Livv
Décisions

CA Rennes, 5e ch., 18 octobre 2023, n° 19/03466

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LE PETIT LUCE (SARL), EMYMOLETTE (EURL)

Défendeur :

ZAM ZAM (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme LE CHAMPION

Conseiller :

Mme GOSSELIN

Avocats :

SELARL BNA, SELARL ASEVEN, Me Blond

CA Rennes n° 19/03466

17 octobre 2023

La société Le Gribiche a confié la location-gérance du fonds de commerce de restaurant à la société Emymolette à compter du 14 novembre 2018.

Soutenant que le refus du bailleur est abusif et sur autorisation donnée par ordonnance du 13 février 2019, les sociétés Le Gribiche et Emymolette ont fait assigner à jour fixe la société Zam Zam devant le tribunal de grande instance de Nantes par acte d'huissier du 20 février 2019.

Par jugement en date du 16 mai 2019, le tribunal de Nantes a :

- rejeté les demandes principales et accessoires des sociétés Le Gribiche et Emymolette,

- condamné in solidum les sociétés Le Gribiche et Emymolette à payer à la société Zam Zam la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des prétentions reconventionnelles de la société Zam Zam,

- condamné in solidum les sociétés Le Gribiche et Emymolette aux dépens, avec autorisation de recouvrement direct donnée à Me Virginie Javaux de la Selarl Aseven avocate au barreau de Nantes dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le 24 mai 2019, les sociétés Le Gribiche et Emymolette ont interjeté appel de cette décision.

Par acte en date du 20 novembre 2019, la SCI Zam Zam a donné congé à la société Le Petit Luce (anciennement dénommée Le Gribiche) pour le terme du bail, soit le 31 mai 2020. Ce congé était délivré avec offre d'indemnité d'éviction.

Le preneur a quitté les lieux le 29 mai 2020, ceux-ci ayant été repris par le bailleur.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 23 juin 2022, la société Le Petit Luce et l'Eurl Emymolette demandent à la cour de :

- déclarer recevables les demandes formulées par la société Le Petit Luce aux fins de voir condamner la SCI Zam Zam au paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 120 000 euros, ou à défaut de la voir condamner à lui payer la somme de 80 000 euros au titre de la perte de chance de vendre son fonds de commerce de restauration,

- débouter la SCI Zam Zam de toutes ses demandes,

- les accueillir en leur appel et le dire bien fondé,

- réformer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes et a accueilli la société Zam Zam en ses demandes d'article 700 du code de procédure civile et de condamnation aux dépens,

- constater l'évolution du litige en cours d'appel, et dire n'y avoir lieu à autoriser la cession du fonds de commerce,

- accueillir la société Le Petit Luce en ses demandes complémentaires et condamner la société Zam Zam au paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 120 000 euros,

- à défaut, condamner la société Zam Zam à payer à la société Le Petit Luce la somme de 80 000 euros au titre de la perte de chance de vendre son fonds de commerce de restauration,

- condamner la société Zam Zam au paiement de la somme de 890 euros versée par erreur au mois de juin 2020, outre un intérêt au taux légal à compter du 1er juin 2020,

- condamner la société Zam Zam au remboursement du dépôt de garantie à hauteur de la somme de 1 342 euros ainsi qu'à un intérêt sur cette somme au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres pour la somme de 671 euros depuis le 1er février 2017 et au taux légal à compter du 1er juin 2020 pour le surplus,

- constater que les requérantes respectent pleinement les clauses et obligations du bail,

- condamner la société Zam Zam au paiement d'une somme de 10 000 euros au bénéfice de la société Le Petit Luce en réparation de son préjudice,

- la condamner à payer à la société Emymolette une somme de 600 euros mensuels à compter du 14 novembre 2018 et jusqu'au mois de mars 2020, soit la somme de 9 600 euros,

- la condamner au bénéfice de la société Emymolette au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts,

- dire la SCI Zam Zam, infondée en son appel incident et la débouter de toutes ses demandes, celles-ci étant tant irrecevables qu'infondées,

- réformer le jugement en ce qu'il a les condamnées au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

- condamner la SCI Zam Zam au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 5 juin 2023, la société Zam Zam demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 16 mai 2019 en ce qu'il a :

* rejeté les demandes principales et accessoires des sociétés Le Gribiche et Emymolette ,

* condamné in solidum les sociétés Le Gribiche et Emymolette à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné in solidum les sociétés Le Gribiche et Emymolette aux dépens, avec autorisation de recouvrement direct donnée à Me Emmanuelle Blond de la Selarl Aseven avocate au barreau de Nantes dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- débouter les sociétés Le Petit Luce ex Le Gribiche et Emymolette de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions, consécutivement au départ du preneur des locaux loués,

Y ajoutant,

- juger irrecevable les demandes nouvelles formulées par la société Le Petit Luce aux fins de voir « condamner la société Zam Zam au paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 120 000 euros » et « à défaut, condamner la société Zam Zam à payer à la société Le Petit Luce la somme de 80 000 euros au titre de la perte de chance de vendre son fonds de commerce de restauration » en vertu des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile,

À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour jugeait recevable la réclamation formulée par la société Le Petit Luce ex Le Gribiche au titre de l'indemnité d'éviction,

- juger que la société Le Petit Luce ex Le Gribiche, laquelle ne peut justifier bénéficier des dispositions du statut des baux commerciaux, n'est pas fondée à réclamer une indemnité d'éviction à hauteur de la somme de

120 000 euros,

En conséquence,

- juger la société Zam Zam bien fondée à opposer à la société Le Petit Luce ex Le Gribiche la dénégation du statut des baux commerciaux,

- débouter la société Le Petit Luce ex Le Gribiche de sa demande de condamnation à son encontre au paiement d'une indemnité d'éviction à hauteur de la somme de 120 000 euros,

En toutes hypothèses,

- débouter les sociétés Le Petit Luce ex Le Gribiche et Emymolette de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum les sociétés Le Petit Luce ex Le Gribiche et Emymolette au paiement de la somme de 10 000 euros à son profit en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les sociétés Le Petit Luce ex Le Gribiche et Emymolette aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Emmanuelle Blond, avocate, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur la recevabilité des demandes non formées en première instance

La société Zam Zam soulève l'irrecevabilité des demandes formées par la société Le Petit Luce, au visa des articles 565 et 566 du code de procédure civile.

Elle estime les demandes totalement nouvelles, étrangères aux demandes présentées devant les premiers juges. Elle rappelle que le tribunal a été saisi d'une demande d'autorisation de cession d'une prétendue branche autonome d'activité et que la cour est saisie d'une demande de versement d'indemnité d'éviction. Selon elle, cette demande ne poursuit pas les mêmes fins que la demande initiale.

Elle observe que la société Le Petit Luce a saisi le tribunal de première instance de cette même demande en mai 2022.

En réponse, les appelantes considèrent leurs demandes recevables. Elles font valoir que le local a été repris par le bailleur suite au congé et qu'il n'y a plus de fonds de commerce, qu'il s'agit là d'un fait nouveau, que du fait de l'évolution du litige, ces demandes sont en lien direct et certain avec les demandes initiales qui tendaient à la cession du fonds de commerce et donc à l'obtention du prix de vente, la somme correspondant à la valeur du fonds de commerce n'étant rien d'autre que l'équivalent de l'indemnité d'éviction.

L'article 564 du code de procédure civile dispose :

À peine de d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 du code de procédure civile dispose :

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

L'article 566 du code de procédure civile dispose :

Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La société Zam Zam soutient à raison que la demande d'indemnité d'éviction, formée en raison du fait que la société Le Petit Luce a restitué les locaux dont il a été donné congé, ne tend pas aux mêmes fins que la demande tendant à voir autorisée une cession de fonds de commerce et à solliciter des dommages et intérêts en raison d'un refus prétendu abusif du bailleur à cette cession.

La société Le Petit Luce ne peut utilement se prévaloir d'une demande d'indemnisation au titre d'une perte de chance de céder son fonds de commerce, pour soutenir qu'elle forme une demande tendant aux mêmes fins que la demande initiale, alors que cette demande est subsidiaire à la demande principale tendant au paiement d'une indemnité d'éviction.

Il ne peut de même être considéré que ces demandes sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaires des demandes initiales.

La Cour de cassation juge que la notion d'évolution du litige est étrangère à la recevabilité des demandes formées en appel contre une personne qui était partie au procès devant le tribunal, de sorte que cette notion ne peut être avancée pour prétendre à une recevabilité de la demande.

La cour considère que les demandes formées par la société le Petit Luce non formées en première instance en ce compris d'ailleurs celles portant sur un trop perçu de loyer durant le bail et la restitution de dépôt de garantie, sont irrecevables, comme étant nouvelles devant la cour.

- sur le refus du bailleur à la cession d'une branche d'activité

Les parties appelantes demandent à la cour de reconnaître que la cession de branche d'activité de restauration envisagée par la société Le Gribiche correspond bien à une cession de fonds de commerce.

Elles soutiennent qu'il existait bien deux fonds de commerce distincts, que notamment l'activité de restauration disposait d'une clientèle autonome laquelle a été conservée, que les modifications effectuées par l'Eurl L'Emymolette ne traduisent qu'une mise au goût du jour mais aucun changement, le fonds ayant conservé les mêmes horaires d'ouverture, offrant toujours les mêmes plats, les mêmes menus. Elles précisent que si la société Gribiche a conservé son enseigne, c'est uniquement parce qu'elle a conservé son activité de traiteur, et que si les stocks n'ont pas été transférés, c'est en raison de la nature de ceux-ci pour des raisons de conservation.

Elles considèrent qu'en raison de l'opposition abusive du bailleur, deux projets de cession de cette branche d'activité ont avorté, le premier datant de début 2018, le second de juillet 2018, et indiquent que la société Gribiche ayant transféré son activité de traiteur à [Localité 10] en avril 2018 a été amenée à consentir une location gérance sur le fonds le 14 novembre 2018 à l'Eurl L'Emymolette, cette dernière ayant prévu d'acquérir le fonds de commerce au terme de l'acte de juillet 2018. Elles estiment avoir subi ainsi des préjudices : la société Le Petit Luce sollicite une indemnisation de 10 000 euros au regard des abandons à deux reprises des projets de cession de branche d'activité, l'empêchant de se consacrer pleinement à son activité de traiteur transférée en un autre endroit géographique, et l'Eurl Emymolette sollicite une indemnisation représentant les loyers payés dans le cadre de la location gérance de décembre 2018 à mars 2020 (9 600 euros), ainsi qu'une indemnisation de 5 000 euros pour les tracas importants générés par cette situation, la laissant dans une certaine expectative et l'empêchant d'amortir l'achat du fonds de commerce.

Les parties appelantes font valoir cependant que leur demande d'autorisation de cession du fonds de commerce de restauration n'a plus d'objet. Elles demandent à la cour de dire n'y avoir lieu à autorisation de cession du fonds de commerce. Elles sollicitent l'infirmation du jugement qui rejette leurs demandes.

La société Zam Zam persiste à soutenir que les projets de cession d'une branche d'activité de restauration de la société Gribiche étaient en réalité des projets de cession du droit au bail, qui requéraient son accord, et que devant son opposition justifiée, les parties ont cru imaginer donner le restaurant en location-gérance, ce qu'elle estime être de pure circonstance.

Elle entend rappeler que le bail porte sur une activité de restaurant traiteur, que le preneur s'engage à exercer exclusivement et soutient que les projets de cession de la branche d'activité dont elle a eu connaissance, ne correspondent pas à des projets de cessions de fonds de commerce, lesquelles échappent à son agrément. Elle rappelle les dispositions de l'article L 145-16 alinéa 1 du code de commerce sur ce point.

Elle fait observer que ces projets ne prévoient pas la cession des éléments corporels et incorporels essentiels à tout fonds de commerce, et notamment la clientèle, le cédant conservant l'enseigne, le site internet, l'adresse mail, la ligne téléphonique, les marchandises.

Elle considère que la disparition de l'activité traiteur couplée à la disparition des signes de ralliement de la clientèle modifie profondément la nature du fonds de telle manière que la clientèle qui y était attachée ne saurait être transmise au cessionnaire d'une activité restauration.

Selon elle, la location-gérance a été mise en place le 14 novembre 2018 pour contourner l'irrégularité de la cession projetée, le locataire-gérant étant le cessionnaire pressenti et l'exploitation du restaurant en a été totalement transformée : travaux à compter du 20 novembre 2018, d'ailleurs sans autorisation du bailleur s'agissant de la modification des lieux, modification des horaires d'ouverture du restaurant, objet social de l'Eurl Emymolette, locataire-gérant, traduisant un changement radical d'activité.

Elle souligne que l'acte de cession projeté ne fait pas état du chiffre d'affaire afférent à la seule partie restauration mais seulement du chiffre d'affaires global, que si dans le cadre de l'instance d'appel, les appelantes produisent une comptabilité distinguant les deux activités traiteur et restauration, cette production tardive ne peut couvrir l'irrégularité de la cession projetée. En tout état de cause, elle considère que cette donnée ne permet pas de prouver à elle seule la réalité d'une transmission d'une clientèle propre et autonome.

La société Zam-Zam demande à la cour de confirmer le jugement qui rejette les demandes principales et accessoires des sociétés Le Gribiche et Emymolette. Elle fait valoir que son refus ne saurait générer un quelconque préjudice pour le preneur. Elle affirme avoir respecté les clauses et conditions du bail, rappelant qu'au terme de l'article L 145-16 du code de commerce, elle est fondée à interdire au preneur de céder son droit au bail indépendamment de son fonds de commerce et que son refus était parfaitement légitime.

Elle fait état des nuisances sonores générées par la modification des conditions d'exploitation (activité de débit de boissons, organisation d'after-work, modification d'horaires..), créant un préjudice pour le bailleur et les copropriétaires de l'immeuble.

Selon elle, les sociétés Le Gribiche et Emymolette ont contrevenu de façon évidente à la clause de destination du bail commercial en n'exerçant pas l'activité globale de restaurant traiteur et en développant une activité de brasserie, bar en soirée, cause de nuisances pour le voisinage. Elle estime n'avoir commis aucun abus de droit en s'opposant à la cession de droit au bail déguisée, et que les appelantes ne rapportent pas la preuve d'un préjudice.

Elle observe encore que le locataire-gérant la société Emymolette a informé la clientèle en 2020 du transfert de son fonds à une nouvelle adresse [Adresse 3] à [Localité 5] où un nouveau restaurant est exploité par ses soins dénommé le Zed, à 400m des locaux du Gribiche en parfaite violation avec la clause de non concurrence contenue au contrat de location-gérance, sans réaction de la société Le Petit Luce.

Bien que les appelantes ne maintiennent pas la demande d'autorisation de cession de fonds de commerce devant la cour, considérant celle-ci sans objet au regard du congé donné et de la libération des lieux loués, elles sollicitent l'infirmation du jugement qui les déboute de leur demandes indemnitaires et maintiennent donc devant la cour des prétentions à cette fin, pour elles deux, en raison d'un refus prétendument abusif du bailleur au projet de cession.

La cour est donc amenée à se prononcer sur le grief fait au bailleur.

L'article L 145-16 alinéa 1 du code de commerce dispose :

Sont également réputées non écrites, quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel.

Le bail liant la société Zam Zam à la société Le Gribiche, prévoit à l'article 'Cession et sous-location' :

Le preneur ne pourra céder son droit au présent bail, en tout ou partie, sans le consentement exprès et écrit du bailleur. Toutefois, il pourra consentir librement une cession du bail à son successeur dans son activité.

Le preneur aura la possibilité d'adjoindre à l'activité ci-dessus des activités connexes ou complémentaires. À cet effet, le preneur devra faire connaître son intention au bailleur, par acte extra-judiciaire, en indiquant les activités dont l'exercice est envisagé.

Il en résulte que la société Le Gribiche ne peut céder librement son droit au bail qu'à la condition de céder son fonds de commerce.

Il est relevé que le bail commercial prévoit à la clause destination des lieux:

Les locaux faisant l'objet du présent bail devront exclusivement être consacrés par le preneur à l'exploitation d'un fonds de commerce de RESTAURANT TRAITEUR sans qu'il puisse en faire même d'autres temporairement et il devra se conformer rigoureusement aux prescriptions administratives et autres concernant ladite exploitation.

Le Kbis de la société Le Gribiche mentionne à la date du 20 juin 2017 une activité de restaurant traiteur vente à emporter.

La cour relève que la société Le Gribiche avait acquis un fonds de commerce de restaurant dénommé le Gribiche exploité à [Adresse 4], auprès de M. et Mme [Y], par acte notarié du 31 octobre 2008, le fonds comprenant :

- les éléments incorporels suivants : enseigne, non commercial, clientèle, achalandage attachés, droit à la ligne téléphonique, licence de petite restauration attachée à l'établissement, le droit au bail pour le temps restant à courir sur les locaux où le fonds est exploité,

- les éléments corporels suivants : matériel et mobilier commercial servant à l'exploitation du fonds, marchandises existantes à ce jour.

Une offre de cession de fonds a été publiée par un agent commercial du réseau Capifrance ; cette annonce décrit le fonds comme suit : restaurant de midi ouvert du lundi au vendredi, comprenant 40 places intérieures et une terrasse estivale de 20 places, une grande cuisine, réserve. L'activité traiteur représente 50 % du chiffre d'affaires, dernier bilan connu (31 décembre 2017) 160 000 euros, en augmentation constante. Fin du bail 30/09/2020. Horaires d'ouverture : 11h-15h.

Deux projets de cession ont été mis en oeuvre :

- le 11 janvier 2018 : un projet de cession de branche d'activité restauration et vente à emporter entre la société Le Gribiche et M. [X] [N] comprenant :

* la clientèle et l'achalandage attachés à la seule branche d'activité restauration et vente à emporter,

* le bénéfice du droit au bail commercial,

* le matériel et le mobilier commercial,

* le bénéfice des traités, conventions et marchés passés avec tous les tiers pour l'exploitation de ladite branche d'activité,

* le droit de se dire successeur de la société au titre de la branche d'activité cédée.

Ne sont pas cédés : l'enseigne ' le Gribiche' conservée par le cédant pour son activité traiteur, le site internet, la ligne téléphonique [XXXXXXXX01], l'adresse mail [Courriel 9], et le site '[011]' les marchandises et le stock, avec la précision que l'autorisation administrative pour une terrasse extérieure et la grande licence restaurant sont incessibles.

- le 16 juillet 2018 : un projet de cession de branche d'activité restauration entre la société Le Gribiche et M. [L] [E] et son épouse Mme [F] [W], comprenant :

* la clientèle et l'achalandage attachés à la seule branche d'activité restauration,

* le bénéfice du droit au bail commercial,

* le matériel et le mobilier commercial servant à l'exploitation de la branche d'activité cédée,

* le droit de se dire successeur de la société au titre de la branche cédée.

Ne sont pas cédés : l'enseigne ' le Gribiche' conservée par le cédant pour son activité traiteur, le site internet, la ligne téléphonique [XXXXXXXX01], l'adresse mail [Courriel 9], et le site '[011]' les marchandises et le stock, avec la précision que l'autorisation administrative pour une terrasse extérieure et la grande lience restaurant sont incessibles.

La société Gribiche ne conteste pas avoir transféré le 3 avril 2018 son activité ' traiteur ' à [Localité 10].

Les projets de cessions d'une branche d'activité restauration en débat, ne font pas référence à des chiffres d'affaires distincts pour cette branche d'activité mais uniquement aux chiffres d'affaires de la société Le Gribiche.

Le 12 septembre 2018, M. [E] et son épouse ont crée la société Emymolette ayant pour objet :

- l'acquisition d'un fonds de restauration traditionnelle, le service en salle et la vente à emporter de petits déjeuners et déjeuners,

- l'organisation de soirées événementielles, after-work, ...

- la location de salle de restaurant pour des évènements privés (repas d'affaires, séminaires..)

Le 14 novembre 2018, la société Le Gribiche et la société Emymolette ont signé un contrat de location-gérance portant sur un fonds de commerce de restauration traditionnelle exploité à [Localité 5], [Adresse 4] comprenant :

* la clientèle dudit fonds existant à ce jour et l'achalandage y attachés,

* l'enseigne, le nom commercial ' Restaurant le Gribiche'

* le bénéfice du numéro de téléphone [XXXXXXXX02]

* le bénéfice de la page facebook ' restaurant le Gribiche' et du nom du domaine ' www.restaurant-legribiche'

* le bénéfice des contrats passés avec tous tiers pour l'exploitation dudit fonds,

* le mobilier et le matériel servant à son exploitation,

* à titre accessoire, le bénéfice du droit au bail commercial en cours.

Il est observé que le numéro de téléphone comme l'adresse du site mentionnés dans cet acte de location-gérance, sont distincts de ceux conservés par la société Gribiche pour son établissement à [Localité 10].

Le restaurant le Gribiche exploité par la société Emymolette [Adresse 4], après des travaux réalisés du 20 novembre 2018 au 3 décembre 2018, ouvrait l'établissement au public du lundi au vendredi de 11h30 à 14 heures. La société Emymolette a organisé également des after-work de 17h à 19 h le jeudi ou le vendredi (cf pièces 5, 7, 8, 30 du bailleur).

Un congé a été délivré par le bailleur à la société Le Petit Luce le 20 novembre 2019 pour l'échéance du bail 31 mai 2020. Un constat des lieux de sortie était réalisé le 29 mai 2020 par huissier de justice en présence du gérant de la société Le Petit Luce et des représentants de la société Zam Zam.

Par acte du 27 novembre 2020, les sociétés Le Petit Luce et Emymolette ont signé un acte de résiliation amiable de la location-gérance, à effet au 31 mai 2020, la société Le Petit Luce déclarant lever à compter du 28 mai 2020 date de remise des clés, la clause de non concurrence figurant à l'article 11.1 du contrat de location-gérance.

La SCI Zam Zam faisait constater par huissier le 26 mai 2020 que la société Emymolette avait annoncé sur les réseaux sociaux le transfert du restaurant Le Gribiche vers le restaurant Z situé [Adresse 7] à [Localité 5].

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est justement relevé par le bailleur qu'au terme du bail, il a été convenu de l'exercice dans les locaux donnés à bail d'une activité de 'RESTAURANT TRAITEUR', sans conjonction de coordination, de sorte que la volonté des parties étaient de permettre une unique activité.

Il appartient à la société Le Gribiche, qui a transféré son activité de traiteur en un local sis à [Localité 10], à compter du 3 avril 2018 de démontrer l'existence d'un fonds de commerce de restauration.

Les appelantes versent aux débats désormais une attestation de l'expert comptable expliquant que les chiffres d'affaires de l'activité traiteur et de l'activité restaurant ont toujours été distingués ; ces précisions n'apparaissent toutefois pas dans les projets de cession ; en outre, ces chiffres nouvellement communiqués traduisent que l'activité traiteur a toujours été prépondérante.

L'existence du fonds de commerce est caractérisée essentiellement par sa clientèle, laquelle doit être autonome.

Or, il est justement relevé par le premier juge que la cession projetée d'une branche d'activité ne prévoit pas de cession des éléments d'identification du fonds, tels que l'enseigne, le numéro de téléphone, le site internet et l'adresse mail, de sorte que la clientèle de la société Le Gribiche qui s'informe par ces canaux est dirigée vers le cédant et non le cessionnaire.

Dans de telles circonstances, le témoignage de cinq clients qui attestent avoir fréquenté le restaurant le Gribiche avant et après le départ de l'ancien exploitant, sont des éléments insuffisants à établir l'existence d'une clientèle autonome attachée au fonds de restaurant lui-même.

Le cessionnaire dans le projet de cession du 16 juillet 2018 est M. [E] et son épouse, ces derniers ont constitué une société Emymolette le 13 septembre 2018, dont les statuts prévoient que l'associé unique fondateur a d'ores et déjà signé un compromis pour l'acquisition d'un fonds de commerce de restauration sis [Adresse 4]. Le locataire-gérant n'est autre que la société Emymolette, de sorte que ce dernier a repris le projet qui était le sien, aux termes de l'acte de cession litigieux.

L'examen des conditions de cette exploitation témoigne d'une modification des horaires de l'établissement et de l'ambiance donnée aux locaux. Ainsi, la société Gribiche devenue le Petit Luce ne conteste pas avoir eu des heures d'ouverture au public du restaurant le midi, et c'est d'ailleurs comme cela que l'agent commercial a décrit le restaurant. Or, les plages horaires ont été modifiées, avec une ouverture le jeudi voire le vendredi pour des afters-work, changeant la nature de la clientèle et de l'activité exercée, ce qui rejoint précisément l'objet social de la société Emymolette décrit dans ses statuts, lequel ne porte pas sur la seule activité de restauration, mais également sur l'organisation de soirées ou d'évènements, activités totalement étrangères au fonds initial.

Compte tenu de ces éléments, la cour approuve l'analyse du premier juge qui retient que la cession de branche d'activité présentée ne revêt pas les caractéristiques d'une réelle cession de fonds de commerce, et que le bailleur était donc en droit de donner son agrément à la cession dont s'agit, conformément aux clauses du bail ci-dessus rappelées.

Le refus opposé par le bailleur à cette cession ne peut être considéré abusif dans la mesure où cette cession impliquait une modification de l'activité, devenant une seule activité de restauration alors qu'il avait été convenu l'exercice d'une activité unique de restaurant traiteur, emportant dès lors modification de la destination des lieux, et des conditions d'exercice de cette activité davantage source de nuisances du seul fait d'une ouverture au public en soirée.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société Le Gribiche devenue Le Petit Luce en réparation d'un préjudice causé par le refus du bailleur de consentir à la cession n'est pas fondée, un tel refus étant légitime et ne constituant pas un abus de droit.

Ce même refus du bailleur ne peut davantage être à l'origine d'un quelconque dommage pour la société Emymolette, n'étant pas abusif.

La cour infirme le jugement en ce qu'il déboute la société Gribiche de sa demande d'autorisation de cession d'une branche d'activité restauration, constate qu'une telle demande n'est plus soutenue mais confirme le jugement en ce qu'il déboute les sociétés Gribiche devenue Le Petit Luce et Emymolette de leurs entières demandes indemnitaires.

- sur les frais irrépétibles et les dépens

La cour confirme les dispositions du jugement. Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée et les parties appelantes sont condamnées à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles exposés en cause d'appel et à supporter les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Emmanuelle Blond, avocate, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il rejette la demande d'autorisation de cession d'une branche d'activité restauration ;

Statuant à nouveau sur ce chef de jugement infirmé,

Constate qu'une telle demande n'est plus formée ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes principales en paiement d'une indemnité d'éviction et subsidiaire en paiement d'une indemnité pour perte de chance,

Condamne in solidum la société Le Petit Luce et l'Eurl Emymolette à payer à la société Zam Zam la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société Le Petit Luce et l'Eurl Emymolette aux dépens d'appel, distraits au profit de Me Emmanuelle Blond, avocate, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.