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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 31 janvier 2024, n° 21/08712

LYON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wyon

Conseillers :

M. Seitz, M. Gauthier

Avocat :

Me Brunet

CA Lyon n° 21/08712

30 janvier 2024

Mme [C] [H] a ouvert entre 2016 et 2020 trois restaurants exploités sous l'enseigne MSB 'Mon salad bar' à [Localité 8] (Rhône).

Elle a déposé le 08 janvier 2016 une marque française n° 16/4239025 portant sur le signe MON SALADE BAR auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (ci-après INPI) pour un ensemble de produits et services en classe 43.

Elle a déposé le 22 janvier 2016 une marque française n° 16/4242841 portant sur le signe verbal MSB auprès de l'INPI, pour un ensemble de produits et services en classes 39 et 43.

Elle a déposé le 23 mai 2016 une marque française n° 16/4274101 portant sur le signe semi-figuratif MSB* MON SALADE BAR auprès de l'INPI, pour un ensemble de produits et services en classes 39 et 43.

M. [V] [B] a déposé le 28 mars 2017 la marque française n° 17/4349879 portant sur le signe verbal MSB auprès de l'INPI, pour un ensemble de produits et services des classes 30 et 32. L'enregistrement de cette marque a été publié au bulletin officiel de la propriété intellectuelle n°2017-29 le 21 juillet 2017.

Mme [H] a déposé le 08 janvier 2020 la marque française n° 20/4612636 portant sur le signe verbal MSB pour un ensemble de produits et services en classes 16, 25, 29, 30, 31, 32, 35, 36, 39, 41, 43 et 45.

M. [B] a déposé le 29 juin 2020 la marque française n° 20/4661434 portant sur le signe verbal MSR pour un ensemble de produits et services en classes 29, 30 et 31.

Selon acte du 16 février 2021, M. [B] a demandé au directeur de l'INPI qu'il prononce la nullité de la marque verbale n° 20/4162636 MSB déposée par Mme [H] le 08 janvier 2020.

Selon acte du 03 mai 2021, Mme [C] [H] a demandé au directeur de l'INPI qu'il prononce la nullité de la marque n°17/4349879 MSB déposée le 28 mars 2017 par M. [B], pour mauvaise foi du déposant.

Par décision du NL21-0097 du 21 juin 2023, M. le directeur de l'INPI a rejeté la demande en nullité formée par Mme [H].

Mme [H] a formé recours de cette décision par déclaration enregistrée le 08 décembre 2021 au greffe de la présente cour.

Au cours de l'instance d'appel, M. le directeur de l'INPI a déchu M. [B] de la marque n°17/4349879 MSB à compter du 26 juillet 2022, à raison de l'absence d'exploitation.

Au terme de ses dernières conclusions, déposées le 29 septembre 2023, signifiées à M. [B] le 28 septembre 2023 par dépôt en étude et transmises au directeur de l'INPI par courrier recommandé du 21 septembre 2023, Mme [H] demande à la cour, au visa de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, de l'adage « fraus omnia corrumpit », et des articles 542, 695 et 700 du code de procédure civile, de :

- annuler la décision de l'INPI NL21-0097 rendue le 9 novembre 2021, en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité totale de la marque verbale française MSB n°17/4349879 déposée par M. [B] le 28 mars 2017 pour toutes les classes et pour tous les produits désignés en classes 30 et 32,

et en conséquence :

- prononcer la nullité de la marque française n°17/4349879 MSB déposée par M. [B] le 28 mars 2017 pour toutes les classes et pour tous les produits désignés en classes 30 et 32,

- mettre les taxes de 600 euros payées par Mme [H] lors de la procédure en annulation à la charge de M. [B] et le condamner au paiement de cette somme,

- notifier l'arrêt à intervenir à M. le directeur général de l'INPI et aux parties,

- condamner M. [B] aux entiers dépens à savoir la somme de 998.17 euros, ainsi qu'à payer à Mme [H] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [H] fait valoir, en droit, que toute marque déposée en fraude des droits d'autrui doit être regardée comme déposée de mauvaise foi au sens de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle et encoure l'annulation.

Elle précise que le dépôt d'une marque en connaissance du fait qu'un tiers utilise le même signe pour ses affaires, dans l'intention de lui en interdire l'usage, caractérise la fraude, ainsi partant que la mauvaise foi.

Elle ajoute que la mauvaise foi tirée de la volonté de priver un tiers de l'usage d'un signe qu'il emploie dans ses affaires peut être caractérisée en contemplation d'éléments factuels postérieurs au dépôt, telle l'absence d'utilisation de la marque ensuite de son dépôt.

L'appelante soutient, en fait, qu'un différend l'a opposée courant 2016 à MM. [L] et [N], les intéressés ayant entrepris d'exploiter un restaurant de type salad-bar sous l'enseigne MRB pour 'Mon resto bio' à proximité de son propre restaurant salad-bar MSB.

Elle précise que ce différend a donné lieu à protocole d'accord transactionnel du 20 janvier 2020, interdisant à MM. [L] et [N] d'employer le signe MRB ou de le déposer à L'INPI.

Elle affirme que M. [B] a alors entrepris de lui nuire en déposant une marque MSR, dont elle affirme qu'elle renverrait à ' mon salad resto ' le 29 juin 2020, puis en se prévalant par courrier du 30 juillet 2020 de l'antériorité du dépôt de sa marque MSB n°17/4349879 dans les classes 30 et 32, pour contester sa propre marque MSB n° 20/4612636, déposée le 08 janvier 2020.

Elle explique que M. [B] exerce l'activité de grossiste en boulangerie, correspondant aux services de la classe 35, et n'a déposé la marque MSR dans les classes 29, 30 et 31 et la marque MSB dans les classes 30 et 32 qu'à dessein de l'empêcher d'exploiter sa franchise sous cette enseigne et de bénéficier indûment de la réputation de ses restaurants.

Mme [H] en veut pour preuve que M. [B] n'a jamais fait usage de la marque litigieuse et qu'il a cessé début 2020 d'employer dans ses affaires le signe MSB (renvoyant à 'multi services sandwicherie et boulangerie'), tout en continuant de s'en prévaloir à l'appui d'actions judiciaires visant à attaquer ses propres marques.

Elle indique que la présente instance en annulation conserve un intérêt, malgré la déchéance de la marque litigieuse prononcée le 22 février 2023, dès lors que cette marque demeure valablement déposée pour la période antérieure au 26 juillet 2022 et qu'elle pourrait donc conduire à l'annulation de sa propre marque MSB déposée le 08 janvier 2020, dans le cadre de la procédure parallèle en annulation introduite par M. [B].

Par courriers réceptionnés le 15 septembre et 09 octobre 2023, M. le directeur de l'INPI a communiqué ses pièces et observations.

Aux termes de ses observations du 15 septembre 2023, M. le directeur de L'INPI confirme que la présente instance conserve un intérêt, malgré la déchéance de la marque litigieuse prononcée le 22 février 2023, dès lors que cette déchéance n'opère pas pour la période antérieure au 26 juillet 2022.

Il relève en droit que Mme [H] se fonde sur les dispositions de la loi entrée en vigueur le 11 décembre 2019, alors que ces dispositions ne sont pas applicables à l'espèce. Il ajoute qu'en l'état du droit positif à la date du dépôt, il demeure toutefois possible de prononcer l'annulation d'une marque déposée de mauvaise foi ou en fraude aux droits d'autrui, en application combinée de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle et du principe fraus omnia corrumpit.

Il précise également que la mauvaise foi du déposant s'apprécie à la date du dépôt.

Ces éléments de droits rappelés, M. Le directeur de l'INPI estime qu'il ne ressort pas des pièces produites par l'appelante la preuve de ce que M. [B] connaissait ou aurait dû connaître, au jour du dépôt de la marque litigieuse, les droits détenus par Mme [H] sur le signe MSB, ni de ce qu'il aurait agi dans l'intention de l'en priver illégitimement.

Il relève à cet égard que la couverture médiatique des marques, de l'enseigne et du nom commercial MSB de Mme [H] à la date du dépôt de la marque litigieuse ne revêtait pas un caractère substantiel.

Il ajoute que les pièces au dossier tendent à établir que M. [B] a fait usage de la marque litigieuse pour son propre commerce.

Il rappelle en dernier lieu que le simple fait, pour l'intimé, de n'avoir pas renoncé à sa marque MSB est indifférent à la solution du litige et n'éclaire pas son intention au moment du dépôt.

M. [B] n'a pas constitué ministère d'avocat.

L'affaire a été appelée à l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle elle a été mise en délibéré au 25 janvier 2024. Le délibéré a été prorogé au 1er février 2024.

MOTIFS

Ainsi que le fait observer M. Le directeur de l'INPI, l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, n'était pas en vigueur à la date du dépôt de la marque litigieuse, à laquelle s'apprécie la bonne ou la mauvaise foi du déposant.

Mme [H] ne peut donc fonder sa demande sur cette disposition.

Il n'en demeure pas moins qu'en application du droit antérieur à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, la mauvaise foi du déposant était également sanctionnée par la nullité du dépôt de sa marque, sur le fondement du principe selon lequel la fraude corrompt tout et de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, en vertu duquel 'si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d'enregistrement'.

Il appartient en conséquence à Mme [H] d'établir que M. [B] a déposé la marque litigieuse en fraude à ses droits sur le signe MSB, dans l'intention de l'en priver, de nuire ce faisant à l'exploitation de ses restaurants et de bénéficier indûment de la réputation de son enseigne.

Force est de constater que la marque française n° 17/4349879 MSB a été déposée le 28 mars 2017, pour désigner les produits et services suivants :

- en classe 30 : café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, farine, préparations faites de céréales, pain, pâtisseries, confiserie, glaces alimentaires, miel, sirop d'agave, levure, sel, moutarde, vinaigre, sauces (condiments), épices, glace à rafraîchir, sandwiches, pizzas, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat, boissons à base de cacao, boissons à base de café, boissons à base de thé ;

- en classe 32 : eaux minérales (boissons), eaux gazeuses, boissons à base de fruits, jus de fruits, sirops pour boissons, préparations pour faire des boissons, limonades, nectars de fruits, sodas, apéritifs sans alcool.

M. [B] a immatriculé sa société par actions simplifiée MSB, renvoyant à 'Multiservices boulangeries', le premier septembre 2017. Les captures d'écran de son site internet témoignent de ce qu'il a exploité cette société pour une activité de grossiste en boulangerie industrielle, condiments, glaces, produits laitiers et boissons sans alcool, en faisant usage de la marque litigieuse.

La cour retient que la proximité temporelle entre le dépôt de la marque litigieuse et le démarrage d'activité de M. [B], ainsi que la concordance entre les produits et services visés au dépôt et l'activité effectivement exploitée par l'intéressé, font présumer que la marque a été déposée le 28 mars 2017 dans l'intention d'être employée dans l'activité de boulangerie industrielle et de distribution de boissons sans alcool que M. [B] s'apprêtait à exercer.

Aucun élément n'établit en revanche que M. [B] connaissait MM. [L] et [N], avec lesquels Mme [H] entretenait un contentieux relativement à l'exploitation de leurs salad-bars, non plus partant que ce contentieux l'aurait déterminé, par voie de collusion frauduleuse, à déposer la marque litigieuse dans l'intention de nuire à l'exploitation des restaurants de Mme [H].

Quant à l'allégation selon laquelle M. [B] aurait connu les restaurants exploités sous l'enseigne MSB et cherché à profiter de leur réputation, la cour observe que Mme [H] produit :

- 6 articles de presse papier ou numérique, dont deux seulement sont antérieurs au dépôt de la marque litigieuse, l'un paru dans le journal local 'Le Progrès',

- une page facebook sur laquelle il n'est justifié que d'une seule publication antérieure au dépôt de la marque litigieuse,

- un site internet dont il n'est pas établi qu'il ait été ouvert avant le dépôt de la marque litigieuse.

Ces éléments ne suffisent aucunement à démontrer que le restaurant, alors unique, exploité en région lyonnaise sous l'enseigne MSB jouissait, courant mars 2017, d'une réputation telle que M. [B] ne pouvait ignorer son existence. Ils révèlent au contraire le caractère relativement confidentiel de l'exploitation entreprise par Mme [H].

S'il est vrai que M. [B] a déposé une marque française verbale MSR n° 20/4661434 le 29 juin 2020, aucun élément ne permet d'affirmer que l'acronyme constituant la marque renverrait à 'mon salad resto', non plus que son dépôt procéderait d'une volonté de faire obstacle aux droits de Mme [H].

Ce dépôt du mois de juin 2020 ne saurait donc constituer la preuve d'une volonté de fraude aux droits de la demanderesse remontant au mois de mars 2017.

Le simple fait que M. [B] n'ait pas renoncé à l'action en nullité de la marque française n° 20/4612636 MSB déposée le 08 janvier 2020, alors qu'il a cessé d'exploiter ce signe depuis le mois de juin 2020 ne permet pas, enfin, d'affirmer qu'il aurait été de mauvaise foi au moment de son dépôt en mars 2017, ni même d'ailleurs qu'à la date du présent arrêt. Un opérateur économique peut en effet renoncer, par souci de sécurité, à l'usage d'un signe ou d'une marque dans l'attente des décisions judiciaires à intervenir relativement à ce signe ou cette marque.

Il s'ensuit que Mme [H] est défaillante dans la preuve de la volonté de fraude et de la mauvaise foi de M. [B] à la date de dépôt de la marque litigieuse. Il convient en conséquence de rejeter ses demandes, de confirmer la décision de M. Le directeur de l'INPI et de la condamner aux dépens du recours.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire prononcé en dernier ressort,

- Confirme la décision NL21-0097 de M. le directeur de l'INPI, en date du 21 juin 2023 ;

- Déboute Mme [C] [H] de ses demandes ;

- Condamne Mme [C] [H] aux dépens du recours.