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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 1 février 2024, n° 22/01093

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Stratorial (SARL)

Défendeur :

Public Avenir (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Poulain, Me Lavisse, Me Thomas-Trophime

TJ Nanterre, 1re ch., du 20 janv. 2022, …

20 janvier 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Stratorial, créée en 2003 et intégrée au groupe d'expertise comptable Orcom depuis le 1er janvier 2016, a pour activité principale le conseil financier et fiscal aux établissements publics et collectivités publiques principalement territoriales. Elle a absorbé par fusion la SARL Territoires et Conseil, qui exerçait une activité similaire et qui a été rachetée par le groupe Orcom avec effet au 1er janvier 2017. La dissolution de la société Territoires & Conseil a été effective le 29 octobre 2018.

M. [J] [P], qui avait déjà été salarié de la société Stratorial entre 2009 et 2011, a été embauché par cette dernière en qualité de consultant senior par contrat à durée indéterminée du 30 septembre 2013.

M. [S] [C] a été embauché en qualité de consultant par la société Territoires & Conseil par contrat à durée indéterminée du 1er juillet 2000.

M. [P] et M.[C] ont démissionné de leurs fonctions, par courriers datés respectivement des 7 et 16 juillet 2018.

Par courriers du 20 juillet 2018, la société Stratorial leur a notifié sa renonciation à faire application de la clause de non-concurrence figurant dans leur contrat de travail.

M. [P] et M.[C], dont le contrat de travail a été rompu à la fin du mois de septembre 2018, ont créé la SARL Public Avenir, immatriculée le 21 septembre 2018 au RCS de Nanterre, dont ils sont co-gérants et associés. Cette société a pour activité le conseil en finances et fiscalité des collectivités locales. 

La société Stratorial impute à l'action déloyale de ses deux anciens salariés la baisse de son chiffre d'affaires consécutive au non-renouvellement des marchés dont elle était titulaire ou à leur rupture.

Par courrier du 24 octobre 2018, elle a mis en demeure M.[C] et la société Public Avenir de s'expliquer sur la suppression de la messagerie de la société Territoires & Conseil ainsi que sur la résiliation ou non-reconduction de quatre marchés par des clients entretenus dans l'idée qu'ils étaient liés à la personne des consultants démissionnaires.

Le 27 février 2019, elle a fait dresser par huissier de justice un procès-verbal de constat sur les serveurs de la société Orcom contenant les messageries électroniques professionnelles utilisées par M. [P] et M. [C] pendant la relation de travail.

Aux termes d'une ordonnance rendue sur requête le 17 avril 2019 sur le fondement des articles 145 du code de procédure civile et R. 153-1 du code de commerce, la société Stratorial a été autorisée à faire pratiquer par un huissier de justice une mesure de constat et de saisie de documents dans les locaux de la société Public Avenir. Les opérations de constat et de saisie se sont déroulées le 14 mai 2019.

Par acte du 4 novembre 2019, la société Stratorial a fait assigner la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] en concurrence déloyale et parasitaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

Par jugement contradictoire du 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Prononcé la nullité du procès-verbal de constat du 27 février 2019 pour excès de pouvoir de l'huissier instrumentaire ;

- Rejeté l'intégralité des demandes principales et subsidiaires de la SARL Stratorial ;

- Condamné la SARL Stratorial, en réparation du préjudice moral causé par l'exercice abusif de son droit d'agir en justice, à payer à :

- M. [C] et M. [P] la somme de 1.000 € chacun ;

- La SARL Public Avenir, la somme de 5.000 € ;

- Rejeté la demande de la SARL Stratorial au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné la SARL Stratorial à payer à M. [P], à M. [C] et à la SARL Public Avenir la somme de 2.000 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SARL Stratorial à supporter les entiers dépens de l'instance ;

- Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 23 février 2022, la société Stratorial a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 15 novembre 2022, la société Stratorial demande à la cour de :

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel, y faire droit ;

- Débouter les parties adverses, M. [C], M. [P] et la société Public Avenir, de l'ensemble de leurs demandes, moyens, fins et prétentions mal fondées, y compris à titre d'appel incident ;

- Annuler et/ou infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- 1er chef de jugement critiqué : prononcé la nullité du procès-verbal de constat du 27 février 2019 pour excès de pouvoir de l'huissier instrumentaire,

- 2ème chef de jugement critiqué : rejeté l'intégralité des demandes principales et subsidiaires de la société Stratorial à savoir :

* Recevoir la société Stratorial en toutes ses demandes et la déclarer bien fondée ;

* Déclarer irrecevables et à tout le moins infondés les codéfendeurs en toutes leurs demandes et particulièrement en nullité du premier constat faute de fondement juridique développé sachant qu'en tout état de cause les pièces annexées resteront communiquées et ne sont aucunement annulables ;

* Déclarer que les agissements de la société Public Avenir constituent des actes manifestes de concurrence déloyale et parasitaires à l'encontre de la société Stratorial entraînant sa responsabilité délictuelle ;

* Déclarer que M. [P] et M. [C] ont commis des actes de concurrence déloyale d'une particulière gravité à l'encontre de la société Stratorial ;

* Déclarer que M. [P] et M. [C] ont commis en cela des fautes personnelles et détachables de leur fonction de dirigeant entraînant leur responsabilité civile délictuelle ;

En conséquence,

* Condamner in solidum la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à verser à la société Stratorial les sommes de :

- 375.000 €

- 300.000 €

sous réserve à parfaire, en réparation du préjudice financier subi d'ores et déjà ;

* Condamner in solidum la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à verser à la société Stratorial la somme de 150.000 €, sous réserve à parfaire, en réparation du préjudice moral subi ;

* Condamner la société Public Avenir sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée à cesser d'utiliser le fichier clientèle de la société Stratorial ainsi que tous ses modèles et formulaires appréhendés ;

* Ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux professionnels du choix de la demanderesse à usage des collectivités locales et établissements publics aux frais des défendeurs ;

Subsidiairement,

* Avant dire droit ordonner une mission d'expertise et désigner tel expert en comptabilité qu'il lui plaira avec mission habituelle et notamment pour mission de :

- entendre les parties, se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles pour l'accomplissement de sa mission,

- dresser une liste exhaustive des anomalies constatées et affectant négativement le chiffre d'affaires et la marge de la société Stratorial,

rechercher l'origine de ces anomalies,

donner son avis quant aux conséquences des actions menées par MM. [P] et [C] et leur société Public Avenir sur la baisse du chiffre d'affaires et de la perte de marge de la société Stratorial, le gain manqué, la désorganisation durable de l'entreprise et la diminution ou perte d'un avantage concurrentiel,

fournir tous les éléments techniques et de fait, de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les préjudices subis par la société demanderesse et leur réparation ;

* Dire que l'expert sera mis en œuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près de ce tribunal ;

* Dire qu'en cas de difficulté, l'expert saisira le tribunal qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par lui ;

* Fixer la provision à consigner au greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir ;

* Condamner en cas d'expertise avant dire droit la société Public Avenir, M. [P], et M. [C] à payer à la société Stratorial une provision sur préjudice de 140.000 € qui ne les gênera pas puisqu'elle correspond à leur provision au bilan ;

* Condamner solidairement la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à payer à la société Stratorial la somme de 17.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

* Condamner solidairement la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] aux entiers dépens, dont spécialement le coût des deux constats d'huissier et des frais d'informaticien ;

* Ordonner l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions ;

- Et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me Cécile Turon pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision ;

- 3ème chef de jugement critiqué : condamné la société Stratorial, en réparation du préjudice moral causé par l'exercice abusif de son droit d'agir en justice, à payer à :

- M. [C] et M. [P] la somme de 1.000 € chacun,

- La société Public Avenir la somme de 5.000 € ;

- 4ème chef de jugement critiqué : condamné lasociété Stratorial à payer à M. [P], M. [C] et la société Public Avenir la somme de 2.000 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- 5ème chef de jugement critiqué : condamné la société Stratorial aux entiers dépens de l'instance ;

Statuant à nouveau par infirmation,

- Déclarer la société Stratorial recevable et bien fondée en ses demandes ;

- Déclarer irrecevables et à tout le moins infondés les intimés en toutes leurs demandes et particulièrement en nullité du premier constat faute de fondement juridique développé sachant qu'en tout état de cause les pièces annexées resteront communiquées et ne sont aucunement annulables ;

- Retenir que les agissements de la société Public Avenir constituent des actes manifestes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Stratorial entraînant sa responsabilité délictuelle ;

- Retenir que M. [P] et M. [C] ont commis des actes de concurrence déloyale d'une particulière gravité à l'encontre de la société Stratorial ;

- Retenir que M. [P] et M. [C] ont commis en cela des fautes personnelles et détachables de leur fonction de dirigeant entraînant leur responsabilité civile délictuelle ;

En conséquence,

- Condamner in solidum la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à verser à la société Stratorial les sommes de :

- 375.000 €

- 300.000 €

sous réserve à parfaire, en réparation du préjudice financier subi d'ores et déjà ;

- Condamner in solidum la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à verser à la société Stratorial la somme de 150.000 €, sous réserve à parfaire, en réparation du préjudice moral subi ;

- Condamner la société Public Avenir, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée, à cesser d'utiliser le fichier clientèle de la société Stratorial, ainsi que tous ses modèles et formulaires appréhendés ;

- Ordonner la publication du jugement (sic) à intervenir dans deux journaux professionnels du choix de la demanderesse à usage des collectivités locales et établissements public aux frais des parties adverses M. [P], M. [C] et la société Public Avenir ;

Subsidiairement,

- Avant dire droit désigner tel expert en comptabilité qu'il lui plaira avec mission habituelle et notamment pour mission de :

- entendre les parties, se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles pour l'accomplissement de sa mission,

- dresser une liste exhaustive des anomalies constatées et affectant négativement le chiffre d'affaires et la marge de la société Stratorial,

- rechercher l'origine de ces anomalies,

- donner son avis quant aux conséquences des actions menées par M. [P] et M. [C] et leur société Public Avenir sur la baisse du chiffre d'affaires et de la perte de marge de la société Stratorial, le gain manqué, la désorganisation durable de l'entreprise et la diminution ou perte d'un avantage concurrentiel,

- fournir tous les éléments techniques et de fait, de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les préjudices subis par la société demanderesse et leur réparation ;

- Dire que l'expert sera mis en œuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près de cette cour d'appel ou de la Cour de cassation ;

- Dire qu'en cas de difficulté, l'expert saisira la juridiction qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par elle ;

- Fixer la provision à consigner au greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti ;

- Condamner en cas d'expertise avant dire droit la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à payer à la société Stratorial une provision sur préjudice de 140.000 € qui ne les gênera pas puisqu'elle correspond à leur provision au bilan ;

- Condamner solidairement la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] à payer à la société Stratorial la somme de 27.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner solidairement la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] aux entiers dépens, dont spécialement le coût des deux constats d'huissier et des frais d'informaticien ;

- Et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me Poulain pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Par dernières conclusions notifiées le 19 juillet 2022, la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] demandent à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Condamner la société Stratorial à payer, en cause d'appel, à M. [P] et à M. [C] chacun la somme de 1.000 € et à la société Public Avenir la somme de 5.000 €, au titre du préjudice qu'ils ont subi en raison de la procédure abusive qu'elle a engagée ;

- Condamner la société Stratorial à payer, en cause d'appel, à M. [P] et à M. [C] chacun la somme de 2.000 € et à la société Public Avenir la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Stratorial aux entiers dépens d'appel ;

A titre subsidiaire, si la cour, par extraordinaire, devait annuler ou infirmer tout ou partie du jugement,

- Prononcer la nullité du procès-verbal de constat en date du 27 février 2019 pour excès de pouvoir de l'huissier instrumentaire ;

- Juger que M. [P], M. [C] et la société Public Avenir n'ont commis aucun acte fautif ni de déloyauté, ni de concurrence déloyale au préjudice de la société Stratorial et en tant que de besoin, qu'aucune faute détachable des fonctions de gérant ne peut être reprochée à titre personnel à M. [P] et M. [C] ;

A titre subsidiaire,

- Juger que la société Stratorial ne démontre aucun préjudice, que ce soit financier ou moral ;

- Juger que la société Stratorial ne démontre au surplus aucun lien de causalité entre son éventuel préjudice lié à une prétendue perte de chiffre d'affaires et les faits qu'elle reproche à M. [P], M. [C] et la société Public Avenir ;

En toutes hypothèses,

- Débouter la société Stratorial de l'ensemble de ses demandes ;

- Juger que la société Stratorial a engagé sa responsabilité civile en raison du caractère manifestement abusif de la présente procédure qui caractérise une faute et cause un préjudice aux intimés ;

- Condamner en conséquence la société Stratorial à payer à M. [P] et à M. [C] chacun la somme de 2.000 € et à la société Public Avenir la somme de 10.000 €, au titre du préjudice qu'ils ont ainsi subi ;

- Condamner la société Stratorial à payer à M. [P] et à M. [C] chacun la somme de 4.000 € et à la société Public Avenir la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Stratorial aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 janvier 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, les intimés critiquent le plan adopté par la société Stratorial dans la présentation de ses conclusions d'appel, en invoquant les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile. Ils n'en tirent néanmoins aucune conséquence dans le dispositif de leurs propres conclusions, de sorte qu'en application de l'article 954 alinéa 3 la cour n'est pas tenue d'examiner ce moyen.

Sur la nullité du procès-verbal de constat du 27 février 2019,

L'appelante reproche au jugement entrepris d'avoir prononcé la nullité du procès-verbal de constat d'huissier du 27 février 2019 au motif d'un excès de pouvoir de l'huissier instrumentaire. Elle considère que les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation, que l'analyse objective dudit procès-verbal ne révèle aucun excès de pouvoir et que les critiques portées contre l'huissier relèvent de la prise à partie pure et simple. Elle soutient que l'huissier instrumentaire n'a fait que constater matériellement des faits, sans prendre position intellectuellement ni se prononcer sur le terrain du droit ou des responsabilités, et qu'il n'a fait qu'expliciter ses constats pour les rendre intelligibles et exploitables.

Les intimés répondent que la nullité de ce procès-verbal s'impose en vertu des dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice et du principe de la loyauté de la preuve. Ils font valoir que le constat établi à la requête de la société Stratorial ne reprend pas des constatations purement matérielles mais des affirmations et des avis subjectifs qui n'établissent pas la matérialité des faits ; que ce constat n'a pas été réalisé dans des conditions permettant de connaître le périmètre de la délégation consentie par l'huissier au salarié de la société Orcom ayant effectué les opérations techniques ; que l'huissier ne précise jamais la nature des opérations techniques accomplies par ce salarié ; qu'il n'indique pas selon quels critères les recherches auraient été faites au sein des messageries électroniques, ni la période consultée et le nombre de messages concernés ; que les seuls éléments autres que les affirmations de l'huissier figurant à son procès-verbal de constat de 11 pages sont des photographies d'écrans d'ordinateur qui ne permettent pas de connaître le contenu affiché sur l'écran ; qu'aucun des courriels visés ne figure en annexe de ce procès-verbal. Ils considèrent que l'huissier de justice a outrepassé ses pouvoirs et a agi dans des conditions ne permettant pas de débattre loyalement des prétendus faits constatés. Ils en déduisent que son constat est dépourvu de toute valeur probante.

*****

Au soutien de leur argumentation, les intimés se prévalent des dispositions de l'article 1er alinéa 2 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers (ndlc : abrogées suivant ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice), selon lesquelles l'huissier de justice, commis par justice ou à la requête de particuliers, peut « effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ».

En l'espèce, Me [R] [A], huissier de justice associé de la SELARL Legahuis Conseils, à [Localité 15] (45), a été requis par la société Stratorial pour se rendre « dans les locaux de la société Orcom [qui héberge les serveurs informatiques des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil] afin de consulter les courriels adressés par [M. [P] et M. [C]] et de dresser toutes constatations matérielles utiles à la défense de leurs intérêts et d'en dresser procès-verbal ».

Le procès-verbal de constat dressé le mercredi 27 février 2019 par Me [A] est composé de 11 pages, dont certaines comportent des photographies d'écrans d'ordinateur. Il précise que les opérations de constat ont été effectuées en présence de la société Stratorial et que l'ensemble des manipulations informatiques ont été assurées par M. [R] [I], administrateur réseau au sein de la société Orcom, qui s'est connecté aux messageries professionnelles de M. [P] et de M. [C].

Outre qu'aucun des courriels visés ne figure en annexe du procès-verbal de constat, la cour relève comme les premiers juges la subjectivité des déclarations de Me [A] qui accompagne ses constatations matérielles de qualificatifs par exemple sur la nature des pièces jointes aux mails (« courriel contenant plusieurs pièces jointes sensibles et stratégiques »), qui qualifie de « massive » la diffusion d'un courriel à destination de clients annonçant le départ de M. [P] de la société Stratorial ou encore qui s'autorise à indiquer, sans autre explication, qu'un document powerpoint joint à un autre courriel est « un projet prévisionnel d'une future activité en cours de développement (...) réalisé dans les locaux de la société Stratorial et durant les heures de présence sur le site ». Or, de telles affirmations dépassent les attributions de l'huissier.

Aussi, c'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a prononcé la nullité du procès-verbal de constat du 27 février 2019 dans son ensemble, pour excès de pouvoir de l'huissier instrumentaire. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire,

La société Stratorial sollicite l'infirmation du jugement entrepris, qui ne comporte selon elle aucune analyse in concreto et se contente d'adopter la thèse de MM. [P] et [C]. Elle fait grief à ses anciens salariés d'avoir de manière concertée et préméditée, avant même leur départ, pillé ses actifs commerciaux ainsi que ceux de sa filiale, la société Territoires et Conseil, dans leur propre intérêt et pour le compte de leur société nouvellement créée, la société Public Avenir, qui exerce exactement la même activité. Elle leur reproche de s'être placés volontairement dans leur sillage et de les avoir ainsi parasitées de façon extrêmement déloyale, de sorte que les chiffres d'affaires et résultats des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil se sont écroulés suite au non-renouvellement des marchés ou à leur résiliation dès le mois d'octobre 2018. Elle souligne qu'après seulement quelques mois d'exercice, le chiffre d'affaires de la société Public Avenir était conséquent, composé à 84 % de la clientèle de l'entreprise dépouillée. Elle considère que la responsabilité délictuelle de la société Public Avenir est engagée au titre des agissements constitutifs de concurrence déloyale commis à son encontre mais aussi que ses deux codirigeants, MM. [P] et [C], sont auteurs de fautes personnelles détachables de leur mandat engageant également leur responsabilité civile délictuelle, ce qui doit conduire la cour à les condamner solidairement.

Elle fait état en premier lieu d'actes de concurrence déloyale commis pendant la création de la société Public Avenir, à savoir des détournements d'informations et de documents lui appartenant, outre le démarchage actif de sa clientèle, soulignant que les agissements de MM. [P] et [C] ont été coordonnés et planifiés et visaient à s'approprier en masse la clientèle des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil.

Elle évoque en second lieu les actes de concurrence déloyale qui se sont poursuivis après la création de la société Public Avenir, lesquels consistent dans l'utilisation de l'ensemble de ses données personnelles et le démarchage actif de sa clientèle. Elle soutient qu'à la date du constat d'huissier auquel elle a fait procéder le 14 mai 2019, la société Public Avenir n'avait quasiment aucun client qui n'ait pas été précédemment client de la société Stratorial et que l'appauvrissement massif de celle-ci s'explique par ce transfert massif et anormal d'activité. Elle met en cause la loyauté de ses anciens salariés qui ne se sont pas portés candidats à l'acquisition des entités Stratorial et Territoires et Conseil, ont laissé un tiers les racheter pour des prix conséquents et une fois les ventes faites, ont récupéré les fonds de commerce par leurs manoeuvres clandestines et frauduleuses.

Les intimés répondent que l'activité de la société Public Avenir a débuté en octobre 2018, soit après la fin des contrats de travail de MM. [P] et [C]. Ils rappellent que les principes constitutionnels de la liberté du travail et de la liberté d'entreprendre permettent à tout ancien salarié qui n'est pas lié par une clause de non-concurrence d'occuper un emploi dans une entreprise concurrente ou de créer lui-même une telle entreprise après l'expiration de son contrat de travail. Ils affirment qu'aucune manœuvre ou procédé déloyal ne peut leur être reproché et que, malgré la saisie effectuée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société Stratorial est dans l'incapacité de caractériser des actes de déloyauté ou de concurrence déloyale.

Ils soutiennent en premier lieu que MM. [P] et [C] n'ont commis aucune faute avant la fin de leur contrat de travail. M. [P] ne conteste pas avoir repris dans sa boîte mail professionnelle des contacts qu'il avait lui-même créés, mais dont il souligne qu'ils correspondent à des anciens collègues ou à des relations professionnelles avec lesquelles il travaillait pour certains depuis 10 ans. Les intimés font par ailleurs valoir que les clients de Stratorial et de Public Avenir sont des collectivités territoriales, dont les éléments d'identification et les coordonnées sont publiques. Ils indiquent en outre que les contacts figurant dans la messagerie professionnelle de M. [P] ne constituent pas un « fichier clients », sur lequel la société Stratorial pourrait revendiquer un quelconque droit.

Ils estiment qu'aucune déloyauté ne peut être imputée à MM. [P] et [C] au titre des mails annonçant leur départ des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil à leurs interlocuteurs habituels.

Ils font observer que l'appelante reste évasive et ne prend pas la peine de préciser quels sont les documents et/ou informations, méthodes, savoir-faire, données qu'ils auraient récupérés, ni de justifier en quoi ils seraient confidentiels et/ou sa « propriété », ni même en quoi ils constitueraient un quelconque avantage concurrentiel lui appartenant. Ils prétendent que M. [P] utilisait couramment sa boîte mail personnelle dans le cadre de ses activités professionnelles et relèvent surtout que la société Stratorial ne démontre en rien en quoi les éléments transférés par M. [P] sur son adresse personnelle auraient été utilisés de manière déloyale par la société Public Avenir dans le cadre de son activité. Ils affirment que cette dernière n'a en aucune manière repris indûment dans le cadre de ses activités des documents confidentiels ou des savoir-faire qu'elle n'aurait pas elle-même développés ou qui ne seraient pas libres de droit. Ils estiment utile de préciser que la société Public Avenir n'a jamais été moins-disante sur les propositions de mission quand bien même MM. [P] et [C] avaient une parfaite connaissance des prix pratiqués. En réponse à l'argument de l'appelante qui leur reproche de ne pas s'être portés acquéreurs des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil lorsqu'ils ont été avisés de leur cession au groupe Orcom, MM. [P] et [C] exposent qu'à cette époque ils n'avaient pas d'autre intention que de rester salariés chez leurs employeurs respectifs, qu'ils ont démissionné près de trois ans plus tard en raison de la situation créée par le nouvel actionnaire et dont ils ne sauraient être tenus pour responsables. Ils indiquent que suite au rachat des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil par le groupe Orcom, leurs dirigeants opérationnels ont été écartés et la quasi-totalité des consultants en poste est partie, ce qui a nui non seulement à la qualité des prestations mais également au développement commercial et au maintien même de la relation commerciale avec les clients, compte tenu du fort intuitu personae existant entre chaque client et le consultant en charge de son dossier.

Sur le choix des collectivités territoriales de confier des missions à la société Public Avenir, les intimés observent en second lieu que l'appelante, qui invoque une perte « massive » de clients et de chiffre d'affaires, produit uniquement les résiliations ou non-reconductions de quatre collectivités, sur lesquelles ils s'expliquent. Ils indiquent notamment que prétendre que celles-ci auraient été instrumentalisées par MM. [P] et [C] n'est pas sérieux et méconnait la réalité de ce que sont ces clients, à savoir des administrations territoriales dont les contrats, soumis aux règles des marchés publics, portent sur des missions ponctuelles ou n'excédant souvent pas un an, et qui sont libres de ne pas les reconduire. Ils relèvent que des collectivités figurant dans le tableau établi par la partie adverse ne sont pas des clients de la société Public Avenir, que plusieurs autres collectivités n'étaient plus clientes de la société Stratorial ou de la société Territoires et Conseil en 2018, voire même depuis 2016 pour certaines d'entre elles ; qu'en outre la dissolution de la société Territoires et Conseil en octobre 2018 a nécessairement entraîné la non-reconduction ou la résiliation des marchés publics en cours, qui ne sont pas librement transmissibles en cas de modification affectant la personne titulaire du marché, de sorte que l'appelante est mal fondée à reprocher quoi que ce soit aux intimés pour l'ensemble des contrats de Territoires et Conseil. Ils soutiennent que l'existence d'un modèle de courrier de résiliation ne saurait être considéré comme le fait générateur des résiliations de contrats. MM. [P] et [C] admettent avoir annoncé à des clients potentiels la création de la société Public Avenir et celle-ci ne conteste pas avoir, à partir d'octobre 2018, démarché des prospects qui ont pu précédemment confier des missions aux sociétés Stratorial et Territoires et Conseil. Toutefois, les intimés assurent que ces démarchages n'étaient pas déloyaux et qu'ils n'ont pas été massifs et systématiques comme le soutient l'appelante. Ils ajoutent qu'ils ont été sollicités par certaines des collectivités avec lesquelles ils avaient déjà été en contact mais qu'ils ont aussi répondu à des appels d'offres avec d'autres partenaires auprès de collectivités avec lesquelles ils n'avaient jamais travaillé lorsqu'ils étaient salariés des sociétés Stratorial ou Territoires et Conseil.

MM. [P] et [C] entendent enfin contester toute responsabilité personnelle résultant d'une quelconque faute détachable de leur mandat de gérant.

*****

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement de son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La notion de concurrence déloyale, appréciée à l'aune du principe de la liberté du commerce, consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.

En pratique, les litiges en concurrence déloyale couvrent des situations juridiques variées, parmi lesquelles la création d'un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, le dénigrement, la violation d'une réglementation et la désorganisation d'une entreprise, qui peut consister en un débauchage de salariés ou le détournement de fichiers stratégiques.

Par ailleurs, le parasitisme consiste à profiter, de manière volontaire et déloyale, sans rien dépenser, des investissements, d'un savoir-faire, de la notoriété ou du travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

Au cas présent, la société Stratorial, qui n'invoque pas la violation, par ses deux anciens salariés, d'une obligation contractuelle de non-concurrence ou de confidentialité, fait état de 13 manoeuvres de leur part :

1/ Elle prétend qu'ils ont sciemment menti sur leurs intentions pour obtenir la levée de leur clause de non-concurrence, en indiquant ne pas vouloir ré-exercer la même activité, l'un prétendant vouloir intégrer la fonction publique et l'autre prendre sa retraite tout en exerçant une activité parallèle.

Aucun élément ne vient cependant corroborer cette affirmation. M. [P] a informé la société Orcom de sa démission de son poste de consultant senior au sein de la société Stratorial par lettre du 7 juillet 2018 et par courrier en réponse du 20 juillet 2018, la société Orcom lui a fait part de la levée immédiate, sans réserve ni restriction, de la clause de non-concurrence. M. [C] a informé la société Orcom de sa démission de son poste de consultant au sein de la société Territoires et Conseil par lettre du 16 juillet 2018 et le 20 juillet 2018, la société Orcom lui a adressé une lettre similaire à celle de M. [P] quant à la levée d'une clause de non-concurrence au demeurant inexistante dans son contrat de travail, qui a pris fin, comme M. [P], fin septembre 2018.

2/ La société Stratorial fait valoir que dès le 1er octobre 2018, la société Public Avenir, nouvellement créée, a travaillé massivement pour son compte sur la clientèle précédemment traitée par MM. [P] et [C] au sein du groupe Orcom ; l'activité de la société Territoires et Conseil a été vidée en totalité et celle de la société Stratorial l'a été de toute la branche finances et fiscalité locales de son établissement parisien ; les chiffres d'affaires et les résultats des deux sociétés se sont écroulés.

Il n'est plus réellement discuté que la société Public Avenir, immatriculée au RCS de Nanterre le 21 septembre 2018, a démarré son activité le 1er octobre 2018, soit après la fin des contrats de travail de MM. [P] et [C]. Selon l'extrait Kbis produit aux débats, cette société a pour activité le « conseil et assistance en matière organisationnelle, fiscale, financière et de gestion pour le secteur public ou privé ; la réalisation d'études, audits, analyses en matière de finances publiques, d'organisation et de communication pour le compte du secteur public ou privé », soit une activité similaire à celle des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil, fournissant des prestations de conseils, études et assistance dans le domaine financier et fiscal, essentiellement à destination des établissements publics et des collectivités publiques principalement territoriales.

Si les intimés ne contestent pas avoir démarché des prospects à compter du 1er octobre 2018, y compris des collectivités qui ont pu préalablement avoir confié des missions aux sociétés Stratorial et Territoires et Conseil, l'appelante échoue en revanche à établir que ce démarchage a été « massif » et surtout que, comme elle le prétend, l'activité de la société Territoires et Conseil a été vidée en totalité et celle de la société Stratorial l'a été de toute la branche finances et fiscalité locales de son établissement parisien, sachant que pour cette branche, elle fait état sur son site internet d'environ 300 clients sur toute la France et de 500 missions annuelles en moyenne (pièce 2 intimés). L'appelante se limite en effet à produire un tableau intitulé « Liste clients Territoires et Conseil – Stratorial » (sa pièce 26), un tableau chiffrant sa perte de chiffre d'affaires (sa pièce 32) et un rapport d'expertise établi le 23 novembre 2020 par M. [Z] [E], se présentant comme « expert judiciaire », pour évaluer son préjudice (sa pièce 39).Ce rapport mentionne que 84 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Public Avenir sur son premier exercice social, soit du 2 octobre 2018 au 31 décembre 2019 (15 mois) l'a été avec les clients de la société Stratorial et majoritairement avec ceux de la société Territoires et Conseil ; il fait notamment état d'un chiffre d'affaires total détourné de 490.162 €, facturé depuis le 1er octobre 2018 aux 61 clients identifiés par la société Stratorial.

La cour relève toutefois que lesdits tableaux, non datés, ont manifestement été établis par la société Stratorial et que le rapport de M. [E] a été réalisé de manière non contradictoire, à l'initiative de l'appelante, mais surtout que ces pièces ne sont corroborées par aucun élément comptable certifié par l'expert-comptable de la société Stratorial et/ou par celui de la société Territoires et Conseil, ni même aucun élément prouvant que tous les clients listés étaient effectivement ceux des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil lorsque MM. [P] et [C] ont démissionné.

Les intimés produisent quant à eux un tableau certifié conforme par l'expert-comptable de la société Public Avenir le 16 septembre 2020 (leur pièce 19) qui récapitule le montant total HT des factures émises par elle pour chacun de ses clients entre le 2 octobre 2018 et le 15 septembre 2020. Il en ressort que 39 collectivités territoriales sur les 61 identifiées par la société Stratorial n'ont pas été clientes de la société Public Avenir sur cette période, ce qui vient contredire le détournement de clientèle massif allégué.

En tout état de cause, pour la plupart des démarchages effectués par la société Public Avenir et ses deux gérants à compter du 1er octobre 2018, la preuve de manoeuvres déloyales n'est pas rapportée.

Il n'en demeure pas moins que par courriel du 5 septembre 2018 (pièce 31-3 Stratorial), soit avant son départ de la société Territoires et Conseil, M. [C] a transféré vers sa messagerie personnelle un tableau intitulé 'Liste des clients', qu'il a immédiatement transmis à M. [P], sur son adresse de messagerie personnelle. Ce tableau mentionne pour une quinzaine de collectivités les dates de début et de fin de contrat ainsi que les montants facturés. Ces informations appartenaient à la société Territoires et Conseil et ne pouvaient être transférées par M. [C] pour les besoins de la nouvelle société en cours de création. Elles ont permis à MM. [C] et [P] de bénéficier d'un avantage concurrentiel en disposant, dès le début d'activité de la société Public Avenir, des informations leur permettant de se positionner utilement auprès de ces clients. D'ailleurs, le tableau évoqué supra produit par les intimés (leur pièce 19), démontre que 14 des 15 clients listés dans le fichier transféré sont devenus des clients de la société Public Avenir dès le premier exercice social.

La cour retient en conséquence un acte de concurrence déloyale de la part des intimés.

3/ Il est ensuite soutenu que les clients ont reçu clé en main un « kit de résiliation » constitué des mode d'emploi et formulaire de résiliation des contrats en cours avec la société Stratorial, préparés par MM. [P] et [C].

Dans un courriel adressé le 25 septembre 2018 à M. [C] par Mme [H] [U], ancienne dirigeante de Territoires et Conseil, et transféré dès le lendemain à M. [P] (pièce 31-9 Stratorial), contenant en pièce jointe un « Projet de courrier pour [S] », il est ainsi écrit :

« Objet : projet du courrier des clients concernés par un contrat en cours [S],

Je te joins donc le projet de courrier (attention AR obligatoire) des clients ayant un contrat en cours auprès de T&C ou Stratorial ou ORCOM. S'agissant d'une rupture contractuelle, il vous faut bien vérifier le titulaire, soit du marché, soit du contrat simple et les références du contrat. Si vous vous trompez dans les dates, noms ou autres références, le risque est de ne pas permettre l'annulation. Donc, il faut ressortir chaque contrat ou marché concerné ... Courage ...

Je suis à ta disposition pour toute question ou discuter ensemble des modifs que tu proposes. Amitiés »

Sont par ailleurs versés aux débats :

- un courriel du 29 septembre 2018 de M. [C] à M. [K] [D], directeur général adjoint de l'Etablissement Public Territorial 12 Grand [Localité 16] Seine Bièvre (pièce 31-11 Stratorial), ainsi rédigé :

« Bonjour [K],

En pièce jointe, un projet de lettre de résiliation de votre contrat avec T&C.

Les coordonnées du destinataire figurent au début du courrier.

ORCOM ayant réquisitionné nos dossiers, je n'ai pas pu indiquer dans ce projet de courrier, ni les références exactes du contrat ni les dates exactes de début et de fin.

Je n'ai pas pu vérifier non plus quels sont les conditions de résiliation contractuelle, et si vous avez un délai maximum à respecter pour notifier valablement votre décision à ORCOM-T&C.

Il faudra donc rapidement vous retourner vers votre service des marchés, pour valider le délais maximum dont vous disposez pour vous désengager. (...) »

outre une lettre recommandée du 21 décembre 2018 (pièce 24 Stratorial), rédigée sur la base du modèle transmis, par laquelle l'Etablissement Public Territorial 12 Grand [Localité 16] Seine Bièvre a notifié à la société Territoires et Conseil sa décision de résilier le marché les liant, et un courriel du 14 mars 2019 (pièce 31-20 Stratorial) établissant que la mission s'est poursuivie avec la société Public Avenir.

- un courriel adressé par M. [C] le 29 septembre 2018 à '[email protected]' (pièce 31-74 Stratorial) dont la société Stratorial indique qu'il s'agit de l'adresse de messagerie personnelle de la directrice générale adjointe ressources de la ville de [Localité 7], Mme [F] [N], ce qui est corroboré par un courriel de cette dernière à la société Public Avenir le 10 janvier 2019 (pièce 31-44 Stratorial).

M. [C] lui écrit :

« Objet : projet de lettre de résiliation du contrat avec T&C

bonjour Bernadette

en pièce jointe, un projet de lettre de résiliation de votre contrat avec T&C.

Les coordonnées du destinataire figurent au début du courrier.

ORCOM ayant réquisitionné mes dossiers, je n'ai pas pu indiquer dans ce projet de courrier, ni les références du contrat ni les dates exactes de début et de fin.

ATTENTION au délais pour envoyer ce courrier : il me semble que le CCP prévoyait ...

"2.4 - Durée du marché

(...)"

Il FAUT vérifier avec votre service des marchés la date de signature du contrat et valider le délais maximum dont vous disposez pour vous désengager.

Il me semble que le marché à été conclu en novembre 2016 (à vérifier) ... la date anniversaire serait donc le 16 novembre 2018. Mais est-ce le cas, il faut le faire vérifier !!

Dans l'affirmative, il faudrait donc que votre courrier de résiliation parte, en AR, avant le 15 octobre 2018. »

outre une lettre recommandée du maire de la commune de [Localité 7] en date du 5 octobre 2018 ayant pour objet la non-reconduction du marché public concernant la mission d'accompagnement budgétaire et financier (pièce 23 Stratorial), ainsi qu'un échange de courriels le 10 janvier 2019 entre Mme [N] et la société Public Avenir (pièce 31-44 Stratorial), confirmant la poursuite de la mission par cette nouvelle société.

De plus, la cour relève que le modèle de lettre de résiliation joint aux courriels susvisés est similaire aux lettres de résiliation adressées le 2 octobre 2018 par la ville de [Localité 18] (pièce 22 Stratorial) ou encore le 3 octobre 2018 par la ville de [Localité 9] (pièce 21 Stratorial).

Les courriels du 29 septembre 2018 contenant des consignes précises pour résilier les contrats, envoyés à des clients de la société Territoires et Conseil, avant la cessation du contrat de travail de M. [C], qui est intervenue le 30 septembre 2018 ainsi que ce dernier l'a lui-même précisé dans sa lettre de démission du 16 juillet 2018 (pièce 9 Stratorial), permettent de caractériser des actes de concurence déloyale au préjudice de cette société.

4/ La société Stratorial reproche à MM. [P] et [C] d'avoir préparé, pendant leur temps de travail au sein des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil, la création de leur nouvelle structure, la société Public Avenir, qui exerce la même activité que leurs anciens employeurs.

Les pièces suivantes peuvent être relevées :

- un courriel du 27 juin 2018 (pièce 13 Stratorial) par lequel M. [P] transfère vers sa messagerie personnelle un document powerpoint de présentation de la nouvelle structure ;

- un courriel adressé par M. [C] le mardi 31 juillet 2018 à l'expert-comptable consulté pour la création de la société Public Avenir (pièce 31-12 Stratorial), auquel il annonce leur démission ;

- un courriel du 27 juillet 2018 (pièce 31-17 Stratorial) par lequel M. [P] envoie à M. [C] un document de présentation et un projet de statuts pour la nouvelle structure ;

- un courriel du 7 septembre 2018 (pièce 14 Stratorial) par lequel M. [P] transfère vers sa messagerie personnelle des projets de cartes de visite à son nom et à celui de M. [C] sous l'intitulé Public Avenir.

Cependant, ces pièces ne permettent pas de démontrer à suffisance que MM. [P] et [C] ont préparé, pendant leur temps de travail, la création de la société Public Avenir, et surtout, à supposer qu'elle soit établie, que cette circonstance constitue un acte de concurrence déloyale.

5/ L'appelante prétend que M. [P] a transféré, sans autorisation, de son adresse mail professionnelle à son adresse mail personnelle la plus grande partie du carnet d'adresses des clients de la société Stratorial.

M. [P] ne conteste pas avoir récupéré ses contacts dans sa boîte mail professionnelle Stratorial et les avoir transférés vers sa messagerie personnelle. Il souligne néanmoins qu'il les avait lui-même créés au fur et à mesure de sa vie professionnelle et que s'agissant spécifiquement des contacts clients, ces données sont publiques. Toutefois, il ne justifie pas du caractère public de ces éléments et là encore, ces informations ont permis à la société Public Avenir et à ses co-associés de bénéficier d'un avantage concurrentiel certain, en démarchant de potentiels clients dès le premier jour d'activité de la nouvelle société, ainsi qu'en attestent les pièces produites aux débats.

6/ L'appelante reproche à MM. [P] et [C] d'avoir appréhendé les informations, le savoir-faire et les modèles de la société Stratorial. Elle fait valoir que M. [P] a transféré de son adresse mail professionnelle à son adresse mail personnelle les modèles de documents internes (réponse à des appels d'offres, notes méthodologiques, modèles de courriers, ...) des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil. (manoeuvres 2, 6 et 13)

Elle produit plusieurs courriels et fichiers informatiques collectés lors du 2ème constat d'huissier opéré le 14 mai 2019 dans les locaux de la société Public Avenir, notamment les suivants :

- un courriel en date du 15 janvier 2019 de M. [C] (pièce 31-40 Stratorial), lequel répond à la ville de [Localité 9] qui lui demande s'il a conservé dans ses dossiers « les cfe par ville du t12 depuis 2016 » :

« Je t'adresse un document que j'avais adressé, en son temps, à l'EPT-12. Attention ce document est confidentiel car :

- c'est l'EPT qui en est « propriétaire »

- je l'ai réalisé sous l'étiquette T&C (oups) ... et ne suis pas supposé l'avoir conservé » ;

- un courriel de la société Public Avenir en date du 6 novembre 2018 (pièce 31-70 Stratorial) comportant en pièce jointe une « Note méthodologique pour l'audit de satellites » rédigée en février 2017 par la société Orcom pour la ville de [Localité 11] ;

- un courriel du 26 septembre 2018 de M. [P] à lui-même (pièce 12 Stratorial) auquel est joint une note méthodologique rédigée le 23 mai 2018 par la société Territoires et Conseil dans le cadre d'une mission d'accompagnement, d'analyse financière et de prospective budgétaire de la ville de [Localité 13] ;

- deux courriels du 1er octobre 2018 de M. [P] à lui-même (pièces 31-95 et 31-96 Stratorial) auxquels sont joints différents fichiers de présentation, analyse de tarification ... réalisés par la société Stratorial pour le compte de la communauté de communes Porte de Drôme Ardèche en vue notamment d'une réunion du 23 mars 2018 et de comités de pilotage des 22 juin et 5 octobre 2018 ;

- un devis établi le 12 juin 2018 pour la mairie de [Localité 14] (pièce 31-94 Stratorial), dont il n'est pas contesté qu'il s'agissait d'un client de la société Territoires et Conseil.

Ces informations, notamment tarifaires, présentent pour l'appelante un caractère confidentiel et d'ailleurs M. [C] le reconnaît lui-même dans son courriel du 15 janvier 2019, en indiquant qu'il n'est pas censé avoir conservé le document en question. Les intimés ne pouvaient donc en faire usage, ou à tout le moins les détenir sans autorisation, sans se rendre coupables d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Stratorial, étant rappelé que l'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent, constitue un acte de concurrence déloyale. Peu importe donc l'usage qui en a été fait ou pas.

Au surplus, MM. [P] et [C] admettent dans leurs écritures qu'ils ont effectivement établi leur business plan à partir des informations dont ils avaient connaissance, en particulier les chiffres d'affaires réalisés par les sociétés Stratorial et Territoires et Conseil avec chacun de leurs clients (page 43 de leurs conclusions). Le détournement de ces informations confidentielles, obtenues dans le cadre de leurs fonctions de consultant au sein des sociétés Stratorial et Territoires et Conseil, et l'utilisation qu'ils en ont faites à des fins personnelles, en vue de la création de leur propre société et au bénéfice de celle-ci, sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale commis au préjudice de leurs anciens employeurs.

7/ L'appelante reproche à M. [C] d'avoir transmis à M. [P], juste avant leur départ, des échanges concernant une mission pour la commune de [Localité 9], qui est devenue le client de la société Public Avenir, ainsi qu'à M. [P] d'avoir adressé à M. [C] sur son adresse mail personnelle un mail pour organiser entre eux la préparation de devis « à toutes les collectivités ».

S'il est exact que la société Public Avenir a été sollicitée par la commune de [Localité 9] dès le 3 octobre 2018 aux fins de transmission d'un devis, il ne résulte pas des pièces versées aux débats que cette sollicitation faite suite à des manœuvres de MM. [P] et [C].

8/ L'appelante soutient que M. [P] a répondu à une sollicitation d'un potentiel client adressée sur son adresse mail professionnelle en indiquant sa disponibilité personnelle pour gérer le cas à partir du mois de décembre 2018.

Toutefois, la société Stratorial ne s'explique pas sur ce point, de sorte qu'il n'est pas possible pour la cour de se prononcer.

9/ L'appelante fait valoir qu'en juin 2018, M. [P] a transféré de son adresse mail professionnelle à son adresse mail personnelle un support de présentation de son projet de constitution de société indiquant, notamment, que l'objectif déclaré est de « poursuivre l'identité de Stratorial (...) par le biais d'un autre cabinet ».

La société Stratorial produit en effet un courriel du 27 juin 2018 que M. [P] a transféré de sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle et auquel était joint un document de présentation de la nouvelle structure (pièce 13 Stratorial) comportant un business plan et différents scénarios intégrant MM. [P] et [C]. On peut lire notamment en page 9 de ce document :

« Les produits sur lesquels nous parions :

- Poursuivre l'identité de Stratorial (300 clients, plus de 500 missions par an) par le biais d'un autre cabinet,

- Notre réseau de partenaires (juridique, organisation, projet de territoire, (...) »

Le document de présentation adressé par M. [P] à M. [C] le 27 juillet 2018 (pièce 31-17 Stratorial) reprend les mêmes termes en ajoutant : « Compte tenu du déclin du cabinet dans lequel je travaille, je souhaite maintenir la fidélité avec mes clients dans une nouvelle structure » (page 2), « l'échec du rachat de Stratorial qui conduit à une érosion de 30 %/an du chiffre d'affaires » (page 7).

Si ces pièces démontrent que l'intention de MM. [P] et [C] en créant la société Public Avenir était bien d'exercer la même activité que la société Stratorial avec, tout au moins pour partie, les mêmes clients, elles ne sont pas de nature à caractériser un quelconque acte de concurrence déloyale, faute pour l'appelante d'établir que le document de présentation a été diffusé auprès notamment de prospects.

10/ L'appelante reproche à M. [C] d'avoir annoncé massivement son départ de la société aux clients de la société Stratorial en indiquant spécialement que les contrats de la société engageaient nominativement son intervention.

Il résulte certes des pièces 17, 18 et 19 produites par la société Stratorial que M. [C] a annoncé son départ de la société Territoires et Conseil à deux collectivités ([Localité 9] et [Localité 19]) avec lesquelles il travaillait. Or, outre que l'appelante ne produit que trois courriels, ce qui permet d'écarter le caractère massif de cette communication, le fait d'aviser ses interlocuteurs habituels de son changement de société, voire de la création d'une nouvelle entité, est une pratique usuelle dans le monde des affaires et ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale. L'appelante fait grief à M. [C] d'avoir indiqué dans ses courriels que « les contrats qui nous lient actuellement engagent nominativement mon intervention », ce qui n'est toutefois pas suffisant pour considérer qu'il s'agissait là d'un moyen déloyal pour détourner la clientèle au profit de la société Public Avenir, les réponses apportées à ces courriels ne permettant pas de retenir que les clients ont interprété cette formulation comme une obligation pour eux de suivre M. [C] dans sa nouvelle structure.

S'agissant de M. [P] et bien qu'aucun courriel ne soit produit par l'appelante, le simple fait d'annoncer son départ à ses interlocuteurs ne relève pas non plus de la déloyauté.

11/ M. [P] s'est transféré vers son adresse mail personnelle des demandes de travaux adressés par des clients à la société Stratorial.

La cour constate que :

- par courriel du 18 septembre 2018 (pièce 31-4 Stratorial), M. [P] a transféré vers sa messagerie personnelle une consultation de la ville de [Localité 20] reçue le même jour par la société Stratorial, aux fins de faire réaliser une étude prospective du budget communal ;

- par courriel du 24 septembre 2018 (pièce 31-7 Stratorial), M. [P] a transféré vers sa messagerie personnelle une demande d'étude de la communauté de communes de [Localité 12] Tude Dronne reçue le même jour par la société Stratorial ;

- par courriel du 30 septembre 2018 (pièce 31-15 Stratorial), M. [P] a transféré vers sa messagerie personnelle une demande de proposition de Mme [V] [M], directrice générale des services de la communauté de communes du territoire Nord-Picardie, reçue le 28 septembre 2018 sur sa messagerie Stratorial.

Il a déjà été rappelé que le seul détournement d'informations confidentielles par des procédés déloyaux constitue un acte de concurrence déloyale et il importe donc peu que les collectivités précitées aient choisi ou non de travailler avec la société Public Avenir.

Les intimés objectent qu'il était courant que M. [P] utilise sa boîte mail personnelle dans le cadre de ses activités professionnelles mais ils n'en rapportent pas la preuve, ce qu'ils auraient pu éventuellement faire en produisant par exemple des courriels plus anciens établissant que cette pratique était habituelle pour lui.

Au demeurant et même si la communauté de communes de [Localité 12] Tude Dronne n'a finalement pas confié de mission à la nouvelle société, des échanges de courriels des 3 et 4 octobre 2018 (pièce 31-97 Stratorial) établissent qu'un devis en date du 1er octobre 2018 lui a été transmis par la société Public Avenir pour un « montant permettant de ne pas dépasser le marché que vous aviez prévu initialement avant l'été » et que ce devis a été signé.

Bien plus, dans un courriel du 3 septembre 2018 (pièce 31-99 Stratorial), M. [P], qui était sollicité par Mme [G] [T], directrice générale des services de la ville de [Localité 8], dans le cadre de ses fonctions de consultant au sein de la société Stratorial, l'a informée de la création de son propre cabinet et lui a proposé « deux possibilités : 1. Continuer de travailler avec Stratorial (...) 2. [Lui] proposer un devis au nom de la nouvelle structure (...) ». Un devis a effectivement été transmis par la société Public Avenir à Mme [T] par courriel du 23 octobre 2018 (pièce 31-100 Stratorial). Les intimés concèdent d'ailleurs une « maladresse » de M. [P] (page 49 de leurs conclusions).

Et, par un courriel du 25 septembre 2018 (pièce 31-13 Stratorial), M. [P] a offert purement et simplement ses services à Mme [X] [W], de la commune de [Localité 14], dans le cadre de sa « nouvelle structure (qui verra le jour officiellement le 1er octobre) », en lui précisant que « en termes de devis, ce sera le même montant ».

Ces éléments démontrent l'emploi de procédés déloyaux par les intimés, alors au surplus que MM. [P] et [C] étaient encore tenus par les liens d'un contrat de travail, pour l'un avec la société Stratorial et pour l'autre avec la société Territoires et Conseil.

12/ La société Stratorial prétend qu'au moment de son départ et pendant son préavis, M. [C] a tout fait pour bloquer le mécanisme de passation des dossiers à un autre collaborateur.

Ce grief n'est aucunement étayé ni explicité et ne sera donc pas retenu.

*****

Ainsi s'il n'y a pas eu de démarchage massif et systématique de la clientèle de la société Stratorial, il résulte néanmoins de certains des éléments examinés que MM. [P] et [C], puis la société Public Avenir qu'ils ont créée, ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Stratorial susceptibles de justifier l'allocation de dommages et intérêts.

En outre, les intimés ont parasité la société Stratorial en se plaçant dans son sillage, ce qui était d'ailleurs l'objectif affiché par les deux associés dans le document de présentation de la société Public Avenir (« Poursuivre l'identité de Stratorial par le biais d'un autre cabinet » - pièce 13 Stratorial). Il résulte des développements précédents que la société Public Avenir, placée dans une situation de concurrence vis-à-vis de la société Stratorial, a tiré profit de son expérience dans le secteur du conseil en finances et fiscalité aux collectivités publiques et du travail accompli par cette dernière, notamment des notes méthodologiques, fichiers de présentation, analyses de tarification évoqués supra, faisant par cette reprise l'économie d'un travail intellectuel qui lui a permis d'être immédiatement opérationnelle le 1er octobre 2018, date de démarrage de son activité.

MM. [P] et [C] contestent toute responsabilité personnelle résultant d'une quelconque faute détachable de leur mandat de gérant, sans plus s'expliquer.

L'article 1242 alinéa 1 du code civil dispose que « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ».

L'alinéa 5 de ce texte ajoute que sont responsables :

« Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ».

Or, les intimés, qui ne développent aucune argumentation sur ce point, ne démontrent pas que MM. [P] et [C] ont agi dans les limites de leur mandat de gérant de la société Public Avenir, étant observé que les actes de concurrence déloyale ont commencé avant même la création de cette société et qu'ils se sont ensuite poursuivis, la société Public Avenir ayant profité des actes de concurrence déloyale pour créer et développer sa clientèle.

La responsabilité de MM. [P] et [C] est donc engagée au même titre que celle de la société Public Avenir dont ils sont les gérants et les co-associés.

Sur l'indemnisation des préjudices,

L'appelante soutient qu'elle a fait face à une perte massive de clients et de chiffre d'affaires affectant la pérennité même de son activité et ce à cause des agissements de la société Public Avenir et de ses deux co-gérants qui ont détourné nombre de ses clients, désormais contractuellement liés à la société Public Avenir ; qu'ainsi son préjudice financier est en lien direct avec ces agissements. Elle estime que sur le premier exercice de la société Public Avenir, 84 % de son chiffre d'affaires provient du détournement de clients et sur le second exercice, 92 %. Elle sollicite la condamnation in solidum des intimés à lui verser la somme de 375.000 € au titre du manque à gagner en marge brute et celle de 300.000 € pour la perte sur titres de participation Territoires et Conseil. Elle se prévaut notamment d'un rapport d'expertise établi le 23 novembre 2020 par M. [Z] [E], qui confirme selon elle le bien-fondé de ses demandes, et elle critique les intimés qui ne fournissent aucune contre-expertise susceptible de contredire l'analyse de M. [E]. Elle sollicite à titre subsidiaire et avant dire droit la désignation d'un expert judiciaire en comptabilité afin notamment de donner son avis sur les préjudices subis.

La société Stratorial s'estime en outre bien fondée à obtenir réparation de son préjudice moral à hauteur de la somme de 150.000 €, au regard de l'ampleur des manœuvres déloyales des intimés et des difficultés dans lesquelles elles l'ont plongée. Elle fait notamment valoir qu'elle a été dépossédée de la quasi-totalité de son travail et que ses deux anciens collaborateurs ont trompé sa confiance.

Les intimés répondent que l'appelante procède par affirmation en indiquant qu'elle aurait subi un appauvrissement massif pour prétendre, sans l'expliciter ni le justifier, à un préjudice financier désormais réclamé à hauteur de 675.000 € quand le rédacteur du rapport dont elle se prévaut en pièce n° 39 intitulée 'Rapport expertise [E]' l'évalue à 595.000 €. Ils critiquent ce rapport, qui a été établi de manière non contradictoire, à la demande de l'appelante, par M.[Z] [E], dont ils soulignent qu'il a été pendant 27 ans expert-comptable au sein du groupe Orcom, auquel appartient la société Stratorial, ce qui doit conduire à la plus grande prudence quant à la partialité de ce document. Ils ajoutent que ce rapport est fondé sur des éléments qui ne sont corroborés par aucune pièce probante et que les tableaux qui y sont annexés mentionnent des clients qui n'ont jamais été clients de la société Public Avenir ou encore des clients de cette dernière qui n'ont jamais été clients de la société Stratorial ou de la société Territoires et Conseil. Ils font observer que la société Stratorial, pourtant filiale d'un groupe d'expertise comptable, ne produit aucune donnée comptable sérieuse et certifiée. Ils considèrent que les demandes de l'appelante ne sont pas sérieuses ; qu'elle n'établit pas de lien de causalité entre les faits reprochés et le prétendu préjudice subi, qu'ils jugent inexistant ; que le tableau qu'elle produit en pièce n° 32, censé démontrer sa perte de chiffre d'affaires, n'a aucune valeur probante ; qu'en réalité, la société Stratorial ne peut reprocher à la société Public Avenir et à ses associés les conséquences financières d'une situation qu'elle a elle-même créée par ses propres choix de gestion - notamment la dissolution de la société Territoires et Conseil-, la crise de confiance qui s'est établie entre ses nouveaux dirigeants et ses consultants après son rachat par le groupe Orcom ainsi que par ses propres carences en s'abstenant de proposer de nouveaux intervenants pour reprendre les missions et de répondre à des appels d'offres. Ils s'opposent à la demande d'expertise judiciaire avant dire droit qui ne vise selon eux qu'à pallier la carence probatoire de la société Stratorial. Ils indiquent enfin, s'agissant du préjudice financier allégué, que la société Public Avenir ne peut se voir imputer le prix d'acquisition des parts sociales de la société Territoires et Conseil, comme le réclame l'appelante.

Ils sollicitent également le débouté de la demande de dommages-intérêts au titre d'un préjudice moral, qui n'est selon eux démontré ni dans son principe, ni dans son quantum qu'ils estiment totalement exorbitant.

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L'appelante fait état d'une perte massive de clients et de chiffre d'affaires et sollicite la condamnation in solidum des intimés à lui verser la somme de 375.000 € au titre du manque à gagner en marge brute. Elle prétend avoir été destinataire ainsi que la société Territoires et Conseil « d'un nombre considérable de courriers de clients souhaitant résilier leur marché, tandis que d'autres marchés n'ont pas été reconduits alors qu'ils l'étaient depuis des années ». Pourtant, les courriers de résiliation ou de non-reconduction de contrat qu'elle produit concernent seulement 4 clients, à savoir la ville de [Localité 9] (pièce 21), celle de [Localité 18] (pièce 22), celle de [Localité 7] (pièce 23) et l'établissement public territorial Grand [Localité 16] Seine Bièvre (pièce 24).

Le rapport de M. [E] évoqué supra (pièce 39 Stratorial), dont elle se prévaut au soutien de ses demandes indemnitaires, évalue à 490.162 € le chiffre d'affaires total détourné par les intimés entre le 1er octobre 2018 et la date de rédaction du rapport. L'auteur de ce rapport explique avoir procédé à ce calcul à partir du tableau récapitulatif certifié par l'expert-comptable de la société Public Avenir et produit par les intimés en pièce 19 (voir supra) ; il considère que la récurrence du chiffre d'affaires doit conduire à prolonger le préjudice sur les exercices futurs ; puis après avoir calculé un chiffre d'affaires détourné en moyenne annuelle, il aboutit à un manque à gagner en marge brute de 305.000 € pour les exercices 2019 à 2023. Il convient de rappeler que le préjudice subi par l'appelante ne peut être constitué que d'une perte de chance de maintenir le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec les clients détournés au moyen de procédés déloyaux. Or, la société Stratorial ne met pas la cour en mesure d'identifier précisément ces clients, au-delà des clients évoqués ci-dessus, soit ceux qui ont résilié les marchés avec la société Territoires et Conseil ou qui ne les ont pas reconduits ou ceux auxquels un modèle de lettre de résiliation de leur contrat avec la société Territoires et Conseil a été adressé par les intimés. En outre, ainsi que la cour l'a déjà relevé supra, l'appelante ne fournit aucune donnée comptable probante et dûment certifiée, autre que celle communiquée par les intimés qui répondent de manière détaillée pour chacun des clients sans que Stratorial ne critique utilement ces éléments.

Par ailleurs, aucun élément ne vient justifier la somme de 300.000 € réclamée au titre de la perte sur titres de participation Territoires et Conseil, qui ne repose que sur l'affirmation de M. [E] selon laquelle la société « Stratorial a acquis le 6 janvier 2017 la société Territoires et Conseil pour un prix de 290.000 € qui n'a plus de valeur en raison de l'anéantissement de l'activité de Territoires et Conseil ».

La demande d'expertise avant dire droit formulée par l'appelante à titre subsidiaire n'apparaît enfin pas fondée dès lors qu'en l'état des éléments produits, elle reviendrait à pallier sa carence probatoire.

Au vu de l'ensemble de ces éléments et au regard des actes de concurrence déloyale précédemment caractérisés qui ont permis à la société Public Avenir d'obtenir des missions dès le démarrage de son activité et donc de réaliser, dès son premier exercice un chiffre d'affaires non négligeable, la cour évalue le préjudice subi par la société Stratorial à la somme de 30.000 €, que la société Public Avenir ainsi que MM. [P] et [C] seront condamnés, in solidum, à lui payer à titre de dommages et intérêts, par infirmation du jugement déféré.

La demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral qu'aurait subi la société Stratorial n'étant pas explicitée, elle sera rejetée.

Sur les autres demandes de la société Stratorial.

La société Stratorial sollicite la condamnation de la société Public Avenir, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée, à cesser d'utiliser son fichier clientèle ainsi que tous ses modèles et formulaires appréhendés.

Elle demande en outre à la cour d'ordonner la publication du jugement à intervenir (sic) dans deux journaux professionnels de son choix à usage des collectivités locales et établissements publics aux frais des parties adverses.

Les intimés répondent que la demande de la société Stratorial impliquerait que la société Public Avenir soit condamnée à payer la somme de 5.000 € à chaque fois qu'elle utilisera l'adresse email d'un membre ou d'un personnel d'une collectivité territoriale qui aurait été cliente de l'appelante ou encore d'un partenaire avec lequel celle-ci aurait pu être en contact. Ils considèrent que cette demande contrevient manifestement à la liberté du commerce et de l'industrie et n'est pas une mesure d'interdiction légalement admissible. Ils soulignent enfin qu'on ignore à quoi correspond ces prétendus « fichier clientèle » et « modèles anormalement appréhendés au détriment de Stratorial ».

Ils soutiennent ensuite que la demande de publication judiciaire apparaît n'avoir d'autre vocation que de menacer une société concurrente de lui nuire de manière disproportionnée.

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La demande de l'appelante de voir condamner la société Public Avenir à cesser d'utiliser « le fichier clientèle de la société Stratorial ainsi que tous ses modèles et formulaires appréhendés » ne peut prospérer, à défaut d'être suffisamment précise.

Par ailleurs, la demande de publication de l'arrêt présentée par la société Stratorial n'apparait pas opportune.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive.

La société Stratorial sollicite l'infirmation du jugement qui l'a condamnée pour exercice abusif de son droit d'agir en justice. Elle estime qu'aucun abus de procédure n'est caractérisé et qu'elle n'a fait que défendre légitimement ses intérêts et réclamer ses droits en justice.

Les intimés répondent que l'action de la société Stratorial n'a d'autre objectif que de maintenir l'un de ses concurrents, la jeune société Public Avenir, et à titre personnel ses deux associés, sous la menace d'une procédure et de demandes indemnitaires exorbitantes et totalement injustifiées, ce pour les décourager de poursuivre leur activité et pour tenter d'imputer à un tiers les conséquences financières d'une situation qu'elle a elle-même créée. Ils considèrent que la société Stratorial a manifestement abusé de son droit d'agir en justice. Ils réclament, outre la confirmation de la condamnation de première instance, le versement de dommages-intérêts complémentaires en cause d'appel, à raison de 1.000 € chacun à M. [P] et à M. [C] et 5.000 € à la société Public Avenir.

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Au regard de la solution du litige, le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société Stratorial à payer à la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] des dommages-intérêts au titre de la procédure abusive et la demande de dommages et intérêts complémentaires formulée par les intimés en cause d'appel ne saurait prospérer.

Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Compte tenu de la décision, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la société Public Avenir, M. [P] et M. [C] supporteront in solidum les entiers dépens de première instance et d'appel, hormis le coût du procès-verbal d'huissier annulé du 27 février 2019, qui seront recouvrés par Me Poulain.

Ils seront en outre condamnés in solidum à verser à la société Stratorial la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement rendu le 20 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il a écarté tout acte de concurrence déloyale et parasitaire, en ce qu'il a débouté la société Stratorial de sa demande indemnitaire en réparation d'un préjudice financier, en ce qu'il a condamné la société Stratorial pour exercice abusif de son droit d'agir en justice ainsi qu'aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

LE CONFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la société Public Avenir, M. [J] [P] et M. [S] [C] se sont rendus coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Stratorial ;

CONDAMNE in solidum la société Public Avenir, M. [J] [P] et M. [S] [C] à verser à la société Stratorial la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts ;

CONDAMNE in solidum la société Public Avenir, M. [J] [P] et M. [S] [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel, hormis le coût du procès-verbal d'huissier annulé du 27 février 2019, dont distraction au bénéfice de Me Sophie Poulain ;

CONDAMNE in solidum la société Public Avenir, M. [J] [P] et M. [S] [C] à verser à la société Stratorial la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.