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Décisions

CE, 9e ch., 5 janvier 2023, n° 468506

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Egerszegi

Rapporteur :

M. Pau

Rapporteur public :

Mme Bokdam-Tognetti

Avocat :

SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret

CE n° 468506

4 janvier 2023

Vu la procédure suivante :

La société NRGIE Conseil, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 octobre 2021 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine lui a infligé une amende administrative pour manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation, a produit un mémoire distinct, enregistré le 9 août 2022 au greffe du tribunal administratif de Rennes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2106470 du 25 octobre 2022, enregistrée le 27 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes a décidé, avant qu'il soit statué sur la demande de la société NRGIE Conseil et par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation dans leur rédaction issue de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.

Par le mémoire transmis ainsi que par un nouveau mémoire enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 décembre 2022, la société NRGIE Conseil soutient que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration.

Par un mémoire enregistré le 18 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient qu'aucune des conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 n'est remplie et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61- 1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la consommation ;
- la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société NRGIE Conseil ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation : " Le consommateur qui ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique ". Aux termes du deuxième alinéa du même article, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux : " Il est interdit à un professionnel, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur inscrit sur cette liste, sauf lorsqu'il s'agit de sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours et ayant un rapport avec l'objet de ce contrat, y compris lorsqu'il s'agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l'objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité ". Aux termes du troisième alinéa du même article, inséré par la loi du 24 juillet 2020 précitée : " Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables est interdite, à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours au sens du deuxième alinéa du présent article ". Ces dernières dispositions sont applicables au litige et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

3. D'une part, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe constitutionnel d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

4. Il ressort des dispositions citées au point 2, ainsi que des travaux parlementaires préparatoires à l'adoption de la loi du 24 juillet 2020, que le législateur, constatant les abus et les risques, pour le consommateur, des sollicitations téléphoniques pratiquées dans le secteur des travaux de rénovation énergétique, a entendu satisfaire à l'exigence constitutionnelle de protection de la vie privée, poursuivre l'objectif d'intérêt général de protection des consommateurs contre le démarchage abusif et concilier l'exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics avec l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la réduction de la consommation énergétique des bâtiments résidentiels. Il en ressort également que l'interdiction contestée ne concerne qu'une des formes possibles de sollicitation commerciale et de publicité et n'est pas absolue, dès lors que le démarchage téléphonique reste permis, dans les conditions énoncées par ces dispositions.

5. Par suite, d'une part, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi et conformément à l'objectif qu'il poursuivait, édicter les dispositions en cause à l'égard de tous les professionnels dont l'activité a pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables, qui ne sont pas placés dans la même situation que les professionnels d'autres secteurs d'activité à l'égard desquels il n'a pas pris les mêmes dispositions et alors, au demeurant, que ni le principe d'égalité, ni aucune autre exigence constitutionnelle n'impose que l'activité en cause soit soumise à la même réglementation que d'autres activités. D'autre part, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à l'exercice de la liberté d'entreprendre.

6. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société NRGIE Conseil.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société NRGIE Conseil et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.