofinancé.

125.Ainsi que le souligne l'Autorité, l'insertion d'une clause d'indemnité participe donc de l'effectivité du maintien des droits d'usage et apporte à l'opérateur cofinanceur des garanties quant aux conditions d'accès au réseau déployé en contrepartie de son cofinancement pour lui permettre de rentabiliser son investissement.

126.C'est donc à juste titre que l'Autorité a admis sa compétence pour trancher la demande litigieuse.

127.Par ailleurs, si l'Autorité peut prononcer des injonctions en règlement de différend, il lui appartient, pour remplir son office, de libeller ses injonctions de manière claire et précise.

128.En l'espèce, l'injonction litigieuse est rédigée comme suit :

129.La société SFR FTTH doit, à compter de la notification de la présente décision, d'une part, transmettre à la société Free dans un délai d'un mois un premier projet de contrat modifiant le projet de contrat de SFR FTTH concernant l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique dans la zone SFMD et, d'autre part, transmettre à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de trois mois, le projet de contrat modifié par lesquels il est prévu un mécanisme visant à une juste indemnisation de la société Free en cas de perte de tout ou partie des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées à ces droits à l'occasion du transfert des lignes à très haut débit en fibre optique de SFR FTTH.

130.Contrairement à ce que soutient SFR FTTH, les termes « juste indemnisation » n'ont rien d'imprécis mais renvoient, ainsi qu'il résulte des motifs de la décision en page 40 et 41, à une indemnisation en rapport avec le préjudice réel subi au regard du niveau d'investissement réalisé pour l'acquisition des droits en cofinancement, ce que SFR FTTH ne peut de bonne foi prétendre ignorer en sa qualité tant d'OI mais également d'OC.

131.Cette dernière ne peut de bonne foi davantage prétendre ignorer ce que recouvre la notion de « perte de tout ou partie des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées à ces droits au droit d'usage », laquelle renvoie de manière claire et précise à une perte proprement dite mais également à toute modification significative des conditions essentielles d'accès conduisant, dans les faits, à une perte des droits.

132.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

B. Sur la méconnaissance de la portée du principe de prévisibilité

133.SFR FTTH soutient que l'Autorité a motivé sa décision de faire droit à la demande 1b de Free sur le besoin de cette dernière de « prévisibilité suffisante sur la portée des droits d'usage qui lui sont consentis » et que, ce faisant, l'Autorité a méconnu la portée des principes de visibilité et de pérennité. SFR FTTH fait valoir, en se fondant sur un précédent de l'ARCEP n° 2018-0569, que la prévisibilité dont doit bénéficier un OC cofinanceur dépend étroitement de l'importance de ses investissements. En l'espèce, elle fait valoir que ceux de Free en zone SMD, à la date de la saisine, étaient très inférieurs à ceux réalisés dans les zones de déploiement d'Orange, pour se limiter à 0,6 % des lignes FttH, et ce alors que les conditions d'accès dans ces zones étaient plus favorables que dans celles des zones Orange.

134.Free répond que le cadre réglementaire pose le principe d'un niveau de prévisibilité suffisant pour l'ensemble des opérateurs sans faire de différence entre ceux qui ont déjà co-investi dans le déploiement d'une réseau FttH et ceux qui envisagent de le faire. Elle souligne que cette prévisibilité, nécessaire pour l'établissement des plans d'affaires permettant aux opérateurs de se lancer dans des projets de cofinancement, entre dans les objectifs de la régulation qui, comme l'a rappelé l'ARCEP dans la décision cadre de 2010, visent à promouvoir l'investissement dans le déploiement de nouveaux réseaux tout en évitant que ne se développent des situations de marchés propices à l'émergence de problèmes concurrentiels structurels.

135.L'Autorité développe une argumentation similaire.

136.Le ministère public, se fondant sur le cadre réglementaire tel que fixé par les décisions cadres de 2009 et 2010, partage l'analyse de l'Autorité et de Free sur la nécessité d'un niveau de prévisibilité pour l'ensemble des opérateurs.

Sur ce, la Cour :

137.Dans les motifs de la décision cadre de 2009, après avoir exposé la position de la Commission européenne sur les modalités de la tarification d'accès au réseau, l'Autorité indique partager « pleinement l'analyse de la Commission concernant la nécessité d'un niveau de prévisibilité suffisant pour permettre à l'ensemble des opérateurs, et notamment à ceux souhaitant s'engager dans le co-investissement, de construire des plans d'affaires précis. Pour s'engager dans des projets d'investissement ou de co-investissement aussi importants, les opérateurs ont besoin d'une certaine visibilité sur les coûts qu'ils encourront et sur les recettes qu'ils percevront. »

138.Par ailleurs, énonçant le principe de transparence en vertu duquel l'OI doit établir et publier une offre d'accès devant servir de base à la conclusion des conventions d'accès, elle précise que cette publication répond à plusieurs objectifs dont celui d'apporter de la visibilité et de la stabilité aux opérateurs nécessaires à l'élaboration de leurs plans d'affaires.

139.La nécessité d'un niveau de prévisibilité suffisant a ainsi été posée dans des termes généraux, aux profit de tous les opérateurs.

140.Cette exigence de prévisibilité, nécessaire à la sécurisation des plans d'affaires, et partant à l'incitation à l'investissement, doit donc pouvoir bénéficier à tout opérateur commercial, quel que soit le niveau d'investissement réalisé et/ou envisagé, et en particulier, comme en l'espèce, quel que soit le nombre de lignes déjà cofinancées, lequel peut en outre évoluer en cours de contrat.

141.Contrairement à ce que soutient SFR FTTH, la décision n° 2018-0569 adoptée par l'Autorité dans un différend opposant Free à un autre OI ne remet pas en cause la portée générale du principe de prévisibilité. En effet, dans cette décision, la référence à l'investissement significatif de Free, au regard des circonstances spécifiques de l'espèce, n'est venue que conforter les conclusions de l'Autorité sur la nécessité pour Free de bénéficier de droits d'usage d'une durée suffisante sans qu'il puisse en être déduit, a contrario, que l'Autorité ait entendu dénier à de plus petits cofinanceurs un besoin de visibilité.

142.Or, participe à cette prévisibilité la garantie au profit des OC de la pérennité des droits d'usage qu'ils acquièrent sur le réseau.

143.C'est donc sans méconnaître le principe de prévisibilité que l'Autorité a fait droit à la demande de Free.

144.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

C. Sur le caractère justifié et proportionné de l'injonction

145.Dans la décision attaquée, l'ARCEP a enjoint à SFR FTTH de « transmettre à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de trois mois, le projet de contrat modifié par lequel il est prévu un mécanisme visant à une juste indemnisation de la société Free en cas de perte de tout ou partie des droits d'usage et des conditions essentielles d'accès associées à ces droits à l'occasion du transfert des lignes à très haut débit en fibre optique de SFR FTTH. »

146.SFR FTTH fait valoir que cette injonction prononcée par l'article 2 de la décision attaquée n'est ni justifiée ni proportionnée. Elle soutient, en substance, que la perte des droits d'usage (et le préjudice qui y serait associé) en cas de transfert du réseau est totalement hypothétique. En particulier, l'OI cessionnaire des réseaux sera tenu de respecter la réglementation et d'appliquer à Free des conditions raisonnables, y compris pour la poursuite des droits d'usage existants.

147.Elle ajoute que Free pourrait, à supposer que des conditions déraisonnables lui soient appliquées par le cessionnaire en saisir l'ARCEP ou le juge judiciaire et ce d'autant que l'ARCEP a adopté le 8 décembre 2020 sa décision n° 2020-1432 qui impose aux OI des obligations renforcées en matière de suivi des coûts de leur réseau ' y compris en cas de cession dudit réseau ' afin précisément de permettre à l'ARCEP d'apprécier le caractère raisonnable des conditions proposées par un opérateur cessionnaire aux opérateurs commerciaux à l'issue de l'opération en cause.

148.Elle souligne qu'aucun contrat d'accès d'un OI en ZMD ne comprend un mécanisme similaire à celui qu'impose la décision attaquée, comme en attestent les contrats d'Orange, d'Altitude, d'Axione et de Free Infrastructure et que l'absence d'un tel mécanisme n'a pas entravé la capacité de Free de financer ses investissements. Elle invoque à cet égard le partenariat mis en place par Free avec InfraVia lui ayant permis de lever les fonds nécessaires au financement d'investissements en ZMD et les investissements réalisés par Free dans la ZMD d'Orange.

149.Enfin, elle expose que Free a elle-même reconnu que sa demande 1.b ne serait plus nécessaire s'il était fait droit à sa demande 1.a.

150.Free répond que sa demande vise à garantir contractuellement l'alignement de son droit d'accès sur la durée d'exploitation du réseau, y compris en cas de cession de celui-ci, ce que le contrat ne permettait pas ; et que le mécanisme d'indemnité compensatrice est un moyen efficace d'inciter au respect de l'obligation de résultat imposée à SFR FTTH et de neutraliser les conséquences pour Free d'une méconnaissance de cette obligation.

151.Elle ajoute que les mouvements de cession de réseau sont courants dans le secteur avec un risque que les cessionnaires résilient les conventions pour proposer un contrat moins avantageux et souligne à cet égard que l'apport par SFR à SFR FTTH de son réseau a été rapidement suivi d'une modification tarifaire puis de nouvelle conditions contractuelles imposées par SFR FTTH.

152.Elle expose que la circonstance que d'autres conventions d'accès ne prévoient pas de mécanisme d'indemnisation, outre qu'elle est loin d'être établie, ne peut justifier le refus de SFR FTTH d'instaurer un tel mécanisme, le non-respect de la réglementation par certains n'étant pas une cause exonératoire pour les autres.

153.Elle fait valoir que, comme tout opérateur raisonnable, elle doit prendre en considération, dans la valorisation de ses droits, le risque de voir ses droits d'usage et conditions d'accès associées remis en cause en cas de cession du réseau FttH dans lequel elle a investi. Ce risque, qui est réel compte tenu des termes du contrat d'accès de SFR FTTH, entraine dès lors automatiquement une valorisation moindre de ses actifs, ce qui a nécessairement un impact sur le financement qu'elle peut consacrer au cofinancement ou obtenir par ailleurs d'investisseurs tiers.

154.Elle soutient que le mécanisme d'« indemnité compensatrice » restait nécessaire en dépit de l'insertion d'une obligation de résultat de garantir les droits d'usage et conditions d'accès associées dans l'hypothèse d'une cession du réseau FttH, dès lors que le plafond de responsabilité prévu au contrat d'accès, de 150 000 euros, est dérisoire, notamment au regard du montant des investissements envisagés par Free sur le réseau de SFR FTTH qui s'élève à plus de 200 millions d'euros et qu'une obligation dont la sanction est virtuelle ou dérisoire n'est en réalité qu'une obligation inexistante. Elle précise que, contrairement à ce qu'affirme SFR FTTH au prix d'un détournement de ses propos, elle n'a jamais indiqué que cette clause d'indemnisation ne serait plus nécessaire s'il était fait droit à sa demande d'insertion d'une obligation de résultat de garantir les droits d'usage et conditions d'accès associées en cas de cession du réseau FttH.

155.L'Autorité développe une argumentation similaire à celle de Free. Elle confirme que les évolutions capitalistiques, les entrées et sorties d'acteurs, les rachats et disparitions d'acteurs sont régulièrement observés sur le marché de sorte qu'il existe un risque que ces évolutions puissent affecter l'exécution de contrats, risque que le contrat peut avoir pour objectif soit de prévenir soit d'en circonscrire les conséquences afin de donner de la prévisibilité à l'OC.

156.Elle ajoute que, contrairement à ce que soutient SFR FTTH, l'intérêt financier d'un cessionnaire de réseau d'assurer la continuité des droits n'est pas acquis, le cédant pouvant en effet lui-même, afin de rendre l'actif cédé plus attractif et d'en tirer un meilleur prix, vouloir libérer le cessionnaire de la contrainte consistant à assurer la continuité des droits d'usage (par exemple via des modifications dans les modalités, notamment tarifaires, de l'accès). Par ailleurs, les obligations du cadre réglementaire auxquelles le cessionnaire serait tenu de se conformer dans la fourniture d'une nouvelle offre d'accès ne suffisent pas à lever l'incertitude pour l'opérateur commercial cofinanceur sur la reprise de ses droits d'usage et de leurs conditions essentielles associées dans ce contexte (notamment à travers le risque d'une modification des conditions d'accès initialement consenties).

157.Elle souligne que la possibilité d'un règlement contentieux a posteriori des conséquences d'une perte de droits ne supprime pas la garantie que représente une clause d'indemnisation dont l'objectif est d'apporter de la visibilité à l'opérateur commercial cofinanceur sur la robustesse et la pérennité de ses droits d'usage, y compris en cas de cession du réseau FttH et d'anticiper et de circonscrire le risque d'une perte des droits en fixant à l'avance les conditions d'indemnisation.

158.Le ministère public partage l'analyse de Free et de l'ARCEP et invite la Cour à juger que l'injonction portant sur l'insertion d'un mécanisme de compensation est justifiée et proportionnée.

Sur ce, la Cour :

159.À titre liminaire, la Cour constate que, dans le dispositif de ses conclusions valant exposé des moyens, repris dans ses dernières écritures, SFR FTTH demande à la Cour de réformer l'article 2 de la décision attaquée, de « statuant à nouveau, juger que SFR FTTH est fondée à appliquer le contrat en l'état », et « en conséquence rejeter la demande 1b de la société Free ». Ainsi, contrairement à ce que semble suggérer l'Autorité dans ses observations, la Cour est régulièrement saisie d'une demande : le rejet de la demande de Free, telle que formée devant l'ARCEP, et qui tendait à insérer dans le contrat d'accès un mécanisme d'indemnisation en cas de perte de droits d'usage.

160.SFR FTTH ne conteste pas la décision attaquée en ce qu'elle lui a enjoint d'insérer dans le contrat d'accès une clause lui imposant de garantir à Free, en contrepartie de son cofinancement, la pérennité des droits d'usage et des conditions essentielles associées à ces droits en cas de transfert de tout ou partie des lignes à très haut débit en fibre optique du réseau cofinancé, mais en ce qu'elle lui impose d'insérer une clause visant à réparer la violation de cette obligation.

161.Le contrat d'accès, dans sa rédaction initiale, comportait une clause aux termes de laquelle l'OI s'engageait à « mettre tout en œuvre pour faire accepter au cessionnaire une clause au terme de laquelle les droits et conditions d'accès Lignes FTTH, octroyés aux Opérateurs Commerciaux présents sur la Zone de Co-investissement considérée, seront identiques ou à tout le moins similaires à ceux de SFR FTTH ou aux engagements pris par SFR FTTH envers l'Opérateur dans le cadre du présent Contrat et ce, afin de leur permettre de poursuivre leur exploitation commerciale desdites Lignes FTTH dans des conditions similaires aux présentes ».

162.Ainsi, SFR FTTH avait anticipé la situation d'une cession de tout ou partie de ses lignes n'impliquant pas l'obligation pour le cessionnaire de reprendre les conditions contractuelles d'accès des OC présents sur le réseau cédé et s'engageait, au terme d'une obligation de moyen, à le convaincre de les reprendre. Ce faisant, nonobstant la soumission du cessionnaire au cadre légal et réglementaire lui imposant de consentir à l'OC un accès dans des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires, le contrat avait envisagé le risque d'une perte de droit en cas de cession pour limiter l'engagement de SFR FTTH à une simple obligation de moyen d'obtenir du cessionnaire des conditions équivalentes d'accès et d'exploitation au profit des OC. En outre, ce même contrat stipule une clause générale limitative de responsabilité au profit de SFR FTTH plafonnant à 150 000 euros le montant de l'indemnisation, laquelle clause avait donc vocation à être invoquée en cas de méconnaissance de l'obligation de moyens précitée.

163.SFR FTTH, dont le contrat d'accès anticipait un risque de perte de droits en cas de cession de son réseau et prévoyait un mécanisme visant à limiter sa responsabilité, ne peut donc prétendre, de bonne foi, qu'en raison du caractère hypothétique du risque de perte des droits, il n'y a pas lieu que le contrat prévoit et aménage les conséquences d'un manquement de son obligation de garantir la pérennité des droits d'usage.

164.En outre, il est de l'intérêt des parties à un contrat d'anticiper les situations de nature à affecter ses conditions d'exécution et de prévoir les solutions permettant d'en limiter les effets ainsi que les modalités de réparation des dommages en résultant, et ce peu important le degré de probabilité que la situation envisagée survienne.

165.Cette anticipation est d'autant plus nécessaire lorsque, comme en l'espèce, le contrat en cause peut porter sur des engagements financiers importants, dont le montant peut évoluer à la hausse en cours de contrat. Free évalue ainsi son investissement à venir dans le réseau SFR FTTH à 200 millions d'euros.

166.L'OC, avant de s'engager et investir, doit pouvoir être fixé tant sur la pérennité des droits qu'il envisage d'acquérir, en particulier en cas de cession de tout ou partie des lignes qu'il aura cofinancées, que sur les modalités de réparation du préjudice né de la perte de ses droits. Ainsi qu'il a déjà été exposé, cette indemnisation constitue en effet le corollaire du maintien, pendant toute la durée de l'exploitation du réseau, des droits d'usage acquis, la durée et la pérennité des droits consentis à l'OC sur le réseau en contrepartie de son investissement constituant de leur côté des caractéristiques indissociables de l'accès au réseau.

167.Aussi, la faculté de Free de saisir, a posteriori, l'ARCEP en règlement du différend pour obtenir du cessionnaire des conditions d'accès raisonnable et non discriminatoire, ou le juge judiciaire en réparation de son préjudice, ne remet pas en cause la nécessité de prévoir ab initio les modalités de cette indemnisation, cette anticipation participant de la prévisibilité nécessaire aux opérateurs pour élaborer leur plan d'affaires et sécuriser leur investissement. Les décisions de règlement de différends et les arrêts rendus par la présente Cour dans d'autres instances sont vainement invoqués par SFR FTTH. Ils sont, en effet, sans rapport avec le présent différend qui qui porte sur la visibilité que doit avoir l'OC sur le sort de ses droits d'usage en cas de cession du réseau.

168.La circonstance que l'obligation de moyen initialement stipulée dans le contrat d'accès soit devenue à la faveur de la décision attaquée une obligation de résultat ne remet pas davantage en cause la nécessité de prévoir un mécanisme d'indemnisation. Un tel mécanisme permet en effet d'anticiper la sanction d'une éventuelle méconnaissance de cette obligation et contribue ainsi à garantir une protection effective des droits d'accès, stipulation d'autant plus nécessaire, qu'en l'état de la clause générale limitative de responsabilité stipulée au contrat, l'indemnisation de la perte des droits d'usage ne peut excéder la somme de 150 000 euros, somme dérisoire au regard du montant des investissements en jeu.

169.Dans ces conditions, la circonstance, invoquée par SFR FTTH, que des contrats d'accès proposés par d'autres OC ne prévoient pas un tel mécanisme d'indemnisation ne peut justifier l'insuffisance de la protection accordée par le contrat litigieux. Elle est dès lors inopérante. Au surplus, ainsi que le souligne Free, plusieurs contrats d'accès, qui garantissent le maintien des droits acquis en cas de cession, prévoient une indemnité en cas de perte de ces droits (pièce n° 27, 28, 40 et 41 de Free).

170.À cet égard, dans sa réponse au questionnaire n° 1 adressé par les services de l'Autorité, Free n'a pas indiqué que la clause d'indemnisation deviendrait inutile s'il était fait droit à sa demande relative à la pérennité des droits en cas de cession. En effet, après avoir analysé le contrat d'accès proposé par un autre OI, le contrat « Altitude », dont elle a relevé qu'il concédait de véritables droits réels sur le réseau et qu'il garantissait leur pérennité en cascade, c'est-à-dire non seulement en cas de cession du réseau mais également en cas de nouvelle cession consécutivement à la première, Free a précisé « dans l'hypothèse où, à l'issue du présent règlement de différend, l'ARCEP ferait droit à la demande de Free, conduisant SFR FTTH à proposer à Free un nouveau contrat incluant une garantie des droits comparable à celle issue par exemple des dispositions du contrat Altitude, la clause d'indemnisation pourrait ne pas être indispensable. Toutefois, il n'est pas à exclure, et même plutôt à envisager, que la clause proposée par SFR FTTH (dont il s'oppose à l'inclusion depuis deux ans) ne présenterait pas un tel niveau de protection (Free n'ayant d'ailleurs pas formulé de demande spécifique dans le sens d'une garantie en cascade comme prévue au contrat Altitude). Dans ces conditions, la clause d'indemnisation resterait pleinement justifiée. »

171.Enfin, ainsi que le soulignent tant Free que l'Autorité, l'incertitude du devenir et donc de la pérennité des droits d'usage concédés à Free en contrepartie de son investissement dans le réseau de SFR FTTH est, par nature, un obstacle à la valorisation de l'actif constitué par ses droits d'usage et in fine à son investissement dans le réseau, en méconnaissance des objectifs de régulation mentionnés à l'article L. 32-1 du CPCE, notamment les objectifs de développement de l'investissement, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques, et d'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale.

172.Il résulte des éléments qui précèdent tenant à l'exigence de prévisibilité que l'instauration d'un mécanisme prévoyant une juste indemnisation de Free de la perte anticipée de ses droits d'usage en cas de transfert du réseau est nécessaire et proportionnée.

173.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

IV. SUR LES MOYENS VISANT L'ARTICLE 4 DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (INSTAURATION D'UN MÉCANISME VISANT À ENCADRER LES ÉVOLUTIONS TARIFAIRES)

174.L'article 4 de la décision attaquée impose à SFR FTTH de compléter les articles 15.4.1, 15.4.2 et 19 du contrat « par un mécanisme visant à ce qu'au-delà d'un seuil à définir par le contrat, toute évolution tarifaire envisagée fasse l'objet d'un avenant négocié de bonne foi entre les parties ».

175.SFR FTTH soutient que ce faisant, l'Autorité a violé l'article 36-8 du CPCE, méconnu le cadre réglementaire applicable ainsi que les objectifs de la régulation posés à l'article L. 32-1 du CPCE et conclut à l'annulation de la décision attaquée. Elle conclut à la réformation de l'article 4 dès lors selon elle, que les mécanismes d'évolution des tarifs prévus par le contrat répondent aux besoins de visibilité et de prévisibilité de Free et que l'instauration d'un mécanisme d'encadrement n'était ni nécessaire ni justifiée.

A. Sur la violation de l'article 36-8 du CPCE

176.SFR FTTH soutient, en premier lieu, que l'Autorité a statué ultra petita, en dehors du périmètre de sa saisine, en imposant l'encadrement des évolutions de tous les tarifs, y compris le tarif de location et le tarif récurrent de cofinancement, alors que seul le tarif non récurrent de cofinancement était concerné par la saisine ; et en étendant sa portée à la zone AMEL alors que seule la zone AMII en SFMD était concernée par la saisine.

177.Elle fait valoir, en second lieu, que l'injonction prononcée est imprécise en ce qu'elle n'a pas indiqué aux parties la manière de fixer le seuil qu'elle impose, rendant ainsi difficile sa mise en œuvre comme le démontrent selon elle les échanges entre les parties, postérieurs à la décision.

178.Free répond, sur le premier point, que l'article 4 ne vise pas les tarifs de location de SFR FTTH, qui ne font pas l'objet du présent règlement de différend, mais impose à celle-ci de « compléter les articles 15.4.1. et 15.4.2. et 19 » par un mécanisme visant à ce qu'au-delà d'un seuil à définir, toute évolution tarifaire envisagée fasse l'objet d'un avenant négocié de bonne foi. La motivation de la décision attaquée le confirme d'ailleurs en ne visant expressément que la « contrepartie du cofinancement et de la prévisibilité légitimement attendue par l'opérateur commercial cofinanceur » pour justifier de son injonction. Elle ajoute que sa saisine portait sur l'ensemble des tarifs de cofinancement pour les prises situées en zone AMII. Elle soutient que l'article 4 précise expressément que l'injonction qu'il prononce concerne « la partie de la zone AMII comprise au sein de la zone SFMD » de sorte que SFR FTTH prétend à tort que cet article 4 a étendu sa portée à la zone AMEL.

179.Free expose, en second lieu, que l'injonction est claire et précise en ce qu'elle renvoie aux parties le soin de définir un seuil applicable dans le cadre de négociations « bonne foi » plutôt que de l'imposer elle-même.

180.L'Autorité souligne que l'article 4 doit être lu à la lumière de la demande de Free et des motifs de la décision attaquée qui ne visent que les tarifs de cofinancement en zone AMII.

181.Le ministère public considère que le moyen n'est pas fondé dès lors que la demande de Free portait sur les tarifs de cofinancement en zone AMII, ce qui correspond aux tarifs visés par l'article 4.

Sur ce, la Cour :

182.L'article 4 de la décision attaquée est ainsi rédigé :

« La société SFR FTTH doit, à compter de la notification de la présente décision, d'une part, transmettre à la société Free dans un délai d'un mois un premier projet de contrat modifiant le projet de contrat de SFR FTTH concernant l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique dans la zone SFMD et, d'autre part, transmettre à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de trois mois, le projet de contrat modifié concernant la partie de la zone AMII comprise au sein de la zone SFMD, complétant les articles 15.4.1 et 15.4.2 et 19 par un mécanisme visant à ce qu'au-delà d'un seuil à définir par le contrat, toute évolution tarifaire envisagée fasse l'objet d'un avenant négocié de bonne foi entre les parties. »

183.L'injonction, ainsi prononcée, impose à SFR FTTH d'instaurer dans son contrat d'accès un seuil au-delà duquel toute évolution tarifaire doit faire l'objet d'un avenant négocié de bonne foi avec Free tout en renvoyant aux parties le soin d'en négocier le montant selon un processus en deux temps : SFR FTTH adresse une première proposition dans le délai d'un mois puis en adresse une deuxième trois mois plus tard.

184.L'objet de cette injonction, l'instauration d'un seuil au-delà duquel la négociation de bonne foi est requise, est énoncé dans des termes clairs et précis.

185.Aussi, le fait de renvoyer au contrat, et ainsi à la négociation des parties, qui sont des professionnelles du secteur, le soin de déterminer le seuil permettant le déclenchement de ce mécanisme n'est pas de nature à rendre cette injonction ambiguë. Les échanges intervenus entre SFR FTTH et Free, loin de traduire une difficulté d'exécution de cette injonction, établissent au contraire que SFR FTTH a fait une proposition concrète à Free, intégrée dans le projet de contrat modifié (pièces n° 106 et 135 de SFR FTTH).

186.S'agissant du périmètre de cette injonction, si la première étape de la négociation vise de manière générale une modification du « projet de contrat de SFR FTTH concernant l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique dans la zone SFMD » laquelle inclut la zone AMEL, la seconde étape vise de manière précise uniquement la partie de la zone AMII comprise au sein de la zone SFMD, ce qu'admet SFR FTTH dans ses écritures. La zone AMEL est donc exclue du champ de l'article 4, exclusion qui n'est pas remise en cause par la mention, dans les motifs de la décision attaquée, selon laquelle « les développements qui précèdent devraient demeurer a priori pertinents en dehors de cette zone ». En effet, en l'état d'un dispositif clair et précis, de tels motifs, rédigés de surcroît au conditionnel et utilisant le terme « a priori », ne peuvent avoir une portée contraignante, et ce d'autant, qu'il est clairement rappelé, en introduction, que « la demande de Free est circonscrite à la partie de la zone AMII comprise au sein de la zone SFMD ».

187.Ainsi, SFR FTTH ne peut prétendre que l'injonction a excédé les termes de la saisine en étendant son périmètre à la zone AMEL.

188.Quant aux tarifs concernés, si l'injonction vise « toute évolution tarifaire », elle doit toutefois être lue à la lumière de la saisine et des motifs de la décision attaquée.

189.Or, la demande 2a de Free est libellée de la manière suivante :

« Nous demandons que les facultés de modification unilatérale des conditions tarifaires liées à l'offre de cofinancement du Contrat et pour les prises situées en zone AMII ne puissent être exercées qu'aux deux conditions cumulatives suivantes :

' la modification tarifaire unilatérale s'effectue en application de l'indexation tarifaire prévue à l'article 15.4 du Contrat et pour les seuls tarifs qui sont explicitement listés aux articles 15.4.1 et 15.4.2 ;

' la modification tarifaire unilatérale ne conduit pas à ce que le cumul des tarifs récurrents applicables entre le NRO et le PM d'une part, et entre le PM et la PTO d'autre part, ramené à la ligne active, excède la moyenne des tarifs récurrents constatés en zone AMII à périmètre de réseau et de prestations similaires. » (souligné par la Cour).

190.En outre, en réponse au second questionnaire des rapporteurs, Free a précisé sa demande en indiquant qu'il souhaitait « que toute évolution unilatérale des tarifs liés au cofinancement soit bornée par l'application des indices tarifaires définis aux articles 15.4.1 et 15.4.2 » et que « toute évolution unilatérale des tarifs récurrents soit, de plus, bornée par un deuxième plafond, évolutif dans le temps, défini par la moyenne des tarifs récurrents, et seulement des tarifs récurrents, constatés en zone AMII à périmètre de réseau et de prestations similaires ».

191.La saisine, qui tendait à l'encadrement des évolutions tarifaires, vise ainsi de manière générale les tarifs de l'offre de cofinancement sans faire de distinction entre le tarif récurrent et le tarif non récurrent. Aussi, la circonstance que l'une des bornes proposées par Free soit exclusivement basée sur le tarif récurrent ne permet pas d'en déduire que la demande de Free ne portait que sur ce tarif.

192.Par ailleurs, dans la décision attaquée, l'Autorité a repris les termes de la saisine et statué sur la demande d'encadrement d'évolution tarifaire par des motifs qui n'ont pas expressément inclus les tarifs de location. À cet égard la note de bas de page n° 174 de la décision attaquée n'a pas la portée que lui donne SFR FTTH dès lors qu'elle ne fait que rappeler les tarifs visés par les clauses d'indexation stipulées aux articles 15.4, 15.4.1 et 15.4.2 du contrat, lesquelles ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des tarifs d'accès, y compris celui de la location, et que cette note se rattache à un paragraphe dans lequel l'Autorité constate que la demande de Free concerne certains tarifs non récurrents et certains tarifs récurrents visés respectivement par les clauses d'indexation précitées et « porte sur les « principaux tarifs » du contrat c'est-à-dire les tarifs associés à des prestations regardées comme nécessaires à la fourniture effective de services de communications électroniques à l'utilisateur final concerné, dès lors qu'un opérateur commercial cofinance le réseau ou active une ligne. »

193.Enfin, ainsi que le souligne à juste titre l'Autorité, l'injonction ne vise les articles 15.4.1, 15.4.2 et 19 du contrat d'accès que pour indiquer que le mécanisme d'indexation avait vocation à « compléter » ces articles et non à s'y substituer. C'est en effet dans l'une ou l'autre de ces parties du contrat relatives aux évolutions tarifaires qu'une clause sur l'encadrement des modifications unilatérales des tarifs de cofinancement avait vocation à figurer.

194.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que SFR FTTH n'est pas fondée à soutenir que l'injonction excède le périmètre de la saisine ni qu'elle est imprécise.

195.Le moyen, pris de la violation de l'article L. 36-8 du CPCE, est rejeté.

B. Sur la méconnaissance du cadre réglementaire et des objectifs de la régulation

196.SFR FTTH soutient, en premier lieu, que l'article 4 conduit à lui imposer des tarifs orientés vers les coûts alors qu'elle peut prétendre à un tarif raisonnable, lequel induit une marge commerciale. Elle fait valoir que la décision attaquée motive à plusieurs reprises l'article 4 par la nécessité d'assurer que l'évolution des tarifs ne soit fonction que de celle des coûts sous-jacents.

197.Elle expose, en deuxième lieu, que l'article 4 méconnaît les principes d'objectivité et de transparence. Elle fait valoir que la décision attaquée lui impose de justifier ses tarifs en fonction de ses coûts et ce faisant, qu'elle va au-delà de l'exigence d'un simple lien entre tarifs et coûts. Elle ajoute que la décision attaquée prévoit que les évolutions envisagées de tarifs au-delà du seuil à définir conduisent SFR FTTH à « devoir exposer précisément à Free les raisons l'amenant à vouloir faire évoluer les tarifs, ainsi que le bien-fondé de la nature et de l'ampleur de cette évolution » et que ces évolutions unilatérales doivent répondre « à des modifications de coûts ou de paramètres exogènes présidant à la formation initiale des tarifs à partir des coûts » dont SFR FTTH devra « justifi[er] de façon claire et transparente ». En exigeant une justification « précise » et « transparente », l'Autorité l'oblige à communiquer à Free le détail des informations relatives à ses coûts et conditions de déploiement/exploitation de ses réseaux, informations relevant du secret des affaires, alors que le principe de transparence n'implique pas que l'OI détaille et dévoile ces éléments aux OC, mais seulement le cas échéant à l'ARCEP et que les échanges portant sur des informations de cette nature sont contraires au droit de la concurrence. Elle souligne que Free est un concurrent puisqu'elle déploie elle-même un réseau FTTH.

198.Elle affirme, en troisième lieu, que l'article 4 méconnaît l'obligation de pratiquer un tarif raisonnable en soumettant les évolutions tarifaires au-delà d'un certain seuil à un véritable droit de veto de Free alors qu'elles peuvent être parfaitement justifiées et qu'il appartient au seul OI de déterminer le niveau de ses tarifs, dans le respect du cadre réglementaire applicable. Elle ajoute qu'en lui imposant de saisir l'Autorité en cas de veto de Free, la décision attaquée méconnaît le cadre réglementaire qui, en faisant peser sur SFR FTTH la charge de fixer ses tarifs, conduit à l'inverse à ce que ce soit Free qui saisisse l'ARCEP des éventuelles conditions déraisonnables desdits tarifs. Elle souligne encore que le droit de veto ouvert à Free méconnaît le principe de prévisibilité qui est censé le justifier, lequel doit être raisonnable et non pas absolu et ne saurait avoir pour effet de donner plus de visibilité à l'OC qu'à l'OI, comme le fait la décision attaquée, alors que l'OI, au premier chef, doit pouvoir bénéficier d'une visibilité suffisante au regard de ses investissements.

199.Elle fait valoir, en quatrième et dernier lieu, que l'article 4 méconnaît le principe de non-discrimination en soumettant les évolutions des tarifs en cause à l'accord de Free (qui n'aura aucun intérêt à les accepter quand bien même ils seraient dûment justifiés). En effet, SFR FTTH va être conduite à pratiquer (serait-ce temporairement si elle obtient gain de cause auprès de l'ARCEP après l'avoir saisie d'une demande de règlement de différend) des tarifs différents de ceux applicables aux autres OC. Elle ne pourra pas garantir que ces derniers donnent des suites identiques à ses propositions d'évolutions tarifaires, certains pouvant l'accepter, d'autres la refuser. Le mécanisme institué par l'article 4 peut ainsi conduire à ce que ses tarifs d'accès varient d'un OC à l'autre, et ce alors même qu'ils peuvent être placés dans des situations identiques. Elle souligne que ce mécanisme rend au demeurant impossible le respect du principe de transparence, en vertu duquel SFR FTTH doit publier dans son offre d'accès les conditions qu'elle appliquera au même moment à tous les OC placés dans des situations identiques.

200.Free répond, en premier lieu, que l'article 4 n'emporte aucune obligation d'orienter les tarifs vers les coûts et que les motifs critiqués résultent du cadre réglementaire qui impose un lien entre les tarifs et les coûts, lequel ne se confond pas avec des tarifs orientés vers les coûts.

201.Elle expose, en deuxième lieu, que la décision attaquée n'impose pas à SFR FTTH de dévoiler le détail des « coûts et conditions de déploiement/exploitation des réseaux » ou une obligation de justifier « ligne à ligne » l'évolution de ses tarifs avec ses coûts comme elle le prétend, mais a simplement précisé que, au regard des principes de transparence, d'objectivité et de pertinence, Free, en tant qu'opérateur cofinanceur, puisse se voir communiquer « les raisons [amenant SFR FTTH] à vouloir faire évoluer les tarifs, ainsi que le bien-fondé de la nature et de l'ampleur de cette évolution », comme elle pourrait en bénéficier « dans le cadre d'une négociation de bonne foi ». Elle ajoute qu'expliciter les raisons de l'évolution globale de ses coûts, sur l'ensemble de la zone AMII (et non sur chacune des communes concernées), n'est pas susceptible de violer le droit de la concurrence, Free, à supposer qu'elle soit considérée concurrente de SFR FTTH, ne pouvant tirer, de cette « raison » de l'évolution des tarifs apportée par SFR FTTH, quelque enseignement que ce soit sur le détail de ses coûts ou de permettre une reconstitution de ceux-ci. Elle souligne qu'elle n'est pas en concurrence avec SFR FTTH sur la zone AMII précisément parce que SFR FTTH est en monopole de fait dans le déploiement des réseaux FttH sur cette zone, mais qu'elle est un partenaire de SFR FTTH puisqu'elle cofinance ces lignes.

202.Elle fait valoir, en troisième lieu, que SFR FTTH n'est pas libre de fixer unilatéralement ses tarifs dès lors que précisément, le cadre réglementaire lui impose plusieurs obligations tarifaires, dont celles de respecter les principes de transparence, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité. Le besoin de visibilité et de prévisibilité de l'opérateur cofinanceur, qui doit bénéficier de « droits proches de celui du primo-investisseur », reconnu par l'ARCEP, la Commission européenne et la Cour d'appel de Paris, impose que celui-ci puisse comprendre les raisons de l'évolution des tarifs qu'il doit payer dans le cadre du cofinancement et éventuellement les anticiper. Elle souligne que cette visibilité sur l'évolution des tarifs est essentielle au regard de ses engagements financiers dans le cofinancement du réseau de SFR FTTH afin de lui permettre d'évaluer les capacités d'investissement qu'elle est susceptible de mobiliser dans le cadre du cofinancement, de construire des plans d'affaires précis, en déterminant le coût pour elle de cette modalité d'accès au réseau, et d'en justifier à ses actionnaires. C'est la contrepartie indispensable de l'investissement de Free au sein du réseau de la requérante, au même titre que le caractère pérenne de l'accès à ce réseau. Elle précise que SFR FTTH ne pourra bien entendu pas transmettre d'autres informations que celles dont elle dispose déjà et qu'elle est d'ailleurs susceptible de transmettre à ses propres actionnaires et d'utiliser pour construire des plans d'affaires de sorte qu'elle ne peut prétendre que la décision attaquée lui octroie plus de visibilité qu'elle n'en a elle-même. Elle ajoute qu'en tout état de cause, SFR FTTH pourra saisir l'ARCEP en règlement de différend en cas de blocage des négociations ou de refus de Free de conclure un avenant sans que cela puisse constituer « un renversement de la nature de l'obligation tarifaire ».

203.Elle soutient, en quatrième et dernier lieu, s'agissant de la violation alléguée du principe de non-discrimination, que si l'opérateur cofinanceur obtient par la négociation de meilleures conditions, celles-ci devront être répliquées sans discrimination aux autres opérateurs cofinanceurs se trouvant dans la même situation, tout comme les avancées obtenues par une décision de l'ARCEP seraient nécessairement répliquées aux autres opérateurs cofinanceurs, sauf à justifier qu'ils se trouvent dans une situation différente.

204.L'Autorité développe une argumentation similaire.

205.Elle ajoute que l'article 4 de la décision ne confère pas un droit de veto à Free à la mise en œuvre d'évolutions tarifaires et souligne qu'en dessous d'un certain seuil, SFR FTTH demeure libre d'apporter des modifications unilatérales aux tarifs se rapportant à l'offre de cofinancement et qu'au-delà de ce seuil, SFR FTTH n'est pas privée du droit de modifier ses tarifs, la décision prévoyant uniquement que toute modification tarifaire devra faire l'objet d'un avenant négocié de bonne foi entre Free et SFR FTTH. Si Free refusait de signer cet avenant, SFR FTTH ne serait pas contraint d'abandonner ce projet de modification puisqu'elle aurait alors la faculté de saisir l'ARCEP sur le fondement de l'article L. 36-8 du CPCE. Il reviendrait alors à l'ARCEP de trancher le différend en examinant si l'évolution tarifaire demandée par SFR FTTH est justifiée et raisonnable.

206.Elle souligne que les évolutions tarifaires, qui pourraient être négociées de bonne foi avec SFR FTTH au cours de l'exécution du contrat d'accès, ne font pas obstacle au respect du principe de transparence, SFR FTTH étant en mesure de publier une offre d'accès révisée tirant les conséquences des nouveaux tarifs issus de la négociation avec les opérateurs commerciaux.

207.Elle précise encore que l'article 4 est conforme au principe de transparence qui ne fait pas obstacle à une communication à l'opérateur cofinanceur tel que Free d'éléments sur les raisons, la nature et l'ampleur de la modification envisagée par l'opérateur d'infrastructure. La décision attaquée n'a fait que traduire la légitimité pour Free, en sa qualité d'opérateur commercial cofinanceur, de disposer d'une visibilité raisonnable sur les évolutions tarifaires auxquelles SFR FTTH entend procéder, lui permettant d'apprécier le caractère raisonnable des évolutions tarifaires envisagées.

208.Le ministère public considère, pour les mêmes motifs que ceux exposés par Free et l'Autorité que le moyen doit être rejeté.

Sur ce, la Cour :

209.En premier lieu, ainsi qu'il a déjà été exposé, l'article 4 de la décision attaquée impose l'instauration d'un seuil au-delà duquel les évolutions tarifaires devront faire l'objet d'un avenant négocié de bonne foi entre les parties, tout en conservant la faculté de modification unilatérale de SFR FTTH pour des évolutions en deçà de ce seuil. Il ne se déduit ni des termes de l'article 4, ni de son objet, encadrer les conditions dans lesquelles les tarifs peuvent être modifiés en cours de contrat, que ces derniers doivent être orientés vers les coûts.

210.Quant aux motifs de la décision attaquée, ils rappellent, d'abord, qu'un opérateur d'infrastructure doit fournir aux opérateurs commerciaux un accès à des conditions raisonnables, notamment tarifaires, et que cette obligation s'applique tant aux tarifs initiaux qu'aux tarifs modifiés ultérieurement. Ils constatent que les formules de tarification de l'accès des industries de réseau tiennent traditionnellement compte d'un facteur d'efficacité ou de progrès technique, qui sont des éléments qui sont susceptibles d'orienter les tarifs à la baisse, ce que ne comprend pas l'indexation retenue par SFR FTTH. Ils font état, ensuite, d'un côté, du besoin de prévisibilité et de transparence de l'OC cofinanceur et, de l'autre, du constat que les clauses d'indexation litigieuses et celle permettant à SFR FTTH de modifier ses tarifs en cours de contrat ne répondaient pas à ce besoin.

211.Contrairement à ce que soutient SFR FTTH, la motivation ainsi adoptée par l'Autorité n'affirme pas que les tarifs doivent être orientés vers les coûts. Elle observe ainsi que dans l'hypothèse où les tarifs initiaux seraient plus éloignés des coûts, la hausse des coûts sous-jacents ne devrait pas nécessairement être répercutée intégralement dans les tarifs et admet que des tarifs initiaux éloignés des coûts pourraient se justifier dans la mesure où d'une part, ils sécurisent l'opérateur d'infrastructure en favorisant le partage ab initio du risque lié à l'investissement avec le cofinanceur et d'autre part, ils bénéficient à l'opérateur cofinanceur en lissant les tarifs dont il est redevable lui évitant, dans une certaine mesure, d'être exposé à des hausses de tarifs récurrents pendant la durée des droits qui lui ont été consentis.

212.L'Autorité a également relevé que le cadre réglementaire précisant les modalités de l'accès au réseau FttH a établi un lien entre les tarifs d'accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique et les coûts de déploiement de ces réseaux. Le caractère raisonnable d'une tarification étant analysé par référence aux coûts encourus par un opérateur efficace, c'est à juste titre, en considération de ce principe, que l'Autorité a retenu que l'augmentation des tarifs d'accès résultant de l'application de l'indexation telle que prévue par le contrat de SFR FTTH et cumulée sur plusieurs années pourrait compromettre le caractère raisonnable des conditions d'accès de Free en ce qu'elle risque de conduire à une décorrélation entre les coûts supportés et les tarifs, sans offrir à Free les moyens de se prémunir contre les effets injustifiés de l'indexation. Ce lien entre tarifs et coûts n'est d'ailleurs pas ignoré de SFR FTTH dès lors que la mise en œuvre d'une indexation tarifaire tend précisément à permettre à l'opérateur d'infrastructure de procéder à une évolution des tarifs, en regard d'une évolution attendue de ses coûts, mais doit également tenir compte des besoins de prévisibilité des autres opérateurs commerciaux.

213.Enfin, il est constant que le lien entre les tarifs et les coûts, qui se déduit du principe d'objectivité, ne se confond pas avec l'orientation des tarifs vers les coûts.

214.SFR FTTH l'admet dans ses écritures (§ 770 et suivants) de sorte qu'elle ne peut prétendre, de bonne foi, que la motivation adoptée par l'Autorité, qui ne fait que rappeler ce principe, repose sur la nécessité d'orienter les tarifs vers les coûts.

215.En deuxième lieu, en page 61 de la décision attaquée, l'Autorité a indiqué que si les évolutions tarifaires aboutissent à des tarifs qui, agrégés, excédent un certain seuil, SFR FTTH ne pourra pas les mettre en œuvre de manière unilatérale mais devra engager une négociation de bonne foi avec Free dans le cadre de laquelle SFR FTTH devra « exposer précisément à Free les raisons l'amenant à vouloir faire évoluer les tarifs, ainsi que le bien-fondé de la nature et de l'ampleur de cette évolution ». En page 63, l'Autorité a souligné que si elle ne retient pas la nécessité de conclure un avenant pour les modifications tarifaires en-deça d'un certain seuil, « deux précautions devraient être prises en compte par SFR FTTH et faire l'objet d'une traduction dans le contrat » : la première porte sur la transmission à Free d' « une information précise de SFR FTTH justifiant de façon claire et transparente des raisons, de la nature et de l'ampleur de la modification, dans un délai suffisant avant leur mise en œuvre », et la seconde vise à ce que les évolutions tarifaires envisagées en application de l'article 19 ne puissent être mises en œuvre « que si elles s'inscrivent dans les stipulations contractuelles actuelles et répondent à des modifications de coûts ou de paramètres exogènes présidant à la formation initiale des tarifs d'accès ».

216.Par ces motifs, l'Autorité n'impose pas à SFR FTTH de communiquer à Free le détail de ses coûts, ligne à ligne, ni ses conditions de déploiement et d'exploitation de ses réseaux FttH. Elle lui fait uniquement obligation d'indiquer à Free les éléments ou évènements qui la conduisent à procéder à des évolutions tarifaires, d'en justifier, et de préciser en quoi ils ont une incidence à la hausse sur ses tarifs. Cette obligation ne va pas au-delà d'une transmission de coûts agrégés et de leur évolution globale de sorte que Free ne pourrait en tirer aucun enseignement utile sur la stratégie commerciale de SFR FTTH ni reconstituer le détail des coûts de cette dernière. Partant, il ne saurait en être déduit que de tels échanges contreviendraient au droit de la concurrence.

217.Ainsi, l'Autorité a fait une exacte application des principes de transparence et d'objectivité en vertu desquels la tarification mise en œuvre par l'OI doit pouvoir être justifiée à partir d'éléments de coûts clairs et opposables et toute évolution tarifaire être justifiée par des éléments objectifs.

218.L'OC, en particulier lorsqu'il cofinance, et donc acquiert des droits d'usage moyennant une contribution au partage des coûts, doit pouvoir apprécier le caractère raisonnable du nouveau tarif et pour ce faire, vérifier qu'elle est justifiée par une évolution des coûts.

219.En troisième lieu, si SFR FTTH, en qualité d'OI, fixe seule ses tarifs, elle doit néanmoins les établir dans le respect des principes édictés par le cadre réglementaire et en particulier, dans le respect du besoin de prévisibilité des OC cofinanceurs au regard des investissements nécessaires à leur cofinancement. En outre, contrairement à ce que soutient SFR FTTH, l'article 4 ne confère pas à Free un droit de veto interdisant toute évolution tarifaire mais prévoit qu'au-delà d'un certain seuil une modification tarifaire doit faire l'objet d'un avenant négocié de bonne foi sur la base des explications et informations transmises par SFR FTTH pour justifier de l'évolution envisagée. Ce faisant, l'article 4 ne conduit pas à donner plus de visibilité à Free qu'à SFR FTTH sur ses tarifs puisqu'il n'est pas demandé à cette dernière d'anticiper la réalisation d'un événement mais de justifier de cet événement et de son lien avec la modification de tarif envisagée.

220.En quatrième et dernier lieu, il est vain de prétendre que le mécanisme instauré par l'article 4 méconnaît le principe de non-discrimination, dès lors que dans l'hypothèse où les négociations menées par un OC conduiraient à un tarif différent de celui appliqué à un autre, l'OC s'estimant victime d'une différence de traitement préjudiciable à son activité pourrait saisir l'ARCEP en règlement du différend.

221.Il ne méconnaît pas davantage le principe de transparence dès lors qu'il ne fait pas obstacle à une publication de l'offre d'accès révisée tirant les conséquences du niveau de tarifs issus de la négociation.

222.Le moyen mal fondé, est rejeté.

C. Sur le caractère nécessaire et proportionné de l'injonction

223.Dans la décision attaquée, ainsi qu'il a déjà été exposé, l'Autorité a considéré que les mécanismes contractuels autorisant une évolution unilatérale des tarifs du contrat d'accès n'étaient pas suffisants pour répondre aux besoins de prévisibilité de Free.

224.S'agissant des clauses d'indexation, elle a retenu que l'application automatique et successive de l'indexation, uniquement à la hausse et a fortiori au niveau de son plafond, est susceptible de conduire à une décorrélation entre les coûts et les tarifs, en soulignant d'une part, que la clause d'indexation de SFR FTTH, qui exclut la révision des tarifs à la baisse, comprend des indices de nature à faire évoluer les tarifs à la hausse, alors même que certains coûts sous-jacents semblent orientés à la baisse à long terme, comme par exemple les coûts de génie civil et, d'autre part, que « l'appréciation de la pertinence de l'indexation doit aussi s'inscrire en cohérence avec le niveau des tarifs initiaux ».

225.S'agissant des évolutions tarifaires prévues par l'article 19 du contrat, l'Autorité a considéré que cette clause conférait à SFR FTTH, dans les cas de figure envisagés par cet article, un pouvoir de modification unilatéral dépourvu de tout encadrement. Elle a relevé que cette clause n'impose pas à SFR FTTH de justifier de l'incidence de l'évènement sur ses coûts et donc sur ses tarifs, que Free ne dispose pas d'éléments lui permettant d'apprécier le caractère raisonnable des évolutions tarifaires ainsi décidées, en méconnaissance du principe de transparence des conditions d'accès, et qu'elle autorise des évolutions importantes de tarifs, en particulier des tarifs récurrents, susceptibles de remettre en cause les conditions initiales du cofinancement.

226.Enfin, elle a retenu que le contrat ne précise pas l'étendue du pouvoir de modification unilatéral de SFR FTTH concernant l'introduction de nouveaux tarifs, ni le régime auquel serait soumise leur modification ultérieure et qu'en permettant à SFR FTTH de créer unilatéralement de nouveaux tarifs sans encadrer cette faculté ni la subordonner à aucune justification, les stipulations actuelles ne permettent pas d'assurer à Free la prévisibilité qu'il est en droit d'attendre en tant que cofinanceur.

227.L'Autorité a déduit de l'ensemble de ces éléments que l'introduction d'un mécanisme créant un seuil en deçà duquel SFR FTTH peut modifier unilatéralement ses tarifs et au-delà duquel elle est tenue de conclure un avenant avec Free après négociations de bonne foi, était justifié et proportionné au regard des principes de transparence et de prévisibilité des évolutions tarifaires.

228.SFR FTTH conteste cette analyse. Elle soutient que les mécanismes prévus par les clauses d'indexation et l'article 19 du contrat d'accès répondent aux besoins de visibilité et de prévisibilité de Free et, « que l'instauration d'un mécanisme de plafonnement des évolutions des tarifs n'était ni nécessaire ni justifié ».

1. Sur l'insuffisance des mécanismes contractuels

229.SFR FTTH fait valoir, d'une part, que le mécanisme d'indexation prévu par l'article 15.4 du contrat repose sur des indices définis, pertinents, publiés par l'INSEE et donc opposables, conférant ainsi une visibilité totale aux OC et précise que la hausse des tarifs résultant de celle des indices traduit la hausse des coûts sous-jacents. Elle soutient que la possibilité d'une tendance baissière de certains coûts sous-jacents aux tarifs ne remet pas en cause la pertinence de la clause, la prise en compte de l'indice étant pondérée à 75 % et le contrat ne lui imposant pas de répercuter intégralement et automatiquement sur ses tarifs l'évolution annuelle des indices. Elle ajoute que l'Autorité n'a pas démontré un niveau d'éloignement initial entre ses tarifs et les coûts qui nécessiterait d'encadrer l'indexation et que l'application d'une clause d'indexation est justifiée, faute de prise en compte de l'inflation annuelle dans le contrat d'accès qui doit pourtant être prise en considération dans les tarifs d'accès selon l'ARCEP.

230.Elle fait valoir, d'autre part, que c'est à tort que l'Autorité a considéré que le mécanisme décrit à l'article 19 du contrat ne fournissait pas de garanties suffisantes en matière de prévisibilité et de transparence. Elle estime que cette clause vise précisément à permettre une évolution tarifaire pour tirer les conséquences d'un événement par nature imprévisible et dont l'impact sur les tarifs ne peut être anticipé et qu'en tout état de cause, Free a la faculté de saisir l'Autorité pour contester la hausse si elle l'estime déraisonnable. Elle souligne que la clause actuelle lui impose de motiver la hausse en indiquant ses raisons et rappelle que deux des trois évènements visés par cette clause sont publics (évolution du cadre règlement et décision de règlement de différend de l'ARCEP). Elle soutient que l'exigence de prévisibilité ne peut aller jusqu'à lui imposer de justifier le détail de ses coûts pour justifier la hausse pratiquée. Elle ajoute que ce type de clause est usuelle dans les contrats d'accès et que l'offre d'accès de Free infrastructure contient une clause lui permettant de faire évoluer ses tarifs de manière unilatérale et sans aucun encadrement.

231.Elle ajoute, s'agissant des nouveaux tarifs, que le contrat d'accès prévoit les principaux tarifs voire la quasi-totalité des tarifs, que la création de nouveaux tarifs est purement hypothétique et qu'en tout état de cause, ils sont limités par le cadre réglementaire existant.

232.Free répond que le contrat prévoyait une application automatique et successive de mécanisme d'indexation uniquement à la hausse alors que certains coûts sous-jacents des tarifs de l'accès sont orientés à la baisse à long terme, comme notamment la contribution au génie civil (dont le coût a vocation à baisser une fois celui-ci amorti), et que le contrat n'oblige pas SFR FTTH à proposer ou ajuster ses tarifs à la baisse.

233.Elle fait valoir que l'article 19 confère à SFR FTTH un pouvoir de modification unilatéral, large et peu protecteur à son égard. Contrairement à ce qu'affirme SFR FTTH, cet article ne vise pas uniquement des cas imprévisibles ou qui ne seraient pas anticipables mais simplement des évènements extérieurs et indépendants de la volonté de SFR FTTH dont l'évolution des coûts liés à ses sous-traitants pourrait relever alors même que certains de ses sous-traitants appartiennent au Groupe Altice et sont choisis sans appel d'offres ou mise en concurrence. Elle ajoute que la création de nouveaux tarifs n'était absolument pas contractuellement encadrée, autorisant ainsi SFR FTTH à en créer, y compris pour des prestations indispensables, et les imposer à Free quand bien même ces nouveaux tarifs n'étaient pas prévisibles au moment où Free a décidé d'engager ses investissements dans le réseau de la requérante et sont susceptibles de remettre en cause la rentabilité de ces investissements. Elle affirme que la liberté de modification unilatérale des tarifs et d'édiction de nouveaux tarifs n'est absolument pas « classique » dans les contrats d'accès des opérateurs d'infrastructure comme le prétend SFR FTTH.

234.L'Autorité partage cette analyse et ajoute que, pour traiter la demande de Free visant à l'encadrement du pouvoir de modification unilatérale de SFR FTTH, il ne lui appartenait pas d'apprécier le caractère raisonnable des tarifs résultant de l'application à l'instant « t » de cette clause d'indexation mais bien de vérifier que le dispositif d'évolution des tarifs de cofinancement (y compris la clause d'indexation) avait été dimensionné de telle manière qu'il réponde à ses besoins de prévisibilité et assure un lien des tarifs en résultant avec les coûts sous-jacents.

235.Le ministère public considère que c'est par de justes motifs que l'Autorité a retenu que les mécanismes contractuels n'étaient pas suffisants pour répondre au besoin de prévisibilité de Free. Il souligne en particulier que la pratique de SFR FTTH dans l'application de la clause d'indexation est inconstante puisque le 1er février 2020, elle a augmenté ses tarifs en appliquant l'indexation cumulée sur plusieurs années en une seule fois. Quant à l'article 19 du contrat, qui permet à SFR FTTH en cas d'évènement extérieur et indépendant de sa volonté d'augmenter ses tarifs unilatéralement, c'est parce que cette augmentation unilatérale entame le niveau de prévisibilité de Free qu'elle a vocation à être modifiée et non pas parce que les évènements qu'elle vise sont imprévisibles.

Sur ce, la Cour :

236.Ainsi qu'il a déjà été exposé, il résulte du cadre réglementaire que, pour leur permettre d'élaborer leur plans d'affaires et sécuriser leurs investissements, les OC doivent pouvoir bénéficier d'un niveau de visibilité suffisant sur les conditions techniques et tarifaires proposées par les OI. Par ailleurs, pour être raisonnables, les tarifs doivent reposer sur des coûts clairs et opposables et toute évolution tarifaire doit pouvoir être justifiée par des éléments objectifs d'évolution des coûts sous-jacents.

237.Si ainsi que le souligne l'Autorité, l'indexation des tarifs permet à l'opérateur d'infrastructure de se prémunir contre la dévalorisation de ses tarifs dans le temps, le mécanisme d'indexation mis en œuvre ne doit toutefois pas compromettre les besoins de prévisibilité des opérateurs commerciaux en cofinancement ni le caractère raisonnable des tarifs d'accès qui leur sont proposés.

238.En l'espèce, les articles 15.4.1 et 15.4.2 du contrat d'accès SFR FTTH stipulent respectivement, pour le premier, un indice commun aux tarifs correspondant à des dépenses d'investissement, dont le tarif non récurrent en cofinancement, et pour le second, un autre indice pour des tarifs correspondant à des dépenses de fonctionnement, dont le tarif récurrent en cofinancement, et que ces tarifs « seront révisés uniquement à la hausse une fois par année civile (...) en fonction de l'évolution de l'indice ».

239.Le contrat prévoit ainsi un mécanisme d'indexation systématique, successive et uniquement à la hausse. Il exclut toute possibilité de prendre en compte une baisse des indices et coûts sous-jacents, laquelle reste soumise au bon vouloir de SFR FTTH. En outre, l'Autorité a relevé que ces clauses d'indexation comprennent des indices susceptibles de faire évoluer les tarifs à la hausse alors que certaines composantes de coûts qui structurent les tarifs d'accès de SFR FTTH, comme la réserve ou encore la redevance de génie civil, ont vocation à diminuer. En effet, la première, qui rémunère le capital immobilisé correspondant aux tranches de cofinancement non souscrites, a vocation à disparaître au fur et mesure que le réseau est cofinancé, tandis que la seconde a vocation à diminuer à l'horizon 2030, une fois amortie une partie significative des infrastructures d'Orange servant de support au déploiement du réseau SFR FTTH. Sur ce point, si le changement de méthodologie envisagé par l'ARCEP pour la tarification de la redevance d'accès au génie civil d'Orange ' consistant à prendre en compte le taux de pénétration de la fibre optique au cours de l'année en cours et non plus de l'année n-2 ' peut conduire à court terme à une hausse de cette redevance, il n'est pas établi qu'elle remette en cause, sur le long terme, la tendance baissière liée à l'amortissement de ces infrastructures.

240.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que l'augmentation des tarifs d'accès résultant de l'application de l'indexation, telle que prévue au contrat d'accès et cumulée sur plusieurs années, pourrait compromettre le caractère raisonnable des conditions d'accès de Free en ce qu'elle risquait d'entraîner une décorrélation entre les tarifs et les coûts supportés, peu important la pondération à 75 % de l'un des indices, qui s'avère insuffisante à cet égard, et qu'en ne prévoyant aucun mécanisme permettant à Free de se prémunir contre de tels effets, le contrat ne lui offre pas une prévisibilité suffisante sur l'évolution des tarifs.

241.L'Autorité a rappelé que l'application d'une indexation n'apparait justifiée que dans la mesure où elle ne conduit pas à un tarif déraisonnable et que le caractère raisonnable d'un tarif s'apprécie en particulier au regard des coûts. Elle a également retenu que l'appréciation de la pertinence de l'application d'un mécanisme d'indexation doit tenir compte du niveau des tarifs initiaux au regard de celui des coûts. Elle a relevé, à cette occasion, que dans l'hypothèse où les tarifs initiaux seraient « plus » éloignés des coûts, un OI ne serait pas nécessairement fondé à répercuter intégralement la hausse des coûts dans ses tarifs. Elle a ainsi expliqué que des tarifs initiaux éloignés des coûts peuvent se justifier dans la mesure où d'une part, ils sécurisent l'opérateur d'infrastructure en favorisant le partage ab initio du risque lié à l'investissement avec le cofinanceur et d'autre part, ils bénéficient à l'opérateur cofinanceur en lissant les tarifs dont il est redevable lui évitant, dans une certaine mesure, d'être exposé à des hausses de tarifs récurrents pendant la durée des droits qui lui ont été consentis. Elle n'en a pas moins rappelé que l'obligation pour un opérateur d'infrastructure de fournir aux OC un accès à des conditions raisonnables, notamment tarifaires, s'applique tant aux tarifs initiaux qu'aux tarifs modifiés ultérieurement.

242.Il importe peu en conséquence que l'Autorité n'ait pas vérifié si SFR FTTH se trouvait dans cette hypothèse de « tarifs plus éloignés des coûts », dès lors que les tarifs modifiés doivent rester raisonnables et que l'application automatique et successive de l'indexation litigieuse, uniquement à la hausse et a fortiori au niveau de son plafond, automatique et cumulée, est de nature à le compromettre.

243.SFR n'est, en outre et en tout état de cause, pas fondée à reprocher à l'Autorité de ne pas avoir recherché quel était le niveau d'éloignement de ses tarifs initiaux par rapport à ses coûts alors qu'elle a refusé de produire les éléments nécessaires à cet examen.

244.Au surplus, cette absence de recherche n'est pas de nature à modifier son analyse du mécanisme contractuel d'indexation, les motifs exposés aux paragraphes 239 à 240 du présent arrêt suffisant à la justifier.

245.Par ailleurs, ainsi qu'il a déjà été exposé en paragraphe 52, l'article 19 du contrat d'accès permet à SFR FTTH de modifier unilatéralement les tarifs à la hausse dans trois situations :

« ' à la suite d'une décision de l'ARCEP saisie en règlement de différend,

' en tant que résultante d'une évolution de la réglementation applicable aux déploiements des lignes FTTH sur la zone concernée, ou

' en cas d'évènement extérieur dument motivé, indépendant de la volonté de SFR FTTH, bouleversant l'économie générale du contrat et ayant pour effet de renchérir les coûts de déploiement et d'exploitation des Lignes FTTH pouvant être mises à disposition au titre du présent Contrat »

246.Si cette clause impose à SFR FTTH d'indiquer à Free, et d'en justifier, l'évènement extérieur la conduisant à modifier ses tarifs, elle ne lui impose pas de motiver ni de justifier son impact sur ces tarifs, de sorte que Free n'est pas en mesure d'apprécier le caractère raisonnable de l'évolution tarifaire appliquée, et ce en méconnaissance du principe de transparence, lequel, ainsi qu'il a déjà été dit, n'impose pas à SFR FTTH de justifier dans le détail, ligne par ligne, ses coûts.

247.En outre, ainsi que l'a relevé l'Autorité, cette clause a vocation à s'appliquer à tous les tarifs, en ce compris les tarifs récurrents de cofinancement, et autorise l'OI à pratiquer des évolutions qui peuvent être importantes, voire à créer de nouveaux tarifs, dans une mesure susceptible de remettre en cause les conditions au regard desquelles Free avait pris sa décision d'investir cofinancement.

248.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que cette clause ne présentait pas de garantie suffisante en matière de transparence et de prévisibilité.

249.Contrairement à ce que soutient SFR FTTH, l'atteinte au besoin de prévisibilité ne résulte pas de l'absence d'anticipation d'évènements extérieurs ou imprévisibles, mais de l'octroi d'un pouvoir de modification unilatérale de tarifs en cas de survenance d'un tel évènement.

250.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

2. Sur le caractère nécessaire et proportionné du mécanisme d'encadrement des évolutions tarifaires prévu par l'article 4

251.SFR FTTH soutient qu'elle est en droit de modifier ses conditions tarifaires pour répondre aux évolutions de coûts et aux aléas de déploiement et d'exploitation de son réseau qu'elle rencontre comme l'Autorité l'a reconnu au profit d'Orange, dans une décision de règlement de différend n° 2018-0569 l'opposant à Free, et que Free a la faculté de contester ces évolutions devant l'ARCEP de sorte que le mécanisme instauré par l'article 4 de la décision attaquée n'était pas nécessaire. Elle souligne que, dans la décision n° 2018-0569 précitée, l'ARCEP a rejeté la demande de Free qui tendait à obtenir qu'une évolution tarifaire ne puisse être possible que d'un commun accord, de sorte que l'Autorité, saisie de la même demande de Free, aurait dû également la rejeter.

252.Elle ajoute que l'Autorité ne pouvait pas justifier le principe d'un encadrement en considérant que les tarifs des autres OI « dans des zones comparables » constitueraient « un indice pertinent » pour apprécier le caractère raisonnable des tarifs dès lors que les zones, les coûts et conditions de déploiement et d'exploitation ainsi que les modalités des offres des autres OI diffèrent. Elle souligne que son offre diffère de celle d'Orange sur la durée de droits d'usage, sur l'existence de coefficients ex post plus favorables pour migrer de la location au cofinancement. Elle ajoute que l'Autorité se contredit en reconnaissant explicitement que la référence à la moyenne des tarifs sur une zone relativement similaire soulève des difficultés.

253.Elle fait encore valoir que le mécanisme de seuil est disproportionné en ce qu'il la contraint à dévoiler à ses concurrents ses coûts et conditions de déploiement, ne lui garantit pas de pouvoir appliquer uniformément à tous les OC placés dans la même situation les mêmes tarifs au même moment, la contraindra à multiplier les procédures pour lui permettre en cas de refus d'OC d'appliquer les tarifs raisonnables résultant d'évolution justifiées, et la prive de visibilité sur les conditions et délais dans lesquels elle pourra appliquer à tous les OC ses évolutions tarifaires.

254.Free soutient que sa demande dans le contentieux contre Orange visait à totalement supprimer la possibilité pour Orange de modifier unilatéralement ses tarifs tandis que dans le présent contentieux, elle demande, non pas d'interdire toute possibilité pour SFR FTTH de modifier unilatéralement ses tarifs, mais d'encadrer cette possibilité de modification unilatérale et d'organiser les modalités de discussion des évolutions tarifaires.

255.Elle souligne que les affirmations de SFR FTTH selon lesquelles le mécanisme de seuil serait « totalement disproportionné » sont infondées et renvoie à ses précédentes observations sur ces questions.

256.L'Autorité partage l'analyse de Free sur la portée de sa décision de règlement de différend n° 2018-0569. Elle exclut par ailleurs toute contradiction de motifs dans la décision attaquée.

257.Le ministère public considère que l'instauration d'un mécanisme de seuil apparaît justifiée et proportionnée aux objectifs de transparence et de prévisibilité des évolutions tarifaires, tout en conservant une faculté de modification unilatérale de SFR FTTH en-deçà d'un seuil à définir par le contrat.

Sur ce, la Cour :

258.Dans le différend l'opposant à Orange et ayant donné lieu à la décision n° 2018-0569, Free avait demandé à l'ARCEP, d'une part, que le contrat fasse ressortir le lien entre les différents postes de coûts et les tarifs et prévoie la transmission à intervalles périodiques des grandes masses des coûts sous-jacents aux tarifs d'accès d'Orange et, d'autre part, la suppression du principe de modification unilatérale de prix par Orange prévue au contrat, « au profit d'une clause de discussion réciproque et qu'une évolution tarifaire ne puisse être possible que d'un commun accord des parties, suite à une négociation de bonne foi, permettant un recouvrement des coûts et une marge raisonnable ».

259.Dans la décision de règlement de ce différend, l'ARCEP a fait droit aux premières demandes, celles portant sur le lien entre les coûts et les tarifs et sur la transmissions des données relatives aux coûts. Elle a rejeté celle portant sur l'instauration d'une clause de discussion réciproque en se fondant, non pas sur le besoin légitime d'Orange de faire évoluer ses tarifs, mais sur le fait qu'ayant fait droit aux autres demandes de Free « afin de lui apporter la visibilité nécessaire à sa situation de cofinanceur », celle-ci disposera « désormais d'éléments lui permettant d'apprécier le caractère raisonnable des évolutions tarifaires et, le cas échéant, de s'en prévaloir, sans qu'il soit justifié de faire droit à sa demande d'insertion d'une clause de discussion réciproque. »

260.Dans le présent différend opposant Free à SFR FTTH, Free n'a pas saisi l'Autorité d'une demande lui permettant d'appréhender les coûts de SFR FTTH et de vérifier le lien entre les tarifs et les coûts, Free ayant indiqué en substance qu'elle ne peut pas se fier aux coûts que lui fournirait SFR FTTH, du fait de la structure actionnariale du groupe Altice, qui contient plusieurs sociétés de sous-traitance auxquelles SFR FTTH fait appel pour la construction ou l'exploitation du réseau.

261.C'est donc sans méconnaître sa pratique décisionnelle et en tenant compte des spécificités de chaque saisine, que l'Autorité, pour régler le différend en cause a imposé l'instauration d'une clause imposant une négociation de bonne foi entre les parties pour toute évolution tarifaire allant au-delà d'un seuil à définir entre les parties.

262.Par ailleurs, les modalités d'encadrement des évolutions tarifaires proposées par Free prenaient notamment pour référence la moyenne des tarifs récurrents de cofinancement.

263.Statuant sur ces modalités, l'Autorité a retenu que si la comparaison des tarifs d'OI exploitant des réseaux FttH dans des zones comparables constituait un indice pertinent pour apprécier prima facie le caractère raisonnable des tarifs d'un OI, la référence à la moyenne des tarifs d'OI sur une zone relativement similaire pour encadrer un pouvoir unilatéral d'évolution tarifaire soulevait en revanche des difficultés et l'a écartée.

264.Ainsi, l'Autorité ne s'est pas prononcée par des motifs contradictoires.

265.En outre, les motifs précités viennent au soutien de sa décision de rejet du mécanisme d'encadrement tarifaire demandé par Free et non au soutien de sa décision d'imposer une clause de discussion réciproque, au-delà d'un certain seuil, pour encadrer les évolutions tarifaires.

266.Enfin, SFR FTTH ne démontre pas en quoi ce mécanisme serait disproportionné aux objectifs de prévisibilité et de transparence qu'il poursuit. La Cour rappelle en outre qu'il a déjà été exposé en quoi le mécanisme instauré par l'article 4 n'était pas de nature à porter atteinte à l'égalité de traitement entre les OC ni à imposer à SFR FTTH de transmettre les détails de ses coûts.

267.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

V. SUR LES MOYENS VISANT L'ARTICLE 5 DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (INSTAURATION D'UN PLAFOND DES TARIFS DE COFINANCEMENT)

A. Sur la méconnaissance de l'article 36-8 du CPCE et du principe de la contradiction

268.SFR FTTH soutient, d'une part, que l'Autorité a statué ultra petita par des motifs décisoires incluant la zone AMEL, exclue du périmètre du différend, et lui imposant d'être en mesure de justifier de ses tarifs sur cette zone, conférant ainsi à l'article 5 une portée allant au-delà de la zone AMII, seule concernée par les demandes de Free.

269.Elle fait valoir, d'autre part, que l'Autorité a, au travers de l'article 5, modifié les tarifs de cofinancement en utilisant le modèle de tarification qu'elle a publié en 2015 et auquel elle conféré un caractère normatif en affirmant qu'il permet à partir d'un tarif non récurrent de cofinancement de déterminer le niveau du tarif récurrent de cofinancement et en utilisant ses propres estimations du coût qui n'ont pu être débattues contradictoirement.

270.Sur ce point, SFR FTTH reproche à l'Autorité d'avoir estimé le coût de déploiement d'une ligne FttH, en se fondant sur les valeurs produites par Free issues de l'utilisation du modèle BLOM, modèle d'un réseau de boucle locale optique mutualisée publié par l'ARCEP, alors que Free n'avait pas versé aux débats les données sources et paramètres injectés dans ce modèle et ce, en violation du principe de la contradiction. Elle en déduit que ces résultats obtenus à partir du modèle BLOM doivent être écartés des débats. Elle lui reproche également de s'être fondée sur des estimations alternatives qu'elle a réalisées sans les soumettre aux parties et en utilisant des données qui n'étaient pas accessibles.

271.Free répond, sur le premier point, que l'article 5 tel qu'il figure au dispositif de la décision précise explicitement que l'obligation visée ne s'applique qu'aux lignes situées en zone AMII et que les précisions apportées par l'ARCEP, après la conclusion sur la demande de Free, sur la zone AMEL ne visent qu'à répondre à SFR FTTH qui a mis en avant le fait que les tarifs du contrat d'accès étaient applicables à la fois en zone AMII et en zone AMEL, puisqu'ils feraient l'objet d'une péréquation sur toute la SFMD, afin de justifier leur niveau élevé.

272.Elle soutient, sur le second point, que l'Autorité n'a pas conféré de caractère normatif au modèle de 2015 mais a simplement indiqué que « l'utilisation du « modèle de tarification » est pertinente pour l'appréciation des niveaux tarifaires dans le cadre du présent règlement de différend » pour plusieurs raisons qu'elle a exposées dans la décision attaquée.

273.Elle conteste toute violation du principe de la contradiction. Elle fait valoir que tous les éléments qu'elle a utilisés pour faire fonctionner le modèle BLOM ont été publiés par l'ARCEP à l'exception de trois fichiers qui ne sont disponibles que contre rémunération et qu'elle ne pouvait pas communiquer en raison des interdictions figurant dans les contrats signés avec les titulaires de ces droits. SFR FTTH, qui en connaissait l'existence, aurait pu les obtenir au cours de l'instruction. Elle souligne que son analyse fondée sur le modèle BLOM figurait dans son mémoire du 30 septembre 2020, soit quasiment deux mois avant la clôture de l'instruction et que SFR FTTH n'a pas demandé de report de cette clôture.

274.L'Autorité conteste avoir statué ultra petita et violé le principe de la contradiction pour des motifs similaires à ceux développés par Free.

275.Sur le grief relatif au caractère normatif de sa décision, elle fait valoir que la compétence réglementaire qu'elle détient en vertu des articles L. 36-6 et L. 34-8-3 du CPCE ne fait pas obstacle à ce qu'elle se prononce sur les conditions tarifaires de l'accès à la partie mutualisée du réseau de fibre optique dans le cadre d'un différend dont elle est saisie sur le fondement de l'article L. 36-8 du CPCE. Pour ce faire, il lui est loisible d'utiliser les ressources qui lui paraissent les plus pertinentes, quand bien même ces ressources ne seraient pas de nature réglementaire dès lors qu'elles ont été mises dans le débat. En l'espèce, elle n'a fait que trancher le différend au regard des éléments fournis par les parties dans le cadre de l'instruction et du seul outil pertinent à sa disposition en l'espèce, à savoir le modèle de tarification de 2015. Elle souligne que SFR FTTH reconnaît elle-même s'être appuyée sur ce modèle et qu'elle n'a fourni aucun autre élément permettant d'examiner le lien entre ses tarifs et ses coûts, lien consacré par le principe d'objectivité du cadre réglementaire.

276.Le ministère public considère que seul le dispositif de la décision attaquée revêt un caractère décisoire et qu'en conséquence, lorsque ce dernier se borne à enjoindre à SFR FTTH de modifier ses tarifs dans la partie de la zone AMII comprise au sein de la zone SFMD, il n'excède en rien les prétentions de Free. Il ajoute que les précisions apportées par l'Autorité dans la décision attaquée n'ont aucun caractère prescriptif et rappellent que l'injonction est « limitée à la zone AMII selon la demande de Free ». Enfin, il expose que SFR FTTH était en mesure de contester les résultats issus de l'utilisation du modèle BLOM en produisant ses propres données de coût de déploiement et qu'en tout état de cause elle pouvait se procurer les fichiers litigieux dans des délais compatibles avec ceux de la procédure.

Sur ce, la Cour :

277.En premier lieu, l'article 5 de la décision attaquée, rappelé au paragraphe 58 du présent arrêt, prononce une injonction limitée expressément, de manière claire et précise, aux seules lignes situées en zone AMII.

278.En outre, dans ses motifs, exposés dans la partie 6.2.2 de la décision attaquée, l'Autorité a indiqué n'examiner que les tarifs sur la seule zone AMII après avoir écarté l'argumentation de SFR FTTH qui soutenait, en substance, que ses tarifs d'accès ne peuvent être évalués sur la base des seuls coûts et conditions de déploiement en zone AMII alors qu'ils sont péréqués sur toute la zone couverte par le contrat, incluant les zones AMEL.

279.Si elle a certes consacré des développements sur les tarifs en zone AMEL dans la partie 6.7 de sa décision, c'est pour souligner en quoi, selon elle, l'injonction faite à SFR FTTH d'ajuster ses tarifs en zone AMII « n'implique en rien pour SFR FTTH de pratiquer un tarif différent en zone AMEL, et qu'il appartiendrait le cas échéant à SFR FTTH d'en démontrer toute la pertinence au regard des éléments discutés dans la présente décision ». De tels motifs ne viennent pas au soutien de l'article 5 de la décision attaquée, qui limite ses effets à la seule zone AMII.

280.En second lieu, l'Autorité a constaté, ce qui n'est pas contesté, que les parties au différend avaient chacune utilisé le modèle de tarification de 2015 et ses paramètres pour discuter du caractère raisonnable des tarifs d'accès pratiqués par SFR FTTH et de ceux souhaités par Free.

281.Elles y ont injecté chacune des valeurs différentes que l'Autorité a arbitrées, en retenant, selon les paramètres, soit les propositions de SFR FTTH, soit celles de Free, soit en les fixant elle-même à partir des propositions des parties et en expliquant ses choix, pour chacun des paramètres, dans un document figurant en annexe de la décision attaquée.

282.En utilisant ce modèle, mis dans le débats par les parties, et en retenant les valeurs d'entrée qui lui paraissaient pertinentes, l'Autorité n'a fait que trancher le différend à partir des éléments mis à sa disposition par les parties, qui ont pu être discutés par ces dernières. C'est donc en vain que SFR FTTH, qui au demeurant n'a proposé aucune méthode alternative à ce modèle, reproche à l'Autorité de lui avoir conféré une portée normative.

283.S'agissant, en particulier, du paramètre relatif au coût de déploiement d'une ligne FttH, l'Autorité a retenu la valeur proposée par Free telle qu'issue de l'utilisation du modèle dit BLOM (modélisation ascendante d'un réseau de boucle locale optique mutualisée) qui, ainsi qu'il a été précisé, permet d'estimer les coûts de déploiement d'un réseau de boucle locale optique mutualisée, et notamment du segment point de mutualisation (PM) au point de branchement optique du réseau (PBO), objet du présent règlement différend. Ce modèle a été publié par l'ARCEP en 2017, actualisé en 2020 après quatre consultations publiques, auxquelles le groupe Altice a répondu, sans jamais invoquer de difficultés particulières pour son utilisation.

284.L'estimation de coût établie par Free à partir de ce modèle figure dans son premier mémoire en réplique du 30 septembre 2020, communiqué à SFR FTTH, et qui précise en page 30 que les données d'entrée qu'elle a utilisées sont issues, pour certaines d'entre elles, de trois fichiers qu'elle a obtenus, contre rémunération, auprès d'Orange pour les deux premiers et de Pitney Bowes pour le troisième.

285.SFR FTTH, en sa qualité d'OI, ne pouvait ignorer l'existence de cette modélisation du coût de déploiement d'une ligne et le fait que son utilisation nécessite des données payantes non transmissibles aux tiers. Elle ne saurait par ailleurs invoquer le fait qu'elle ne détient pas de telles données alors qu'un opérateur de communications électroniques de son envergure est en capacité de se les procurer et qu'il lui était loisible, à réception du mémoire de Free du 30 septembre 2020 précisant les données d'entrée qu'elle a utilisées pour son estimation de coût, d'obtenir et d'utiliser des données équivalentes avant la clôture de l'instruction, en vue de la séance devant la formation RDPI du collège qui s'est tenue le 4 décembre 2020.

286.Enfin, il convient de rappeler que SFR FTTH, pour contester les valeurs proposées par Free et issues du modèle BLOM, aurait pu produire ses propres éléments de coût de déploiement, fût-ce par grande masse, pour justifier de son coût réel et l'utiliser comme donnée d'entrée dans le modèle de 2015.

287.Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que l'Autorité s'est fondée sur les données produites par Free, SFR FTTH ayant été mise en mesure de les contester, et qu'il n'y a donc pas lieu de les écarter des débats.

288.Par ailleurs, il appartenait à l'ARCEP de régler le différend dont elle était saisie à partir des éléments mis dans le débat par les parties, et en particulier du modèle BLOM, invoqué par Free, pour l'estimation du coût de déploiement d'une ligne dès lors que SFR FTTH n'a produit aucun élément sur ses propres coûts.

289.SFR FTTH ayant critiqué la méthodologie suivie par Free pour attribuer à une zone donnée les coûts calculés par ce modèle, il ne saurait être reproché à l'Autorité d'avoir affiné cette méthodologie en réponse à ses contestations. Ainsi, en réalisant les deux estimations alternatives de coûts, toutes les deux réalisées à partir du modèle BLOM mis dans le débat par Free, que SFR FTTH était en capacité de mettre elle-même en œuvre sur la base des données disponibles, l'Autorité n'a pas méconnu le principe de la contradiction.

290.Le moyen est rejeté.

B. Sur la méconnaissance du cadre réglementaire et des objectifs de la régulation

291.SFR FTTH soutient, en premier lieu, que l'article 5 de la décision attaquée remet en cause la péréquation des tarifs entre zones AMII et AMEL pourtant prévue depuis 2016 par l'article L. 34-8-3 du CPCE, en faveur de laquelle l'ARCEP s'était précédemment prononcée et en considération de laquelle ses engagements en zone AMEL ont été pris et rendus opposables. Elle soutient que ses tarifs de cofinancement sont péréqués et identiques entre les zones AMII et AMEL et que dès lors, quand bien même la demande de Free ne portait que sur la zone AMII, l'Autorité devait nécessairement tenir compte des conditions de déploiement et d'exploitation qu'elle rencontre dans les zones AMEL sauf à violer les dispositions et principe relatifs à la péréquation tarifaire. Elle expose que, dans cette zone, elle est confrontée à des travaux de génie civil bien plus importants que prévus et que les communes concernées ayant une densité bien plus faible qu'en zone AMII, le déploiement y est donc plus coûteux, de sorte qu'elle était légitime à modifier ses tarifs à la hausse, d'autant que la grille tarifaire AMII jointe à sa lettre d'engagement n'avait été donnée qu'à titre d'indicatif, que les coûts doivent nécessairement tenir compte des conditions réelles de déploiement et qu'elle ne s'est jamais engagée à ne pas modifier ses tarifs.

292.Elle ajoute que la circonstance que l'adjonction des zones AMEL soit postérieure au premier contrat d'accès signé par Free est inopérante dès lors que la décision d'investissement n'est pas prise à la date de signature de ce contrat d'accès mais à la date à laquelle un engagement de co-investissement est souscrit et que les cofinancements de Free étaient, à la date de la saisine, totalement anecdotiques avec seulement 0,6 % des lignes cofinancées.

293.Elle expose, en second lieu, que l'article 5 conduit à imposer une orientation des tarifs vers les coûts en ce qu'au travers de l'utilisation du modèle de 2015 sur la base de ses paramètres initiaux et en particulier de la prime de risque de cofinancement de 2 % seulement, il interdit à SFR FTTH de réaliser le taux de rendement minimum qu'elle est en droit d'attendre de ses investissements.

294.Free, de son côté, fait valoir que les engagements pris par SFR FTTH en zone AMEL ne lui imposent pas de modifier ses tarifs en zone AMII ou de les « dépéréquer » de la zone AMEL. Elle expose que SFR a dû effectuer ses propres estimations des coûts de déploiement avant de proposer des engagements juridiquement opposables de couvrir les zones AMEL qu'elle souhaitait, et à la suite de ces estimations, SFR a décidé de proposer ses engagements sans ajuster ses tarifs, ce qui démontre que cela n'était pas nécessaire. La grille tarifaire jointe à sa lettre d'engagement ne prévoyait ainsi pas de modification des tarifs applicables en zone AMII. Les avis favorables rendus par l'ARCEP sur les propositions d'engagements de SFR dans les zones AMEL ont d'ailleurs, comme la décision attaquée le rappelle, reposé sur les conditions d'accès, y compris tarifaires, alors en vigueur, c'est-à-dire celles valables avant l'intervention de la hausse tarifaire.

295.Free ajoute que l'article L. 34-8-3 du CPCE admet le principe de la péréquation mais ne l'impose pas et qu'il doit être mis en œuvre dans le respect du cadre réglementaire. Or, les engagements pris par SFR dans les zones AMEL sont postérieurs aux appels à cofinancement et à la signature du contrat d'accès, de sorte que Free ignorait les intentions de SFR et ne pouvait bien évidemment pas en tenir compte lors de ses décisions d'investissement, et cela d'autant plus que les engagements proposés par SFR ne prévoyaient pas de modification tarifaire. La péréquation tarifaire, si elle conduit à une hausse des tarifs en zone AMII ' ce que prétend SFR FTTH ', est donc directement contraire aux obligations de transparence, d'objectivité et de pertinence des tarifs ( « les coûts doivent être supportés par les opérateurs qui les induisent ou ont usage des infrastructures ou prestations correspondantes ») ainsi qu'aux principes d'efficacité des investissements (qui impose que l'OI ne fasse pas « supporter de coûts indus ou excessifs aux opérateurs tiers » ) et de prévisibilité issus du cadre réglementaire.

296.Quant à l'orientation du tarif vers les coûts, Free souligne que l'analyse de l'ARCEP ne se fonde pas exclusivement sur le fonctionnement du modèle de tarification de 2015 mais intègre également d'autres éléments comme la comparaison avec les tarifs pratiqués par les autres opérateurs comparables, et notamment ceux proposés par Orange dont la zone AMII présente une densité plus faible ce qui conduit nécessairement à des coûts plus élevés pour celle-ci. Elle soutient que les pratiques tarifaires et engagements pris par SFR démontrent qu'il est très rentable pour elle de commercialiser les prises de la zone AMII régies par le contrat d'accès au même tarif que ceux pratiqués sur le reste de la zone AMII. Free précise encore que le modèle tarifaire de 2015 utilisé pour l'examen du règlement de différend inclut le taux de rémunération du capital (le coût moyen pondéré du capital ou « WACC ») ainsi qu'une prime de risque spécifique, conformément aux articles 3 de la décision n° 2009-1106 et 9 de la décision n° 2010-1312. Elle souligne qu'aucune de ces deux dispositions ne prévoit la mise à la charge des opérateurs cofinanceurs d'une « marge » pour l'opérateur d'infrastructure, et encore moins d'une marge de 40 ou 50 % considérée comme « raisonnable » par SFR FTTH dans ses écritures alors même que les opérateurs cofinanceurs prennent une partie du risque du déploiement des lignes FttH concernées.

297.Elle ajoute que les tarifs proposés par Free, et imposés à l'Article 5 de la Décision, sont significativement supérieurs aux tarifs issus du fonctionnement du modèle de 2015 ce qui permet ainsi à SFR FTTH de réaliser une marge certaine et confortable.

298.L'Autorité développe une argumentation similaire.

299.Le ministère public invite la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour :

300.La péréquation tarifaire n'est pas une obligation légale mais constitue l'un des objectifs poursuivis par le Plan National Très Haut Débit. Elle doit être mise en œuvre dans le respect du cadre réglementaire et en particulier de ses exigences de transparence et de prévisibilité des tarifs.

301.Il est constant que les engagements de SFR de déploiement en zone AMEL, volontairement consentis, sont postérieurs au premier contrat d'accès souscrit par Free mais également aux appels à cofinancement de SFR en zone AMII, de sorte que Free, lorsqu'il a décidé de cofinancer dans cette zone, ne connaissait pas les intentions de SFR de déployer son réseau dans des zones AMEL. Elle ne pouvait donc pas anticiper une augmentation de tarifs liée, selon SFR FTTH, à l'intégration de ces zones dans le contrat d'accès.

302.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu, comme le demandait Free, qu'il convenait d'examiner les tarifs d'accès au réseau uniquement sur la seule zone AMII et a limité la portée de sa décision à cette seule zone.

303.En outre, il est constant que SFR s'est engagée à déployer son réseau FTTH en zone AMEL alors qu'elle le déployait déjà en zone AMII et que dans ses lettres d'engagement, elle avait joint ses tarifs d'accès alors applicables dans cette zone sans indiquer expressément que les conditions de déploiement en zone AMEL la conduirait à revoir ses tarifs à la hausse. La continuité de ces conditions tarifaires entre les deux zones de déploiement a été un des éléments pris en compte par l'ARCEP pour adopter un avis favorable aux engagements de SFR, ainsi que la décision attaquée le souligne.

304.Si, dans ses lettres d'engagement, SFR s'est réservée la possibilité de modifier ses tarifs à la hausse, l'exercice de cette faculté renvoyait à des hypothèses d'évolution « du cadre législatif et règlementaire » ou « du cadre général actuel du déploiement FttH ».

305.Or, ainsi que le souligne l'Autorité dans ses observations devant la Cour, SFR FTTH n'invoque ni une modification du cadre réglementaire ni celle du cadre général de déploiement qui serait intervenue entre la date de ses lettres d'engagement ' 13 février, 14 juin et 14 octobre 2019 ' et sa décision de pratiquer une hausse des tarifs, portée à la connaissance des OC cocontractants le 31 octobre 2019.

306.Elle met en avant le caractère plus coûteux du déploiement en zone AMEL à raison de la faible densité démographique de ces zones et, des coûts de génie civil bien plus importants que prévus, tout en soulignant que le contrat d'accès l'autorisait à modifier à la hausse ces tarifs.

307.Toutefois, le caractère plus coûteux du déploiement dans des ZMD avait été souligné par l'ARCEP dans sa décision cadre de 2009 ainsi que dans le document accompagnant le modèle de 2015. Il était donc nécessairement connu de SFR lors de son engagement de déployer la fibre dans les zones AMEL.

308.Quant aux surcoûts de génie civil, ils ne sont pas étayés. SFR FTTH ne produit aucun élément au débats permettant d'établir en quoi ces prétendus surcoûts étaient, d'une part, imprévisibles et, d'autre part, de nature à remettre en cause son plan d'affaires et justifier la hausse tarifaire décidée. Au contraire, ses écritures et les pièces visées tendent à démontrer que ces difficultés de génie civil n'étaient pas nouvelles et que les projections de coût de déploiement dans les zones AMEL, connues à la date de ses engagements, révélaient des dépenses supérieures à celles engagées dans les zones AMII.

309.Ainsi, les engagements de déploiement en zone AMEL au tarif des zones AMII ont été pris en connaissance de cause des conditions de déploiement dans ces zones.

310.Enfin, et à titre surabondant, SFR FTTH n'est pas fondée à invoquer la faculté de modification unilatérale de ses tarifs prévue au contrat d'accès alors qu'il vient d'être jugé que cette faculté, non encadrée, méconnaissait le cadre réglementaire applicable.

311.Le moyen, pris d'une méconnaissance de la péréquation tarifaire est donc rejeté.

312.Celui, pris d'un tarif orienté vers les coûts sera examiné aux paragraphes 360 et suivants du présent arrêt.

C. Sur le caractère raisonnable des tarifs de SFR FTTH

313.Dans la décision attaquée, pour apprécier le caractère raisonnable des tarifs de SFR FTTH, l'Autorité a utilisé le modèle de 2015 lequel, ainsi qu'il a déjà été exposé, permet, à partir d'un tarif non récurrent de cofinancement de déterminer le niveau de tarif récurrent adéquat. L'utilisation de ce modèle nécessite de fixer les valeurs d'un jeu de paramètres, données d'entrée du modèle. Après avoir fixé les valeurs de chacun des paramètres du modèle, qu'elle a motivé dans un document annexé à sa décision, l'Autorité a ensuite comparé les résultats issus de ce modèle avec les tarifs de SFR FTTH pour conclure que ces tarifs n'étaient pas raisonnables.

314.SFR FTTH conteste la pertinence des valeurs retenues pour certains des paramètres de ce modèle que sont le coût de déploiement d'une ligne FTTH, le taux de pénétration du réseau en SFMD, le coût moyen pondéré du capital (taux de WACC standard) et la prime de risque.

1. Sur le coût de déploiement d'une ligne

315.Dans la décision attaquée, l'Autorité a écarté les estimations du coût de déploiement à 575 ou 500 euros par ligne invoquées par SFR FTTH sur la base du rapport établi par un consultant, et a retenu une fourchette de coût de 280 à 372 euros dans la zone AMII établie à partir du modèle BLOM.

316.SFR FTTH soutient, en premier lieu, qu'il convenait de retenir un coût pondéré de 575 euros dans la zone SFMD qui inclut les zones AMII et AMEL, le coût d'une prise devant tenir compte de la péréquation entre zone AMII et zone AMEL, sauf à méconnaître les objectifs de la régulation. Elle indique que s'agissant de la seule zone AMII, un coût de 500 euros est pertinent. Pour ces deux estimations, elle renvoie la Cour au rapport établi par un consultant. Elle précise, que l'estimation du coût à 500 euros est également celle de l'Autorité dans la version finale du modèle de 2015. Elle souligne qu'elle n'a pu produire ses coûts en raison de l'impossibilité d'en garantir la confidentialité dans le cadre de la procédure devant l'ARCEP.

317.SFR FTTH expose, en second lieu, que le coût issu du modèle BLOM et retenu par la décision attaquée n'est pas pertinent dans la mesure où ce modèle s'appuie sur le réseau d'Orange, lequel ne présente pas les mêmes caractéristiques que le réseau de SFR FTTH, en particulier s'agissant de la localisation des points de raccordement distant mutualisés (PRDM) et des points de branchement optique (PBO), et qu'il conduit à minimiser les coûts. Elle en déduit que ce modèle n'est pas un outil pertinent pour estimer le coût de déploiement d'une prise FttH.

318.Free soutient que SFR FTTH ne peut lui reprocher, ainsi qu'à l'ARCEP, d'avoir utilisé le modèle BLOM pour estimer les coûts de déploiement d'une ligne FttH en zone AMII dès lors qu'elle a refusé, à tort, de fournir ses propres coûts et n'a pas proposé de méthode alternative viable. Elle ajoute que l'évaluation par SFR FTTH et son consultant de ses coûts de déploiement prend en compte la zone AMEL (entre 462 et 575 euros), laquelle a été écartée à juste titre par l'Autorité, et n'est donc pas pertinente. Elle souligne que toutes les analyses de SFR FTTH ou de son consultant du coût dans les seules zones AMII, ne sont pas fondées sur des éléments de coûts de la requérante ou sur une analyse précise des coûts qu'elle supporte, mais sur des études externes ' pour la plupart qui ne concernent pas même spécifiquement la France ', qui n'ont pas été réalisées dans la perspective de ce règlement de différend ou en tenant compte des coûts de SFR FTTH, ou sur des observations générales qui ne sont pas précises et ne représentent pas fidèlement les coûts que subit la requérante. Elle relève que le consultant de SFR FTTH a, dans son rapport mis à jour et déposé devant la Cour, a expressément reconnu que les coûts initialement présentés à l'ARCEP étaient manifestement surévalués puisqu'il considère désormais qu'il faudrait retrancher 40 % de ces coûts, pièce SFR FTTH n° 28, p.78.

319.L'Autorité fait valoir, de son côté, que le fait que les dernières publications du modèle BLOM aient été réalisées dans le cadre de la préparation des encadrements tarifaires du dégroupage n'empêche en rien que ce modèle, dont le principe est bien d'estimer les coûts d'une boucle locale optique mutualisée déployée par un opérateur efficace, puisse être utilisé dans un autre contexte, et a fortiori dans celui où comme en l'espèce, SFR FTTH n'a présenté aucune autre référence de coûts pertinente. Elle ajoute que les critiques de SFR FTTH fondées sur les différences d'architecture de son réseau avec celui d'Orange ne sont pas opérantes dès lors que SFR FTTH n'apporte aucun élément précis sur la localisation de ses PRDM et pas davantage sur celui de ses PBO et que les premiers sont en amont du segment PM-PBO, seul concerné par le différend.

320.Elle ajoute que les nouveaux éléments fournis par le consultant de SFR FTTH ne permettent toujours pas de justifier en quoi le chiffre de 500 euros serait une bonne estimation du coût qu'il supporte sur le segment PM-PBO.

Sur ce, la Cour :

321.À titre liminaire, la Cour constate que pour contester le caractère raisonnable des tarifs de cofinancement de SFR FTTH, Free a estimé les coûts de déploiement supportés par SFR FTTH à l'aide du modèle BLOM, outil de référence élaboré par l'ARCEP.

322.Il appartenant alors à SFR FTTH, si l'estimation issue de ce modèle n'était pas représentative de ses dépenses, de les produire à l'ARCEP, et les communiquer, fût-ce de manière agrégée à Free. À cet égard, les rapporteurs de l'Autorité ont demandé à SFR FTTH de produire les éléments lui ayant permis de construire ses tarifs de cofinancement et ceux l'ayant conduit à les augmenter à compter du 1er février 2020. SFR FTTH n'a pas donné suite à ces demandes et a renvoyé au rapport de son consultant (questions 37 et 38 du questionnaire n° 1, pièce n° 90 de SFR FTTH ; question 42 du questionnaire n° 2, pièce 42 de SFR FTTH ).

323.C'est en vain que SFR FTTH invoque devant la Cour le caractère confidentiel de ces coûts de déploiement pour justifier son refus de les communiquer dès lors que, d'une part, le secret n'est pas opposable à l'Autorité comme il résulte des dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE, et que, d'autre part, il lui était loisible de les présenter de manière suffisamment agrégée pour permettre leur communication à Free.

324.Les estimations réalisées par le consultant de SFR FTTH ne sont pas fondées sur les coûts réels de déploiement de cette dernière, tant pour les zones AMII qu'AMEL mais s'appuient soit sur des graphiques de coûts, extraits de rapports réalisés par des organismes européen ou britannique tels le FTTH Council ou le National Infrastructure Commission sur le déploiement des réseau en Europe et au Royaume Uni et non sur le déploiement en France et sans précision sur les méthodologies suivies, soit sur les coûts moyens de déploiement dans l'Union européenne issus d'un rapport réalisé par le consultant de SFR FTTH pour le compte d'un organisme qui a choisi de ne pas publier ce rapport, et dont certains résultats ont été relayés dans des articles publiés par ses auteurs sans toutefois préciser le mode de calcul et la méthodologie suivie. L'Autorité a écarté l'ensemble de ces estimations pour les motifs exposés dans la décision attaquée, que les observations de SFR FTTH devant la Cour ne permettent pas de remettre en cause, étant relevé ainsi que le souligne l'Autorité dans ses observations, que les auteurs de l'un des graphiques précisent eux-mêmes que leurs projections ne peuvent en aucun cas être utilisées pour déterminer le coût d'un projet en particulier, que s'agissant du deuxième graphique, le consultant de SFR FTTH a admis devant la Cour que le coût issu de l'utilisation de ce graphique a été surévalués de 40 %, et que même après retranchement de 40 %, l'évaluation comporte des coûts qui ne relèvent pas du périmètre concerné par le présent différend de sorte qu'elle ne peut être retenue.

325.SFR FTTH ne saurait invoquer, s'agissant de la zone AMII, l'estimation à 500 euros au motif que c'est cette valeur qui a été initialisée par l'ARCEP dans le modèle de 2015 dès lors que ce dernier n'a pas vocation à estimer le coût de déploiement mais des tarifs de cofinancement et de location et que, comme le souligne le document accompagnant ce modèle, ce paramètre doit être remplacé par des valeurs appropriées pour chaque OI.

326.C'est donc en vain que SFR FTTH reproche à l'Autorité d'avoir écarté l'estimation à 500 euros du coût du déploiement.

327.En l'absence de tout élément de coût réellement supporté par SFR FTTH, le modèle BLOM, mis dans le débat par Free, constituait le seul outil pertinent à la disposition de l'Autorité lui permettant d'évaluer les coûts de déploiement de SFR FTTH, préalable nécessaire à l'examen du caractère raisonnable de ses tarifs, objet du différend dont elle était saisie.

328.C'est par de simples allégations, sans offre de preuve, que SFR FTTH prétend que les différences d'architecture entre le réseau Orange et le sien sont de nature à écarter le modèle BLOM. Ainsi, SFR FTTH, qui admet dans ses dernières écritures que ce modèle BLOM s'appuie sur l'architecture du réseau de fibre optique, celui d'Orange, conteste cependant sa pertinence au motif, en particulier, que les deux réseaux ne présentent pas la même localisation des points de raccordement distant mutualisés (PRDM) et des points de branchement optique (PBO) et renvoie à certaines observations d'Orange faites par cette dernière en réponse aux consultations publiques de l'ARCEP. Toutefois, il lui appartenait, pour contester utilement le recours au modèle BLOM, d'apporter les éléments justifiant de l'architecture de son réseau et permettant d'apprécier concrètement l'impact de ses différences avec celui d'Orange.

329.Enfin, le rapport actualisé de son consultant qui chiffre à partir du modèle BLOM le coût de déploiement à 462 euros ne peut être retenu dès lors qu'il tient compte de l'ensemble du périmètre SFMD, incluant la zone AMEL, laquelle a été écartée.

330.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

2. Sur le taux de pénétration du réseau

331.Dans la décision attaquée, l'Autorité, pour la période 2014-2019, a retenu les taux de pénétration réels constatés par SFR FTTH ( ratio entre le nombre de lignes ayant fait l'objet d'un abonnement et le nombre de lignes raccordables) puis de le faire progresser jusqu'à 80,5 % en fin de période, ce qui correspond au taux de pénétration en fin de période utilisé dans les lignes directrices tarifaires pour la tarification des réseaux FttH déployés par les réseaux d'initiative publique (scénario dit « DSL 2002-2013 »).

332.SFR FTTH conteste cette estimation au motif qu'elle rencontre un taux de pénétration beaucoup plus faible en SFMD que celui du scénario dit « DSL » du modèle de 2015 et ce en raison, selon elle, de la stratégie d'Orange qui ne co-investit pas à hauteur de sa part de marché historique en SFMD et qui ne migre pas massivement ni rapidement ses clients ADSL vers le FttH afin de minimiser ses coûts. Elle fait valoir que ce décalage a conduit son consultant à modéliser en fin de période un taux de pénétration à 78 %.

333.Free et l'Autorité soulignent que le décalage entre le taux de pénétration réelle du réseau SFR FTTH et celui du scénario DSL va être amené à se réduire en raison de la fermeture du réseau cuivre d'Orange à l'horizon 2030.

334.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour :

335.Il est constant que le réseau FttH a vocation à se substituer au réseau cuivre et qu'Orange a annoncé la fermeture de ce dernier à l'horizon 2030 et la fin de sa commercialisation en 2025.

336.Il s'en déduit que si les taux de pénétration rencontrés par SFR puis par SFR FTTH au cours des années 2017 à 2022 sont moins élevés que ceux envisagés par le scénario DSL, le différentiel constaté n'a pas vocation à se maintenir compte tenu de la substitution annoncée, de sorte que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que le taux cible de 78,5 % invoqué par SFR FTTH ne pouvait être retenu.

337.En tout état de cause, SFR FTTH a admis devant l'ARCEP que « vu le faible écart entre le taux cible de 78 % (qui nous semble pertinent) et celui retenu par l'ARCEP (80,5 %), les résultats n'en sont que faiblement affectés » ( pièce n° 128 de SFR FTTH, p.14 ).

338.Enfin, il sera relevé que le taux cible de 80,5 % retenu par l'Autorité est plus prudent que celui de 85 % proposé par le modèle BLOM et défendu par Free.

339.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

3. Sur le coût moyen pondéré du capital

340.Dans la décision attaquée, l'Autorité a écarté le taux de 9 % demandé par SFR FTTH et a retenu la chronique de coût moyen pondéré du capital utilisée dans le modèle de 2015, soit 9,5 % pour les années 2014 et 2015 et 8,7 % ensuite. Elle a précisé que « ce choix, très proche du taux proposé par SFR FTTH, apparaît toutefois conservateur, compte tenu de la baisse substantielle des taux d'intérêt et des coûts moyens pondérés du capital appliqués par les autorités de régulation en France et en Europe. »

341.SFR FTTH considère que la référence aux derniers taux régulés n'est pas pertinente dès lors que ces taux suivaient alors une tendance baissière ponctuelle et n'étaient pas connus des investisseurs au moment où ils ont décidé d'engager leur projet. Elle ajoute que son consultant a démontré qu'un WACC standard de 9 % est pertinent pour SFR FTTH sur la base d'une moyenne des WACC standards constatés au cours des 10 dernières années et relevés par l'ORECE (organe qui rassemble les régulateurs européens).

342.Elle soutient encore que le WACC standard doit être propre à la situation de SFR FTTH, qui n'est pas nécessairement la même que celle d'autres opérateurs, en particulier celle d'Orange dont le taux est nécessairement moins important. Elle ajoute que le taux de WACC de 9 % est cohérent avec la communication financière du groupe Altice.

343.Free fait valoir que le taux choisi par l'ARCEP est proche de celui avancé par SFR FTTH, mais également conservateur en raison de la baisse substantielle des taux d'intérêts et des coûts moyens pondérés du capital appliqués par les autorités de régulation en France et en Europe comme l'a rappelé l'ARCEP, et comme cela résulte de la dernière valeur du taux calculée selon la méthodologie publiée par la Commission européenne de 4,8 % à partir de 2021.

344.L'Autorité souligne ne s'être référée aux derniers taux régulés qu'à titre d'élément de contexte à l'appui du fait que les taux de 9,5 % et 8,7 % lui apparaissaient conservateurs, et que ces taux correspondent à ceux des lignes directrices tarifaires de l'ARCEP portées à la connaissance des opérateurs en 2015. Elle note que SFR FTTH ne justifie pas en quoi la baisse des taux de rémunération du capital serait ponctuelle.

345.Elle note que SFR FTTH, qui revendique un taux de 9 % reposant sur la moyenne (8,9 arrondie à 9) des valeurs des WACC appliqués par les régulateurs européens au cours des 10 dernières années et relevés par l'ORECE (organe qui rassemble les régulateurs européens), commet une erreur matérielle dans son calcul car la moyenne des valeurs de ces WACC au cours des 10 dernières années est non de 8,9 % mais de 8,6 %, soit en-dessous de la valeur de 8,7 % utilisée par l'ARCEP.

346.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour :

347.Les taux retenus par la décision attaquée, 9,5 % les deux premières années puis 8,7 % sur la durée restante du projet, correspondent à ceux des lignes directrices tarifaires de l'ARCEP portées à la connaissance des opérateurs en 2015, lesquels n'ont pas été calculés, ainsi que le précise l'Autorité, à partir du coût de capital d'Orange mais l'ont été à partir de données issues de l'observation d'un groupe d'opérateurs de télécommunications électroniques en Europe, qui ne sont pas nécessairement des opérateurs historiques.

348.Ils sont très conservateurs pour SFR FTTH dès lors que ces taux sont passés en France à 7,6 % pour la période 2018-2020 puis à 4,8 % à compter de 2021.

349.En outre, SFR FTTH, tout en revendiquant que soit fixé un taux qui soit approprié à sa situation, ne verse aucun élément démontrant que les taux retenus seraient inadaptés à cette situation, et se fonde elle-même, pour voir appliquer un taux de 9 % sur toute la période, sur la moyenne des taux standard constatés au cours des dix dernières années par l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE).

350.Par ailleurs, l'Autorité, non contestée sur ce point, relève que la moyenne de ces taux standard en France et en Europe au cours des 10 dernières années n'est pas de 8,9 % contrairement à ce que soutient SFR FTTH, mais de 8,6 %, soit en-dessous de la valeur de 8,7 % utilisée par la décision attaquée.

351.Enfin, SFR FTTH, pour contester les valeurs retenues par l'Autorité, renvoie au dernier rapport établi par son consultant, lequel constate toutefois « que la valeur retenue par l'ARCEP est globalement en ligne avec la valeur retenue de 9 %, bien que légèrement inférieure. » (pièce SFR FTTH n° 128, page 13).

352.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

4. Sur la prime de risque

353.Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu une prime de risque de 2 % prévue par le modèle de 2015 pour apprécier le différend tout en soulignant que ce taux cumulé avec celui de la rémunération du capital est de 10,7 %.

354.SFR FTTH reproche à l'Autorité d'avoir retenu ce taux qu'elle a elle-même fixé dans le modèle de 2015 et dont ni les modalités de calcul, ni la pertinence n'ont été discutées ni justifiées. Elle souligne que le document accompagnant le modèle précise avoir testé d'autres hypothèses, dont celle d'une prime de 4 %, ce qui signifie qu'un tel taux était envisageable.

355.Elle ajoute que le rapport établi par son consultant démontre que cette prime de 2 % est bien trop faible pour assurer le niveau de rentabilité minimale que SFR FTTH est en droit d'attendre de ses tarifs raisonnables, notamment au regard des risques qu'elle encourt, qui sont bien plus élevés en tant qu'opérateur alternatif, que ceux encourus par un opérateur historique. Elle soutient qu'en retenant un tel taux, l'Autorité lui a imposé in fine un tarif orienté vers les coûts puisque ces primes conduisent uniquement, compte tenu de leur faiblesse, à tenir compte du risque spécifique suscité par le projet FTTH ' et non pas de l'exigence de rentabilité qu'implique un tarif raisonnable.

356.Free fait valoir que la « prime de rendement minimale » issue de la proposition de SFR FTTH n'est pas équivalente à la prime de risque prévue par le modèle de 2015, puisqu'elle comprend des attentes de rentabilité qui vont au-delà de la prime de risque et que le taux de 2 % retenu par l'ARCEP est celui prévu par les lignes directrices tarifaires. Elle souligne que ces lignes ont été établies après une large consultation publique, ouvrant ainsi la possibilité à SFR de s'opposer au taux envisagé et le cas échéant de former un recours contre la délibération ayant fixé ces lignes. Elle observe que SFR FTTH n'apporte aucun élément nouveau qui pourrait justifier de s'éloigner de ce taux.

357.Elle ajoute que le taux de 2 % est conforme aux niveaux de primes de risques utilisées par les autorités de régulation européenne ' qui s'établissent selon l'ORECE entre 0,9 % et 3,3 %.

358.L'Autorité souligne que la décision attaquée a expliqué les raisons l'ayant à conduite à retenir le taux prévu dans ses lignes directrices en précisant notamment l'absence d'élément ou évènement nouveau de nature à revoir le taux de cette prime. Elle ajoute que ce taux est dans la fourchette de primes de risques observées par l'ORECE, de 0,9 % à 3,3 %, si l'on exclut les primes correspondant à des réseaux activés, l'infrastructure objet du présent règlement de différend étant une infrastructure passive.

359.Elle considère que les éléments d'analyse du consultant de SFR FTTH ne démontrent en rien que le taux de 2 % serait trop faible. Elle indique que SFR FTTH se présente comme un opérateur alternatif engagé dans une activité à risque relativement élevé, présentation contraire à celle faite dans sa communication au marché. Elle soutient que la comparaison avec Orange n'est étayée d'aucun élément et est en outre inopérante, le modèle de 2015 n'ayant pas vocation à être spécifiquement appliqué au groupe Orange. Elle ajoute que le modèle n'utilise pas le coût moyen pondéré du capital et la prime de risque chacun isolément, mais la somme des deux, et ces deux paramètres doivent ainsi être appréciés conjointement. Or, comme l'ARCEP l'a indiqué dans la décision attaquée, le coût moyen pondéré du capital retenu est conservateur.

Sur ce, la Cour :

360.Il convient de rappeler, ainsi qu'il résulte du document accompagnant le modèle de 2015, que ce dernier n'utilise pas le coût moyen pondéré du capital et la prime de risque chacun pris isolément mais la somme des deux, et ce afin d'apprécier la rentabilité du projet de déploiement d'un OI.

361.Le coût moyen pondéré du capital associé à la prime de risque, tel que retenu par la décision attaquée, est de 10,7 %. Force est de constater que SFR FTTH ne verse aucun élément aux débats de nature à démontrer que ce taux ne lui garantit pas une rentabilité suffisante et lui impose un tarif orienté vers les coûts. Elle se borne à renvoyer au rapport de son consultant fondé sur des observations générales ou externes mais pas sur des données chiffrées propres à SFR FTTH.

362.Quant au choix de la prime de risque à 2 %, ce taux se situe dans la fourchette des taux observés par les autorités nationales de régulation en Europe, qui s'établit entre 0,9 % et 3,3 %. Ce taux correspond en outre à celui proposé par le modèle de 2015 et également à celui retenu par les lignes directrices sur la tarification de l'accès au réseau FttH d'initiative publique, deux documents publiés à la suite de larges consultations publiques.

363.SFR FTTH n'allègue ni n'établit aucun élément de nature à remettre en cause la pertinence de cette fixation et justifiant de revoir à la hausse cette prime de risque. Elle renvoie à nouveau au rapport de son consultant lequel n'est pas de nature à remettre en cause utilement le taux retenu par la décision attaquée. En effet, il se fonde, d'abord sur sa « propre expérience » en mentionnant tout d'abord deux cas d'opérateurs, sans toutefois les citer, interdisant ainsi de vérifier si leurs projets étaient similaires à celui de SFR FTTH en zone AMII ZMD, ensuite sur une étude britannique de 2017 sur l'investissement, le coût du capital et l'incertitude pour les entreprises du Royaume-Uni de manière générale et non pour les entreprises du secteur des télécommunications à très haut débit.

364.Elle ne verse pas davantage d'élément concret sur sa situation, de nature à établir que ce taux ne reflète pas le niveau de risque de son projet de déploiement. Elle se borne à invoquer sa situation d'OI alternatif supportant un risque plus élevé qu'un opérateur historique, sans toutefois produire des estimations ou éléments quantitatifs qui lui soient propres et permettent de traduire un impact sur ce risque. En outre, cette présentation est en contradiction avec la communication financière du groupe Altice qui présente son activité comme bénéficiant d'un modèle d'affaires à haute visibilité, un investissement sécurisé par la régulation et mettant en avant l'absence de modèle d'affaires pour des duplications d'infrastructure, menant à la plus haute pénétration, ainsi que le relève la décision attaquée (page 115).

365.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

D. Sur le caractère raisonnable des tarifs imposés par l'article 5

366.SFR FTTH soutient en premier lieu, que les tarifs imposés par l'Autorité ne sont pas raisonnables tandis que les tarifs contestés l'étaient puisqu'ils permettaient à Free de proposer des offres de détail compétitives, de sorte que l'Autorité ne pouvait pas lui imposer une baisse de ses tarifs. Elle reproche à l'Autorité d'avoir postulé que les tarifs ainsi réduits lui laissaient une marge certaine, et donc suffisante, sans apprécier ni se prononcer sur ce rendement.

367.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que la hausse de ses tarifs était parfaitement justifiée, d'abord par l'inflation, qui n'avait pas été prise en compte depuis 2012, ensuite par les surcoûts de maintenance afférents notamment aux dégradations des points de mutualisation, et enfin par la pandémie du Covid 19 qui illustre selon elle le fort niveau de risque assumé par un OI.

368.Elle soutient, en troisième lieu, que l'alignement de ses tarifs de cofinancement sur ceux d'Orange en ZMD AMII n'est pas raisonnable dès lors que la zone SFMD globale (à l'aune de laquelle les tarifs doivent être appréciés) est bien moins dense que la ZMD AMII d'Orange, que cette dernière bénéficie de coûts, ainsi que de conditions de déploiement et d'exploitation bien plus favorables que ceux de SFR FTTH en raison notamment de son taux de WACC et de son niveau de risque plus faible, ainsi que de ses économies d'échelle et de gamme, sans commune mesure avec celles de SFR FTTH.

369.Elle affirme, en dernier lieu, qu'il convient de tenir compte de la baisse du tarif de location imposée à SFR FTTH par l'ARCEP dans le différend qui l'a opposé à Bouygues Telecom en soulignant que le niveau de rentabilité minimale raisonnable de SFR FTTH doit s'apprécier à l'aune de l'ensemble de ses revenus, et pas seulement au regard d'une des composantes tarifaires de son offre d'accès. Elle souligne que lorsqu'elle a souscrit ses engagements dans les zones AMEL, c'était sur la base d'un tarif de location de 16,40 euros (fixé désormais à un maximum de 13,20 euros par l'ARCEP) et que la baisse de ce tarif imposée par l'ARCEP vient gravement déstabiliser son plan d'affaires en l'amputant de l'ordre de 2 milliards d'euros de revenus pour le seul tarif de location. Elle fait encore valoir que le resserrement du tarif de location avec les tarifs de cofinancement a eu un effet désincitatif au cofinancement.

370.Free répond, en premier lieu, que la possibilité pour l'OC d'exercer une activité rentable en aval n'est pas suffisante pour justifier du caractère raisonnable d'un tarif de cofinancement et en particulier du respect du cadre réglementaire qui exige que le tarif repose sur un « partage objectif des coûts » afin que l'« opérateur paye une part équitable des coûts ayant vocation à être partagés par l'ensemble des opérateurs » et de ses principes de non-discrimination, d'objectivité ' les tarifs doivent pouvoir être justifiés à partir d'éléments de coût clairs et opposables ', de pertinence et d'efficacité des investissements.

371.En deuxième lieu, Free souligne que le modèle tarifaire utilisé dans l'analyse de l'ARCEP intègre déjà une chronique d'inflation, et au demeurant, celle proposée par SFR FTTH de sorte que l'inflation a bien été prise en compte. En revanche, sa prise en compte depuis 2012, en une fois, à titre de rattrapage comme le revendique SFR FTTH, n'apparaît pas raisonnable en ce qu'elle porte atteinte au principe de prévisibilité du cofinanceur. S'agissant des surcoûts de maintenance liés aux dégradations des points de mutualisation, Free fait valoir qu'il n'appartient pas à ce stade à SFR FTTH d'en faire porter la charge financière sur les OC pour les raisons détaillées dans la décision attaquée. Elle ajoute, s'agissant des effets de la crise du Covid, que le déploiement et la pénétration du FttH a atteint des records ' avec un rythme de basculement des offres fixes vers le FttH jamais aussi élevé ', en particulier pendant la crise sanitaire et que ce rythme très élevé de déploiement et de pénétration des réseaux FttH s'est maintenu en 2021 et au premier semestre 2022.

372.En troisième lieu, Free indique que l'analyse de l'ARCEP pour conclure au caractère raisonnable des demandes de Free a été de comparer les tarifs proposés avec les coûts supportés, non pas par Orange, mais par SFR FTTH par l'application du modèle de 2015 avec différentes données d'entrée. La comparaison avec les tarifs d'Orange a été utilisée comme un « indice de nature à conforter les conclusions de l'analyse de l'ARCEP » sur la base du modèle 2015. Elle souligne qu'en tout état de cause, la comparaison avec les tarifs d'Orange est pertinente puisque la zone AMII d'Orange est bien moins dense que la zone AMII de SFR FTTH, seule concernée par le présent différend. Orange subit donc potentiellement des coûts plus élevés que SFR FTTH, celle-ci reconnaissant qu'une densité plus importante implique des coûts plus faibles. Toute l'analyse de SFR FTTH et de son consultant est fondée sur une confusion des zones AMII et AMEL de la requérante afin de faire artificiellement diminuer la densité de son territoire, et devra donc être rejetée.

373.En dernier lieu, Free souligne que la question du caractère raisonnable des tarifs de cofinancement doit faire l'objet d'une analyse propre aux circonstances de l'espèce comme l'a rappelé l'ARCEP, et ne saurait dépendre des conditions de la location. Elle relève que l'allégation selon laquelle l'ARCEP mettrait en péril les déploiements de SFR FTTH dans les zones AMEL ne sont ni étayées, ni fondées et constituent un procédé particulièrement critiquable.

374.L'Autorité partage l'argumentation développée par Free.

375.Elle ajoute, s'agissant des surcoûts, que les éléments transmis au cours de l'instruction et produits aujourd'hui devant la Cour ne viennent qu'attester de l'existence de problématiques liées à l'exploitation des points de mutualisation, connues du secteur et particulièrement suivies par l'Autorité mais ne permettent pas d'estimer, même approximativement, le niveau des surcoûts générés pour SFR FTTH. Il serait, en outre, prématuré de répercuter dans les tarifs d'accès les surcoûts (à les supposer clairement identifiés) en les mettant à la charge de l'ensemble des OC et donc potentiellement à la charge d'OC qui n'ont pas causé les dégradations concernées alors que le volume de surcoûts est inconnu, et dépendra largement des mesures que les OI sont en train de prendre et vont prendre à l'avenir pour les limiter.

376.Elle soutient encore que le fait, s'agissant d'Orange, que de moindres revenus sur le FttH pourraient être compensés par davantage de revenus sur le cuivre n'empêcherait pas que son investissement dans le FttH serait moins rentable qu'escompté de sorte que les difficultés de pénétration du réseau FttH ne constituent pas un risque plus élevé à l'égard de SFR FTTH qu'à l'égard d'Orange et que, s'il est possible qu'Orange dispose de quelques économies d'échelle encore supérieures, SFR FTTH, avec 2,6 millions de prises à déployer en zone AMII, doit déjà disposer d'économies d'échelle très conséquentes (p. 100). Sur ce sujet, SFR FTTH se borne à des développements qualitatifs sans avancer aucun élément précis sur l'impact éventuel sur les coûts de déploiement. Enfin, les économies d'échelle d'Orange dont il est fait mention dans le rapport d'activité de l'ARCEP, et auquel SFR FTTH se réfère, se rapportent au contexte particulier de la boucle locale optique dédiée (BLOD) qui diffère nettement de celui de la boucle locale optique mutualisée (BLOM).

Sur ce, la Cour :

377.En premier lieu, SFR FTTH n'explique pas en quoi la circonstance que Free était en mesure de proposer des offres compétitives sur le marché de détail en accédant à son réseau au tarif contesté serait de nature à démontrer que les tarifs moins élevés imposés par la décision attaquée ne seraient pas raisonnables.

378.À supposer que la possibilité pour un OC de proposer des offres compétitives sur le marché de détail soit un critère pertinent pour apprécier le caractère raisonnable des tarifs d'accès pratiqués par un OI, la baisse des tarifs de cofinancements imposée par la décision attaquée ne peut remettre en cause la compétitivité des offres de Free sur le marché de détail.

379.La possibilité pour Free de proposer des offres de détail compétitives sur la base du tarif contesté est dès lors inopérante pour l'appréciation du caractère raisonnable du tarif imposé par l'article 5.

380.S'il devait être compris des écritures de SFR FTTH que cette dernière invoque la capacité de Free de proposer des offres compétitives sur le marché de détail au soutien du caractère raisonnable de ses tarifs d'accès, cette capacité ne permet pas à elle seule le caractère raisonnable des tarifs. L'appréciation du caractère raisonnable du tarif d'accès implique en effet de rechercher s'il repose sur des coûts clairs, objectifs et pertinents analysés par référence à ceux encourus par un opérateur efficace. Or, SFR FTTH n'a produit aucun élément sur ses coûts réels de déploiement.

381.Pour les mêmes motifs, SFR FTTH ne peut reprocher à l'Autorité d'avoir postulé que les tarifs imposés lui assuraient une marge certaine, sans se prononcer sur ce rendement, dès lors qu'en l'absence de production de données sur ses coûts réels SFR FTTH ne l'a pas mise en mesure de le faire. En outre, l'Autorité a relevé que le tarif récurrent de cofinancement sollicité par Free (5,12 euros HT) était nettement supérieur à celui issu du modèle de 2015 (2,08 à 4,17 euros), que celui-ci soit exploité avec la borne haute ou basse des coûts de déploiement tirés de l'utilisation du modèle BLOM. Enfin, plusieurs des paramètres retenus par l'Autorité sont protecteurs pour SFR FTTH, comme rappelé dans l'annexe de la décision attaquée. En l'état de ces éléments, le postulat de l'Autorité était fondé.

382.En deuxième lieu, il convient de comprendre des écritures de SFR FTTH qu'au soutien de son grief pris de l'absence de caractère raisonnable des tarifs imposés par la décision attaquée, elle fait valoir que le niveau de ces tarifs ne lui permet pas de couvrir la hausse des coûts sous-jacents liés à l'inflation et aux surcoûts générés par les dégradations des PM et les conséquences de la crise sanitaire.

383.S'agissant d'abord de l'inflation, il convient de rappeler que le modèle de 2015 utilisé par l'ARCEP intègre une chronique d'inflation de sorte que l'inflation a bien été prise en compte, étant en outre constaté que la chronique d'inflation utilisée comme donnée d'entrée du modèle de 2015 est celle proposée par SFR FTTH, elle-même. Cette dernière ne peut revendiquer la prise en compte de l'inflation survenue dès 2012 alors qu'elle a elle-même choisi de ne pas l'appliquer de 2012 à 2020. Au demeurant, le contrat d'accès signé en 2018 entre SFR et Free ne prévoyait pas de mécanisme d'indexation, lequel n'a été intégré qu'à compter de janvier 2020. Il s'en déduit que SFR avait estimé, au regard du niveau de ses tarifs, qu'il n'était pas nécessaire de prendre en considération l'inflation. Elle ne verse aucun élément ou évènement qui justifierait d'en tenir compte de manière différée et cumulée. Enfin, cette application cumulée de l'inflation constatée depuis 2012, en une seule fois, porterait atteinte au besoin de prévisibilité des OC.

384.S'agissant ensuite des surcoûts liés aux PM, la Cour constate à nouveau que SFR FTTH ne verse aucune donnée chiffrée permettant de mesurer l'impact des dégradations des PM sur ses coûts et donc leur incidence sur ses tarifs.

385.S'agissant enfin des effets de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid, SFR FTTH ne peut utilement en invoquer les conséquences pour expliquer le niveau de ses tarifs de cofinancement alors qu'elle les a augmentés le 1er février 2020, avant la survenance de cette crise. En tout état de cause, elle ne verse pas davantage d'éléments précis permettant de mesurer son impact sur sa situation et ses conditions de déploiement. En outre, il résulte des éléments versés aux débats par l'Autorité qu'en 2021, le déploiement des réseaux FttH s'est poursuivi et les souscriptions à ces réseaux se sont intensifiées dans la lignée de la progression « record » déjà observée en 2020, et ce malgré la pandémie de covid-19.

386.En troisième lieu, contrairement à ce que suggère SFR FTTH dans ses écritures, l'Autorité n'a pas aligné ses tarifs de cofinancement sur ceux d'Orange. Elle a retenu ceux sollicités par Free après avoir constaté qu'ils étaient supérieurs à ceux issus de l'utilisation du modèle de 2015 et non parce qu'ils suivaient ceux d'Orange. En outre, la zone concernée par le présent différend est circonscrite à la seule zone AMII du contrat, de sorte que SFR FTTH n'est pas fondée à invoquer la circonstance que la zone SFMD couverte par son offre d'accès comprenant les zones AMII et AMEL sont moins denses que la zone AMII d'Orange et pas d'avantage l'analyse de son consultant, concluant à une majoration de 8,8 %, dès lors que cette analyse a été menée sur l'ensemble de la zone SFMD.

387.En tout état de cause, SFR FTTH ayant refusé de produire auprès de l'ARCEP des éléments chiffrés qui reflètent ses coûts réels et ses conditions de déploiement, et ne produisant pas davantage ces éléments devant la Cour, ses arguments tenant aux différences entre sa situation et celle d'Orange en qualité d'OI, ne permettent ni d'apprécier le caractère raisonnable de ses nouveaux tarifs, ni celui des tarifs imposés par la décision attaquée en règlement du différend. À cet égard, il convient de rappeler que l'Autorité n'a recouru à cette méthode de comparaison que pour conforter son analyse principale fondée sur la modélisation tarifaire de 2015.

388.À titre surabondant, il convient d'abord de relever que la zone AMII de SFR FTTH présente une plus forte densité de population que la zone AMII d'Orange, de sorte que, les parties admettant qu'une densité plus forte impliquait des coûts plus faibles, le déploiement dans cette zone est moins coûteux pour SFR FTTH que pour Orange. Ensuite, la circonstance qu'Orange puisse disposer des revenus issus de son réseau DSL est inopérante pour apprécier le niveau de risque que cette OI supporte dans le déploiement des réseaux FttH. Quant aux économies d'échelle supérieures dont bénéficierait Orange, SFR FTTH se borne à des développements qualitatifs sans autre élément que l'impact éventuel sur ses coûts de déploiements, et se fonde sur un rapport de l'ARCEP alors que ce dernier concerne la boucle locale optique dédiée et non celle mutualisée, objet du différend. Enfin, SFR FTTH ne verse aucun élément aux débats permettant de mesurer les coûts de rénovation du génie civil non pris en charge par Orange et l'impact de ses opérations de rénovation sur les conditions de déploiement de son réseau.

389.En dernier lieu, la circonstance que des investisseurs ont mesuré le rendement du projet de déploiement de SFR FTTH au regard des tarifs pratiqués par ce dernier ne peut être prise en considération dans l'analyse du caractère raisonnable de ses tarifs au sens du cadre réglementaire applicable. SFR FTTH se borne à alléguer que la baisse de ses tarifs de cofinancement imposée par la décision attaquée, associée à celle de ses tarifs de location, imposée par l'Autorité dans le cadre d'un différend l'opposant à un autre OC, serait de nature à resserrer l'écart entre les deux tarifs et à inciter les opérateurs à rester en location plutôt qu'à co-investir, ainsi qu'à remettre en cause son plan d'affaires. Elle ne verse aucun élément de nature à étayer ses propos, et en particulier à démontrer, qu'en l'état des deux décisions de règlement de différend adoptées par l'ARCEP sur le niveau des tarifs d'accès, l'écart entre les tarifs ne respecterait par le principe de l'échelle des investissements. Quant à l'analyse du consultant de SFR FTTH, elle n'est pas opérante dès lors qu'elle intègre la zone AMEL, laquelle est exclue du périmètre du différend pour les motifs précédemment exposés.

390.Le moyen, mal fondé, est rejeté.

VI. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES

391.SFR FTTH succombant en ses prétentions, sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, est rejetée.

392.Au vu de la facture d'honoraires versée aux débats, l'équité commande de la condamner à payer à Free la somme de 150 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement :

DÉCLARE recevable le moyen pris de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

REJETTE la demande d'annulation de la décision n° 2020-1498-RDPI de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse du 17 décembre 2020 fondée sur ce moyen ;

REJETTE le recours en annulation et réformation des articles 2, 4 et 5 de la décision précitée ;

REJETTE la demande de la société SFR FTTH fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à ce titre la somme de 150 000 euros à la société Free ;

CONDAMNE la société SFR FTTH aux dépens.