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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 14 décembre 2017, n° 14/04845

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LUCIEN BRION (SA)

Défendeur :

METSO GERMANY (Sté), METSO MINERALS (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GILIBERT

Conseillers :

Mme CAZENAVE, Mme CAYOL

Avocats :

SCP MILLON PLATEAU, SCP ANGOTTI

TC Compiègne, du 14 oct. 2014

14 octobre 2014

La SA Lucien Brion, spécialisée dans le broyage de véhicules automobiles, matériel de fer et de réemploi, s'est portée acquéreur d'un broyeur auprès de la société Metso Lindemann qui s'est chargée de son installation en 2006.

La SA Lucien Brion a par la suite commandé des pièces d'usure à la société Metso Lindemann qui a émis seize factures sur les années 2007 et 2008 pour un montant total de 114.469,95 €. Cependant la société cliente ne s'est acquittée que d'une partie des sommes dues.

La société débitrice a répondu aux relances de la société Metso Lindemann en invoquant des défaillances dans le fonctionnement du broyeur livré par la société, justifiant selon elle le non paiement des factures échues. Malgré une nouvelle mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 octobre 2012, la SA Lucien Brion a une nouvelle fois contesté devoir régler les factures, par courrier en date du 29 octobre 2012.

C'est dans ces circonstances que la société Metso Lindemann a, par acte du 12 mars 2013, assigné la SA Lucien Brion devant le tribunal de commerce de Compiègne. Ce dernier, par jugement du 14 octobre 2014, a condamné la SA Lucien Brion à payer à la société demanderesse la somme de

106.142,92 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2009, avant d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.

La SA Lucien Brion a interjeté appel de cette décision par déclaration du 21 octobre 2014.

Selon ses dernières conclusions enregistrées au greffe par voie électronique le 9 août 2016, la SA Lucien Brion, appelante, demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 octobre 2014 par le tribunal de commerce de Compiègne ;

- dire que la société Metso Lindemann est irrecevable en sa demande de paiement, car prescrite ;

- dire en effet que l'action intentée par la société Metso Lindemann, tenant au paiement de créances de prix nées, pour la plus récente, en 2008, et trouvant leur fait générateur dans un contrat de vente internationale d'objets mobiliers corporels conclu entre, d'une part, un vendeur ayant son établissement en Allemagne, et, d'autre part, un acheteur ayant son établissement en France, est atteinte par le délai de prescription de droit commun de trois années édicté par les articles 195 et 199 du code civil allemand, applicables en la cause du fait de la désignation de la loi allemande par la Convention de La Haye du 15 juin 1955, elle même désignée par la règle de conflit française, venant suppléer sur le point particulier de la prescription, le silence de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises signée à Vienne le 11 avril 1980.

A titre subsidiaire, de :

- dire que la société Metso Lindemann est mal fondée en toutes ses demandes ;

- dire que, du fait des contraventions contractuelles commises par la société Metso Lindemann à son obligation, intimée par la Convention de Vienne, de livrer une marchandise conforme, la SA Lucien Brion est fondée à lui opposer reconventionnellement une créance de dommages intérêts s'élevant à la somme de 138.181 €, montant les frais de réparation qu'elle a dû supporter et correspondant à la « perte subie » dont elle est en droit de demander le dédommagement en application de cette même Convention de Vienne;

- dire que la société Metso Lindemann, par un courrier du 11 septembre 2013, émanant de son département comptable et d'un cabinet d'audit, et faisant état à cette occasion de la teneur de ses livres de comptes, a expressément avoué n'être plus titulaire, à l'encontre de la SA Lucien Brion, que d'une créance de 14.636,04 € ;

- dire que si, par impossible, l'action en paiement exercée par la société Metso Lindemann est recevable, il a dû néanmoins s'opérer, entre la créance de prix de 14.636,04 € à laquelle peut encore prétendre ladite société Metso Lindemann (compte tenu de l'aveu sus évoqué) et la créance de dommages intérêts de 138.181 € acquise par la SA Lucien Brion, une compensation à concurrence de la quotité la plus faible, c'est à dire à concurrence de la créance de prix de la société Metso Lindemann, qui s'en trouve éteinte en totalité.

En conséquence, de :

- dire que la société Metso Lindemann Gmbh est mal fondée en toutes ses demandes, dont elle doit être déboutée ;

- dire la SA Lucien Brion recevable et bien fondée en sa demande de paiement, et condamner en

conséquence la société Metso Lindemann au paiement de la somme de 123.544,96 € au titre de la créance résiduelle de dommages intérêts dont demeure titulaire de la SA Lucien Brion, correspondant à la fraction non compensée de sa créance initiale.

A titre infiniment subsidiaire, de :

- dire que la société Metso Lindemann, par un courrier du 11 septembre 2013, émanant de son département comptable et d'un cabinet d'audit, et faisant état à cette occasion de la teneur de ses livres de comptes, a expressément avoué n'être plus titulaire, à l'encontre de la SA Lucien Brion, que d'une créance de 14.636,04 €.

En conséquence, si par impossible la SA Lucien Brion doit être condamnée au paiement du prix des pièces de rechange réclamé par la société Metso Lindemann, de :

- limiter cette condamnation à la somme de 14.636,04 €.

En toutes hypothèses, de :

condamner la SA Metso Lindemann à lui payer la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Metso Lindemann en tous les frais et dépens, dont distraction au profit de la SCP Millon Plateau, Avocat.

Selon ses dernières conclusions enregistrées au greffe par voie électronique le 2 juin 2017, la société Metso Lindemann Gmbh, intimée, demande à la cour de :

- constater que son action engagée devant le tribunal de commerce de Compiègne n'est pas prescrite et rejeter l'exception d'irrecevabilité de la SA Lucien Brion ;

- constater qu'elle a livré et monté des pièces détachées à la SA Lucien Brion qui n'ont jamais été réglées ;

- constater que ses factures pour la livraison de ces pièces détachées sont échues de longue date et constituent une créance certaine liquide et exigible ;

- constater qu'une réduction de la créance n'a pas été reconnue par elle;

- constater qu'une compensation judiciaire ne peut s'exercer sur les sommes engagées par la SA Lucien Brion de son propre chef ;

- constater que le montant de sa créance est de 106.142,92€.

En conséquence, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Compiègne en date du 14 octobre 2014 en ce qu'il a condamné la SA Lucien Brion à payer la somme de 106.142,92 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2009 ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Compiègne en date du 14 octobre 2014 en ce qu'il a déclaré la SA Lucien Brion mal fondée au titre de sa demande reconventionnelle à hauteur de 14.636,04 € ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Compiègne en date du 14 octobre 2014 en ce

qu'il a déclaré la SA Lucien Brion mal fondée au titre de sa demande de dommages et intérêts pour les réparations que la SA Lucien Brion a engagé de son propre chef ;

- condamner la SA Lucien Brion à lui payer la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SA Lucien Brion aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Angotti, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Une ordonnance du 12 juin 2017 a clôturé l'instruction et renvoyé l'affaire pour être plaidée le 21 septembre 2017.

SUR CE:

Sur la recevabilité de l'action

La société appelante soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement de la société Metso Lindemann en application de la prescription triennale édictée par la loi allemande.

Elle fait valoir que le litige dérive d'un contrat de vente internationale d'objets mobiliers corporels conclu entre un vendeur ayant son établissement en Allemagne et un acheteur ayant son établissement en France. Elle ajoute que cet élément d'extranéité implique l'application au litige de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, dite Convention de Vienne. Elle précise que cette convention a été ratifiée tant par la France que par l'Allemagne et qu'elle a donc vocation à s'appliquer d'office.

L'appelante fait toutefois remarquer que la Convention de Vienne ne régit pas la question de la prescription et qu'il s'agit alors de se reporter, au vu de son article 7-2, aux règles de droit international privé. Elle ajoute que deux conventions internationales sont susceptibles de recevoir application : la Convention de La Haye du 15 juin 1955 ratifiée par la France en 1963 et la Convention de Rome du 19 juin 1980, le règlement européen du 17 juin 2008 ne s'appliquant qu'aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009.

L'appelante vise la Convention de Rome qui dispose en son article 21 qu'elle ne saurait porter atteinte à l'application de conventions internationales auxquelles un État contractant serait partie. L'appelante conclut ainsi à la primauté de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 ratifiée par la France.

L'appelante poursuit en visant l'article 3 de cette dernière convention qui désigne la loi interne du pays où le vendeur a sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande, soit en l'espèce le droit allemand, prévoyant un délai de prescription de trois ans courant à compter de la naissance de la créance selon les articles 195 et 199 du BGB, sachant que les factures en cause sont datées entre les mois d'avril 2007 et août 2008.

La société Metso Lindemann, intimée, rétorque que les principes généraux qui ont inspiré la Convention de Vienne doivent s'appliquer, dont celui du respect de la bonne foi dans le commerce international. Or, elle reproche à la SA Lucien Brion d'être de mauvaise foi en refusant d'exécuter ses obligations. Elle affirme que c'est bien le droit français qui doit s'appliquer en l'espèce, selon la Convention de Vienne.

Elle ajoute que même si les dispositions de la Convention de La Haye de 1955 devaient s'appliquer, elles conduiraient à l'application de la loi française. Elle vise l'article 3 de cette convention qui dispose que la vente est régie par la loi interne du pays où l'acheteur a sa résidence habituelle ou dans lequel il possède l'établissement qui a passé la commande, si c'est dans ce pays que la commande a

été reçue soit par le vendeur soit par son représentant. Or, elle précise qu'elle s'est toujours adressé au technicien français de Metso L. basé à Mâcon. Elle affirme ainsi que l'offre a été faite à partir de la France, ce que conteste Metso L. qui fait valoir que seul le service après vente a été opéré de la France.

******

La Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises signée à Vienne le 11 avril 1980 et entrée en vigueur le 1er janvier 1988 a vocation à supplanter tout droit national lors d'un échange international de biens entre des parties dépendant d'États qui ont ratifié la Convention. Son article 1er prévoit en effet que le traité s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents lorsque les États sont des États contractants.

En l'espèce, le litige en cause résulte d'une vente de matériels conclue en 2006 entre la société Metso Germany, société de droit allemand dont le siège social est situé à Düsseldorf en Allemagne et la SA Lucien Brion, société basée à Compiègne en France, la première agissant en paiement à l'encontre de la seconde au titre de factures non réglées.

Or, l'Allemagne et la France ont toutes les deux ratifié la Convention susvisée respectivement en 1982 et 1989. Et si l'application de cette dernière peut être exclue par les parties au sens de l'article 6 du traité, il n'apparait pas que les deux sociétés en cause aient exercé cette faculté.

Toutefois, le moyen soulevé par l'acquéreur français est relatif à la prescription extinctive de l'action en paiement. Or, la Convention de Vienne ne régie pas une telle question. Elle prévoit à ce propos, en son article 7.2, que les points non tranchés par le texte seront réglés selon les principes généraux dont elle s'inspire, ou à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé du tribunal saisi et en conséquence du droit international privé français.

En application du droit international privé français, deux Conventions internationales auxquelles la France est partie, celles de La Haye du 15 juin 1955 et de Rome du 19 juin 1980, relatives à la loi applicable respectivement aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels et aux obligations contractuelles sont susceptibles de recevoir application.

Il existe toutefois une primauté de la Convention de La Haye en vertu de l'article 21 de la Convention de Rome disposant que cette dernière ne porte pas atteinte à l'application des Conventions internationales auxquelles un État est partie. En outre, la Convention de La Haye est dotée d'une vocation universelle et est applicable sans condition de réciprocité, seul suffisant pour qu'elle le soit que le tribunal saisi soit celui d'un État contractant. Tel est d'ailleurs le cas puisque cette Convention est entrée en vigueur en France depuis le 1er septembre 1964.

En application de la Convention de La Haye, la détermination de la loi applicable au contrat en cause est définie en son article 3 qui prévoit qu'à défaut de loi déclarée applicable par les parties, la vente est régie par la loi interne du pays où le vendeur a sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande. L'article ajoute que si la commande est reçue par un établissement du vendeur, la vente est régie par la loi interne du pays où est situé cet établissement. Enfin, l'article dispose que, toutefois, la vente est régie par la loi interne du pays où l'acheteur a sa résidence habituelle ou dans lequel il possède l'établissement qui a passé la commande, si c'est dans ce pays que la commande a été reçue soit par le vendeur soit par son représentant, agent ou commis voyageur.

En l'espèce, les factures et les courriers font référence à l'entreprise Metso Lindemann, l'adresse référencée étant celle de Düsseldorf. Il est également indiqué que les livraisons des matériels proviennent de la ville allemande. En outre, le telefax du 30 mars 2009 rappelant la liste des factures impayées provient de Bertrand J. de Metso L. à Düsseldorf. Un lien direct entre la

société allemande et la SA Lucien Brion est ainsi avéré. En outre, il ne ressort pas des éléments versés aux débats que la commande ait été reçue en France et que les salariés de la filiale française de Metso aient été les interlocuteurs privilégiés de l'acquéreur au moment de la commande. La circonstance que le service après vente ait été pris en charge par la filiale française Metso Minerals et ses salariés ne saurait être suffisante à emporter l'application de la loi française.

Il y a lieu ainsi de faire application de la loi allemande, loi du pays où le vendeur Metso L. a sa résidence habituelle.

Concernant la détermination de la loi allemande, le code civil allemand prévoit qu'en droit commun, les actions se prescrivent par trois ans, le délai débutant à la fin de l'année durant laquelle l'action est née, soit à la fin de l'année de la date d'exigibilité de la créance.

En l'espèce, les factures en cause datent des années 2007 et 2008, la plus récente datant précisément du 27 août 2008, le règlement devant s'effectuer sous 90 jours après la date de la facture, faisant ainsi courir la prescription à la fin de l'année 2008. Celle ci est alors acquise à la fin de l'année 2011.

Or, l'action en justice de la société Metso Lindemann par devant le tribunal de commerce date du mois de mars 2013. A tout le moins, ses mises en demeure datent de 2012.

Il s'avère ainsi que l'action de la société Metso Lindemann est prescrite.

Par ailleurs, cette dernière société ne saurait invoquer la mauvaise foi de son cocontractant aux fins d'écarter la fin de non recevoir soulevée. En effet, cette circonstance ne saurait rendre inapplicables les règles en matière de prescription sauf à établir une fraude de la part de la SA Lucien Brion, élément qui n'est pas démontré par le vendeur.

En conséquence, l'action de la société Metso Lindemann sera déclarée irrecevable, sans qu'il soit besoin pour la cour de statuer sur le fond.

Sur les dépens et les sommes demandées au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la solution apportée au litige, la société Metso Lindemann sera condamnée aux dépens et à verser la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement rendu le 14 octobre 2014 par le tribunal de commerce de Compiègne en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare l'action de la société Metso Lindemann irrecevable car prescrite,

Y ajoutant,

Condamne la société Metso Lindemann à payer à la SA Lucien Brion la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Metso Lindemann aux dépens dont distraction au profit de la SCP Millon Plateau, avocat.