CA Colmar, 1re ch. A, 24 janvier 2024, n° 23/00013
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
IOC Alsace (SAS)
Défendeur :
AEB France (Sarlu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Walgenwitz
Conseillers :
M. Roublot, Mme Rhode
Avocats :
Me Litou-Wolff, Me Harant, Me Spieser, Me Mandel
Vu l'ordonnance rendue le 30 juin 2022, sur requête de l'EURL AEB FRANCE, ci-après également dénommée "AEB", par la présidente de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar, et signifiée le 26 juillet 2022 à la SAS IOC ALSACE, ci-après également "IOC",
Vu l'assignation délivrée le 24 octobre 2022, par laquelle la SAS IOC ALSACE a fait citer l'EURL AEB FRANCE en la forme des référés devant la présidente de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar, aux fins, notamment, de rétractation de l'ordonnance susvisée,
Vu le jugement rendu le 8 décembre 2022, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel la présidente de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar a statué comme suit :
DEBOUTE la SAS IOC ALSACE de sa demande aux fins de voir écarter des débats l'annexe n° 13 ;
DEBOUTE la SAS IOC ALSACE de sa demande de rétractation de l'ordonnance RG 22/320 en date du 30 juin 2022 ;
DEBOUTE la SAS IOC ALSACE de ses demandes subséquentes de destruction des éléments saisis et d'interdiction d'utiliser ces éléments ;
DEBOUTE la SAS IOC ALSACE de sa demande de dommages et intérêts ;
CONDAMNE la SAS IOC ALSACE à supporter les entiers dépens ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SAS IOC ALSACE ;
CONDAMNE la SAS IOC ALSACE à payer à l'EURL AEB FRANCE la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
RAPPELLE que le présent jugement est par nature exécutoire par provision de plein droit.'
Vu la déclaration d'appel formée par la SAS IOC ALSACE contre cette décision, et déposée le 20 décembre 2022,
Vu la constitution d'intimée de l'EURL AEB FRANCE en date du 5 janvier 2023,
Vu l'arrêt rectificatif d'erreur matérielle rendu le 23 août 2023, remplaçant, dans le dispositif du jugement susvisé le terme 'RG 22/320' par le terme "RG 22/331'"
Vu les dernières conclusions en date du 17 novembre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS IOC ALSACE demande à la cour de :
DIRE l'appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit.
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la concluante :
- de sa demande de voir écarter l'annexe n° 13,
- de sa demande de rétractation de l'ordonnance RG 22/320 du 30 juin 2022,
- de ses demandes subséquentes de destruction des éléments saisis et d'interdiction d'utiliser ces éléments,
- de sa demande de dommages et intérêts,
et l'a condamnée aux dépens et à payer 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Et statuant à nouveau,
Vu les articles 6 et 9 du Code de Procédure Civile,
Vu l 'article 16 du Code de Procédure Civile.
ECARTER des débats la pièce adverse 13 dans la mesure où il s'agit d'une pièce obtenue dans des conditions ignorées de la concluante, qui apparaissent l'avoir été dans des conditions déloyales s'agissant d'un mail issu d'une boîte mail personnelle de la salariée,
Et vu les articles 496 et 497 du Code de Procédure Civile,
Vu l 'article 145 du Code de Procédure Civile,
Vu l'ordonnance rendue par Madame la Vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de COLMAR le 30/06/2022 déposée au greffe sous le numéro RG 22/00331,
ORDONNER la rétractation de l'ordonnance RG n° 22/00331 rendue par Madame la Vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de COLMAR le 30/06/2022, dans la mesure où la société AEB FRANCE échoue à rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, de l'existence d'un motif légitime et d'une raison de déroger au principe de la contradiction et dans la mesure où la mesure ordonnée porte une atteinte intolérable aux droits de la concluante.
ENJOINDRE à la SCP Laurence RANOUX-ORSAT et Franck CHRISTOPHE commissaires de justice associés, représentée par l'un quelconque de ses membres, de procéder à la destruction dès la signification de l'arrêt à intervenir de tous les éléments saisis sur le fondement de l'ordonnance rendue par Madame la Vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de COLMAR, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, cette destruction devant se faire en présence d'un huissier ou d'un clerc habilité de la SELARL STENGER DE NEUVILLE, commissaires de justice, lequel établira un procès-verbal venant constater la parfaite exécution de cette mesure
INTERDIRE à la SARL AEB FRANCE et à toute personne d'utiliser l'un quelconque des éléments saisis par les huissiers de justice mentionnés pour exécuter l'ordonnance rendue le 30/06/202, et ce sous peine de devoir régler une somme de 100.000 € par infraction constatée à cette interdiction, et ce indépendamment de la possibilité pour la concluante de pouvoir poursuivre l'indemnisation de tout préjudice subi,
En tout état de cause,
ORDONNER que l'huissier ayant instrumenté la saisie devra convoquer les parties et leurs conseils aux fins d'assister aux opérations de vérification des éléments saisis, et que toute restitution des éléments saisis ne pourra intervenir que sous réserve de la formation d'un recours en cas de contestation sur le bienfondé des éléments saisis.
REJETER les fins de non-recevoir alléguées par la société AEB FRANCE liées à de prétendues demandes nouvelles qui auraient été formées par la concluante à hauteur de Cour dans la mesure où la demande formée à titre subsidiaire vise au même but que les demandes présentées en première instance et n'en est que l'accessoire et le complément.
DEBOUTER la SARL AEB FRANCE de toutes conclusions contraires et de l'intégralité de ses fins, moyens, demandes et prétentions,
CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à la SAS IOC ALSACE la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens de première instance et d'appel'
et ce, en invoquant, notamment :
- l'absence de démonstration par la partie adverse du bien fondé de ses allégations, et de son intérêt légitime à obtenir la mesure, dans un contexte où la concurrence est libre et autorise, en principe, d'attirer la clientèle d'un concurrent, la valeur des pièces produites pour étayer les soupçons adverses de concurrence déloyale étant critiquée, comme échouant à démontrer un détournement de clientèle, surtout systématique, ou un détournement du fichier client de la partie adverse, tout débauchage de personnel étant également contesté, de même que la loyauté de l'obtention de la pièce supposée le démontrer, la constitution d'une société par cinq anciens salariés exempts d'obligation de non-concurrence dans un contexte de recentrage des activités de la partie adverse n'étant pas critiquable, et la violation de l'obligation de loyauté pas démontrée,
- la violation du principe du contradictoire en l'absence de remise par l'huissier des pièces jointes à la requête,
- une atteinte, également, à l'intimité de la vie privée et au secret des affaires, par la prise de connaissance de pièces et courriels d'anciens salariés avec lesquels elle a un contentieux prud'homal, ainsi que d'éléments sur la politique commerciale de la société concluante,
- en tout état de cause, la nécessité de prévoir les modalités de restitution des éléments saisis, alors que les périmètres de saisie fixés par l'ordonnance n'auraient pas été respectés, la restitution ne pouvant donc intervenir que sous réserve de la formation d'un recours en cas de contestation sur le bien-fondé des éléments saisis.
Vu les dernières conclusions en date du 23 novembre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, en précisant que sa pièce 13 a fait l'objet d'une contestation, et par lesquelles l'EURL AEB FRANCE demande à la cour de :
Vu l'article 145 du CPC,
Vu l'article 493 du CPC,
Vu l'article R. 153-1 du Code de commerce,
Vu l'article 564 du CPC,
Vu la requête et les pièces versées au débat,
DECLARER la SAS IOC ALSACE mal fondée en son appel,
LE REJETER
LA DEBOUTER de l'intégralité de ses fins et conclusions tant comme irrecevables que mal fondées.
DECLARER irrecevable comme demande nouvelle la demande visant à ordonner que l'huissier ayant instrumenté la saisie devra convoquer les parties et leurs conseils aux fins d'assister aux opérations de vérification des éléments saisis et que toute restitution des éléments saisis ne pourra intervenir que sous réserve de la formation d'un recours de contestation sur le bien-fondé des éléments saisis.
DÉBOUTER IOC ALSACE de sa demande tendant à voir écarter des débats la pièce 13 de l'intimée
CONFIRMER le jugement du 8 décembre 2022 dûment rectifié par un arrêt du 23 août 2023.
DÉBOUTER IOC ALSACE de toutes ses demandes fines et conclusions.
La condamner à payer à AEB France aux entiers dépens des deux instances et à payer à la société concluante la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du CPC,'
et ce, en invoquant, notamment :
- des agissements de concurrence déloyale se traduisant par des tentatives de débauchage, ainsi qu'un démarchage "systématique et agressif" de la clientèle de la concluante, de la part d'anciens salariés tenus contractuellement d'une obligation de loyauté dans l'exécution de leur contrat de travail, voire d'une obligation de confidentialité renforcée s'agissant de l'un d'entre eux qui exerçait des fonctions dirigeantes,
- l'absence d'action en cours, engagée par la concluante à l'encontre de la partie adverse,
- l'existence d'un motif légitime, la concluante estimant démontrer à suffisance la probabilité des actes de concurrence déloyale qu'elle allègue, liés à la constitution de sociétés concurrentes par d'anciens salariés, ayant procédé à des tentatives de débauchage, dont la preuve aurait été obtenue loyalement, ainsi qu'à un démarchage systématique de la clientèle, dont attesteraient de multiples résiliations de contrats dont aurait été victime la concluante, y compris par l'usage de la connaissance des prix de l'ancien employeur, et sans qu'IOC ne conteste avoir récupéré ces clients, le tout de manière concomitante, laissant présager une issue favorable d'une procédure au fond, de surcroît au vu des documents saisis, alors que la situation de concurrence et de démarchage serait admise par la partie adverse, mais qu'elles auraient lieu dans des circonstances caractéristiques d'une déloyauté,
- l'absence d'atteinte, en tout cas disproportionnée, à la vie privée et au secret des affaires, au regard de la circonscription des mesures ordonnées dans leur objet, avec des mots clés strictement cantonnés à la concurrence déloyale dénoncée, ainsi que dans le temps,
- la justification de la dérogation au principe du contradictoire, seule cette dérogation ayant permis de prévenir la destruction des fichiers litigieux, dans un contexte de concurrence déloyale mentionné dans la requête, faisant craindre 'la dissimulation ou la destruction de preuves',
- un non-respect du contradictoire inhérent à la procédure, sans obligation de laisser copie des pièces produites à l'appui de la requête,
- le caractère inintelligible, au-delà de son irrecevabilité pour nouveauté, de la demande adverse relative à la restitution des éléments saisis, laquelle restitution supposerait nécessairement une contestation préalable du bien-fondé des éléments saisis.
Vu les débats à l'audience du 27 novembre 2023,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Sur la demande principale en rétractation et les demandes en découlant :
L'article 145 du code de procédure civile, dispose qu'à la demande de tout intéressé justifiant de l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissible peuvent être ordonnées sur requête ou en référé.
Selon l'article 493 du même code, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse, en présence de circonstances autorisant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, l'application des articles 494 et 495 du code précité impliquant, en outre, que la requête doit être motivée, comporter l'indication précise des pièces invoquées et doit être remise en copie ainsi que l'ordonnance, elle-même motivée, à la personne qui en supporte l'exécution.
Et selon l'article 17 du code précité, lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu'une mesure soit ordonnée à l'insu d'une partie, celle-ci dispose d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief, l'article 496 du même code prévoyant que, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance, et l'article 497 de ce code autorisant le juge à modifier ou rétracter son ordonnance même si le juge du fond est saisi de l'affaire.
Ainsi, le référé afin de rétractation, qui n'est soumis ni à la condition d'urgence, ni à l'absence de contestation sérieuse, permet à la partie à l'insu de laquelle une mesure urgente a été ordonnée de disposer, par application des dispositions qui viennent d'être rappelées, d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief, dans le respect du principe du contradictoire.
Dans ce cadre, il convient également de rappeler que la cour d'appel saisie d'une décision ayant rétracté, fût-ce partiellement, une ordonnance sur requête, ne peut se prononcer que dans les limites de la saisine du juge de la requête, mais se trouve investie des attributions du juge qui l'a rendue et doit alors statuer sur les mérites de la requête.
Et le requérant initial conserve la charge de justifier le bien-fondé de sa requête, sans avoir, lorsque la requête est fondée, comme en l'espèce, sur des griefs tirés d'agissements de concurrence déloyale ou de parasitisme, à établir avec certitude les faits de concurrence déloyale qu'il invoque, pour peu qu'il justifie, au jour de la requête, d'un motif légitime impliquant que soient caractérisés des éléments objectifs rendant ces faits, et le litige susceptible d'en découler, plausibles.
L'application des dispositions précitées implique encore que le juge ne peut pas faire droit à une requête sans avoir recherché et constaté que la mesure sollicitée supposait une dérogation exceptionnelle à la règle du contradictoire, étant précisé que les circonstances susceptibles de motiver une dérogation au principe de la contradiction doivent résulter de l'ordonnance sur requête, et ne peuvent se justifier à posteriori lors de l'examen de la demande en rétractation.
Ainsi, le juge, saisi d'une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et dans l'ordonnance, de circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement. Et il résulte des articles 145 et 493 du code de procédure civile que « le juge saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il est dérogé au principe de la contradiction » et que « dès lors [qu'une] cour d'appel avait constaté que la requête faisait état d'actes de concurrence déloyale sans préciser les raisons de déroger au principe du contradictoire et que l'ordonnance se bornait à indiquer que la société requérante justifiait de circonstances exigeant que la mesure ne soit pas ordonnée contradictoirement, elle en avait "exactement déduit" que ce défaut de motivation ne pouvait faire l'objet d'une régularisation à posteriori et que l'ordonnance devait être rétractée (2ème Civ., 3 mars 2022, pourvoi n° 20-22.349, publié au Bulletin) ».
Il est également jugé de manière constante, que le juge saisi d'une requête doit rechercher de manière concrète si les circonstances de l'espèce justifient qu'il soit dérogé au principe de la contradiction. La simple affirmation ne suffit pas.
En l'espèce, il convient de rappeler que la société AEB FRANCE, immatriculée le 5 février 2015, exerce, aux termes de son "kbis" des activités de « recherche, mises au point et vente de produits œnologiques, analyses de vins et conseils en vinification ». Cinq anciens salariés de cette société, à savoir Mme [L] [B], née [J], qui a quitté l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle le 7 juillet 2021, Mme [P] [X] et M. [U] [I], qui ont fait l'objet d'un licenciement économique dans le cadre d'une réorganisation d'activité le 27 janvier 2022, M. [N] [A], démissionnaire, ayant quitté la société le 8 avril 2022, et Mme [W] [D], démissionnaire en date du 25 février 2022, également avec effet au 8 avril 2022, ont constitué, en date du 4 avril 2022, avec commencement d'activité le 25 mars 2022, une société LABOE & CO, ayant pour activité 'la prise de toutes participations, achat et vente, gestion, activités de prestataire de services pour les filiales ', en d'autres termes une société holding.
Le 19 avril 2022 était immatriculée la société IOC ALSACE, ayant son siège à [Localité 3], détenue à 30 % par la société LABOE & CO, avec commencement d'activité le 13 avril 2022, et dont le gérant est la société Institut Oenologique de Champagne (IOC), société également spécialisée dans les analyses oenologiques, l'activité de la société IOC ALSACE relevant de 'conseil oenologique, analyses oenologiques de toutes sortes, toutes opérations relatives à l'élaboration et à la mise en bouteille de vins et spiritueux et généralement de toutes boissons alcooliques. Le développement, la production et le négoce de tous produits oenologiques. La fabrication et le négoce de tous produits et matériels de laboratoire et vinicoles'.
Saisi sur requête de la société AEB FRANCE, le président de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar a autorisé, par ordonnance rendue le 30 juin 2022 (n° RG 20/331), la société AEB FRANCE à choisir un huissier de justice, parmi les cinq désignés, pour procéder, au siège social de la société IOC ALSACE, à la prise de copie de divers documents mentionnant - du 18 décembre 2021 à la date de réalisation des opérations - les termes « AEB FRANCE, AEB, Domaine Schlumberger, Burghart-Spettel, Domaine Saint Rémy, M. [F] [V] Vigneron, EURL Vins d'ALSACE Mader ».
Il a également dit que la copie placée sous scellés devait être conservée par l'huissier de justice instrumentaire, qui en était désigné gardien et que si le juge n'était pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire serait levée et les pièces seraient transmises au requérant.
Saisi en rétractation par la SAS IOC ALSACE, le juge des référés du tribunal judiciaire de Colmar a, dans sa décision du 8 décembre 2022, dont appel, débouté cette société de sa demande de rétractation de l'ordonnance (n° 22/331) du 30 juin 2022, mentionnée par erreur, ensuite rectifiée, comme rendue sous le n° 22/320, lequel correspond à l'ordonnance concernant la société LABOE & CO, qui fait l'objet d'une procédure distincte.
Le premier juge a relevé que la société IOC ALSACE, concurrente, exerçait également une activité dans le même secteur, tant d'activité que géographique, que la société AEB FRANCE, et pour laquelle travaillaient désormais les cinq anciens salariés, et qu'entre le 5 avril et le 29 mai 2022, pas moins de huit clients de l'EURL AEB FRANCE avaient résilié leur contrat auprès d'elle.
Le constat du premier juge portant sur ces faits (concomitance des dates, départ des anciens salariés de l'EURL AEB FRANCE, pour créer une structure sociale partie prenante dans une entreprise concurrente à cette société, nombre significatif de départs de clients de l'EURL AEB FRANCE) apparaît pleinement justifié au regard de la chronologie, telle qu'elle s'évince des pièces versées aux débats.
Ainsi, il en ressort que :
- M. [B], gérant et directeur administratif et financier de la société AEB l'a quittée en mauvais termes en juin et juillet 2021 à la suite de son licenciement et sa démission des fonctions statutaires, suivi par son épouse qui a quitté la société, fût-ce par rupture conventionnelle, durant l'été 2021,
- au cours des mois de janvier et février 2022 les quatre salariés, dont trois oenologues, mis en cause dans la procédure connexe ont quitté la société, dont deux d'entre eux par démission, l'autre adhérant à un contrat de sécurisation professionnelle,
- dès le mois de février 2022, les anciens salariés ont nourri le projet de créer une société concurrente à AEB ; en effet il ressort de l'annexe 25 produites par l'intimée, à savoir un article paru dans le supplément « Foire aux Vins d'ALSACE » retraçant la genèse de la création de la société IOC ALSACE, que son équipe constituée de M. [I], M. [A], Mme [X], Mme [D] et les époux [B] 'ont installé le laboratoire en deux mois, de février à avril, sur le site d'un show-room de fabricant de fenêtre' à savoir au [Adresse 2] à [Localité 3],
- les cinq anciens salariés (mais pas M. [B], qui est toutefois salarié de la société IOC ALSACE à compter du 25 avril 2022, tel que cela ressort de la pièce n° 42 produite par l'appelante) sont titulaires des 120 000 euros de capital social de la société LABOE & CO, elle-même titulaire de 30 % des parts sociales de la société IOC ALSACE, qui est directement concurrente d'AEB, dont il n'est pas démontré par l'appelante, nonobstant sa volonté de réorganisation l'ayant conduite à se séparer de deux des salariés en cause, qu'elle avait l'intention de renoncer au marché alsacien, mais simplement de redéployer son activité sur une aire plus large, à savoir le territoire français métropolitain, plus particulièrement vers les autres régions viticoles,
- très rapidement après l'arrivée de la société IOC ALSACE sur le marché de l'œnologie, plusieurs maisons viticoles alsaciennes ont adressé à la société AEB FRANCE des lettres mettant fin aux relations contractuelles existantes. Les annexes produites démontrent que les nombreuses résiliations ont été notifiées par courriers des 5 avril, 12 mai, 18 mai, 19 mai (trois courriers de trois sociétés différentes), 25 mai, 29 mai et 29 juin 2022.
Le raisonnement retenant que cette concomitance de ces événements pouvait effectivement démontrer, si ce n'est l'existence, qui relève de l'examen du juge du fond, à tout le moins le caractère plausible de faits susceptibles de constituer des agissements de concurrence déloyale - impliquant la société appelante - sera fait sien par la cour, et ce sans qu'il ne soit nécessaire de s'attarder sur l'épisode de 'tentative de débauchage de personnel' mis en avant par l'EURL AEB FRANCE. Pour les mêmes motifs que ceux retenus par le premier juge, il n'y aura pas lieu d'écarter l'annexe 13 des débats, et ce d'autant plus que le mail dont il est fait état provient bel et bien d'une boîte de messagerie professionnelle appartenant à la partie intimée.
Dans ces conditions, le premier juge a, à juste titre, estimé qu'il ressort de ces très nombreuses pièces, qu'il existe un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, et que la société IOC ALSACE peut y avoir concouru en tant qu'outil par les anciens salariés et dirigeants de la société AEB FRANCE.
Quant à déterminer si les circonstances de l'espèce justifient qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, dans les conditions qui ont été rappelées ci-dessus, au cas d'espèce, les faits et le contexte, rappelés plus haut, démontrent que la société intimée et la société IOC ALSACE (dans laquelle les appelants sont actionnaires par le biais de leur société LABOE & CO) sont clairement en concurrence.
La connaissance par les cinq anciens salariés, actionnaires de la SAS IOC ALSACE, de l'existence d'une éventuelle procédure à l'encontre de leurs personnes et de leur société, sur un fondement de concurrence déloyale, était clairement de nature à pouvoir générer des réactions de leur part pour faire disparaître les preuves susceptibles de démontrer un comportement déloyal au détriment de AEB FRANCE par l'appropriation d'informations confidentielles concernant son savoir-faire et surtout ses relations privilégiées avec ses clients, et l'exploitation de ces données dans le cadre de la nouvelle société concurrente.
Le risque de destruction de ces preuves de démarchage, d'appropriation d'informations, était donc bien réel.
La société appelante ne peut se targuer davantage d'une atteinte disproportionnée au secret des affaires, alors que la mesure ordonnée était circonscrite dans son objet avec une liste des mots clés ayant servi à opérer un tri parmi l'ensemble des documents présents sous forme numérique ou papier, mots qui devront être exploités en lien avec une activité éventuelle de concurrence déloyale. La mesure est en outre également circonscrite dans le temps, entre le 18 décembre 2021 et le 26 juillet 2022, date de son exécution.
Contrairement à ce qui allégué, il n'est pas davantage avéré que les mots clefs étaient trop généraux. Le premier juge a fortement limité leur périmètre en reprenant uniquement les dénominations de la société requérante (AEB, AEB FRANCE) et ceux des premières sociétés qui ont résilié les contrats ('Domaine Schlumberger, Domaine Saint-Rémy.).
Les mots clés retenus ne sont, en outre, pas de nature à mettre en exergue d'éventuels documents échangés par M. [B] avec son avocat au sujet de la procédure prud'homale l'opposant à la partie intimée.
Enfin, la société appelante ne peut se plaindre du non-respect du principe du contradictoire, alors que celui-ci est absent de l'économie de la procédure sur requête, tout du moins avant que le juge des référés ne soit appelé à connaître du litige pour confirmer ou non l'ordonnance initiale.
Le reproche fait aux huissiers instrumentaires - de ne pas avoir laissé des copies des pièces produites à l'appui de la requête - est aussi infondé, en ce sens que ni l'article 495 du code de procédure civile, ni la jurisprudence (voir, notamment, 2ème Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 20-15.673, publié au Bulletin), ne lui en font l'obligation.
La même remarque doit être réservée aux développements de la partie appelante, portant sur l'absence de mention dans l'ordonnance des conditions de restitution des informations saisies, sans qu'il n'y ait lieu pour la cour, saisie dans les limites du juge de la requête, de se prononcer sur ce chef de demande de l'appelante, indépendamment même de la question de sa recevabilité.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer la décision du premier juge, en ce qu'il a refusé de rétracter l'ordonnance qui avait été rendue le 30 juin 2022, et débouté la société IOC ALSACE de ses demandes subséquentes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société IOC ALSACE, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question, compte tenu de sa confirmation également dans ses dispositions principales.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de l'appelante une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2 500 euros au profit de l'intimée, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirmes-en toutes ses dispositions la décision rendue le 8 décembre 2022 par la présidente de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu de se prononcer sur les conditions de restitution des éléments saisis,
Condamne la SAS IOC ALSACE aux dépens de l'appel,
Condamne la SAS IOC ALSACE à payer à la SARL AEB FRANCE la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS IOC ALSACE.