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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 11 janvier 2024, n° 22/03268

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Colodge (SAS)

Défendeur :

Mozart Investissement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me Le Roy, Me Berger, Me Magneron, Me Cousin

T. com. Lille Métropole, du 26 avr. 2022…

26 avril 2022

FAITS ET PROCEDURE

La société Mozart investissement a une activité de marchand de biens immobiliers et a proposé, courant 2019, la vente d'un immeuble, situé [Adresse 2], à la société Colodge, spécialisée dans la création et la gestion d'espaces en collocation.

Des échanges sont intervenus en les parties.

Par courrier recommandé du 14 février 2020, le notaire de la société Mozart investissement a mis en demeure la société Colodge de régulariser sous quinzaine la promesse de vente conformément aux termes de son offre d'achat du 9 décembre 2019, indiquant que faute de signature, elle s'estimerait déliée de tout engagement, pourrait remettre l'immeuble à la vente et entendrait demander l'indemnisation de l'immobilisation du bien.

Par courrier du 20 avril 2020, le même notaire a mis en demeure la société Colodge de payer une indemnité de 10 % du prix de vente net vendeur de l'immeuble, soit la somme de 81 500 euros.

La société Colodge, par un courrier simple du 12 mai 2020 invoquait n'avoir fait qu'une offre de pourparlers, de nombreux points demeurant à négocier.

Le 16 juillet 2020, un compromis de vente sur l'immeuble litigieux a été signé avec un autre acheteur pour le prix de 775 000 euros.

Le 9 novembre 2020, la société Mozart investissement a assigné la société Colodge devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, lequel, par jugement du 26 avril 2022, a :

- dit que la vente est devenue parfaite le 11 décembre 2019

- dit que la vente a été rompue à l'initiative de la SAS Colodge

En conséquence,

- condamné la société Colodge à payer à la société Mozart investissement la somme de 40.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier

- condamné la société Colodge à payer à la société Mozart investissement une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit

- condamné la société Colodge à supporter les entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 73.24 € (en ce qui concerne les frais de Greffe).

Par acte du 7 juillet 2022, la SAS Colodge a interjeté appel en critiquant l'ensemble des chefs.

PRÉTENTIONS

Par conclusions signifiée le 3 avril 2023, la SAS Colodge demande à la cour, au visa des articles 1113 et suivants du code civil, des articles 1112-1 et suivants du code civil, des articles 1130 et 1133 du code civil, de :

- réformer en intégralité la décision [...]

et, statuant à nouveau,

- débouter la société Mozart investissement de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Mozart investissement au paiement de la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'à une amende civile de 10 000 euros ;

- condamner la société Mozart investissement au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 4 janvier 2023, la société Mozart investissement demande à la cour au visa de l'article 1583 du code civil, des articles 1113 et 1121 du code civil, de l'article 1231-1 du code civil, de l'article 1158 du code civil, de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il :

- l'a déboutée de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires ;

- le confirmer pour le surplus

et statuant à nouveau:

- condamner la société Colodge à lui payer une indemnité de 181 000 € en réparation de son entier préjudice financier, en sus de la somme de 40 000 € correspondant à la perte sur le prix de vente effectif de l'immeuble ;

- condamner la même à lui payer une indemnité de 10 000 € en réparation de son préjudice moral et pour résistance abusive ;

En tout état de cause

- débouter la SAS Colodge de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la SAS Colodge à lui payer une indemnité de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SAS Colodge à supporter les entiers frais et dépens des procédures de première instance et d'appel, dont les frais de recouvrement forcé de sa créance.

****

Par message RPVA du 10 octobre 2023, la cour a, à toutes fins, et à supposer établies les fautes invoquées, s'agissant des demandes concernant le préjudice subi, notamment le préjudice en lien avec la perte financière et la perte de plus-value, attiré l'attention des parties sur le fait que le préjudice dont la réparation est sollicitée semble devoir s'analyser en une perte de chance. Aucune des parties n'ayant invoqué spécifiquement cette notion ainsi que ses modalités propres d'indemnisation, elles ont été invitées à faire toutes observations tant sur le moyen soulevé d'office que sur ses conséquences en termes d'indemnisation éventuelle.

La société Mozart investissement a adressé une note en délibéré le 24 octobre 2023 et la société Colodge a fait de même le 27 octobre 2023.

Par message RPVA du 14 novembre 2023, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la validité de l'acceptation par M. [F], même en dehors des pouvoirs et procédures reconnus statutairement, en application des dispositions de l'article L 225-56 du code de commerce.

Chacune des parties a adressé une note sur ce point.

Par message RPVA du 22 novembre 2023, faisant suite des explications données par la société Mozart investissements dans sa note en délibéré adressée le 21 novembre 2023 ainsi que de la pièces jointe à ce message, et dans la mesure où la cour pourrait être amenée à tenir compte de la pièce ainsi versée, la cour a entendu recueillir les observations de la société Colodge spécifiquement sur les moyens contenus dans la note précitée ainsi que sur l'acte communiqué, et ce avant le 28 novembre 2023.

La société Colodge n'a adressé aucune note en réponse.

Motivation

MOTIVATION

Conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est pas saisie de la demande d'exclusion des débats de la pièce n° 3 de la société Colodge, figurant uniquement dans les motifs des écritures de la société Mozart investissement. Il n'y sera donc pas répondu.

En dépit de la présentation choisie par la société Colodge, la logique commande d'examiner la nature des échanges entre les parties, avant d'envisager la validité de l'acceptation donnée, puis de statuer sur les conséquences juridiques et indemnitaires liées au dénouement de cette opération.

I - Sur la nature des échanges entre les parties

La société Colodge estime qu'il ne peut exister de vente dès lors qu'il n'est pas démontré que l'acceptation a été contresignée par une personne en capacité de représenter la société Mozart investissement. La personne du signataire est non identifiée et en l'absence de preuve de l'identité de l'auteur du bon pour accord, de sa capacité à représenter la société Mozart investissement et de son pouvoir de vendre le bien lui appartenant, il ne peut être conclu qu'à l'inexistence de tout acte juridique créateur d'obligations.

La société Colodge pointe que son offre ne constituait qu'une simple invitation à entrer en pourparlers, bien distincte d'une offre, marquant la volonté ferme et précise de s'engager. Tout le raisonnement de la société Mozart repose sur l'existence d'un avant-contrat qui n'existe pas.

La société Colodge estime que l'analyse de la jurisprudence démontre que l'acceptation d'une offre ne peut valoir vente parfaite qu'à la condition que les parties soient prêtes à passer à la signature de la vente définitive, et donc que tous les paramètres de la vente aient fait l'objet d'un accord parfait des parties et que les parties n'aient pas fait de la signature d'un avant-contrat une condition déterminante.

Elle ajoute qu'en l'espèce, les parties avaient prévu de passer par le stade de la promesse, laquelle était concrètement en cours de rédaction, ce qui démontre sans équivoque qu'elles avaient entendu faire de cette dernière un élément déterminant de la vente. Des discussions étaient en cours sur des points essentiels et notamment sur la question cruciale des autorisations d'urbanisme pour modifier la destination de l'immeuble.

La société Colodge précise que la possibilité d'avoir une activité de colocation dans l'immeuble était une condition essentielle et connue du propriétaire et de l'agent immobilier.

La communication de plans de colocation précédemment réalisés par la venderesse lui a laissé croire qu'outre la destination annoncée comme mixte des locaux, la mairie lilloise était disposée à consentir une destination à usage d'habitation en vue de réaliser une colocation. La découverte postérieurement à l'offre d'une difficulté sérieuse et les échanges qui en ont découlé démontrent que les parties n'étaient pas d'accord sur un élément essentiel, la société Mozart investissement connaissant l'opposition de la ville de [Localité 5] à ce projet.

La société Colodge indique qu'elle ne pouvait donc pas prendre le risque de signer une promesse sans condition suspensive de changement d'usage et de destination d'un bien qu'elle n'aurait pu exploiter à défaut. La rédaction de la promesse a en outre révélé d'autres difficultés, notamment la découverte de parkings déjà loués, la découverte de ce que l'immeuble était dans un périmètre de protection des monuments historiques, impliquant des restrictions fortes à tout aménagement, extension, ou modification du bien, ou la découverte du diagnostic technique, pointant la présence d'amiante.

En réponse, la société Mozart investissement estime que les parties se sont incontestablement accordées sur la chose et sur le prix, rendant la vente parfaite, et ce dès le 11 décembre 2019. Elle expose que la société Colodge ne peut désormais soutenir le contraire, alors qu'elle avait marqué sa volonté, sans la moindre ambiguïté, en cas d'acceptation de son offre ferme d'achat, aucune condition suspensive et aucun délai contractuel de rétractation n'ayant été énoncés.

La société Mozart investissement expose que l'absence de pouvoir de représentation de l'agent immobilier, disposant d'un simple mandat d'entremise, ne peut être valablement opposé, dès lors que ce dernier n'a signé aucun document pour son nom et pour son compte et/ ou pour le nom et pour le compte de la société Colodge.

La société Mozart investissement précise que suivant la demande expresse de la société Colodge, l'offre a été signée par le biais de M. [F], son représentant légal, la validité de cette acceptation de l'offre ne pouvant désormais être contestée, d'autant qu'en cas de doute sur les pouvoirs, la société Colodge aurait pu l'interroger.

La société Mozart investissement plaide que l'offre de la société Colodge ne précise absolument pas, même implicitement, le souhait désormais de la société Colodge de conditionner la vente à la régularisation d'un avant-contrat. Il ne peut être déduit de la simple indication du nom du notaire qu'il ne s'agissait, de manière implicite, que de pourparlers sans renonciation aux conditions suspensives habituelles et particulières susceptibles d'accompagner une vente.

Si la cour retenait que l'offre n'était qu'une invitation à de simples pourparlers, la société Mozart investissement pointe que la société Colodge les a de toute évidence rompues abusivement.

La société Mozart conteste la lecture faite par la société Colodge de la réponse de la mairie de [Localité 5], laquelle a répondu uniquement que si le projet de colocation était maintenu, une demande d'autorisation d'urbanisme devrait nécessairement être déposée. Elle fait remarquer que la société Colodge, en sa qualité de professionnelle de la création et de la gestion des espaces de colocation, est rompue aux démarches et autorisations nécessaires à l'aboutissement de tels projets, et qu'elle a fait en l'espèce choix d'émettre une offre ferme et sans réserve, avant d'interroger la mairie, ce qui ne relève que de sa seule responsabilité.

La société Mozart investissement estime la défense de la société Colodge fallacieuse sur ce point, comme sur le fait que les pourparlers auraient échoué en raison de la découverte d'une discothèque à côté du bien. Il en est de même pour la découverte des parkings, la société Colodge ayant visité par deux fois l'immeuble, le propriétaire comme l'agent immobilier ayant été transparents avec elle sur ce point.

Réponse de la cour

Aux termes des dispositions de l'article 1583 du code civil, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

Suivant l'article 1114 du code civil, l'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.

L'article 1115 du code civil précise qu'elle peut être librement rétractée tant qu'elle n'est pas parvenue à son destinataire.

En vertu des dispositions de l'article 1118 du code civil, l'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être liée dans les termes de l'offre. [']. L'acceptation non conforme à l'offre est dépourvue d'effet, sauf à constituer une offre nouvelle.

L'article 1121 du code civil précise que le contrat est conclu dès que l'acceptation parvient à l'offrant. Il est réputé l'être au lieu où l'acceptation est parvenue.

Il s'ensuit qu'à une offre valable, qui doit être non seulement précise, renfermant les éléments essentiels du contrat projeté, mais également ferme, c'est-à-dire manifestant la volonté d'être liée en cas d'acceptation, doit correspondre une acceptation, portant sur les éléments essentiels du contrat projeté sans aucun élément de contre-proposition, lequel disqualifierait alors immédiatement l'acceptation en offre.

Il est nécessaire que ces deux éléments du consentement se rencontrent et se correspondent exactement, la Cour de cassation contrôlant uniquement l'appréciation faite par les juges du fond pour déterminer si les parties ont, ou non, dépassé le stade des pourparlers.

Les parties peuvent, d'un commun accord, soumettre la rencontre de leur volonté respective de vendre et/ou d'acquérir à la conclusion d'un avant-contrat, de sorte que les échanges antérieurs ne sont que de simples pourparlers.

Contrairement à ce que soutient la société Colodge, l'offre est valable et peut valoir vente sans qu'il y ait nécessité d'un accord parfait sur tous les paramètres de la vente, dès lors que les volontés se sont rencontrées sur les éléments essentiels du contrat.

En l'espèce, le courrier du 9 décembre 2019 de la société Colodge, clair et sans équivoque, porte offre expresse de cette dernière en vue d'acquérir l'immeuble de la société Mozart investissement.

Les caractéristiques déterminantes de l'offre y sont précisées, puisqu'y sont décrits les éléments essentiels du bien sur lesquels l'offre porte, à savoir, sous l'intitulé : " conditions générales " : sa surface, sa destination de bureaux et l'existence de quatre places de parking, ainsi que les conditions financières de cette offre, soit le prix d'acquisition de 815 000 euros net vendeur, et la prise en charge par l'acquéreur des honoraires de commercialisation à hauteur de 35 000 euros outre la précision sous la rubrique " conditions particulières " que cette offre était sans aucune condition suspensive, plus particulièrement de financement.

Il existe une détermination précise tant, d'une part, de l'objet dont la vente est envisagée, sans réserve et restriction de quelques natures que ce soit, ledit courrier précisant que le bien a pu être visité par l'offrant, que, d'autre part, du prix, lequel est énoncé avec le détail de la charge des frais, sans condition suspensive liée à un quelconque financement.

Il y est par ailleurs fixé un délai de validité à cette offre laquelle " est valable jusqu'au 13 décembre 2019 à 18 h ".

Les termes mêmes du courrier marquent la volonté définitive de la société Colodge d'être liée par la présente offre en cas d'acceptation, puisqu'elle y annonce " confirm[er] notre accord ferme pour l'achat des locaux repris en objet aux conditions suivantes " (souligné par la cour), et invite l'agent immobilier à " recueillir l'accord du propriétaire sur la présente ".

La précision d'un " accord ferme ", renforcée par la durée de validité de l'offre, l'invitation à recueillir l'acceptation rapide du propriétaire sur les termes de ce courrier, qui étaient particulièrement détaillés, et l'emploi de l'indicatif, confortent le fait qu'il ne s'agissait nullement de simples pourparlers ou de négociations avant la rédaction d'un avant-contrat.

La seule indication portée dans la rubrique " conditions générales " des " coordonnées de notre notaire : Bremens Notaires [Adresse 3] ", qui peut s'expliquer dans une matière soumise au monopole des notaires, n'est pas, au vu des éléments ci-dessus décrits, suffisante pour établir que les parties auraient subordonné l'efficacité de la vente et de leurs échanges de volonté à la rédaction d'un avant-contrat.

Or, a été communiqué, le 11 décembre 2009, conformément à la demande de la société Colodge, par apposition de la " mention bon pour accord" sur le courrier du 9 décembre 2019, une acceptation de l'offre, sans réserve ni restriction, le courriel d'envoi de ce document, à l'agent immobilier, indiquant uniquement : " notre notaire qui nous lit va prendre contact avec le notaire du vendeur ".

La contestation qu'élève la société Colodge sur l'identité du signataire de l'offre, déduisant de la " signature non identifiable, non nominale, non paraphée, non tamponnée " qu'elle n'a aucune valeur légale, est vaine dès lors qu'il ressort clairement des pièces du dossier que la signature apposée, revendiquée par M. [X] [F], est identique à celle qui a été apposée au nom et pour le compte de la société Mozart investissement sous l'identité [X] [F] [P], en qualité de représentant légal de cette société, sur le compromis de vente établi le 16 juillet 2020 et sur l'acte de vente du 5 septembre 2019, et enfin qu'il ressort de l'extrait société.com que M. [F] [X] est le président de cette dernière société.

Or, conformément aux dispositions des articles L. 227-6 et L. 227-9 du code de commerce, applicable aux société par actions simplifiées, ce qu'est la société Mozart investissement, comme en atteste son extrait K-bis et les statuts communiqués, non critiqués par la société Colodge, la société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts, ce dernier étant investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social, étant précisé que " dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve [']. Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers ".

En l'espèce, les statuts de la société Mozart investissement stipulent que celle-ci est représentée, dirigée et administrée par un président lequel représente la société dans ses rapports avec les tiers et est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société, laquelle, dans ses rapports avec les tiers, est engagée même par les actes qui ne relèvent pas de l'objet social (article 16 des statuts). Les pouvoirs du président ne sont ni limités ni conditionnés à une autorisation préalable de l'assemblée des actionnaires, dont la compétence est strictement encadrée par l'article 20.

Il s'ensuit que M. [F], en sa qualité de président, avait parfaitement pouvoir et qualité pour engager la société à l'égard des tiers dans un acte qui entrait dans l'objet social même de la société et ainsi accepter l'offre émise par la société Colodge, rendant vaine l'argumentation contraire de cette dernière.

Dans ces conditions, l'acceptation ainsi régularisée, dans le délai fixé par l'offre, par M. [F], est valable et a été formulée sans réserve et restriction le 11 décembre 2019.

La société Colodge ne peut s'emparer de la transmission ultérieure d'un projet de promesse unilatérale de vente pour en déduire que la vente avait été subordonnée à la régularisation d'un avant-contrat et qu'existaient des négociations en cours sur les paramètres de la vente postérieurement à l'offre litigieuse et à l'acceptation.

Les pièces du dossier établissent en effet que la promesse unilatérale de vente, transmise par le notaire de la société Mozart investissement, reprend exactement les éléments essentiels tels que déterminés par l'offre et l'acceptation échangées, quand bien même y figurent d'autres éléments portant sur des détails ou des éléments complémentaires, mais non fondamentaux.

Les annotations sur le projet de promesse transmis et les courriels du notaire de la société Colodge mettent en lumière la volonté de cette dernière de rediscuter avec la société Mozart investissement des termes de l'accord.

Aucun élément n'établit que la société Mozart investissement ait été dans le même esprit, la promesse n'étant que la réitération, certes plus détaillée, des termes de son acceptation, et les annotations ou questionnements unilatéraux de la société Colodge sur ce document ne démontrant aucunement des pourparlers persistants ou repris entre les parties.

La société Colodge échoue à démontrer l'existence de négociations encore en cours entre les parties et postérieures au courrier du 9 décembre 2019 et son acceptation, alors que ce courrier exprime la volonté de son auteur d'être liée en cas d'acceptation, laquelle est intervenue sans réserve et restriction sur les termes même de l'offre le 11 décembre 2019.

Enfin, la société Colodge ne peut arguer de conditions cruciales et connues du vendeur, sans lesquelles elle n'aurait pas conclu, pour revenir sur l'offre sans restriction et réserve faite et acceptée ou contester l'accord des parties sur les termes de la vente.

Elle n'a soumis son offre à aucune condition d'aménagement des locaux en colocation ou d'autorisation d'urbanisme, ayant, au contraire, fait figurer dans les éléments descriptifs de son bien la destination de bureaux des locaux, ce qui, en sa qualité de professionnelle spécialisée dans la création et la gestion d'espaces en collocation, ne pouvait que l'alerter.

L'échange des volontés des parties au titre de l'offre émise le 9 décembre 2019, sans restriction, ni réserve, et portant sur les éléments essentiels de la vente, à savoir l'objet précisément identifié et le prix, est parfait et vaut vente intervenue le 11 décembre 2019.

II- Sur le préjudice tenant à la non-réitération de la vente

Sur la demande indemnitaire de la société Mozart investissement, la société Colodge fait valoir qu'aucune indemnité d'immobilisation, qui n'est prévue par aucun acte signé des deux parties, ne peut exister. En outre, les discussions n'ont duré que 3 mois, la société Colodge étant étrangère au fait, qu'en raison du confinement, les parties aient mis 6 mois à réitérer la vente.

Elle souligne le caractère purement hypothétique du préjudice invoqué.

Par note en délibéré du 27 octobre 2023, la société Colodge souligne le caractère purement théorique du raisonnement de la société Mozart investissement sur la plus-value et estime que cette société n'a absolument pas réinvesti la plus-value faite sur cette opération.

La société Colodge précise qu'en matière de rupture des pourparlers, l'article 1112, alinéa 2 du code civil dispose que " la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages ", consacrant ainsi une jurisprudence ne reconnaissant pas de lien direct entre la rupture des pourparlers et la perte de chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat, qui est précisément le cas en l'espèce.

La société Colodge souligne qu'aucune chance n'a été perdue par la société Mozart investissement, laquelle a effectivement revendu le bien quelques mois plus tard, réalisant ainsi une plus-value, bien que légèrement moindre.

En réponse, la société Mozart investissement conclut à la résolution de la vente aux torts de la société Colodge, aucune preuve des négociations courant janvier 2020 n'étant apportée et la société Colodge ne pouvant remettre en cause la vente qui s'est formée, en ce compris sur les fondements d'un prétendu défaut d'information, du dol, et de l'erreur, qui ne sont pas démontrés en l'espèce.

La société Mozart investissement sollicite l'indemnisation de son préjudice, lequel réside dans l'immobilisation de l'immeuble, dans la vente de ce dernier à un prix de 40 000 euros inférieur à celui offert par la société Colodge et accepté, dans les frais de portage depuis cette immobilisation, dans la perte de la plus-value de l'ordre de 115 000 euros, dans la perte financière née de l'impossibilité d'investir la plus-value dans une opération immobilière de 2 millions d'euros, qui lui aurait permis de dégager une nouvelle plus-value. Un préjudice moral s'ajoute également à ces postes, outre un préjudice né de la résistance abusive.

Par note en délibéré en date du 24 octobre 2023, la société Mozart investissement indique que :

- les demandes indemnitaires relatives à la perte de 40 000 euros sur le prix de vente et aux frais de portage exposés pendant l'immobilisation du bien, ne peuvent être remises en cause dans la mesure où elles correspondent à une perte de gain certaine, effective et démontrée, ce qui porte le préjudice à une somme minimale de 75 800 euros ;

- en sa qualité de marchand de bien, elle aurait nécessairement réinvesti dans la foulée de l'opération avec la société Colodge, la plus-value qu'elle en aurait retiré (soit la somme de 115 000€, à savoir : prix de vente 815 000 € - prix d'achat 700 000 €), pour générer une nouvelle plus-value, les agissements de la société Colodge lui ayant fait manquer cette chance ;

- cette perte de chance n'est pas purement hypothétique, mais bien certaine. Au vu de sa qualité de marchand de bien, cette perte peut raisonnablement être estimée à 99% puisqu'elle procède systématiquement à une étude de la faisabilité et des risques de l'opération immobilière qu'elle s'apprête à réaliser, tout en s'assurant d'avoir dans son réseau des acheteurs intéressés ;

- concernant le quantum de ce préjudice de perte de chance, l'immeuble acheté initialement au prix de 700 000 € devait être revendu à la société Colodge pour un montant de 815 000 € ce qui aurait permis de générer une plus-value de l'ordre de 115 000 € (soit une plus-value d'environ 16,5%), qu'elle aurait nécessairement réinvestie dans le cadre de son activité ;

- la chance de réinvestir sa plus-value peut donc raisonnablement être estimée à 99%, n'ayant aucun intérêt à ne pas faire fructifier cette plus-value, ce d'autant que le marché de l'immobilier présentait à l'époque des conditions favorables ;

- pour générer plus de marge, après une opération réalisée à hauteur de 815 000 €, elle aurait investi dans une opération à hauteur de 1 000 000 €, ce qui aurait induit une plus-value de l'ordre de 200 000 € (soit une plus-value de 20%), portant le préjudice de perte de chance de retirer une nouvelle plus-value de 200 000 € à 99%.

Réponse de la cour

Le préjudice doit être direct, certain et présent. La réparation du préjudice doit être intégrale.

Il appartient dès lors à celui qui s'en prévaut d'apporter la preuve d'un préjudice, d'une faute et d'un lien de causalité.

Le préjudice de la perte de chance peut présenter en lui-même un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par hypothèse, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine.

En cas de perte de chance, la réparation du dommage ne peut être que partielle. Elle est mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

En l'espèce, la société Colodge n'a pas voulu réitérer la vente, ne donnant pas suite aux échanges l'invitant à régulariser la vente sur ledit bien, alors que son offre d'achat, sans condition ni réserve, et non rétractée le 11 décembre 2009, avait été dûment acceptée, dans le délai fixé, sans restriction par la société Mozart investissement.

Cette rupture aux torts de la société Colodge est fautive, ce qui justifie la confirmation de la décision en ce qu'elle a dit la vente parfaite et a constaté qu'elle avait été rompue aux torts de la société Colodge.

Cette rupture fautive ouvre droit à réparation du préjudice subi au profit de la société Mozart investissement.

- sur la moins-value :

L'immeuble litigieux, pour lequel l'offre acceptée prévoyait un prix de 815 000 euros net vendeur, n'a été vendu, suivant compromis de vente du 16 juillet 2020 que pour un montant de 775 000 euros, ce qui constitue non une simple perte de chance mais un gain manqué de 40 000 euros, qu'il appartient à la société Colodge de réparer.

A juste titre, les premiers juges ont condamné la société Colodge à indemniser la société Mozart investissement de ce gain manqué. La décision est donc confirmée de ce chef.

- sur l'indemnisation de l'immobilisation

La société Mozart investissement se prévaut également d'une immobilisation devant être indemnisée à hauteur de 10 % du prix de vente net vendeur de l'immeuble, par application des clauses d'indemnisation prévues dans les documents contractuels et conformément aux usages, soulignant que l'immeuble a été immobilisé bien au-delà du 1er mars 2020, et n'a été vendu qu'aux termes d'un compromis de vente du 16 juillet 2020, réitéré le 15 décembre 2020.

En premier lieu, il sera observé que l'application usuelle d'une indemnisation à hauteur de 10% du prix de vente net vendeur, invoquée par la société Mozart investissement pour justifier sa demande de ce chef, n'est établie par aucun élément objectif. La société Mozart ne peut de plus se retrancher derrière les termes de la promesse de vente, qu'elle a elle-même rédigée pour établir cet usage.

En second lieu et surtout, la réalité du préjudice qui est invoqué n'est pas démontrée par la société Mozart et la durée alléguée de l'immobilisation n'est pas en lien direct et certain avec la faute reprochée, compte tenu des conséquences de la pandémie sur la vie économique.

Faute pour la société Mozart investissement d'apporter un quelconque élément objectif justifiant d'un préjudice d'immobilisation et de son montant, la décision entreprise est confirmée de ce chef.

- sur les frais de portage

La société Mozart investissement évoque un immeuble acquis sous convention de portage, l'exposant à des frais de portage conséquents depuis cette immobilisation.

Toutefois, la seule production, par la société Mozart investissement, de l'acte d'acquisition du bien litigieux en septembre 2019, qui confirme certes l'acquisition d'un bien fait à l'aide d'un prêt, n'est pas suffisante à établir cette allégation.

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La confirmation de la décision entreprise s'impose sur ce point.

- sur le préjudice de perte de la plus-value

De la seule opération prouvée au dossier, à savoir l'opération sur l'immeuble litigieux, acheté en 2019 par la société Mozart investissement pour un montant de 700 000 euros, objet de l'offre acceptée à hauteur de 815 000 euros et finalement revendu à un tiers le 16 juillet 2020 à hauteur de 775 000 euros, il ne saurait être tiré de règles générales valant preuve de la pratique invoquée par la société Mozart investissement d'opérations successivement réalisées en vue de générer des plus-values régulières et toujours d'un montant plus élevé.

C'est ainsi sans pièce suffisante et probante que la société Mozart investissement affirme que la plus-value que lui aurait permis d'effectuer l'opération avec la société Colodge, aurait nécessairement entraîné un investissement dans une nouvelle opération de plus grande envergure, qui aurait elle-même dégagé une nouvelle plus-value encore plus importante.

C'est tout autant sans aucun élément de preuve qu'elle invoque les études de faisabilité et de risques des opérations immobilières qu'elle réalise, sa pratique de réinvestissement rapide et régulier, ou encore les conditions favorables du marché de l'immobilier de l'époque, pour déterminer le montant de la plus-value qu'elle aurait perdue et la fixation de son pourcentage de chance à 99 %.

Dès lors, la demande de la société Mozart de ce chef ne peut qu'être rejetée, ce qui justifie la confirmation de la décision entreprise sur ce point.

- sur le préjudice moral et la résistance abusive

Il ressort des pièces du dossier qu'alors qu'une visite avait pu être opérée des locaux et que des échanges fournis avaient été entrepris entre les parties sur l'objet de la vente, que la société Colodge a fait, avec légèreté, une offre sans réserve ni restriction, octroyant au propriétaire du bien un délai très court pour se positionner sur ladite offre, ce qu'il a fait sans condition ni contre-proposition, avant de tenter par tous moyens de revenir sur sa volonté clairement exprimée d'acquérir.

Ces faits ont causé un préjudice moral à la société Mozart investissement qui a vu ainsi l'opération achopper et a été contrainte de relancer des négociations à une période peu propice, au regard de la pandémie, ce qui, au vu des éléments de la cour dispose, justifie l'octroi d'une somme de 10 000 euros en réparation de ce préjudice.

La décision entreprise est infirmée de ce chef.

III- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'amende civile

La société Colodge réclame une condamnation de la société Mozart investissement à des dommages et intérêts pour procédure abusive, le vendeur l'ayant mis en confiance par la transmission des plans d'architecte et le silence gardé sur la position de la ville de [Localité 5] et l'occupation des parkings. Elle indique pressentir le caractère artificiel de cette procédure qui n'a que pour objet de battre monnaie.

La société Mozart investissement se défend de tout abus, soulignant avoir été contrainte d'initier la présente procédure et de se défendre en appel, à la suite du refus opposé par la société Colodge à ses tentatives amiables.

Réponse de la cour

En vertu des dispositions des articles 1240 et suivant du code civil, l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.

La société Colodge a été déboutée de ses demandes et celles de son adversaire partiellement accueillies ce qui ne peut que conduire à rejeter sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, les faits invoqués au soutien de cette prétention n'étant, en outre, nullement constitutifs d'un abus du droit d'agir.

Le prononcé d'une amende civile relève de l'imperium du juge, une partie ne disposant du pouvoir que d'en suggérer le prononcé. La condamnation sollicitée par la société Colodge ne peut qu'être rejetée.

Il sera ajouté à la décision entreprise, les premiers juges n'ayant pas statué sur ces chefs pourtant repris dans l'exposé des prétentions de la société Colodge en première instance.

IV - Sur les dépens et accessoires

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Colodge succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens d'appel.

Les chefs de la décision entreprise relatifs aux dépens et à l'indemnité procédurale sont confirmés.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Colodge, tenue aux dépens d'appel, sera condamnée à hauteur de la somme fixée au dispositif de la présente décision au titre des frais irrépétibles d'appel, et débouté de sa propre demande de ce chef.

Il n'appartient pas à la cour de prononcer une condamnation de la société Colodge aux frais de recouvrement forcé de sa créance par la société Mozart investissement, d'autant qu'il n'en est démontré aucun.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 26 avril 2022 sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Mozart investissement au titre de son préjudice moral ;

Statuant du chef infirmé,

CONDAMNE la société Colodge à payer à la société Mozart investissement la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Y ajoutant,

REJETTE la demande d'amende civile présentée par la société Colodge ;

DEBOUTE la société Colodge de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société Colodge aux dépens d'appel.

CONDAMNE la société Colodge à payer à la société Mozart investissement la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande d'indemnité procédurale.