CA Toulouse, 2e ch., 6 février 2024, n° 19/05355
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CHRISTOPHE PIERRE (SCI)
Défendeur :
DARTY GRAND OUEST (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme SALMERON
Conseillers :
Mme MOULAYES, Mme MARTIN DE LA MOUTTE
Avocats :
SARL HALT AVOCATS, SCP CAMILLE ET ASSOCIES
Par acte authentique du 24 juin 2004, [T] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ont donné à bail commercial à la société Darty Grand Ouest (anciennement Darty Ouest) un ensemble de locaux commerciaux sis [Adresse 6] à [Localité 13] comprenant :
- la totalité de l'immeuble situé [Adresse 7], comprenant un rez-de-chaussée sur cave, un entresol, et les niveau 1, 2 et 3, soit 6 niveaux au total,
- le lot de volume n°200 dépendant de l'immeuble situé [Adresse 10], comprenant une partie en sous-sol, l'ensemble des surfaces du rez-de-chaussée, la courette coté Est, le niveau 1 et les combles du niveau 2 du bâtiment arrière et les droits à construire sur la cour intérieure comprise entre le bâtiment principal et le bâtiment arrière, ainsi que les fondations, structures, gros-oeuvre, (ouvrage de base) avec les façades correspondantes, y compris les toitures-terrasses,
- le lot de volume n° 300 dépendant également de l'immeuble situé [Adresse 10], comprenant le 1er étage du bâtiment principal, à l'exception du palier de la cage d'escalier et de l'ascenseur, ainsi que les structures, gros-oeuvre avec les façades correspondantes,
- au droit des locaux des numéros 6 et [Adresse 10], des marquises fermées et vitrées, qui sont implantées sur le domaine public devant chacun des deux immeubles dont dépendent les lieux loués.
Le bail a été consenti pour une durée de neuf années entières et consécutives commençant à courir le 1er juillet 2004 pour s'achever le 30 juin 2013, moyennant un loyer annuel de 397.708 € hors taxes et hors charges.
Pour tenir compte de l'engagement pris par la société Darty Grand Ouest de réaliser d'important travaux dans les locaux objet du bail, les parties ont convenu d'aménager le montant du loyer comme suit :
- à la somme de 133 717 € HT et HC par an pour la période allant du 1er juillet 2004 au 30 septembre 2005, soit pendant une durée de 15 mois correspondant à la durée prévue pour la réalisation des travaux
- à la somme de 157 622 € HT et HC par an pour la période allant du 1er octobre 2005 au 30 septembre 2006, soit pendant une période de 12 mois.
A l'issue de cette période, les parties ont convenu que le loyer dû serait le loyer annuel initialement convenu, soit 397 708 € HT et HC.
Par ailleurs, le bail stipulait :
- une clause d'échelle mobile prévoyant qu'à compter du 1er juillet 2005 le loyer variera automatiquement, de manière annuelle, proportionnellement à la variation de l'indice national du coût de la construction publiée par l'Insee
- un article 16 portant renonciation de la part, tant des bailleurs, que du preneur, à l'évaluation judiciaire du loyer à la valeur locative et ce, pendant toute la durée du bail et à l'occasion de son renouvellement.
Par courrier recommandé du 9 février 2012, la société Darty Grand Ouest s'est vue notifier par son bailleur une demande de révision du loyer, tendant à voir fixer le montant du loyer du bail en cours à la somme de 723 000 € par an à compter du 1er avril 2012.
Par acte extra-judiciaire du 1er juillet 2012, Monsieur [T] [N] a notifié à la société Darty Grand Ouest un congé à effet au 1er juillet 2013 comportant offre de renouvellement pour 9 ans, indiquant que le montant du loyer serait précisé ultérieurement.
Par exploit d'huissier du 27 novembre 2012, Monsieur [T] [N] a proposé un montant du loyer annuel de 723 750 € HT et HC à effet à compter du 1er juillet 2013.
Le 10 juin 2014, le bailleur a fait sommation au preneur de souscrire un avenant portant le loyer à la somme de 723 750 €.
Par acte d'huissier du 23 juillet 2014, la société Darty a signifié son refus de signer ledit avenant.
Par acte du 21 août 2014, le bailleur a maintenu son offre de renouvellement, renoncé au loyer demandé et sollicité que le loyer actuellement payé soit révisé conformément aux dispositions contractuelles.
La société Darty Grand Ouest, tout en acceptant le principe du renouvellement, a notifié le 23 juillet 2014 à Monsieur [T] [N], à la Sci Christophe Pierre et à la Sci de la [Adresse 12] un mémoire préalable dans lequel elle a sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 235 000 € HT, à compter de la date d'effet du renouvellement du bail.
Suivant exploit d'huissier du 23 septembre 2014, la Snc Darty Grand Ouest a fait délivrer assignation à Monsieur [T] [N], à la Sci Christophe Pierre et à la Sci de la [Adresse 12] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Toulouse.
[T] [N] est décédé le 8 août 2015, laissant pour lui succéder [L] [C], son épouse séparée de biens bénéficiaire d'un testament aux termes duquel [T] [N] lui lègue 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit de la succession, [B] [N], en qualité de fille adoptive, ainsi que [S] et [M] [N] en qualité de fils et de petite fille du défunt.
Par exploits d'huissier en dates des 26 et 27 mai 2016, la Snc Darty Grand Ouest a assigné les héritiers de [T] [N] devant le juge des loyers commerciaux.
Par jugement du 6 décembre 2016, le juge des loyers commerciaux a :
- ordonné la jonction de l'appel en cause des héritiers de [T] [N] avec la procédure enrôlée sous le n°14/03291,
- retenu sa compétence, s'agissant de fixer le loyer du bail renouvelé,
- dit nulle et sans effet la clause visée à l'article 16 du bail afférente à la fixation du loyer,
- dit que pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail renouvelé, le locataire continuera à payer les loyers échus au prix ancien acquitté à la date d'expiration du congé,
- rejeté la demande de fixation d'un loyer provisionnel à la somme de 235 000 € HT et HC,
- dit que le bail unissant les parties pour le 6 et le [Adresse 10] à [Localité 13] a une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2013,
- avant-dire droit, sur le prix du bail renouvelé, ordonné une expertise et commis Monsieur [H] [I] pour y procéder,
- réservé les autres demandes et les dépens en fin d'instance,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
L'expert a déposé son rapport le 19 juin 2018.
Par arrêt rendu le 5 décembre 2018, la cour d'appel de Toulouse a confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 décembre 2016.
En l'état de son dernier mémoire, la société Darty demandait au juge des loyers commerciaux de fixer le montant du loyer renouvelé à la somme de 247 500 € HT et HC par an, subsidiairement de fixer le loyer à la somme 260 000 €, très subsidiairement à la somme de 298 000 € ou 315 000 € et en tout état de cause de condamner les bailleurs à lui rembourser le trop-perçu de loyers.
En l'état de leur dernier mémoire, [L] [C] veuve [N], [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] demandaient notamment d'ordonner avant-dire droit un complément d'expertise et de fixer le loyer renouvelé à la somme de 536 939,54 € par an HT et HC.
En l'état de leur dernier mémoire, [S] et [M] [N] demandaient de fixer le montant du loyer à la somme de 723 750 € par an HT et HC et condamner la société Darty à payer la différence entre le loyer contractuel et le loyer renouvelé.
Par jugement du 19 novembre 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Toulouse a :
- rappelé que le bail, unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2013, à partir de laquelle est dû le montant du loyer du bail renouvelé ;
- rejeté la demande de complément d'expertise formée par [L] [C] veuve [N], [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ;
- fixé le loyer du bail à renouveler à la somme de 291 079,95 € par an hors taxes et hors charges ;
- dit que [L] [C] veuve [N], [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12], [S] [N] et [M] [N] sont tenus du remboursement à la Snc Darty Grand Ouest du trop perçu de loyers correspondant à la différence entre le montant du loyer acquitté et le montant du loyer renouvelé, avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, avec capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette date ;
- laissé les dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire à la charge de la Snc Darty Grand Ouest ;
- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration en date du 12 décembre 2019, enregistrée sous le RG n°19/5355, Madame [B] [N] épouse [K], Madame [L] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ont relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation de l'ensemble des chefs du jugement, que la déclaration d'appel critique tous expressément.
Aux termes d'une ordonnance de référé du 24 juin 2020, Madame [B] [N] épouse [K], Madame [L] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ont été déboutés de leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du 19 novembre 2019, adressée à Madame la Permière Présidente de la Cour d'Appel de Toulouse.
Madame [L] [C] veuve [N] est décédée en cours d'instance le 2 novembre 2020, laissant pour lui succéder sa fille unique Madame [B] [N] épouse [K].
Par déclaration du 27 septembre 2021, enregistrée sous le RG n°21/4044, Madame [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ont relevé appel du jugement en intimant [S] et [M] [N] en invoquant l'article 552 du code de procédure civile relatif à l'indivisibilité.
Par ordonnance du 1er février 2022, le conseiller de la mise en état a joint les affaires n°RG 21-4044 et 19-5355 et dit que les instances seraient désormais appelées sous le seul numéro 19-5355.
Suivant acte authentique en date du 21 février 2023, [B], [S] et [M] [N], ainsi que la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ont cédé l'intégralité des locaux loués à la société [Adresse 9].
En sa qualité de nouveau propriétaire des locaux, la Snc [Adresse 9] est intervenue volontairement à la procédure et a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture initialement fixée au 13 décembre 2021.
Suivant ordonnance en date du 31 octobre 2023, le Conseiller de la Mise en état a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture et a fixé la nouvelle date de clôture au 13 novembre 2023.
L'affaire a été appelée à l'audience du 28 novembre 2023.
Prétentions et moyens
Vu les conclusions d'appelant n°2 notifiées le 9 novembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12] et Madame [B] [N] épouse [K], demandant de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- fixé le loyer du bail à renouveler à la somme annuelle de 291 079,95 € hors taxe et hors charge ;
- dit que Madame [D] [N], Madame [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12], Monsieur [S] [N], Madame [M] [N] sont tenus du remboursement à la société DARTY GRAND OUEST du trop-perçu des loyers correspondant à la différence entre le montant du loyer acquitté et le montant du loyer renouvelé avec intérêt au taux légal à compter du 23 septembre 2014 avec capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette date ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- rappelé que le bail liant les parties a une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2013 à partir de laquelle est dû le montant du loyer du bail renouvelé
- laissé les dépens en ce compris les frais d'expertise à la charge de la société Darty Grand Ouest
Statuant à nouveau :
- fixer le montant du loyer annuel de renouvellement des locaux loués à la somme de 334 740 € hors taxe et hors charge à compter du 1er juillet 2013
- dire que la société Darty Grand Ouest sera tenue de procéder au paiement à la société [Adresse 9] du différentiel de loyer hors taxes et hors charge entre le montant du nouveau loyer annuel fixé et celui dont elle s'est acquittée à compter du 1er juillet 2013 ;
- condamner la société Darty Grand Ouest à payer à la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12] et Madame [B] [N] épouse [K], la somme de 5 000 € chacun au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre le paiement des entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise.
Les anciens bailleurs affirment renoncer à une partie de leurs demandes qui ne sont pas reprises par le bailleur actuel.
Ils souscrivent en revanche à ses observations sur les spécificités des locaux, et sollicitent une majoration de 15% de la valeur locative retenue par le premier juge, affirmant que les marquises doivent être prises en compte dans le calcul de cette valeur en ce qu'elles sont visées au bail, ont été construites aux frais des bailleurs, et permettent au preneur d'exploiter une surface supplémentaire de 110 m².
Ils ajoutent que si l'autorisation de la municipalité d'exploiter cette partie du domaine public est précaire sur le principe, elle n'a pas été remise en cause dans les faits depuis plusieurs décennies.
Vu les conclusions notifiées le 13 novembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Snc [Adresse 9] demandant, au visa des articles 1234 du code civil, L145-8 à L145-33, L145-60, R145-1 à R145-8 du code de commerce et 555 du code civil, de :
- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 13 novembre 2023,
- la déclarer recevable en son intervention volontaire,
- débouter la société Darty Grand Ouest de l'ensemble de ses demandes,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- fixé le loyer du bail à renouveler à la somme annuelle de 291 079,95 € hors taxe et hors charge ;
- dit que Madame [D] [N], Madame [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12], Monsieur [S] [N], Madame [M] [N] sont tenus du remboursement à la société Darty Grand Ouest du trop-perçu des loyers correspondant à la différence entre le montant du loyer acquitté et le montant du loyer renouvelé avec intérêt au taux légal à compter du 23 septembre 2014 avec capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette date ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- rappelé que le bail, unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2013, à partir de laquelle est dû le montant du loyer du bail renouvelé ;
- rejeté la demande de complément d'expertise formée par [L] [C] veuve [N], [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ;
- laissé les dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire à la charge de la Snc Darty Grand Ouest ;
- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Statuant à nouveau des chefs réformés :
- fixer le montant du loyer annuel de renouvellement des locaux loués à la somme de 334 740 € hors taxe et hors charge à compter du 1er juillet 2013
- dire et juger que Madame [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre, la Sci de la [Adresse 12], Monsieur [S] [N] et Madame [M] [N] sont tenus du remboursement à la Société Darty Grand Ouest du trop-perçu de loyers correspondant à la différence entre le montant du loyer H.T. acquitté par la locataire et le montant du loyer annuel de 291 079,95 euros H.T. 'xé par la Juridiction des Loyers Commerciaux de TOULOUSE dans son Jugement en date du 19 Novembre 2019, outre T.V.A. en sus, avec intérêts au taux légal à compter du 23 Septembre 2014 et capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette date, à compter du 1er Juillet 2023 et jusqu'à la date de la cession de leur bien immobilier en date du 21 Février 2023,
Y ajoutant :
- dire que la société Darty Grand Ouest sera tenue de procéder au paiement à la société [Adresse 9] du différentiel de loyer hors et hors charge entre le montant du nouveau loyer annuel fixé de 334 740 Euros H.T. et hors charges et celui de 291 079,95 Euros H.T. fixé par la Juridiction des Loyers Commerciaux de TOULOUSE dans son Jugement en date du 19 Novembre 2019, outre T.V.A. en sus, avec intérêts au taux légal à compter du 23 Septembre 2014 et capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette date, à compter du 1er Juillet 2013,
- condamner la Société Darty Grand Ouest au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la Société Darty Grand Ouest au paiement des entiers dépens d'appel distraits au profit de Me Sophie COQ.
Le nouveau bailleur ne discute que le rejet par le premier juge de la majoration de valeur locative sollicitée au titre de la valorisation des marquises.
Il affirme que celles-ci offrent au preneur une terrasse extérieure de 110 m², fermée, chauffée et climatisée, et donc exploitable en toute saison ; il relève que l'expert lui-même indiquait que cette surface représentait un avantage économique non négligeable pour le preneur, et proposait une majoration à ce titre.
La Snc [Adresse 9] appuie ses prétentions sur la prise en compte par un courant jurisprudentiel majoritaire de ces terrasses couvertes et fermées pour le calcul de la valeur locative.
Vu les conclusions notifiées le 11 novembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Snc Darty Grand Ouest demandant, au visa des articles 1234 du code civil, L145-8 à L145-33, L145-60, R145-1 à R145-8 du code de commerce et 555 du code civil, de :
- accueillir la société [Adresse 9] en son intervention volontaire, en qualité de nouveau propriétaire et bailleur des locaux loués ;
- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
- débouter Monsieur [S] [N], Madame [B] [N] épouse [K], Mme [M] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] et la société [Adresse 9] de l'intégralité de leur demandes, fins et conclusions,
- condamner Monsieur [S] [N], Madame [B] [N] épouse [K], Mme [M] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] et la société [Adresse 9] à rembourser à la société Darty Grand Ouest, le trop-perçu de loyer correspondant à la différence entre le montant du loyer acquitté en vertu du bail et le montant du loyer renouvelé tel qu'il sera fixé par Madame ou Monsieur le Juge des loyers commerciaux, sauf à parfaire ;
- dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la notification du mémoire préalable de la société Darty Grand Ouest, soit le 23 juillet 2014, sauf à parfaire, avec capitalisation des intérêts en vertu des dispositions de l'article 1343-2 du Code Civil
- condamner Monsieur [S] [N], Madame [B] [N] épouse [K], Mme [M] [N], Mme [M] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] et la société [Adresse 9] à verser à la société Darty Grand Ouest une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- les condamner aux entiers dépens.
Le preneur rappelle que le propre des autorisations d'occupation du domaine public est qu'elles sont précaires, et que leur bénéficiaire n'a aucune garantie de maintien, quelle que soit la durée déjà courue de l'occupation.
Il affirme que le caractère précaire de l'exploitation des marquises fait obstacle à toute majoration.
Madame [M] [N] et Monsieur [S] [N], à qui les conclusions d'appelant n°2 ainsi que les dernières conclusions de l'intervenant volontaire ont été signifiées respectivement à domicile, et à étude, n'ont pas constitué avocat et n'ont pas conclu.
MOTIFS
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
Les parties ont signifié leurs conclusions avant la clôture de la procédure ; la Snc [Adresse 9] demande à la Cour de révoquer l'ordonnance de clôture du 13 novembre 2023 au motif que ses conclusions n'ont fait l'objet d'une signification aux parties non représentées que le 24 novembre 2023.
Il convient de relever que la recevabilité de ses conclusions n'est pas contestée par les parties, et qu'à l'audience, aucune difficulté n'a été soulevée de ce chef ; dès lors, la demande de révocation de l'ordonnance de clôture est sans objet.
Sur l'intervention volontaire de la Snc [Adresse 9]
Il ressort des dispositions de l'article 325 du code de procédure civile que l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
Selon l'article 554 de ce même code, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
En l'espèce la Snc [Adresse 9] justifie par la production de l'attestation immobilière du 21 février 2023, être désormais propriétaire des locaux objets du litige, donnés à bail à la Snc Darty Grand Ouest ; son intérêt à intervenir dans le cadre de la présente procédure d'appel n'est donc pas contestable.
Son intervention volontaire à la présente procédure sera déclarée recevable.
Sur l'étendue de la saisine de la Cour
La déclaration d'appel formée le 12 décembre 2019 par Madame [B] [N] épouse [K], Madame [L] [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12], porte sur l'intégralité du jugement du 19 novembre 2019.
Pour autant, il ne peut qu'être relevé que le litige a évolué suite à la cession des locaux à la Snc [Adresse 9] ; désormais, ne sont plus contestés par les parties, les chefs du jugement qui ont :
- rappelé que le bail, unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2013, à partir de laquelle est dû le montant du loyer du bail renouvelé ;
- rejeté la demande de complément d'expertise formée par [L] [C] veuve [N], [B] [N] épouse [K], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12] ;
- laissé les dépens en ce compris les frais d'expertise à la charge de la société Darty Grand Ouest ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
La Cour n'est ainsi pas saisie de demandes relatives à ces chefs de jugement.
Sur la demande en majoration de la valeur locative
Les parties s'opposent désormais uniquement sur la question de la prise en compte d'une majoration de la valeur locative des locaux, au titre de l'exploitation d'une surface commerciale supplémentaire permise par l'installation de marquises sur le domaine public.
Il est en effet précisé au bail liant les parties, dans le chapitre relatif à la désignation des locaux donnés à bail, que le preneur aurait la jouissance « au droit des locaux des numéros 6 et [Adresse 10], des marquises fermées et vitrées, qui sont implantées sur le domaine public devant chacun des deux immeubles dont dépendent les lieux loués. »
Le bail fait ainsi apparaître les marquises comme faisant partie de la surface donnée à bail, pour laquelle le preneur paye un loyer.
Il est par ailleurs indiqué que ces marquises ont été édifiées par le bailleur, et que le preneur « aura la jouissance de ces marquises dans la limite des droits du bailleur ; ce droit de jouissance ne pourra prendre fin que dans le cadre d'une réquisition d'une autorité administrative compétente à cet effet ».
En page 28 du bail, il est également précisé : « Les marquises appartiennent à Monsieur [T] [N] pour les avoir faites construire sur le domaine public ».
Il ressort de l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [I] que l'installation des marquises permet l'exploitation d'une surface utile de 110,63 m² ; l'expert apporte la précision suivante s'agissant des marquises :
« La société preneuse semble bénéficier d'un droit sur le domaine public, ce droit est incessible et précaire, révocable à tout moment par la mairie. Dès lors, et même si cette terrasse fermée présente un caractère pérenne puisqu'elle existe depuis de nombreuses années, est aménagée (chauffée, climatisée), bénéficie d'une autorisation d'urbanisme validée par les ABF et est agencée en surface de vente sans séparation matérielle avec le reste des locaux, elle est implantée sur le domaine public et n'appartient pas aux bailleurs.
Dès lors, en dépit du fait que cet avantage peut avoir un intérêt économique non négligeable pour le titulaire de l'autorisation, il ne peut être pris dans le prix du loyer du bail renouvelé qui dépend de la propriété commerciale.
Si toutefois le tribunal décide de valoriser la marquise, une majoration de l'ordre de 5% sera appliquée ».
Ainsi, contrairement à ce qu'affirment les bailleurs, l'expert ne propose pas une valorisation des marquises, mais indique un quantum dans l'hypothèse où le tribunal estimerait opportun de procéder à une majoration.
Par ailleurs, il est inexact d'affirmer que la société preneuse dispose d'un droit sur le domaine public, dans la mesure où l'autorisation d'exploitation de ce domaine public a été délivrée au bailleur ; la lecture du bail permet de constater que le preneur ne dispose que de la jouissance des marquises édifiées par le bailleur.
Ainsi, la société bailleresse demande à la Cour d'appliquer un coefficient de majoration à la valeur locative, en tenant compte de l'exploitation d'une surface dont elle n'est pas propriétaire, et sur laquelle elle est la seule à disposer d'un droit, qui plus est précaire.
Le simple fait que ce droit n'ait pas été remis en cause depuis plusieurs années, et bénéficie également aux commerces voisins, ne permet pas de lui donner un caractère pérenne.
En effet, ce droit peut être remis en cause à tout moment, peu importe le nombre d'années d'exploitation antérieures.
La jurisprudence majoritaire considère par ailleurs qu'une majoration relative à l'avantage lié à l'autorisation donnée par la mairie d'utiliser en terrasse une partie du domaine public n'est pas justifié, dans la mesure où il s'agit d'un titre précaire qui ne concerne pas les lieux loués mais uniquement le titulaire de l'autorisation et qui peut être remis en cause à tout moment et sans indemnité. Ainsi, en dépit du fait que cet avantage peut avoir un intérêt économique non négligeable pour le titulaire de l'autorisation, il ne peut être pris en considération dans le prix du loyer du bail renouvelé qui dépend de la propriété commerciale.
Cette jurisprudence, guidée par la nature non patrimoniale du titre d'occupation du domaine public qui est personnel, incessible et intransmissible, se réfère au principe de précarité, d'où il découle que l'occupant régulier n'a droit ni au renouvellement de l'autorisation d'occupation, ni au maintien des conditions d'occupation, ni même au maintien de l'autorisation elle-même.
La Cour de Cassation a récemment refusé de reconnaître qu'une terrasse installée sur le domaine public et exploitée en vertu d'une autorisation administrative pouvait faire partie des locaux loués, dans un litige portant sur la question de la modification des caractéristiques des locaux loués du fait de l'extension d'une terrasse installée sur le domaine public.
Le bailleur demande à la Cour de s'écarter de cette jurisprudence, et cite en exemple des jugements de tribunaux judiciaire ou arrêts de cours d'appels ayant retenu une majoration, pour tenir compte de l'avantage économique procuré au preneur par une surface supplémentaire.
Les décisions évoquées par les appelants, qui ont statué dans le sens d'une majoration, ont tenu compte de l'avantage offert par la terrasse du fait de l'augmentation de la surface, de l'attractivité économique ou de la capacité d'accueil des locaux ; il était principalement question d'une adjonction de surface de 30 à 40%, voire même d'un doublement de la capacité d'accueil, du fait de l'exploitation de la terrasse sur le domaine public.
Ce courant jurisprudentiel, qui concerne des petites surfaces locatives, est peu transposable aux grandes surfaces données à bail comme dans le cadre du présent litige.
En l'espèce dans la mesure où, selon le mesurage réalisé par l'expert judiciaire, la surface exploitée sur le domaine public grâce à l'installation des marquises représente à peine une augmentation de la surface des locaux de 7,5%, ces jurisprudences ne trouvent pas à s'appliquer.
En conséquence, si l'exploitation des 110 m² de surface supplémentaire autorisée par l'installation des marquises, sur une surface totale de plus de 1 400 m², constitue un avantage pour le preneur, il n'est pas pour autant suffisant pour entraîner une majoration de la valeur locative, dans la mesure où cet avantage est relativisé par la précarité de l'autorisation délivrée pour l'exploitation du domaine public ; par ailleurs cette surface n'est pas la propriété du bailleur.
Le premier juge a donc justement rejeté la demande en majoration de la valeur locative des locaux donnés à bail.
La Cour confirmera le jugement de première instance en ce qu'il a fixé le loyer du bail à renouveler à la somme de 291 079,95 € par an hors taxes et hors charges, et dit que les consorts [N], la Sci Christophe Pierre et la Sci de la [Adresse 12], seraient tenus au remboursement à la Snc Darty Grand Ouest du trop-perçu de loyers correspondant à la différence entre le montant du loyer acquitté et le montant du loyer renouvelé, avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, avec capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette date.
Y ajoutant, pour tenir compte de la cession des locaux commerciaux, il sera précisé que pour les loyers acquittés à compter du 21 février 2023, c'est la Snc [Adresse 9] qui sera tenue au remboursement du trop-perçu.
Sur les demandes accessoires
La Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12], Madame [B] [N] épouse [K] et la Snc [Adresse 9], qui succombent, seront condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, étant rappelé que les dépens de première instance ne sont pas contestés par les parties.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile entre les parties ; le jugement de première instance sera donc confirmé de ce chef, et les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant en dernier ressort, dans les limites de sa saisine, par défaut, et par mise à disposition au greffe,
Déclare recevable l'intervention volontaire de la Snc [Adresse 9] dans le cadre de la procédure d'appel ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit qu'à compter du 21 février 2023, la Snc [Adresse 9] sera tenu au remboursement du trop-perçu de loyer à l'égard de la Snc Darty Grand Ouest, en lieu et place de la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12], et Madame [B] [N] épouse [K] ;
Déboute la Snc Darty Grand Ouest, la Snc [Adresse 9], la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12], et Madame [B] [N] épouse [K] de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Condamne in solidum la Snc [Adresse 9], la Sci Christophe Pierre, la Sci [Adresse 12], et Madame [B] [N] épouse [K] aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.