CA Rouen, 1re ch. civ., 31 janvier 2024, n° 22/03491
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Avril (SCI)
Défendeur :
Beci (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wittrant
Conseillers :
Mme Deguette, Mme Bergère
Avocats :
Me Enault, Me Gray, Me Raimbert, Me Seranne
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte authentique du 29 octobre 2018, la Sci Avril s'est engagée à vendre à la Sas Beci un ensemble immobilier comprenant une construction à usage d'atelier, garage, bureau situé [Adresse 1] au prix de 500 000 euros, le terme de la promesse unilatérale étant fixé au 30 novembre 2019.
La Sas Beci n'a pas levé l'option dans le délai fixé.
Par exploit d'huissier du 21 février 2020, la Sci Avril a assigné la Sas Beci devant le tribunal judiciaire de Rouen aux fins d'indemnisation de ses préjudices résultant de la non-réalisation de la promesse.
Par jugement du 17 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Rouen a :
- débouté la Sci Avril de ses demandes de dommages et intérêts ;
- condamné la Sci Avril à verser à la société Beci une somme de 2'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Anne Thirion-Casoni, avocat.
Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2022, la Sci Avril a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par dernières conclusions notifiées le 25 janvier 2023, la Sci Avril demande à la cour, au visa des articles 1103, 1124, 1353, 1231-1 du code civil, L. 442-6, I, 2° du code de commerce, de :
- réformer et à défaut infirmer le jugement entrepris,
- condamner la société Beci à lui payer la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier prévue dans la promesse, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2019 et capitalisation des intérêts,
- condamner la société Beci à lui payer la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La Sci Avril soutient s'être acquittée, en sa qualité de promettant, de toutes ses obligations au titre des conditions suspensives prévues à la promesse unilatérale de vente, parmi lesquelles le retrait de la citerne d'huile et de la cuve de fioul, selon la procédure d'information et de contrôle prévue avec la Sas Beci.
En revanche, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, la Sci Avril entend engager la responsabilité civile de la Sas Beci considérant, d'une part qu'il existe un déséquilibre significatif du contrat au titre de l'article L. 442-6, I, 2° ancien du code de commerce dès lors que la Sas Beci, bénéficiaire, avait toute liberté de lever ou non l'option, sans contrepartie.
D'autre part, elle affirme que l'intimée a manqué à ses obligations contractuelles. Elle expose que le bien a été immobilisé pendant un an et demi sans contrepartie financière. Elle signale l'apposition illicite de panneaux publicitaires, retirés à ses frais après l'écoulement du délai de validité de la promesse, et ayant entraîné une perte de clientèle et subséquemment une perte de chiffre d'affaire pour l'activité de garage exercée dans l'immeuble objet de la vente. Elle indique que le garage a été contraint de licencier des salariés, et rappelle l'obligation de démonter des outils de production, résultant des conditions suspensives de vente. Enfin, la Sci Avril impute à la Sas Beci la responsabilité de la baisse du prix de vente de 50'000'euros accordée au nouvel acquéreur du bien.
Par dernières conclusions notifiées le 24 avril 2023, la Sas Beci demande à la cour, de :
- débouter la Sci Avril de toutes ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- condamner la Sci Avril à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec distraction au profit de la Selarl Gray Scolan.
À titre principal, la Sas Beci soutient n'avoir commis aucune faute en renonçant à lever l'option à l'issue du délai contractuel qui lui était imparti, puisque par application des dispositions de l'article 1124 du code civil, dans le cadre d'une promesse unilatérale de vente, seul le promettant s'oblige envers le bénéficiaire.
Elle soutient également n'avoir commis aucune faute en apposant sur la façade du garage situé dans l'immeuble promis, un panneau publicitaire annonçant le programme immobilier qu'elle projetait de réaliser. Elle indique, d'une part, que l'apposition du panneau publicitaire est intervenue dans les termes de la promesse. D'autre part, elle souligne qu'après la caducité de la promesse de vente, elle n'a jamais été mise en demeure par la Sci Avril de retirer le panneau, mais qu'elle a néanmoins effectué le retrait dès que celui-ci lui a été demandé.
Enfin, elle ajoute que la Sci Avril ne démontre aucune faute de sa part qui justifierait l'existence d'un préjudice financier, résultant notamment de la vente du bien immobilier à un prix inférieur à celui stipulé dans la promesse en litige.
La Sas Beci conteste le fondement juridique utilisé par la Sci Avril pour soutenir l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties à la promesse unilatérale de vente. Elle énonce que la Sci Avril et la Sas Beci n'étant pas partenaires commerciales, l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ne peut trouver à s'appliquer, pas plus, en tout état de cause, que l'article 1171 du code civil lequel prévoit la sanction d'un déséquilibre significatif des contrats uniquement pour les contrats d'adhésion.
À titre subsidiaire, la Sas Beci soutient que la Sci Avril ne démontre pas l'existence d'un préjudice personnel indemnisable dont la faute pourrait lui être imputée. Ainsi, le préjudice commercial et le trouble de jouissance allégué concerne ses associés M. et Mme [V], les gérants du fonds de commerce exploité dans le bien immobilier litigieux et non la Sci Avril, propriétaires des murs. Quant à la réduction du prix de vente, sa survenance relève de contingences extérieures comme la baisse des prix du marché suite à l'explosion de l'usine proche de Lubrizol.
À ce titre, la Sas Beci entend préciser que sa décision de ne pas acheter n'a pas été brutale et irrationnelle mais s'explique en raison du bouleversement que l'explosion de l'usine Lubrizol a provoqué sur le marché immobilier local, affectant la confiance des acquéreurs potentiels.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2023.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la Sas Beci
La Sci Avril sollicite l'allocation de dommages et intérêts au titre de la responsabilité civile contractuelle de la Sas Beci. Elle lui reproche d'être à l'origine d'un ensemble de préjudices résultant de la violation des stipulations contractuelles issues de la promesse unilatérale de vente du 29 octobre 2018, particulièrement sa décision de ne pas lever l'option.
Par application des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Sur les obligations nées du contrat, la Sci Avril recherche la faute de la Sas Beci, en ce qu'elle a procédé à un affichage commercial sur la façade du bien à acquérir, constaté par procès-verbal d'huissier le 6 décembre 2019.
Il apparaît, aux termes de la promesse de vente, page 9, que : « Autorisations et pouvoirs [ sont] donnés au bénéficiaire [...] de procéder aux affichages des permis de construire valant permis de démolir, et également à un panneau de commercialisation à compter du 1er juillet 2019. Etant ici précisé que la banderole commerciale aura une dimension de 4m X 3m et devra être affichée en façade avant côté rue. L'emplacement de ladite banderole est matérialisé en teinte "bleue" sur la photo demeurée ci-jointe et annexée ».
Tenant compte des dispositions précitées, l'allégation "d'apposition illicite" de panneaux publicitaires, expressément prévue à la promesse de vente, est infondée. La pose du panneau ne constitue dès lors pas une faute susceptible d'engager la responsabilité de la Sas Beci, nonobstant son retrait postérieurement à l'expiration du délai de validité de la promesse, lequel retrait ne figure pas au rang des obligations définies par l'acte.
Sur la décision de la Sas Beci de ne pas lever l'option, la Sci Avril prétend à une faute de cette dernière.
L'article 1124 pris en son alinéa 1 du code civil prévoit que la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.
La promesse unilatérale de vente ne crée d'obligations qu'à l'égard du promettant. Le bénéficiaire accepte la promesse en tant que telle sans prendre l'engagement d'acquérir.
En l'espèce, pages 2 et 3, le promettant confère expressément au bénéficiaire : « la faculté d'acquérir si bon lui semble ». Il est également prévu, concernant la promesse, que le bénéficiaire : « aura la faculté d'en demander ou non la réalisation »
Ainsi, aux termes de la promesse unilatérale de vente, la Sas Beci conservait-elle son entière liberté de décision. Acquérir demeurait une possibilité dont elle a accepté de bénéficier sans être tenue d'opter. La levée ou non des conditions suspensives est sans incidence sur ce droit. Il en est de même de l'absence d'indemnité d'immobilisation prévue au contrat, qui demeure une simple faculté offerte aux parties mais qui n'est pas un élément essentiel de la promesse unilatérale de vente.
En conséquence, considérant le caractère unilatéral du contrat conclu à son profit, la Sas Beci n'a commis aucune faute en ne levant pas l'option.
La Sci Avril allègue, enfin, un déséquilibre significatif du contrat conclu avec la Sas Beci sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et l'article 1171 du code civil.
Le premier de ces textes prévoit qu' »Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Or, les parties ne sont pas partenaires commerciales. En effet, un partenaire commercial se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services. Cette situation ne correspond aucunement à l'unique contrat de promesse unilatéral de vente qui lie les parties, opération unique et ponctuelle.
Quant à l'article 1171 du code civil, qui envisage quant à lui le déséquilibre dans les clauses du contrat soumis au droit commun, il ne peut trouver à s'appliquer en l'espèce, s'agissant d'une promesse unilatérale de vente rédigée par le notaire du promettant, la Sci Avril, qui ne peut donc valablement invoquer une quelconque situation de soumission à un contrat d'adhésion qui lui aurait été imposé par son co-contractant.
La Sas Beci n'a donc commis aucune faute lorsqu'elle a renoncé à lever l'option dans le délai prévu à cet effet, ainsi qu'elle en avait le droit, la promesse unilatérale de vente se trouvant conséquemment frappée de caducité. Dès lors, la responsabilité de la Sas Beci ne saurait être engagée au titre des assertions de la Sci Avril.
Surabondamment et en tout état de cause, il convient de faire observer que la Sci Avril ne rapporte pas la preuve d'un préjudice personnel indemnisable. En effet, les pertes économiques du fonds exploité dans les murs objets de la vente ne sont pas un préjudice subi par la Sci Avril, mais par son preneur l'Entreprise Individuelle [V] Eric, et donc indifférentes au présent litige. En outre, il n'existe aucun lien de causalité entre l'absence de levée de l'option et la baisse du prix de vente, résultant de contingences extérieures au contrat initialement passé entre parties liées à l'accident environnement provoqué par l'incendie de l'usine Lubrizol.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé.
Sur les dépens et frais irrépétibles.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles seront confirmées.
La Sci Avril succombe et sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au bénéfice de la Selarl Gray Scolan, outre le paiement d'une somme de 3'000'euros à la Sas Beci au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Y ajoutant,
Condamne la Sci Avril à verser à la Sas Beci la somme de 3'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Sci Avril aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Gray Scolan.