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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 22 septembre 2021, n° 19/02882

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fujian Yihua Electrical Machinery Co Ltd N°8 Xiaxibian (Sté)

Défendeur :

Gelec (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

Mme de Mascureau, M. Mellet

Avocats :

Me Bellet, Me Reynaud, Me Gray, Me Capitaine

T. com. Le Havre, du 2 mars 2018

2 mars 2018

La Sasu Gelec, qui commercialise des groupes électrogènes, s'est fournie à compter de l'année 2011 auprès de la société Fujian Yihua Electrical Machinery Co LTD. Dans le courant de l'année 2015, la Sasu Gelec a missionné un expert indépendant qui a conclu à une non conformité du modèle TIGER 110/100 YC aux normes CE.

Par jugement du 16 juin 2017, le tribunal de commerce de mer et de terre du Havre, saisi par la Sasu Gelec sur le fondement de la garantie des vices cachés, s'est déclaré compétent et a réservé toute condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire en date du 2 mars 2018, le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre a statué ainsi qu'il suit :

- reçoit la Sasu Gelec en ses demandes, les déclare partiellement fondées,

- condamne la société Yihua à payer à la Sasu Gelec la somme de 476 711 euros,

- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts au titre de l'atteinte à son crédit commercial,

- déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes,

- condamne la société Yihua aux dépens, non compris les frais non justifiés de traduction de l'acte introductif d'instance en langue chinoise, ceux visés à l'article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 145,70 euros à payer à la SASU Gelec, outre la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 18 juillet 2019, la société Yihua a interjeté appel de la décision.

Par conclusions notifiées le 14 octobre 2019, elle demande à la cour d'appel de :

- réformer le jugement querellé en toutes ses dispositions et au principal, en application des dispositions de l'article 24 du règlement UE N° 593/2008 Rome I,

- entendre la cour se déclarer incompétente au profit de la Cour populaire Moyenne de Ningde du B en A, au subsidiaire, en application des dispositions de l'article 4-1. A) du règlement UE N° 593/2008 Rome I,

- entendre la cour se déclarer incompétente au profit de la Cour populaire Moyenne de Ningde du B en A, à titre extrêmement subsidiaire,

- débouter la Sasu Gelec de toutes ses demandes, fins et conclusions et en particulier de ses demandes en paiement, en tout état de cause,

- débouter la Sasu Gelec de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la Sasu Gelec à payer à la concluante la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que la compétence est déterminée par l'article 265 de la loi de procédure civile de la République Populaire de A et non par le règlement 'Rome 1" et qu'en toute hypothèse, même à considérer ce règlement applicable, les juridictions chinoises seraient compétentes à raison de sa résidence habituelle. Les bons de commande, non traduits, seraient irrecevables, et l'expertise inopposable comme non contradictoire.

Par dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2020, la Sasu Gelec demande à la cour d'appel, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, 643 du code de procédure civile, 14 du code civil, 46 du code de procédure civile, de la convention de Vienne du 11 avril 1980, du règlement UE 593/2018, des articles 1641 et suivants du code civil, 901 et 954 du code de procédure civile de :

- déclarer irrecevables les conclusions de la société Yihua en ce qu'elles tendent à ce que la Cour d'appel de céans se déclare incompétente au profit de la Cour populaire Moyenne de Ningde du B en A; subsidiairement, rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Yihua,

- confirmer le jugement du 2 mars 2018 du tribunal de commerce du Havre en ce qu'il a :

. condamné la société Fujian Yihua Electrical Machinery Co LTD au paiement de la somme de 476 711euros au titre de la mise en conformité des groupes électrogènes,

. condamné la société Fujian Yihua Electrical Machinery Co LTD au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement du 2 mars 2018 du tribunal de commerce du Havre en ce qu'il a rejeté la demande formée par la Sasu Gelec au titre de l'atteinte à son crédit commercial,

- statuant à nouveau, condamner la société Yihua à payer à la Sasu Gelec la somme de 20 000 euros au titre de l'atteinte à son crédit commercial,

- débouter la société Fujian Yihua Electrical Machinery Co LTD de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Fujian Yihua Electrical Machinery Co LTD au paiement à la Sasu Gelec d'une somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de traduction de l'acte introductif d'instance en langue chinoise, que la Selarl Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux la concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'exception d'incompétence est irrecevable pour ne pas être mentionnée dans la déclaration d'appel, et qu'aucun contredit n'a été formé à l'encontre du jugement rendu le 16 juin 2017. Elle précise qu'elle avait bien spécifié à la société Yihua, avant le début de leurs relations commerciales, que les groupes électrogènes devaient respecter les normes de conformité CE, ce qui n'est pas le cas pour 1 000 d'entre eux.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2021, et l'affaire, plaidée à l'audience du 28 juin 2021, a été mise en délibéré au 22 septembre 2021.

MOTIFS

Sur la compétence des juridictions françaises

Il résulte de l'application combinée des articles 1er et 53 du décret n°2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile que la procédure de contredit, régie par l'ancien article 80 du code de procédure civile, est restée applicable aux décisions rendues jusqu'au 1er septembre 2017.

En application de cet article, la procédure de contredit était la seule voie de recours contre les décisions statuant sur la compétence sans se prononcer sur le fond.

Par jugement contradictoire en date du 16 juin 2017, le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre a statué sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Yihua au profit des juridictions chinoises et sur l'incident relatif à la communication des bons de commande en langue chinoise, puis renvoyé les parties à conclure au fond.

Cette décision relevait donc de la procédure de contredit. Dès lors que la juridiction a retenu sa compétence, cette voie de recours aurait dû être exercée dans les 15 jours de la décision en application des 81 et 82 alinéa 2 du code de procédure civile.

Il doit du reste être relevé que le jugement du 2 mars 2018 qui fait l'objet de l'appel ne statue pas sur la compétence, et que la cour ne saurait en être saisie à raison de l'effet dévolutif de la déclaration d'appel qui ne mentionne pas davantage cette exception.

Il y a donc lieu de constater l'absence d'effet dévolutif.

Sur le fond

Les parties n'ont pas formulé d'option quant au droit applicable et l'applicabilité du droit français au litige est contestée par la société Yihua.

La Sasu Gelec soutient que le contrat serait régi par la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale puis, remarquant que cette convention ne prévoit pas la sanction d'un vice caché, notion sur laquelle elle souhaite fonder ses demandes, elle soutient ensuite que la détermination de la loi applicable serait déterminée par le règlement 593/2008 dit 'Rome I'. Il conviendrait, en application de son article 4 paragraphe 3, de mettre en oeuvre le droit français au regard des liens étroits entretenus avec la France, territoire sur lequel les groupes électrogènes devaient être écoulés. Se fondant sur l'article 1641 du code civil, la Sasu Gelec soutient dès lors que l'impropriété à destination des groupes électrogènes procéderait de leur non conformité à la réglementation CE, qui empêche leur commercialisation, et serait établie aux termes du rapport d'expertise amiable versé au débats.

La société Yihua conclut à l'infirmation et au déboutement. Elle considère que la question de la détermination de la juridiction compétente et celle du droit applicable au fond ne peuvent être distinguées, et que si le règlement 'Rome I' était applicable, il conviendrait d'appliquer la loi chinoise à raison de la résidence habituelle du vendeur. En tout état de cause, elle s'oppose aux demandes au regard de l'absence de force probante du rapport d'expertise, réalisé sans respect du contradictoire.

Le règlement 'Rome I' est, aux termes de son article 2, d'application universelle, si bien qu'il est susceptible de s'appliquer dès lors que la juridiction d'un état membre est saisie, et que le litige répond d'un point de vue matériel à son champ d'application. Il résulte toutefois de son article 25 § 1 que ce règlement n'affecte pas les conventions internationales conclues par les Etats membres qui règlent les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles.

La France et la A sont parties toutes deux par la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale. Cette dernière s'applique donc aux ventes de marchandises conclues entre deux sociétés ayant leur établissement dans ces deux pays. La convention de Vienne s'interprète de façon autonome en application de son article 7, et constitue le droit substantiel français en matière de vente internationale. Dès lors qu'elle n'a pas été exclue par les parties, elle s'impose au juge français qui doit en faire application. Elle constitue donc le fondement adéquat des demandes formées.

En application de l'article 35 de cette convention, le vendeur est tenu d'une obligation de délivrance qui porte sur la qualité des produits vendus, qui doit être propre aux usages habituels et à tout usage spécifique rentré dans le champ contractuel. Il résulte de l'article 36 du même texte que le vendeur est responsable des non conformités.

Il ressort de la facture et du certificat, traduits et versés en pièce n° 1 à 3, que les matériels ont été vendus accompagnés d'un certificat de conformité CE. Il est constant qu'ils ont été livrés en France et que cette conformité était un élément intrinsèque de leur qualité au sens de l'article 35 ci dessus. Il s'agissant en outre d'une condition de commercialisation par l'acheteur.

Il revient toutefois à la Sasu Gelec, afin d'être accueillie en ses demandes, de démontrer la réalité du défaut de conformité aux normes CE qu'elle allègue. A cette fin, elle verse essentiellement un document intitulé ' évaluation de l'état de conformité d'un équipement de travail' dressé par M. D X, consultant.

Cette pièce est communiquée aux débats. Il ne s'agit pas d'une expertise judiciaire et elle a été soumise au contradictoire, tant en première instance qu'en appel. Elle est donc pleinement opposable au vendeur.

Sa force probante est toutefois insuffisante pour établir la preuve nécessaire au succès des prétentions de l'intimée.

En premier lieu, il n'est pas établi par la Sasu Gelec que M. D X, ou la Sarl Talorig, quelle que soit leur impartialité, disposeraient des compétences techniques nécessaires pour établir la non conformité des groupes électrogènes litigieux.

Cet étude porte en outre sur un seul exemplaire d'un modèle TIGER 110/100 YC, alors que les bons de commande versées en pièce n° 1 et 2 permettent d'établir que 42 machines de 6 modèles différents ont été commandés, sans qu'il soit référence au modèle ci dessus. Le certificat de conformité porte quant à lui sur un modèle ESG 1000 ESG 2002.

Il n'est donc pas établi que le modèle étudié par M. D X, quelles que soient sa compétence et sa légitimité pour ce faire, soit bien concerné par le présent litige.

Par ailleurs, l'étude de coût versée en pièce n°8, censée établir le chiffrage de la remise aux normes à hauteur de 476 711 euros HT, a été réalisée par un bureau d'étude Gelec Energy, dont les liens avec l'intimée la Sasu Gelec ne sont pas précisés. Sa valeur probante est particulièrement faible, et elle ne précise d'ailleurs pas les références des modèles à reprendre, au nombre de 1 000, alors que le facturation ne porte que sur 42 machines.

Les pièces versées sont donc insuffisantes à établir le bien fondé de la demande en paiement, si bien que la décision querellée doit être infirmée et l'ensemble des demandes rejetées.

La Sasu Gelec succombe à l'instance et sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile est accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Constate l'absence d'effet évolutif s'agissant de l'exception d'incompétence au profit des juridictions chinoises, la cour n'étant dès lors pas régulièrement saisie de l'exception,

Infirme la décision querellée,

Déboute la Sasu Gelec de ses demandes,

Condamne la Sasu Gelec aux dépens de première instance et d'appel ;

Admet la Selarl Gray Scolan, avocats associés au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.