CA Colmar, 1re ch. A, 31 janvier 2024, n° 22/00891
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
VALENTINE (S.C.I.)
Défendeur :
CASA FRANCE (S.A.S)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. WALGENWITZ
Conseillers :
M. ROUBLOT, Mme RHODE
Avocats :
Me WETZEL, Me SPIEGEL-SIMET, Me ROBLIN, Me REINS
Vu l'assignation délivrée le 8 août 2018, par laquelle la SCI Valentine, ci-après également dénommée 'la SCI', a fait citer la SAS Casa France, ci-après également dénommée 'Casa', devant la juridiction des loyers commerciaux du tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n° 2019-965 et 2019-966 du 18 septembre 2019, le tribunal judiciaire de Strasbourg,
Vu le jugement du 9 octobre 2019, ordonnant avant dire droit une mesure d'expertise confiée à Mme [P],
Vu le jugement rendu le 8 décembre 2021, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg, a statué comme suit :
'FIXE le loyer renouvelé au 1er janvier 2018 à la somme de 84.000 € HT/HC ;
CONDAMNE la SCI VALENTINE aux dépens et à payer à la SAS CASA la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'
Vu la déclaration d'appel formée par la SCI Valentine contre ce jugement et déposée le 1er mars 2022,
Vu la constitution d'intimée de la SAS Casa France en date du 19 mars 2022,
Vu les dernières conclusions en date du 6 juin 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SCI Valentine demande à la cour de :
'Sur appel de la SCI VALENTINE :
DIRE ET JUGER l'appel de la SCI VALENTINE recevable et bien fondé ;
INFIRMER le Jugement du 8 décembre 2021 en ce qu'il a :
- Fixé le loyer renouvelé au 1er janvier 2018 à la somme de 84.000 € HT/HC ;
- Condamné la SCI VALENTINE aux dépens et à payer à la SAS CASA la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau,
En tant que de besoin, DECLARER que le Juge des loyers commerciaux n'a pas le pouvoir juridictionnel pour statuer sur la validité de la clause d'échelle mobile stipulée au bail, subsidiairement, DECLARER que le Juge des loyers commerciaux est incompétent pour statuer sur la validité de la clause d'échelle mobile ;
DIRE ET JUGER la demande de la SCI VALENTINE recevable et bien fondée ;
DIRE ET JUGER que le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative à compter du 1er janvier 2018, sans pouvoir être inférieur au loyer annuel du bail expiré (à savoir qu'il ne peut être inférieur au montant annuel de 90.537,81 €, subsidiairement de 89.068,75 €)
FIXER le loyer annuel du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2018 à 115.500 € HT et hors charges.
Sur appel incident de la SAS CASA :
DIRE ET JUGER l'appel incident de la SAS CASA irrecevable et mal fondé ;
En conséquence,
L'en DEBOUTER
En tout état de cause :
CONDAMNER la SAS CASA à payer à la SCI VALENTINE la somme de 7.000 € par application de l'article 700 du CPC
CONDAMNER la SAS CASA aux dépens des deux instances, en ce compris les frais d'expertise judiciaire
DEBOUTER la SAS CASA de l'intégralité de ses fins, moyens et conclusions'
et ce, en invoquant, notamment :
- l'acquisition du principe du déplafonnement, retenu par le premier juge et non contesté par la partie adverse,
- la fixation du loyer conformément à la clause de 'loyer plancher', stipulée au contrat et dont la validité serait reconnue par une jurisprudence constante, sans incidence de la validité de la clause d'échelle mobile, qui concerne les règles de variation du loyer en cours de bail et dont elle se distingue en prévoyant l'encadrement du loyer de renouvellement, le juge des loyers commerciaux n'ayant, en outre, pas le pouvoir de statuer sur la validité de la clause d'échelle mobile, en l'absence, de surcroît, d'action en ce sens, cette validité ne pouvant, à titre subsidiaire, être contestée, la société Casa s'en étant prévalue pour réviser le loyer à la baisse et cette clause n'empêchant pas la réciprocité de l'indexation, outre encore qu'à défaut de validité de cette stipulation, la clause d'indexation n'en serait pas annulée,
- une valeur locative devant tenir compte :
*au titre des facteurs locaux de commercialité, qualifiés de bons et en évolution favorable, d'une implantation dans un secteur favorable au sein de la zone d'activité de la Vigie, laquelle bénéficierait d'un fort dynamisme, constant et renouvelé, et d'une attractivité encore appelée à se renforcer, les affirmations adverses sur ce point étant réfutées, s'agissant de la situation à prendre en compte au jour du renouvellement, et sans incidence d'une diminution du chiffre d'affaires de la locataire, au demeurant non établie sur le site,
*des caractéristiques générales du local, qu'elle détaille, qualifiées de très favorables au preneur, ainsi que d'une surface de vente devant être fondée sur la répartition contractuelle des surfaces, la surface telle que mesurée par l'expert étant très inférieure aux stipulations du bail, ce qui ne pourrait que résulter de modifications non autorisées et financées par le preneur, sans faire accession au bailleur,
*de la destination des locaux, autorisant des activités diverses, peu important qu'elle n'ait pas varié durant le bail,
*des obligations respectives des parties, au titre desquelles l'existence de toute clause exorbitante défavorable au preneur est contestée, qu'il s'agisse de la charge de la taxe foncière ou des primes d'assurance, usuellement prévues à la charge du locataire, qui bénéficierait, en l'espèce, par ailleurs de clauses favorables, facteurs de majoration de la valeur locative, liées à la durée du bail, à la libre cession de son droit au bail à une filiale du groupe Blokker ou encore à la suppression de la clause de non-concurrence usuelle en zone commerciale,
*des prix couramment pratiqués dans le voisinage, pour lesquels la surface à prendre en compte devrait combiner la méthode de la surface pondérée selon la charte, appliquée par l'expert, et la méthode de la surface de vente couramment appliquée dans les zones commerciales, la pertinence des valeurs prises en compte par l'expert étant, par ailleurs, discutée,
- sur l'appel incident adverse, la contestation intégrale, au vu de ce qui précède, des prétentions de la société Casa.
Vu les dernières conclusions en date du 27 juillet 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS Casa France demande à la cour de :
'SUR L'APPEL PRINCIPAL
- DECLARER l'appel principal recevable mais mal fondé,
- DEBOUTER l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, les REJETER
- FAIRE DROIT aux demandes fins et prétentions de la concluante,
ET CORRELATIVEMENT
- CONFIRMER la décision entreprise sauf en ce qui concerne l'appel incident,
- CONFIRMER la décision rendue par le Juge des Loyers Commerciaux le 8 décembre 2021 notamment en ce que le premier Juge a condamné la SCI VALENTINE à régler à la société CASA, la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance,
SUR L'APPEL INCIDENT :
- DECLARER l'appel incident de la concluante recevable et bien fondé,
- FAIRE DROIT, à l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la concluante,
CORRELATIVEMENT,
- REFORMER la décision rendue par le Juge des Loyers Commerciaux le 8 décembre 2021 en ce qu'il a fixé le loyer de renouvellement à la somme de 84.000 euros HT/HC,
ET,
STATUANT A NOUVEAU,
- DEBOUTER la SCI VALENTINE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l'encontre de la société CASA France,
- REJETER l'évaluation de la valeur locative effectuée par la SCI VALENTINE du fait de son caractère erroné et non justifié,
En conséquence,
- ORDONNER le renouvellement du bail commercial à effet au 1er janvier 2018, aux mêmes conditions et clauses que celle du bail échu régularisé le 10 septembre 2004, à effet au 1er janvier 2005, excepté en ce qui concerne le montant du loyer renouvelé,
- DEDUIRE de la valeur locative retenue, la taxe foncière, et les primes d'assurance réglées par la société CASA, car constitutives de clauses exorbitantes de droit commun,
- FIXER le montant du loyer annuel hors taxes renouvelé, hors charges dû par la société CASA depuis le 1er janvier 2018, à la somme de 80.000 euros HT/HC pour une période de neuf années entières et consécutives à compter du 1er janvier 2018, à l'exception de celles qui nécessiteront une adaptation aux nouvelles dispositions de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce, et aux très petites entreprises et à son décret d'application n°2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif au bail commercial,
A TITRE SUBSIDIAIRE,
ENTERINER le rapport de l'expert fixant la valeur locative au 1er janvier 2018 à la somme annuelle de 84.000 euros HT/HC après déduction du coût de la taxe foncière et des charges afférentes aux polices d'assurance souscrites par le bailleur.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
- CONFIRMER la décision entreprise pour le surplus,
- CONDAMNER la SCI VALENTINE à verser à la concluante, la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure d'appel ;
- METTRE à la charge de la SCI VALENTINE l'intégralité des frais d'expertise,
- CONDAMNER la SCI VALENTINE aux entiers frais et dépens tant de première instance qu'en cause d'appel incluant les frais d'expertise dont distraction au profit de Me Raphaël REINS, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile'
et ce, en invoquant, notamment :
- le caractère, selon elle disproportionné et injustifié, du montant du loyer réclamé par la bailleresse, au regard :
*de la valeur locative du marché local, compte tenu du mauvais emplacement du local par rapport aux autres enseignes, en périphérie de la zone de la Vigie, et à l'écart de l'attractivité, d'ailleurs contestée, du centre commercial,
*de la réelle surface du local, telle qu'évaluée sur la base de mesures prises contradictoirement dans le rapport d'expertise, en l'absence de preuve contraire de la SCI, alors que la concluante n'aurait procédé à des travaux d'aménagement, à son arrivée, qu'avec l'accord du bailleur, lui permettant de disposer d'une surface de réserve en rapport avec son activité,
*de la destination, qui n'a pas évolué, de la durée du bail, qui a également profité au bailleur s'agissant de la loi applicable, de la clause de cession aux filiales du groupe Blokker, auquel elle n'appartient plus, et de la clause de non-concurrence,
- l'absence d'évolution favorable des facteurs locaux de commercialité au moment du renouvellement et d'incidence pour le magasin 'Casa', conformément aux constatations de l'expert, qui aurait constaté un délaissement de la zone de la Vigie, au profit de la rue du Fort, et au regard du caractère excentré à la fois de la zone, encombrée par le trafic de transit et concurrencée par d'autres zones voisines en développement, offrant des enseignes du même segment, et du magasin lui-même en son sein, sa situation et son activité ne lui permettant pas de profiter de l'attractivité des enseignes 'locomotives', dont certaines ont d'ailleurs déménagé,
- la contestation, outre de l'évaluation des surfaces par la partie adverse (cf. supra), de la pertinence des valeurs locatives retenues dans l'expertise amiable adverse, compte tenu de leur destination et en l'absence de transmission desdits baux, mais aussi de la valeur locative retenue par l'expert, supérieure à celle des commerces environnants, et dans un contexte de chiffre d'affaires en baisse, sa méthode de calcul, s'agissant d'un magasin hors centre commercial, étant, en revanche, approuvée,
- la nécessité de prendre en compte les charges exorbitantes prévues par le bail, en l'absence de preuve d'un usage local concernant la prise en charge par le locataire de la taxe foncière et des primes d'assurance,
- la nullité de la clause d'indexation ne jouant qu'à la hausse, la validité de la clause relative au loyer de renouvellement étant liée à celle de la clause d'échelle mobile, avec pour effet de ne pas permettre une baisse de loyer par l'effet du renouvellement ou de l'indexation, en contrariété avec les dispositions légales d'ordre public, le juge des loyers commerciaux étant compétent pour fixer un loyer de renouvellement en appliquant la législation et la jurisprudence qui prévoit qu'une clause contraire doit être réputée non écrite, dès lors qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, sans nécessité d'une action en contestation de la validité de la clause d'échelle mobile, et ce alors que l'expert a lui-même retenu une valeur locative inférieure à celle prévue au loyer réglé par la concluante, et que le bail renouvelé sera un nouveau bail qui peut donc parfaitement être fixé à un montant inférieur à celui du bail expiré, voire au loyer initial du bail expiré sans autre condition, et sans autre preuve que le niveau de la valeur locative.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 octobre 2023,
Vu les débats à l'audience du 22 novembre 2023,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Sur la demande principale :
Il convient, tout d'abord, de rappeler qu'aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
À défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1° Les caractéristiques du local considéré ;
2° La destination des lieux ;
3° Les obligations respectives des parties ;
4° Les facteurs locaux de commercialité ;
5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage (...)
L'article R. 145-3 du code précité dispose encore que les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
Aux termes de l'article R. 145-6 du code précité, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
Il résulte encore des articles subséquents, et en particulier de l'article R. 145-7 de ce code que les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus, ainsi que des éléments extrinsèques susceptibles d'affecter les caractéristiques propres du local, ou encore la destination des lieux telle que résultant du bail et de ses avenants. À défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Selon l'article R. 145-8 du code précité, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
Par ailleurs, il résulte de l'article L. 145-34 du même code que le loyer du bail renouvelé est, en principe, plafonné à la variation de l'indice du coût de la construction ou de l'indice des loyers commerciaux, le cas échéant s'il a été choisi par les parties, sauf modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 précité (caractéristiques du local considéré, destination des lieux, obligations respectives des parties, facteurs locaux de commercialité). Toutefois, les dispositions relatives au plafonnement ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède 12 ans, ce qui est le cas dans la présente espèce.
En l'espèce, il convient de rappeler que les parties, en tout cas la SCPI Immorente, aux droits de laquelle vient la SCI Valentine, et la SAS Casa France ont conclu, en date du 10 septembre 2004, un contrat de bail commercial au profit de la seconde, courant pour une durée de 12 ans à compter du 1er janvier 2005, et portant sur un local à usage commercial situé [Adresse 8] à [Localité 7], d'une surface globale de '765 m² environ' [sic] dont '735 m² environ' de surface de vente, ainsi que 35 places de stationnement extérieures correspondant au lot 12 bis du lotissement commercial la Vigie, à l'intersection de la route CD 884 et de la rue Alfred Kastler, les accès, réseaux, espaces verts et terrain d'assiette étant cadastrés section 13 numéro [Cadastre 1] pour 2498 m².
Le loyer initial convenu pour l'ensemble des locaux était d'un montant annuel de 71 255 euros hors taxes et charges (HT/HC), payable par trimestre d'avance les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre de chaque année et indexé 'en fonction de l'indice de la construction avec pour indice de référence le 2ème trimestre 2004 (à paraître) et dont la première révision a été fixée au 1er janvier 2006'.
Le bail s'est tacitement prolongé à compter du 1er janvier 2017, et par acte extrajudiciaire signifié les 28 et 30 juin 2017, la SCI Valentine a délivré congé avec offre de renouvellement, pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2018, moyennant un loyer de 115 000 euros par an, la preneuse ayant accepté le renouvellement, mais en proposant de payer un loyer de 80 000 euros, d'un montant inférieur à celui en cours, qui s'élevait à 89 076,68 euros HT/HC, ce qui devait conduire, à défaut d'accord des parties, à la saisine du juge des loyers commerciaux.
Ainsi qu'il a été rappelé, une mesure d'expertise judiciaire a été ordonnée, puis le jugement dont appel a fixé le loyer renouvelé au 1er janvier 2018 à la somme de 84 000 euros HT/HC.
Les parties s'opposent sur l'appréciation des différents critères déterminant la fixation de la valeur locative, dans les conditions fixées par les dispositions précitées.
Sur les caractéristiques générales du local :
Sur ce point, les caractéristiques des locaux telles qu'elles découlent du contrat de bail initial ont été rappelées ci-dessus. Il en ressort que non seulement les indications de surface sont approximatives, pour ne pas dire indicatives, mais que, de surcroît, aucun plan ou aucune répartition précise des surfaces ne figure au bail. En revanche, les mesures prises en compte par l'expert, qui a procédé à une description détaillée des lieux et de leur affectation, apparaissent justifiées de manière précise et circonstanciée, en ce qu'il est retenu une surface totale, avant pondération, de 727,9 m², pour une surface de vente de 592 m², cette évaluation ayant, de surcroît, été opérée de manière contradictoire, comme l'a, d'ailleurs, rappelé l'expert dans sa réponse au dire du conseil de la SCI sur cette question, lequel se bornait à 's'étonner' d'une différence de surface avec celle figurant au bail et celle mesurée par son expert privé. Si la société Casa n'a, pour sa part, pas été en mesure de justifier, auprès de l'expert, de la réalisation d'éventuels travaux et de produire un plan du magasin, il ne saurait, pour autant, être déduit de ces éléments ou des stipulations du contrat de bail que les surfaces de vente, ou même leur répartition en pourcentage, auraient été contractualisées, étant, au demeurant, relevé que le bailleur n'a entendu tirer aucune conséquence, en particulier s'agissant du sort du bail, de travaux qu'il considère, sans cependant l'établir, comme non autorisés.
Quant à la pondération appliquée, il convient de relever que les coefficients proposés par l'expert ne sont pas contestés en tant que tels, la SCI proposant, toutefois, de combiner, pour déterminer la valeur locative, le recoupement de plusieurs méthodes : en fonction des prix pratiqués ramenés à la surface de vente, à la surface pondérée selon la charte de l'expertise, à la surface pondérée selon les usages et enfin, à la surface utile, et ce pour tenir compte de l'incidence de la surface de vente, comme cela serait usuellement pratiqué dans les zones commerciales, ce que conteste la société Casa qui entend voir retenir la méthode de calcul sur la base de la surface pondérée, adoptée 'par la très grande majorité des experts'.
À cet égard, il sera relevé que l'expert propose d'appliquer la méthode de pondération unique retenue 'par l'ensemble des experts pour la pondération des locaux commerciaux', conformément à la 5ème édition de la Charte de l'expertise en évaluation immobilière. La cour n'entend pas remettre en cause, au vu des éléments dont elle dispose, la méthode appliquée, la SCI ne caractérisant pas, au-delà des conclusions de l'expertise privée qu'elle produit, en quoi la méthode qu'elle propose serait plus pertinente, alors même que les préconisations de la Charte relatives aux moyennes surfaces hors centres commerciaux, les locaux ne se situant pas dans un tel centre, ont été respectées.
La cour retiendra donc, à l'instar du premier juge et conformément aux préconisations de l'expert, une surface pondérée de 619 m².
La cour n'aperçoit pas, pour le surplus, de raison de s'écarter des observations faites par le premier juge, quant au bon entretien des locaux et à leur adaptation au commerce considéré. Si la SCI entend invoquer des caractéristiques favorables au preneur, notamment au regard du nombre d'emplacements de stationnement, il convient de relever que cette situation a pleinement été prise en compte par l'expert, qui évoque 'un stationnement suffisant en devanture', sans que, pour le reste, les éléments versés aux débats ne permettent de dégager le caractère exceptionnel ou l'incidence particulièrement favorable, pour le reste, de cette situation.
Sur la destination des lieux :
Le bail a été conclu pour l'usage exclusif de 'ventes d'articles d'équipement de la maison, art de la table, textiles, cadeaux, décoration', ce qui apparaît relativement diversifié et en tout cas en adéquation avec l'activité de la société Casa, le premier juge ayant, à ce titre, par des motifs que la cour approuve, pleinement caractérisé l'aspect favorable de cette activité en comparaison de celle des enseignes environnantes, peu important, par ailleurs, l'absence d'évolution de cette destination pendant la durée du bail.
Sur les obligations respectives des parties :
S'il résulte des articles L. 145-40-2 et R. 145-35, tels qu'issus respectivement de la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel et de son décret d'application du 3 novembre 2014, qu'il est permis au bailleur d'imputer au preneur la charge notamment de l'impôt foncier, cette répartition n'en reste pas moins exorbitante du principe légal de mise en charge de l'impôt foncier par le propriétaire. Aucune contrepartie n'étant invoquée au bénéfice du preneur, la mise à sa charge d'une telle taxe constitue une clause exorbitante du droit commun. Il en est de même du paiement de l'assurance du bailleur par le preneur, et ce alors qu'il n'est pas établi que la totalité, ou même une part significative des baux commerciaux du secteur mettraient à charge du preneur le remboursement de la taxe foncière, ni que les baux de comparaison prévoient également que le montant de la taxe foncière ou des primes d'assurance à charge du bailleur est supporté par les preneurs, ni encore qu'un tel usage serait en vigueur dans les zones commerciales. C'est donc à bon droit que le premier juge a opéré une déduction portant sur la taxe foncière, soit 7 417 euros, et l'assurance du bailleur, soit 1 210 euros.
Concernant les clauses qui seraient favorables au preneur, la cour partage l'appréciation faite par le premier juge, la faculté de cession stipulée au profit d'une société du groupe Blokker ne perdant pas de son effectivité, au seul motif que la société Casa ne ferait plus partie de ce groupe, ce dont il est, certes, justifié à hauteur de cour, ou même qu'une société de ce groupe n'aurait 'aucun intérêt à s'implanter à cet endroit qui est de surcroît peu attractif', ce qui relève de la seule affirmation de la société Casa. Il en est de même de la clause annulant la clause usuelle de non-concurrence et permettant une réinstallation dans un rayon de 5 km, de surcroît dans un contexte où la société Casa, bien qu'indiquant ne pas voir l'intérêt de s'installer à 5 km, invoque aussi une dévitalisation du secteur et un dynamisme de la zone voisine.
Ces clauses, si elles ont chacune une portée relative mais réelle, entraînent un avantage certain pour le locataire justifiant une majoration de 10 %.
Sur les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage :
Les parties s'opposent également sur l'incidence de l'emplacement des locaux pour apprécier sa valeur locative, à la fois quant à l'évolution de la commercialité du secteur et à la pertinence des références à prendre en compte.
Cela étant, les facteurs de commercialité, indépendamment de toute analyse sous l'angle du déplafonnement dont il a été retenu qu'il n'était pas applicable, ont été appréciés de manière pertinente par l'expert, et ce, pour la période antérieure au renouvellement du bail, ainsi qu'il le rappelle en réponse au dire du conseil de la société Casa, pour préciser qu'à cette époque le local n'était pas isolé dans la [Adresse 8]. Il en ressort que la [Adresse 9], dans laquelle se trouve les locaux, s'est largement développée depuis la conclusion du contrat de bail initial, même si, depuis les années 2010, c'est davantage le secteur de la rue du Fort, situé sur le territoire de la commune de [Localité 6], qui a connu un fort développement, au détriment de la Vigie, mais en l'absence d'enseigne concurrentielle dans ce secteur, et alors que l'ensemble de la [Adresse 9] apparaît désormais, et en tout cas à la date du renouvellement du bail, comme un secteur attractif, proposant des offres variées et complémentaires, avec plusieurs enseignes 'locomotives', générant un flux de chalands qui apparaît bénéfique au local loué par la société Casa, lui-même entouré par plusieurs enseignes hôtelières, de cuisinistes ou de bricolage ou d'aménagement, et notamment 'Leroy Merlin' ou 'Saint-Maclou'. Dans cette perspective, l'analyse de l'évolution du chiffre d'affaires de l'enseigne du preneur mis en avant par ce dernier, est inopérante au regard des critères énumérés par l'article L. 145-33 du code du commerce, et en particulier de l'appréciation des facteurs locaux de commercialité.
Quant au choix des références, il repose sur une étude de marché circonstanciée, s'appuyant sur une enquête de commercialité et prenant en compte, au-delà des comparatifs communiqués par l'expert et soumis à la contradiction, l'analyse des comparatifs communiqués par les parties, en l'espèce le bailleur, et, à titre indicatif pour permettre d'apprécier le niveau du marché, des offres de locations sur le secteur. L'analyse de ces références, sur la base de valeurs déterminées en appliquant un traitement homogène de la pondération des surfaces, et en dégageant des moyennes privilégiant les baux récents et développant une surface étendue, excédant 400 m², permet de justifier le choix de la valeur unitaire de 150 euros hors taxes du m² par an retenu par l'expert et dont la cour considère, comme le premier juge, qu'il correspond à la situation la plus proche du local occupé par la société Casa.
L'expert a, en outre, parfaitement justifié son choix d'écarter le choix de plusieurs enseignes que sont Aubert, Conforama, Intersports et Maxitoys, comme étant situées au sein d'un centre commercial constituant une entité commerciale autonome et non comparable à la commercialité, qui lui est périphérique et extérieure, ces locaux, y compris s'agissant de l'enseigne Aubert, dont la SCI se borne à affirmer, sans l'établir, qu'elle constitue un local indépendant extérieur au centre, ne pouvant donc être considérés comme des locaux équivalents, tels que requis par l'article R. 145-7 précité.
Au regard de l'ensemble de ce qui précède, en tenant compte d'une valorisation retenue à 150 euros du m² hors taxes et charges, d'une surface pondérée à 619 m², de la majoration de 10 % liée au bénéfice de clauses favorables pour le preneur, et de la déduction de la taxe foncière et de l'assurance du bailleur, la cour retiendra une évaluation à 93 508 euros, qu'il apparaît opportun d'arrondir à 93 500 euros.
Sur l'incidence de la clause 'd'indexation' :
Le bail stipule, d'une part, une clause d'échelle mobile (1.6), dans les conditions qui ont été rappelées plus haut, à savoir en fonction de l'indice de la construction avec pour indice de référence le 2ème trimestre 2004 (à paraître), avec une première révision fixée au 1er janvier 2006, et d'autre part, l'article 2.7 stipulant, en outre, et notamment, que l'application de cette clause ne peut avoir pour effet une diminution du dernier loyer contractuel.
D'autre part, l'article 2.6 du contrat de bail, in fine, stipule qu'il est convenu que 'lors des renouvellements du présent bail, le montant du loyer ou des renouvellements ne sera jamais inférieur au montant du dernier loyer, tel que résultant de la dernière révision ou de la dernière actualisation indiciaire dudit loyer'.
Cela étant, la cour observe que n'est en cause, en l'espèce, la clause stipulée à l'article 2.6, laquelle ne vise pas à faire obstacle au libre jeu de la clause d'échelle mobile en cours de bail, mais à encadrer les conditions de fixation du loyer du bail renouvelé en prévoyant l'application d'un plancher correspondant à la valeur du loyer expiré, ce qui constitue une exception non au libre jeu de la clause d'indexation mais au principe de fixation du loyer renouvelé à la valeur locative, et ce alors qu'il est admis que les articles L. 145-33 et L. 145-34 alinéa 1er du code de commerce ne sont pas d'ordre public et que les parties peuvent les écarter afin de fixer d'un commun accord le prix du loyer du nouveau bail (voir 3ème Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 20-15.179).
En tout état de cause, l'application de cette clause et donc sa validité, comme, au demeurant celles de la clause d'échelle mobile stipulée à l'article 2.7, sont sans incidence en l'espèce compte tenu des conclusions auxquelles est parvenue la cour quant à l'estimation de la valeur du loyer, laquelle excède celle du loyer expiré, qu'il soit fait application ou non de la clause d'indexation, soit 90 537,81 euros HT/HC ou 89 068,75 euros HT/HC.
Au total, la cour, infirmant sur ce point le jugement entrepris, fixera le montant du loyer de renouvellement au 1er janvier 2018 à la valeur de 93 500 euros HT/HC.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
L'issue du litige justifie que chaque partie supporte la moitié des dépens de l'appel, sans qu'il n'y ait lieu, par ailleurs, à remettre en cause les dispositions du jugement déféré sur cette question.
L'équité commande de ne pas faire application, à hauteur d'appel, de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre des parties, tout en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 8 décembre 2021 par le juge des locaux commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg, en ce qu'il a :
- fixé le loyer renouvelé au 1er janvier 2018 à la somme de 84 000 euros HT/HC,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau du chef de demande infirmé et y ajoutant,
Fixe le loyer renouvelé au 1er janvier 2018 à la somme de 93 500 euros HT/HC,
Dit que chaque partie supportera la moitié des dépens de l'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice, tant de la SCI Valentine que de la SAS Casa France.