Cass. 1re civ., 18 octobre 1989, n° 86-17.282
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Attendu que la société de droit allemand Alfa Laval Bergerdorfer Eisenwerk (Alfa Laval Allemagne) a, pour le compte de la société de droit français Alfa Laval Paris, offert puis fourni à la société de droit allemand Rheinisch Westfalische Dauermilch Genossenschaft (société Dauermilch), qui avait passé commande ferme le 16 juillet 1968, une installation de séchage par pulvérisation de produits destinés à la fabrication de fourrage, qui a été livrée et mise en service au mois de mars 1969 ; que, le 25 août 1969, un sinistre s'est produit dans un silo de la société Dauermilch, détruisant une quantité importante de poudre de fourrage qui y était stockée ; que la société Saint-Paul Fire and Marine Insurance, assureur de cette société, a refusé de régler les dégâts au motif que, selon son expert, le sinistre ne pouvait être attribué à un incendie, mais serait imputable à une réaction chimique due à une teneur excessive en humidité des produits sortant de fabrication ; que la société Dauermilch, après qu'une injonction de payer, ait été, par jugement du tribunal de Hambourg en date du 6 mars 1975, statuant sur contredit, déclarée irrecevable en raison d'une clause insérée dans les conditions de vente de la société Alfa Laval Paris, attribuant compétence aux juridictions françaises, a, le 1er avril 1976, assigné les sociétés Alfa Laval Paris et Alfa Laval Allemagne pour faire juger que le sinistre avait été causé par le fonctionnement défectueux de l'installation, dû à un vice caché, et, en conséquence, faire condamner ces sociétés in solidum à payer la contrevaleur, au jour du règlement, de la somme de 112 216,11 Deutsche Mark, montant du préjudice, avec les intérêts " de droit ", à compter du 30 décembre 1971 ; que l'arrêt attaqué, statuant au résultat d'une expertise judiciaire, a déclaré la société Alfa Laval Paris responsable du sinistre dans la proportion d'un tiers, a fixé à la somme de 112 216 Deutsche Mark le montant du préjudice, a condamné cette société à payer à la société Dauermilch l'équivalent en francs français de la somme de 37 457 Deutsche Mark, avec les intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1971, et dit la société Alfa Laval Paris mal fondée en ses recours contre les compagnies d'assurances Saint-Paul Fire and Marine et Skandia ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Alfa Laval Paris fait grief à la cour d'appel d'avoir refusé de déclarer prescrite la demande formée par la société Dauermilch, alors, de première part, que la responsabilité délictuelle est régie par la loi du lieu où le délit a été commis et qu'en soumettant la responsabilité extra-contractuelle de la société Alfa Laval Paris envers la société Dauermilch à la loi allemande, l'arrêt attaqué a, selon le moyen, violé l'article 3, alinéa 1er, du Code civil ; alors, de deuxième part, qu'en appliquant, selon le moyen, d'office, l'article 195 du BGB, d'après lequel l'action en responsabilité quasi-délictuelle serait soumise à une prescription trentenaire, sans avoir invité les parties à s'expliquer contradictoirement sur l'application de ce texte, la juridiction du second degré a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de troisième part, qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitaient les conclusions, si, dans le cas d'un contrat de fourniture, le fait que le dommage entre dans le domaine
d'application de l'article 635 du BGB n'interdit pas à l'acheteur de se prévaloir d'une violation positive du contrat (Positive Vertragsverletzung) et ne soumet pas son action au délai de prescription de l'article 637 du BGB, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale ; alors, enfin, qu'en estimant que les clauses abréviatives de la prescription dont avait été assortie l'offre du 3 juillet 1968 étaient dépourvues d'effet dans les rapports entre Alfa Laval Paris et Dauermilch, sans indiquer la teneur du droit allemand quant aux conditions de l'acceptation de telles clauses et quant à leur opposabilité, elle aurait à nouveau entaché sa décision de défaut de base légale ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt attaqué a déclaré la loi allemande compétente en vertu de l'article 3, alinéa 2, de la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, désignant, à défaut du choix par les parties, la loi interne du pays où l'acheteur a sa résidence habituelle, ou dans lequel il possède l'établissement qui a passé la commande, si c'est dans ce pays que la commande a été reçue soit par le vendeur, soit par son représentant, agent ou commis-voyageur ; que cette disposition excluant le renvoi, la cour d'appel, après avoir examiné le contenu du droit interne allemand et constaté qu'il prévoit pour l'acquéreur victime d'un dommage une option entre les actions en responsabilité contractuelle et délictuelle et autorise en outre, dans certains cas, une action pour " violation positive du contrat ", n'avait pas à se référer à la règle française de conflits de lois pour déterminer celle applicable à la responsabilité délictuelle ;
Sur les deuxième, troisième et quatrième branches : (sans intérêt) ;
Mais sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches :
Vu l'article 3 du Code civil ;
Attendu que l'arrêt attaqué a condamné la société Alfa Laval Paris à payer les intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1971, date de l'injonction de payer délivrée à la société Alfa Laval Allemagne, au motif que cette injonction, bien qu'ayant fait l'objet d'un contredit accueilli par le Landgericht de Hambourg, qui s'est déclaré incompétent, pouvait être assimilée à l'assignation faisant courir les intérêts moratoires ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, s'agissant d'une créance de réparation dont le montant ne peut être fixé que par la juridiction appelée à statuer, sans rechercher si la loi allemande, en principe applicable, permettait d'accorder des intérêts à compter d'une date antérieure au prononcé de l'arrêt, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le quatrième moyen :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que l'arrêt attaqué a déclaré mal fondée la demande en garantie formulée par la société Alfa Laval Paris contre la compagnie Saint-Paul Fire and Marine Insurance, au motif que la police d'assurance " responsabilité civile - produits livrés ", souscrite auprès de cette compagnie, avait été résiliée avant la déclaration de sinistre ;
Attendu, cependant, qu'il résulte des énonciations de cet arrêt que la police stipulait qu'en cas de résiliation étaient pris en charge tous les sinistres survenus pendant la période de validité du contrat, ce qui est conforme au principe selon lequel, dans une assurance de responsabilité, la date du sinistre à prendre en considération est celle du fait matériel à raison duquel la responsabilité est recherchée et qu'il importe peu que l'assuré ait déclaré le sinistre postérieurement à la date de résiliation du contrat d'assurance ;
Qu'ainsi la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, en statuant comme elle a fait, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Alfa Laval Paris à payer des intérêts moratoires à compter du 30 décembre 1971, et en ce qu'il a dit mal fondée la demande en garantie formée par cette société contre la compagnie Saint-Paul Fire and Marine Insurance, l'arrêt rendu le 26 mai 1986, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.