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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 31 janvier 2024, n° 22/04047

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Technique Peinture Normandie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

Mme Deguette, Mme Bergere

Avocats :

Me Chabert, Me Dugard-Hillmeyer

TJ Rouen, du 28 nov. 2022;

28 novembre 2022

Par devis du 12 février 2021 accepté le 17 février 2021, Mme [R] [D] a confié à la Sarl Technique peinture Normandie la réalisation de travaux de peinture dans son logement, pour un prix de 8 179,63 euros. Les prestations ont été modifiées, le prix est resté inchangé selon nouveau devis du 26 février 2021 accepté le même jour.

Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 12 mars 2022. Mme [D] a remis trois chèques aux fins de paiement intégral, soit un chèque d'un montant de 100 euros remis le 23 février 2021, un chèque d'un montant de 2 370 euros émis le 12 février 2021 et un chèque de 5 281,61 euros émis le 20 février 2021. Tous ont été refusés au motif d'une provision insuffisante.

Par acte d'huissier du 8 décembre 2021, Mme [D] a fait assigner la Sarl Technique peinture Normandie aux fins de voir dire et juger nul et de nul effet son engagement et de voir condamner la Sarl Technique peinture Normandie sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer les sommes de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts et 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par jugement du 28 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Rouen a :

- débouté Mme [D] de l'ensemble de ses prétentions,

- l'a condamnée à verser à la Sarl Technique peinture Normandie la somme de

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision,

- l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration reçue le 16 décembre 2022, Mme [D] a interjeté appel de la décision.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 13 mars 2023, Mme [D] demande à la cour d'infirmer la décision rendue le 28 novembre 2022 et de :

- déclarer nul et de nul effet les engagements souscrits par elle auprès de la Sarl Technique peinture Normandie ;

- débouter la Sarl Technique peinture Normandie de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamner la Sarl Technique peinture Normandie à lui verser la somme de

1 000 euros au titre de dommages et intérêts ;

- condamner la Sarl Technique peinture Normandie à lui verser à Mme [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 de première instance et 2 000 euros au titre de l'article 700 devant la cour ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient au visa des articles L. 211-1, L. 211-4 et L. 221-8, L. 132-13 du code de la consommation que la Sarl Technique peinture Normandie n'a pas respecté les dispositions applicables en matière de vente à domicile ; que le représentant de la société connaissait parfaitement à la fois son état psychique qui ne lui permettait pas de s'engager et sa situation de surendettement ; qu'il a manqué à ses obligations de conseil à son égard. Elle invoque le témoignage de Mme [C] sur ce point.

Par conclusions notifiées le 21 avril 2023, la Sarl Technique peinture Normandie demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

en conséquence,

- débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [D] à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et ce en cause d'appel,

- condamner Mme [D] aux dépens de l'instance conformément à l'article 696 du code de procédure civile ;

- dire que les dépens seront recouvrés directement par Me [N] conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait observer que les conclusions de l'appelant n'apportent aucune critique au jugement de première instance. Elle conteste la qualification de démarchage à domicile. Elle considère que Mme [D] n'apporte pas la preuve d'un prétendu démarchage en ce que M. [S] ne s'est jamais rendu de son propre chef à son domicile puisqu'il a été contacté en ce sens par cette dernière. Elle ajoute que le contrat conclu a été signé à [Localité 4], au siège social de la société ; qu'elle n'aurait jamais commencé un chantier non provisionné s'il s'était agi d'un démarchage à domicile ; que Mme [D] n'apporte pas la preuve que la société avait connaissance de l'état psychique dont elle se prévaut ni de sa situation de surendettement. À ce titre, elle considère que Mme [D] a dissimulé sa situation financière au moment de la conclusion du contrat.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 octobre 2023.

Motivation

MOTIFS

Sur la nullité du contrat

- Sur le non-respect des obligations liées au démarchage à domicile

L'article L. 221-1 du code de la consommation dispose que pour l'application du présent titre, sont considérés comme des contrats hors établissement ceux qui sont conclus entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur.

En l'espèce, les devis n° DE 124626 du 12 février 2021, accepté le 17 février 2021 et n° DE 124665 du 26 février 2021 portent pour mention du lieu d'acceptation « [Localité 4] ». La signature de Mme [D] y est inscrite.

Mme [D] conteste la mention faite concernant le lieu de signature. Elle estime que celle-ci ne traduit pas la réalité puisqu'elle ne s'est jamais rendue à [Localité 4] pour signer le contrat. Celui-ci aurait été conclu à son domicile, de sorte que le contrat conclu doit être qualifié hors établissement, ce qui emporte, par conséquent, des obligations spécifiques prévues aux articles L. 221-5 du code de la consommation que n'aurait pas respectées la Sarl Technique peinture. La nullité du contrat, dont les obligations de paiement de Mme [D], serait alors encourue.

Dès lors qu'elle conteste cette mention, Mme [D] doit apporter la preuve d'un démarchage à domicile.

Elle verse aux débats le témoignage de Mme [C] qui dit avoir été témoin des échanges entre M. [S], mandataire de la Sarl Technique peinture Normandie et Mme [D]. Elle indique que M. [S] est allé à l'ancien domicile de Mme [D] « pour un premier contact concernant le devis ». Cette seule indication n'est pas de nature à démontrer que la Sarl Technique peinture Normandie a démarché Mme [D], ni que le contrat a effectivement été conclu dès ce premier contact.

La Sarl Technique peinture Normandie communique une fiche téléphonique précisant que Mme [D] l'aurait contacté pour un devis via une recherche sur internet. Elle ne nie pas que M. [S] se soit présenté au domicile de Mme [D], après avoir été contacté par cette dernière.

Il résulte de ces éléments que Mme [D] n'apporte pas la preuve que les devis ont été signés ailleurs qu'à [Localité 4]. Elle ne satisfait pas les conditions permettant de qualifier le contrat de contrat hors établissement. Dès lors, la Sarl technique peinture Normandie n'était pas tenue de respecter les obligations susvisées dont l'inexécution aurait été susceptible d'emporter la nullité.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] sur ce fondement.

- Sur l'abus de faiblesse.

L'article L. 121-8 du code de la consommation dispose qu'est interdit le fait d'abuser de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte.

En outre, l'article L. 121-9 du code de la consommation dispose qu'est interdit le fait d'abuser de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour obtenir des engagements :

1° Soit à la suite d'un démarchage par téléphone ou télécopie ;

2° Soit à la suite d'une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, effectuée à domicile et assortie de l'offre d'avantages particuliers ;

3° Soit à l'occasion de réunions ou d'excursions organisées par l'auteur de l'infraction ou à son profit ;

4° Soit lorsque la transaction a été faite dans des lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé ou dans le cadre de foires ou de salons ;

5° Soit lorsque la transaction a été conclue dans une situation d'urgence ayant mis la victime de l'infraction dans l'impossibilité de consulter un ou plusieurs professionnels qualifiés, tiers au contrat.

Mme [D] invoque l'abus de faiblesse pour deux raisons.

Elle considère que la Sarl Technique peinture Normandie aurait abusé de sa situation de surendettement qui était connue par cette dernière.

En réalité, Mme [D] a déposé une demande de traitement de situation de surendettement auprès de la commission de surendettement des particuliers de Seine-Maritime en 2021, cette dernière l'ayant déclarée recevable le 23 février 2021 soit postérieurement à la signature du premier devis. Cette seule pièce ne peut en outre établir que la société cocontractante était avisée de la situation de sa cliente. Mme [D] ne justifie d'ailleurs pas de la liste des créanciers déclarés et des suites réservées à sa demande.

Elle produit l'attestation unique de Mme [C] afin de démontrer que le mandataire de la Sarl Technique peinture Normandie connaissait son état de surendettement.

Si Mme [D] a informé la Sarl Technique peinture Normandie de ses difficultés financières, suivant les termes de l'attestation produite, il n'est pas démontré que la démarche de l'entreprise ait constitué un abus. En effet, Mme [D] a demandé des facilités de paiement et a émis plusieurs chèques sans que l'intervention de l'entreprise ne soit critiquable. En outre, elle est à l'initiative des travaux entrepris en sollicitant les services de la Sarl Technique peinture Normandie. Ces seuls éléments ne peuvent suffire à caractériser une connaissance précise de la situation de Mme [D], une ruse, de sorte que l'abus de faiblesse fondée sur l'état de surendettement n'est pas démontré.

L'attestation de rejet des chèques de Mme [D] a été communiquée à la Sarl Technique peinture Normandie le 10 mars 2021. La connaissance des difficultés financières de Mme [D] n'est pas démontrée antérieurement à cette date.

Elle ne démontre pas davantage que cette situation correspond à l'un des cas prohibés prévus par les articles L. 121-8 et L. 121-9 du code de la consommation dès lors que le lieu de conclusion du contrat est celui du siège social de la Sarl Technique peinture Normandie.

Mme [D] considère encore que la Sarl Technique peinture Normandie aurait profité d'un état psychique de vulnérabilité.

Elle produit deux certificats médicaux rédigés par le même médecin les 3 février 2021 et 29 septembre 2021 et qui attestent, d'une part, que son état psychique ne lui permet pas de reprendre une formation et d'autre part, qu'il nécessite un suivi et un traitement. Il n'est pas indiqué que son état psychique est tel qu'il ne lui permet pas de comprendre la portée de ses engagements. L'état psychique de vulnérabilité de Mme [D] n'est pas démontré.

Par conséquent, Mme [D] sera déboutée de ses demandes.

Le jugement sera confirmé également en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande sur ce fondement.

Sur les demandes indemnitaires

Mme [D] succombe à l'instance et sera condamnée aux dépens qui seront recouvrées directement par Me [N] conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner Mme [D] à verser à la Sarl Technique peinture Normandie la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [R] [D] à payer à la Sarl Technique peinture Normandie la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [R] [D] aux dépens qui seront recouvrés directement par Me [N] conformément à l'article 699 du code de procédure civile.