CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 18 mai 2021, n° 20/00977
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DEL GAUDIO FRANCE (SA)
Défendeur :
AGRENFRUT SL (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. ANCEL
Avocats :
Me GALLAIS, Me CHORON
1- La société Del Gaudio France (ci après « Del Gaudio ») est une société de droit français qui a pour activité le commerce de gros de fruits et légumes.
2- La société Agrenfrut SL (ci après « Agrenfrut ») est une société de droit espagnol qui commercialise des produits alimentaires.
3- La société Agrenfrut a livré au cours de l'année 2017 à la société Del Gaudio des fruits dont elle réclame le paiement.
4- Le 14 mars 2018, la société Agrenfrut a mis en demeure la société Del Gaudio de payer la somme de 43.280,75 euros correspondant au solde de factures que la société Del Gaudio a contestées.
Procédure
5- Par acte du 26 décembre 2018, la société Agrenfrut a assigné la société Del Gaudio devant le tribunal de commerce de Créteil afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 43.280,75 euros.
6- Par jugement du 3 décembre 2019, le tribunal de commerce de Créteil a :
7- Condamné la société DEL GAUDIO France au paiement de la somme de 38.952,67 € augmentée des intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points, à compter du jour suivant la date de règlement figurant sur les factures,
DIT que les intérêts porteront eux mêmes intérêts à compter du jour suivant la date de règlement figurant sur les factures pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
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Condamné la société DEL GAUDIO France à payer à la société AGRENFRUT S. L la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a débouté la société AGRENFRUT SL du surplus de sa demande,
•
Ordonné l'exécution provisoire de ce jugement, sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit,
•
Condamné la société DEL GAUDIO aux entiers dépens et a liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 73,22 € TTC.
•
8- La société Del Gaudio a relevé appel de cette décision par déclaration du 2 janvier 2020.
9- La clôture a été ordonnée le 16 février 2021.
10- A l'audience des plaidoiries la cour a autorisé les parties par note en délibéré à communiquer les usages commerciaux dans le secteur des fruits et légumes à transmettre par RPVA avant le 22 mars 2021.
11- Par note en délibéré du 9 mars 2021 la société Agrenfrut a communiqué en pièce 22 le Cofrel (code d' usages pour le commerce des fruits et légumes) et en pièce 23 des échanges de mails.
12- Par note du 18 mars 2021 la société Del Gaudio a sollicité le rejet de la pièce 23 et fait état d'une jurisprudence de la Cour d'appel de Paris dans un cas d'espèce identique ce que la société Agrenfrut a contesté par note en date du 22 mars 2021.
II PRÉTENTION DES PARTIES
13- Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 29 janvier 2021, la société Del Gaudio demande à la Cour, au visa de l'article 1353 du code civil, de :
DECLARER recevable et fondé l'appel interjeté par la société DEL GAUDIO FRANCE ;
INFIRMER la décision rendue le 3 décembre 2019 par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'elle a condamné la société DEL GAUDIO France au paiement de la somme de 38.952, 67 euros augmentée des intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 point, à compter du jour suivant la date de règlement figurant sur les factures, ordonné la capitalisation des intérêts, mais également au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civvile, ainsi qu'aux dépens, et à l'exécution provisoire.
•
STATUANT A NOUVEAU
CONSTATER que les livraisons de marchandises n'étaient accompagnées d'aucune facture ou prix ferme,
DIRE que les sociétés Del Gaudio France et Agrenfrut procédaient par comptes de vente, et non par vente ferme,
DIRE que la société Del Gaudio France a réglé l'intégralité du produit issu de la vente des marchandises livrées par la société Agrenfrut à cette dernière, en soustrayant sa commission de 10% ;
DEBOUTER dans la société Agrenfrut de l'intégralité de ses demandes :
CONDAMNER la société Agrenfrut à payer à la société Del Gaudio France la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER la société agrenfrut aux entiers dépens de première instance et d'appel.
14- Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 février 2021, la société Agrenfruit demande à la Cour de :
DECLARER la socie'te' AGRENFRUT recevable et bien fonde'e en ses demandes ;
DEBOUTER la socie'te' DEL GAUDIO de l'ensemble de ses demandes ;
En conse'quence,
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de CRETEIL en date du 3 de'cembre 2019 en ce qu'il a :
Condamné la socie'te' DEL GAUDIO France au paiement au profit de la socie'te' AGRENFRUT S. L de la somme principale de 38.952,67 € avec pe'nalite's de retard au taux majore' pre'vu par les dispositions d'ordre public de l'article L.441-10 du Code de Commerce, soit au taux d'inte're't applique' par la BCE a' son ope'ration de refinancement la plus re'cente majore' de 10 points, a' compter du jour suivant la date de re'glement figurant sur les factures ;
Ordonné la capitalisation des inte're'ts en application de l'article 1343-2 du Code Civil,
Condamné la socie'te' DEL GAUDIO FRANCE a' payer a' la Socie'te' AGRENFRUT S. L la somme de 1.500,00 € en application de l'article 700 du Code de proce'dure civile,
Condamné la socie'te' DEL GAUDIO France aux entiers de'pens et liquide' les de'pens a' recouvrer par le Greffe a' la somme de 73,22 € TTC.
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de CRETEIL en date du 3 de'cembre 2019 en ce qu'il a débouté la socie'te' AGRENFRUT du surplus de sa demande de condamnation de la somme principale a' hauteur de 4.328,08 € ;
Y ajoutant et statuant a' nouveau :
CONDAMNER la socie'te' DEL GAUDIO France au paiement au profit de la socie'te' AGRENFRUT S. L de la somme de 4.328,08 € avec pe'nalite's de retard au taux majore' pre'vu par les dispositions d'ordre public de l'article L.441-10 du Code de Commerce, soit au taux d'inte're't applique' par la BCE a' son ope'ration de refinancement la plus re'cente majore' de 10 points, a' compter du jour suivant la date de re'glement figurant sur les factures ;
ORDONNER la capitalisation des inte're'ts en application de l'article 1343-2 du Code civil ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE
CONDAMNER la socie'te' DEL GAUDIO France a' payer a' la socie'te' AGRENFRUT la somme de 5.000,00 € en application de l'article 700 du Code de proce'dure civile ;
CONDAMNER la Socie'te' DEL GAUDIO FRANCE aux entiers de'pens de premie're instance et d'appel.
III MOYENS DES PARTIES
15- La société Del Gaudio fait valoir en substance que selon les usages commerciaux dans le secteur des fruits et légumes du Cofrel et du Cofreurop et conformément à l'email adressé à la société Agrenfrut le 20 novembre 2017, elle avait convenu avec la société Agrenfrut des ventes en différé et non des ventes fermes et qu'elle a réglé la totalité des sommes qu'elle devait ; elle soutient que le prix de vente n'était pas convenu à l'avance et résultait du prix de vente au client final qu'elle reversait à la société Agrenfrut en conservant une commission de 10% ce qu'elle a effectué 8 fois par virement sans contestation de la part de la société Agrenfrut.
16- Elle fait valoir que la société Agrenfrut à qui incombe la charge de la preuve ne rapporte pas la preuve d' un accord pour des ventes fermes. Elle conteste par ailleurs la qualité de la marchandise reçue.
17- La société Agrenfrut soutient que ses ventes étaient fermes et que les codes d'usage commerciaux dans le secteur des fruits et légumes (Cofrel et du Cofreurop) prévoient que seule une expédition faite sans facture est considérée comme étant adressée pour être vendue à la commission pour le compte du propriétaire ou de son représentant. Elle prétend avoir que ses ventes accompagnées d'une facture sont fermes ; que la société Del Gaudio ne démontre aucun accord pour des ventes en différé et sur le paiement d'une commission ; que la revente des marchandises par la société Del Gaudio implique nécessairement une vente initiale dont le prix de vente est précisé sur chacune des factures que la société Del Gaudio n'a jamais contesté avant la présente procédure ; que la société Del Gaudio se contente d'alléguer que des ordres de virement ont été effectués sans preuve de règlement.
18- Elle fait valoir que la société Del Gaudio ne démontre pas que la qualité des marchandises n'était pas conforme et demande en conséquence de condamner la société Agrenfrut à lui payer la totalité des sommes facturées sans la diminution des 10% opérée par le tribunal à tort.
IV MOTIFS
Sur la production d'une pièce autorisée par note en délibéré
19- La cour tiendra compte de la pièce 22 communiquée par la société Agrenfrut correspondant au code d'usages pour le commerce des fruits et légumes production autorisée en cours de délibéré.
20- Ayant seulement seulement autorisé la production de cette pièce, il ne sera pas tenu compte des autres éléments évoqués dans les notes en délibéré ni de la pièce 23 communiquée par la sociéré Agrenfrut après la clôture qui sera écartée.
Sur la demande en paiement des factures
21- S'agissant d'un contrat de vente entre une société française et une société espagnole qui revêt un caractère international, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 a vocation à s'appliquer en l'espèce puisqu'elle s'impose au juge français, qui doit en faire application sous réserve de son exclusion, même tacite, selon l'article 6 de cette dernière convention, dès lors que les parties se sont placées sous l'empire d'un droit déterminé.
22- En l'espèce, il est constant que les parties se sont en connaissance de cause placées sous l'égide du code civil et du code de commerce pour résoudre leur litige de sorte qu'il convient de considérer qu'elles ont entendu exclure l'application des dispositions de cette Convention.
23- L'application de cette Convention étant exclue, la détermination de la loi applicable est soumise à la Convention de La haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels.
24- Cependant, il y a lieu de constater qu'en l'espèce, aucune des parties n'a également sollicité l'application de cette règle de conflit de lois, celles ci n'invoquant que les dispositions précitées du droit français auxquelles la cour en conséquence se réfèrera.
25- Selon les dispositions anciennes de l'article 1315 devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
26- Si, au visa de l'article L.110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi, il appartient toutefois à celui qui l'allègue, en l'absence de contrat, de rapporter la preuve d'un accord de volonté.
27- Sauf usages reconnus dans certaines professions, la production de factures ne suffit pas à rapporter la preuve de la réalité d'une créance ou d'une prestation et les factures doivent être accompagnées de tout document tel que bon de commande ou bon de livraison, ou de tout échange de correspondances justifiant d'un accord sur des prestations ou des engagements spécifiques, ou sur un aménagement de ceux ci.
28- En l'espèce aucun contrat écrit n'a été signé entre les parties.
29- A l'appui de sa demande la société Agrenfrut réclame le paiement de factures à hauteur de la somme de 43 280,75 euros déduction faite d'un règlement partiel de 23 523,78 euros de la société Del Gaudio.
30- Elle a produit les factures datant du 21 décembre 2017 et les bons de livraisons correspondant à son décompte.
31- Les factures reproduisent la quantité et le prix de la marchandise.
32- S'il n'existe pas de contestation sur la quantité livrée, les parties sont en désaccord sur le prix et sur le système de facturation, la société Agrenfrut prétendant avoir conclu des ventes fermes tandis que la société Del Gaudio estime avoir convenu des ventes en différé.
33- Pour trancher leur différend, les parties se référent au code établi par l'Union nationale du commerce de gros en fruits et légumes désigné sous l'appellation Cofrel qui prévoit notamment sous le titre I « Négoce Vente ferme » que :
« aucune forme n'est requise pour le contrat d'achat. Les contrats d'achats conclus par téléphone doivent être confirmés par télégramme, telescripteur ou télécopieur ou tout autre moyen de transmission par écrit.
Sauf accord différent, l'offre est valable pour confirmation immédiate et doit être considérée comme ferme à défaut de précision sur sa nature ».
Titre II Vente à la commission
« Toute expédition qui n'aurait pas fait l'objet d'une vente ferme (c'est-à- dire qui ne serait pas accompagnée d'un contrat d'achat, d'une facture, d'une confirmation d'achat ou de vente') est considérée comme étant adressée pour être vendue à la commission pour le compte du propriétaire ou de son représentant ».
34- La société Agrenfrut à qui incombe en premier la charge de la preuve soutient que le prix a bien été fixé en amont entre les parties et qu'il s'agit du prix fixé sur les factures qui ont accompagné les livraisons.
35- Toutefois la société Agrenfrut qui ne produit que les factures et les bons de livraisons, ne verse au débat aucune pièce étayant ses allégations confirmant un accord entre les parties sur le prix avant la réception des marchandises.
36- Si elle conteste le caractère probant d'un émail du 20 novembre 2017 émanant de la société Del Gaudio dans lequel celle ci confirme « travailleront en prix facturation différée ou compte en vente à la commission » qu'elle n'a effectivement pas signé ni approuvé, force est de constater qu'aucun contrat d'achat ni confirmation d'achat ou de vente n'ont accompagné les livraisons et que les factures ont été éditées bien après les livraisons et leur revente par la société Del Gaudio.
37- Il ressort en effet des pièces produites qui ne sont contredites par aucune pièce utile de la société Agrenfrut que :
-à la réception des fruits correspondant aux livraisons litigieuses les 6 octobre 2017, 6 novembre 2017, 18 et 23 novembre 2017, 1er et 6 décembre 2017, la société Del Gaudio a édité des comptes de vente et réglé la somme par virement bancaire avec en motif « compte de vente » suivi du numéro d'identification du compte de vente correspondant.
- concernant la première livraison du 6 octobre 2017, la société Agrenfrut a émis une facture d'un montant identique au paiement de la somme de 1 927,80 euros correspondant au compte de vente édité par la société Del Gaudio sans estimer que la société Del Gaudio lui devait plus,
- la société Agrenfrut a continué à livrer sans émettre de factures qui n'ont été émises que le 21 décembre 2017 pour des livraisons effectuées entre novembre et début décembre 2017 alors qu'au cours de cette période la société Del Gaudio procédait par des règlements en comptes de vente non contestés.
38- La société Agrenfrut qui reconnaît avoir reçu un règlement partiel de 23 523,78 euros de la société Del Gaudio ne peut sérieusement soutenir que la société Del Gaudio ne fait pas la preuve des règlements intervenus .
39- Il résulte ainsi de ces constatations et énonciations que la société Agrenfrut n'établit pas suffisamment la preuve de ventes fermes faute de prouver un accord préalable sur le prix et qu'elle a accepté en connaissance de cause que la société Del Gaudio pratique conformément aux usages Cofrel, par comptes de vente de sorte que sa demande ne peut prospérer.
40- Il convient en conséquence d'infirmer la décision des premiers juges et de débouter la société Agrenfrut de sa demande.
Sur les frais et dépens ;
41- Il y a lieu de condamner la société Agrenfrut partie perdante, aux dépens.
42- En outre, la société Agrenfrut doit être condamnée à verser à la société Del Gaudio qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5 000 euros.
V DISPOSITIFS
Par ces motifs
La cour,
1-Écarte la pièce n°23 communiquée par note en délibéré après la clôture par la société Agrenfrut,
2- Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Créteil en date du 3 décembre 2019 dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
3- Déboute la société Agrenfrut SL de toutes ses demandes ;
4- Condamne la société Agrenfrut SL à payer à la société Del Gaudio France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
5- Condamne la société Agrenfrut aux dépens de première instance et d'appel.