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Décisions

CA Douai, premier président, 1 février 2024, n° 23/00755

DOUAI

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Columbus Trading-Partners & Co. KG (Sté)

Défendeur :

Dreets des Hauts de France Pôle C

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Château

Avocats :

Me Dancoisne, Me Giard

CA Douai n° 23/00755

31 janvier 2024

EXPOSE DE LA CAUSE

La société Columbus trading-partners GMBH & CO. KG (ci-après société Columbus) est une société de droit allemand, filiale de la société Goodbaby International Holding Ltd, société dont les titres sont cotés à [Localité 18]. Cette société fabrique et distribue des articles de puériculture notamment des poussettes et sièges auto sous la marque Cybex.

Le fabricant dispose d'une boutique de vente en ligne exploitée par la société Cybex retail GMBH. La distribution des produits commercialisés par Columbus s'appuie également sur des réseaux spécialisés en puériculture, d'envergure nationale, des distributeurs d'articles de puériculture indépendants, ou des enseignes plus généralistes.

Le 20 janvier 2023, le ministre de l'économie a adressé à M. [UT] [NN], directeur régional adjoint de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) des Hauts-de-France une demande d'enquête tendant à établir l'existence de pratiques anti-concurrentielles prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne susceptibles d'être mises en œuvre dans le secteur des articles de puériculture.

Par requête du 20 janvier 2023, M. [NN] a saisi le juge des libertés du tribunal judiciaire de Lille afin qu'il autorise les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce à procéder aux visites et saisies dans les locaux des entreprises suivantes :

* Columbus trading-partners GMBH & CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 16] ; 

mais aussi

* Stokke France, siège social [Adresse 5] ;

* Babyzen distribution, siège social [Adresse 4] ;

* Outlander, siège social [Adresse 2] ;

* domicile de Mme [J] [FO] [YI], situé [Adresse 1], country manager France chez Stokke Babyzen ;

* Aubert France, siège social [Adresse 6] ;

* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 26] ;

*France maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 9] ;

* Vert baudet, siège social [Adresse 3] ;

Il exposait notamment que :

le 5 juin 2019, un ancien salarié de la société Columbus, employé au sein de l'établissement français de cette dernière, avait saisi les services de la DGCCRF pour signaler une infraction ou un manquement, en indiquant que son employeur lui reprochait de ne pas appeler ses clients pour leur faire remonter les prix de ventes et que le directeur Colombus France demandait de bloquer les livraisons des clients qui ne respectaient pas les prix de vente définis par lui-même et la direction en Allemagne ; il confirmait ses propos lors de son audition du 25 juin 2019 par la DGCCRF, précisant que M. [P], directeur général France de Cybex, demandait à ses commerciaux, suite à des difficultés multiples au sujet des prix avec les enseignes Aubert, Bébé9, Autour de bébé et Babylux de « faire remonter les prix à une date fixe pour que tout le monde remonte en même temps et avec ordre de menacer le client de rupture de livraison en cas de refus de remonter le prix »; un système visant au strict respect des consignes tarifaires avait été mis en place par la création de groupes sur le réseau de communication Whatsapp des téléphones des équipes commerciales du fournisseur ;

ces allégations ont été confirmées par des revendeurs de la marque Cybex et notamment le 3 mars 2022 par la représentante de Babyboo France, le 9 mars 2022 par la représentante de la société Inter-praticien indépendante qui exploite le magasin à enseigne Bébécash [Localité 24], le 7 avril 2022 par le représentant du groupe LDLC, qui exploite les magasins à l'enseigne « l'armoire de bébé », le 23 septembre 2022 par deux représentants de la société Natal développement, qui exploite six magasins sous l'enseigne Natal Market à [Localité 24] et [Localité 21], et qui ont produit des SMS échangés les 27 novembre 2019, 23 juin 2022 et 15 septembre 2022 avec Colombus à ce sujet ;

l'analyse comparative des relevés de prix opérés par les agents de la DGCCRF le 28 octobre 2022 sur des produits de marque Cybex sur les sites internet de 22 revendeurs sur une centaine de produits et modèles fait apparaître les mêmes prix de vente à un euro prêt ;

Au vu de ces éléments, il indiquait qu'il apparaissait que la société Colombus porterait atteinte à la libre fixation des prix pratiqués par les revendeurs de ces produits, en surveillant les prix de vente proposés aux consommateurs dans son réseau de distribution et/ou en organisant cette surveillance par les membres de ce réseau et qu'elle sanctionnerait le non-respect des consignes qu'elle a elle-même déterminées, en intervenant sur la livraison ou la disponibilité des produits attendus par les revendeurs. Cette pratique aurait pour effet d'homogénéiser les prix publics de vente sur tous les points de vente physique et à distance des produits de la marque Cybex.

Par ordonnance du 23 janvier 2023, le juge des libertés de Lille a :

autorisé M. [UT] [NN] à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce et 101 du traité fondateur de l'Union Européenne (ci-après TFUE) dans le secteur des articles de puériculture, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés :

* Columbus trading-partners GMBH 1 CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 16] ;

* Stokke France, siège social [Adresse 5] ;

* Babyzen distribution, siège social [Adresse 4] ;

* Outlander, siège social [Adresse 2] ;

* domicile de Mme [J] [FO] [YI], situé [Adresse 1] ;

* Aubert France, siège social [Adresse 6] ;

* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 26] ;

* France maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 9] ;

* Vert baudet, siège social [Adresse 3] ;

autorisé par ailleurs ces mêmes opérations dans les locaux des entreprises des mêmes groupes qui seraient situés aux mêmes adresses ;

lui a laissé le soin de désigner parmi les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées ;

constaté le concours à lui apporter en tant que de besoin du chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d''Ile-de-France, des chefs de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes

et métrologie de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d'Auvergne-Rhône-Alpes, du Centre-Val-de-Loire, de Normandie, de Nouvelle-Aquitaine, de Bourgogne-Franche-Comté, de Grand-Est, de Bretagne, de Corse, d'Occitanie, des Pays-de-la-Loire, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la directrice de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) d'Indre-et-Loire et de la cheffe du Service national des enquêtes de la DGCCRF, qui désigneront, parmi les agents mentionnés aux articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce placés sous leur autorité, ceux chargés d'effectuer les visites et saisies autorisées ;

indiqué que pour assister aux opérations de visite et de saisie et le tenir informé de leur déroulement, les chefs de service ci-après nommeront les officiers de police territorialement compétents qui pourront agir de concert ou séparément :

* commissaire de police [SC] [O], chef du commissariat de police de [Localité 17] la Garenne ;

* major [JC] [Y], commandant de bridade adjoint à [Localité 23] ;

* [F] [XK], commissaire de police, chef de la sûreté urbaine d'[Localité 11] ;

* commandante [I] [V], cheffe de la brigade mobile de recherche zonale Nord ;

* capitaine [AE] [DU], commandant de la brigade de [Localité 22] ;

* capitaine [S] [OK], compagnie de [Localité 25] commandant de compagnie de gendarmerie départementale adjoint ;

* [W] [WN], commissaire divisionnaire, chef de la division Ouest de [Localité 13] ;

dit que les occupants des lieux ou leurs représentants peuvent faire appel à un conseil de leur choix sans que cela n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisie ;

indiqué que les entreprises visées par la présente ordonnance peuvent à compter de la date de l'opération de visite et de saisie dans les locaux consulter la requête et les documents susvisés au greffe de notre juridiction ;

indiqué que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent en application de l'article L. 450-4 sixième alinéa du code de commerce interjeter appel de celle-ci devant le premier président de la cour d'appel de Douai suivant les règles prévues par le code de procédure pénale, que cet appel est formé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l'ordonnance ; que l'appel n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale ; que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;

indiqué qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel de Douai, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale ; que ce recours est formalisé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la remise du procès-verbal de visite et saisie ; que le recours n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible de pourvoi en cassation selon les règles du code de procédure pénale ; que les pièces sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;

dit que l'ordonnance sera caduque si les opérations de visite et de saisie ne sont pas effectuées avant le 2 mai 2023.

Les opérations de visite et saisies se sont déroulées le 2 février 2023 dans les locaux de la société Colombus de [Localité 8].

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Maître Simon Dancoisne avocat au barreau de Lille, substituant Maître Timothée Giard, avocat au barreau de Paris, en date du 9 février 2023, la société Columbus a formé un recours contre le déroulement de ces opérations de visites et saisies.

A l'audience du 16 octobre 2023 à laquelle cette affaire a été appelée et retenue,

La société Colombus représentée par son avocat demande à la présente juridiction, au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 432-8 et 432-9 du code pénal, L. 450-1, L. 450-4 et R. 450-2 du code de commerce, 56 du code de procédure pénale, de :

- la déclarer recevable et en son recours contre le déroulement des opérations de visite et saisies autorisées par ordonnance du juge de la liberté du tribunal judiciaire de Lille en date du 23 janvier 2023,

- y faisant droit,

à titre principal, annuler dans leur ensemble des opérations de visite et saisies diligentées par la DREETS le 2 février 2023 dans ses locaux de l'établissement secondaire et unique sur le territoire français en ce que ces opérations ne se sont pas déroulées en la présence constante d'un représentant valablement désigné par elle,

en conséquence,

déclarer la nullité des 2 procès-verbaux de de visite et saisies en date du 2 février 2023 et référencés PV 020 220 23/ COLOMBUS/NUM et PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP, et du rapport en date du 8 février 2023 dressé par la DREETS en application de l'article 450-2 du code de commerce,

ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des pièces saisies sous scellés numériques (n° scellé 1) annexé au procès-verbal du 2 février 2023 référencé PV 020 220 23/ COLOMBUS/NUM et sous scellé numéro un (bureau de M. [A] [X] scellé n° 1) annexé au procès-verbal référencé PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP, ainsi que le disque dur externe de marque Samsung dont la DREETS a accusé réception (pièce adverse n°3) et contenant toutes les pièces transmises à la DREETS après ou à l'occasion des opérations de visite et saisies telles que listés en pièce numéro 14, sans que la DREETS puisse en conserver une copie,

interdire tout utilisation subséquente des procès-verbaux référencés en date du 2 février 2023 du rapport en date du 8 février 2023 susmentionnés d'aucune des pièces irrégulièrement saisies pendant ou à l'occasion des opérations de visite et saisies,

à titre subsidiaire, constater que la DREETS a saisi de manière irrégulière des fichiers de messagerie de MM. [A] [P], [G] [YH], [E] [K], [RF] [FN] et [R] [GL] et de Mme [CL] [T], tel que listés en pièce n° 14 et contenus dans le disque dur externe de marque Samsung dont la DREETS a accusé réception (pièce adverse n° 3) en ce que :

- la DREETS a irrégulièrement saisi ces fichiers de messagerie à l'issue de la clôture des opérations de visite, en dehors de tout cadre légal et la privant de garanties procédurales essentielles,

- la DREETS a excédé son champ de compétences tant matérielles que géographiques en saisissant ses fichiers de messagerie alors qu'ils se situaient en dehors du territoire français et de ce fait, lui étaient inaccessibles depuis les locaux de la société Colombus visés par l'ordonnance du juge de la liberté du tribunal judiciaire de Lille en date du 23 janvier 2023 autorisant les opérations de visite et saisies,

en conséquence :

- annuler la saisie des fichiers de messagerie de MM. [A] [P], [G] [YH], [E] [K], [RF] [FN] et [R] [GL] et de Mme [CL] [T], tels que listés en pièce n° 14, saisis irrégulièrement,

- ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis, sans que la DREETS des Hauts de France ne puisse en conserver une copie,

- déclarer la nullité du rapport en date du 8 février 2023 dressé par la DREETS en application de l'article L. 450-2 du code de commerce (pièce adverse n° 3),

- interdire toute utilisation subséquente des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis,

à titre infiniment subsidiaire :

déclarer la nullité de la saisie par la DREETS de données antérieures au 1er janvier 2017 pendant et à l'occasion des opérations de visite et saisies telles que listés en pièces n° 15 et 15 bis,

en conséquence,

- ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis, sans que la DREETS des Hauts de France ne puisse en conserver une copie,

- interdire toute utilisation subséquente de ces données irrégulièrement saisies,

en tout état de cause,

- déclarer la nullité de la saisie par la DREETS de fichiers couverts par la confidentialité des correspondances avocat/client elle que listés en pièce n° 9 bis,

- annuler les opérations de visite et saisies dans leur intégralité,

- ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis par la DREETS pendant ou à l'occasion des opérations de visite et saisies,

- condamner la DREETS au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

La DGCCRF représentée par M. [UT] [NN], substitué à l'audience par Mme [ZF] [JZ], munie d'un pouvoir, demande à la présente juridiction de :

- dire et juger mal fonder le recours formé par la société Colombus à l'encontre du déroulement des opérations de visites et saisies autorisées par l'ordonnance,

- débouter la société Colombus de toutes ses demandes,

- confirmer la validité des opérations de visite et saisies qui se sont déroulées le 2 février 2023 ainsi que la validité de la remise ultérieure des 6 fichiers de messagerie considérés

- condamner en conséquence la société Colombus aux entiers dépens.

Les moyens développés par la société Colombus et par la DGCCRF à l'appui de leurs demandes seront repris dans le cadre des développements relatifs aux motifs de la présente décision.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur le grief de défaut de présence constante d'un représentant de la société Colombus valablement désigné par elle

Les PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP et 020 220 23/ COLOMBUS/NUM, du 2 février 2023 indiquent que :

- les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes qui se sont présentés à 9h35 dans les locaux de la société Colombus à [Localité 8] ont été reçus par Mme [ES] [CX] directrice marketting, occupante des lieux, qui a désigné M. [A] [P], general manager, responsable d'établissement et Mme [M] [L] office assistante pour la représenter durant les opérations de visite et saisie,

- les opérations effectuées par l'équipe n° 1, constituée des enquêteurs [F] [ER] et [C] [Z], se sont déroulées en la présence constante de :

- M. [P], jusqu'à 13h42, heure à laquelle il a quitté les locaux pour prendre les conseils d'un avocat en son « étude »,

- Mme [LU] [VR], désignée par M. [P] ou de Mme [M] [L] qui se sont relayées en qualité de représentantes de l'occupant des lieux durant les opérations jusqu'à 18h15,

- M. [P] à partir de 18h15 jusqu'à la clôture des opérations à 20h45.

- les opérations effectuées par l'équipe n° 2 constituée des enquêteurs [IF] [SZ], [U] [N] et [B] [MR] se sont déroulées en la présence constante de :

- Mme [L] jusqu'à 12h27,

- de M. [P] de 12h27 à 13h42, heure à laquelle il a quitté les locaux pour prendre les conseils d'un avocat en son « étude »,

- Mme [LU] [VR], désignée par M. [P] ou de Mme [M] [L] qui se sont relayées en qualité de représentantes de l'occupant des lieux durant les opérations jusqu'à 18h15,

M. [P] à partir de 18h15 jusqu'à la clôture des opérations à 21h20.

- le PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP établi par l'équipe n° 1 a été signé par M. [A] [P] présenté comme occupant des lieux et le PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP établi par l'équipe n° 2 a été signé par M. [A] [P] présenté comme représentant de l'occupant des lieux.

L'article 450-4 alinéa 7 du code de commerce prévoit que : « La visite, qui ne peut commencer avant six heures ou après vingt et une heures, est effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant. L'occupant des lieux peut désigner un ou plusieurs représentants pour assister à la visite et signer le procès-verbal.

La société Colombus indique que M [P] n'avait pas la possibilité en tant que représentant de l'occupant des lieux de désigner lui-même un autre représentant de l'occupant des lieux et que la chaîne de représentation de l'entreprise a été coupée à 13h42.

Toutefois, le texte de l'article L. 450-4 du code de commerce sus-visé ne prohibe nullement la possibilité pour le représentant désigné par l'occupant des lieux de nommer lui-même à nouveau une personne pour le remplacer, pendant une période d'indisponibilité.

La présente juridiction note que cette possibilité a été utilisée par M. [P], général manager de la société Colombus pour pouvoir contacter un avocat pendant la période de visite, et que la société Colombus ne peut de bonne foi reprocher à l'administration d'avoir accepté cette subdélégation, et à l'officier de police judiciaire de ne pas s'être assuré que l'entreprise était valablement représentée, alors que l'acceptation de la subdélégation a permis à l'entreprise d'exercer ses droits d'accès à un avocat.

Le rappel des personnes présentes pendant la période de visite domiciliaire ci-dessus détaillé fait apparaître que la société Colombus a tout au long de cette période été représentée par l'occupant des lieux, puis par un délégué de cet occupant des lieux, ou une personne désignée par ce délégué de l'occupant des lieux.

Le seul fait qu'il ait été fait mention dans le PV PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP de ce que M. [P] signataire de ce PV était occupant des lieux, alors qu'il avait été désigné par l'occupant des lieux, ne cause aucun grief à la société Colombus, s'agissant d'une simple erreur matérielle, M. [P] ayant bien été régulièrement désigné par l'occupante des lieux rencontrée en premier par les agents de l'administration.

Il ne sera donc pas fait droit aux demandes formées à titre principal, par la société Colombus

- d'annuler dans leur ensemble des opérations de visite et saisies diligentées par la DREETS le 2 février 2023 dans ses locaux de l'établissement secondaire et unique sur le territoire français en ce que ces opérations ne se sont pas déroulées en la présence constante d'un représentant valablement désigné par elle,

- de déclarer la nullité des 2 procès-verbaux de de visite et saisies en date du 2 février 2023 et référencés PV 020 220 23/ COLOMBUS/NUM et PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP, et du rapport en date du 8 février 2023 dressé par la DREETS en application de l'article 450-2 du code de commerce,

- d'ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des pièces saisies sous scellés numériques (n° scellé 1) annexé au procès-verbal du 2 février 2023 référencé PV 020 220 23/ COLOMBUS/NUM et sous scellé numéro un (bureau de M. [A] [X] scellé n° 1) annexé au procès-verbal référencé PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP, ainsi que le disque dur externe de marque Samsung dont la DREETS a accusé réception (pièce adverse n° 3) et contenant toutes les pièces transmises à la DREETS après ou à l'occasion des opérations de visite et saisies telles que listés en pièce numéro 14, sans que la DREETS puisse en conserver une copie,

- d'interdire tout utilisation subséquente des procès-verbaux référencés en date du 2 février 2023 du rapport en date du 8 février 2023 susmentionnés d'aucune des pièces irrégulièrement saisies pendant ou à l'occasion des opérations de visite et saisies.

Sur la nullité de la saisie des fichiers de messagerie

2.1 dans la mesure où ils ont été saisis sous la contrainte hors du cadre légal

Le PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP en sa page 3/6 précise qu'il a été demandé au représentant de l'occupant des lieux de permettre l'accès au contenu des fichiers de messagerie de MM. [A] [P], [G] [YH], [E] [K], [RF] [FN] et [R] [GL] et de Mme [CL] [T] ; que l'entreprise n'a pas été en mesure, en raison de difficultés techniques, de mettre à disposition lesdites données et qu'en conséquence elle s'est engagée à transmettre sur un support informatique lui appartenant lesdits fichiers de messagerie dès téléchargement à l'adresse suivante direction régionale de l'économie de l'emploi du travail et des solidarités pôle ses brigues, brigade interdépartementale d'enquête de concurrence de [Localité 20] [Adresse 19] [Adresse 15], la société Colombus s'engageant à préserver l'intégrité et l'authenticité des données jusqu'à leur mise à disposition complète.

Le procès-verbal de constat établi par la Maître [D] [H] commissaire de justice à [Localité 20] le 4 mai 2023, à la requête de la société Colombus à partir de l'ordinateur de Mme [M] [L] office assistante de Cybex, reprend les courriels échangés en anglais entre les agents de l'administration le 2 février 2023 à partir du « Teams » de Mme [L] et Mme [TW] [PI] du service informatique de l'entreprise Colombus situé à [Localité 12] en Allemagne, dont la réalité n'est pas contestée par l'administration.

A 11h17 « Suite à notre conversation, nous vous confirmons notre demande de réplication locale des Outlook suivants notamment sous le format .pst : M. [G] [YH], M. [A] [P], Ms [CL] [T], M. [E] [K], M. [RF] [FN], M. [R] [GL]. Comme nous l'avons évoqué, nous, inspecteur des fraudes et des services de la France agissant actuellement le compte de l'économie de France, en vertu d'une ordonnance du tribunal judiciaire de Lille, et notre demande nécessite donc un traitement d'urgence de votre part. »

A 11h 45 était envoyé un message demandant où en était le traitement de la demande.

A 12h03 était envoyé un message renouvelant la demande.

A 12h57 « [TW], [A] ([P]) écrit. Les inspecteurs ont besoin d'avoir accès aux emails sollicités. C'est vraiment urgent. Merci. Attendez-vous une approbation ' Pouvez-vous les appeler aussi tôt que possible pour les renseigner sur la situation. Plus longtemps nous attendrons, plus long sera le processus. Nous sommes contraints de leur donner un accès complet... Ils ne partiront pas tant que les recherches ne seront pas terminées. Cela peut finir très tard dans la nuit. »

Les échanges se poursuivaient entre l'administration et Mme [PI] à 13h06, 14h32, 14h36, 15h41, 15h42, heure à laquelle l'administration précisait qu'elle réduisait sa demande à la communication des messages à partir du 1er janvier 2017 au 2 février 2023, 16h22, 16h23 et 16h53.

A une heure qui n'est pas précisée, mais avant la fin de la visite domiciliaire, l'administration prenait acte de ce que l'entreprise s'engageait à transmettre les fichiers sollicités, sans qu'une date ne soit imposée. Le colis posté contenant les fichiers envoyés le 6 février 2023 a été réceptionné le 8 février 2023 par l'administration, Mme [HI] ayant appelé M. [P] à 10 h48 pour l'informer de la bonne réception, après que Mme [ER] ait laissé un message à M. [P] le 8 février 2023 à 9h12 pour l'informer que le colis annoncé n'avait pas été reçu.

La société Colombus indique qu'elle n'a pas eu la possibilité de vérifier la présence d'éléments entrant dans le champ de l'autorisation donnée par le juge des libertés, qu'elle n'a pas pu bénéficier de la procédure de scellés fermés provisoires, ni de l'inventaire que l'administration doit dresser prévu à l'article L. 450-4 du code de commerce. Dans la mesure où les fichiers ont été remis par la société Colombus après la clôture des opérations de visite domiciliaire et de saisies, les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce n'ont pas à s'appliquer.

Au vu de ces éléments, il ne peut être retenu que les messages ont été saisis de manière illégale, et que la société Colombus a agi sous la contrainte et qu'elle n'a pas bénéficié des garanties fondamentales prévues à l'article L. 450-4 du code de commerce, alors que la société Colombus a adressé à l'administration les fichiers sollicités, alors même que la visite domiciliaire avait pris fin et que le seul message insistant lors des échanges de l'administration avec le service informatique le 2 février 2023 n'émanait pas d'un agent de l'administration, mais de M. [P] qui craignait la longueur de la visite domiciliaire.

2.2 hors du champ géographique de l'ordonnance du juge des libertés.

La société Colombus soutient que la DREETS a excédé son champ de compétence géographique en saisissant ses fichiers de messagerie alors qu'ils se situaient en dehors du territoire français et de ce fait, lui étaient inaccessibles depuis les locaux de la société Colombus visés par l'ordonnance du juge de la liberté du tribunal judiciaire de Lille en date du 23 janvier 2023 autorisant les opérations de visite et saisies.

Les fichiers litigieux n'ont pas le caractère de fichiers saisis, comme il vient d'être établi. En outre, il est constant que la demande initiale de l'administration de se faire communiquer ces messageries était légitime dès lors qu'il s'agissait de messages échangés par des salariés ou anciens salariés de la société Colombus à partir de leur messagerie professionnelle à laquelle ils avaient accès de leurs locaux situés à [Localité 8], le fait que leur mise à disposition technique dépende d'un service informatique situé en Allemagne n'étant pas un obstacle au droit d'en obtenir communication en vertu de l'ordonnance du juge des libertés de Lille.

2.3 sur le rejet des demandes formées à titre subsidiaire

Il ne sera donc pas fait droit aux demandes subsidiaires formées par la société Colombus :

- de constater que la DREETS a saisi de manière irrégulière des fichiers de messagerie de MM. [A] [P], [G] [YH], [E] [K], [RF] [FN] et [R] [GL] et de Mme [CL] [T], tel que listés en pièce n°14 et contenus dans le disque dur externe de marque Samsung dont la DREETS a accusé réception

- d'annuler la saisie des fichiers de messagerie de MM. [A] [P], [G] [YH], [E] [K], [RF] [FN] et [R] [GL] et de Mme [CL] [T], tels que listés en pièce n° 14, saisis irrégulièrement,

- d'ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis, sans que la DREETS des Hauts de France ne puisse en conserver une copie,

- de déclarer la nullité du rapport en date du 8 février 2023 dressé par la DREETS en application de l'article L. 450-2 du code de commerce,

- d'interdire toute utilisation subséquente des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis.

Sur les demandes infiniment subsidiaires.

Même si la présente juridiction a retenu que les fichiers adressés par la société Colombus le 6 février 2023 et réceptionnés le 8 février 2023 ont été remis par la société et n'ont pas le caractère de fichiers saisis, il est établi qu'ils ont été remis à la suite de la demande faite par l'administration qui avait accepté de limiter sa demande aux messages échangés entre le 1er janvier 2017 et le 2 février 2023, de sorte que la société Colombus est fondée à voir ordonner que lui soit restituée l'original et toute copie de l'intégralité des messages antérieurs au 1er janvier 2017 transmis par l'entreprise le 8 février 2023 figurant en paragraphe 2 de sa pièce n°15; cette restriction ne s'étend pas toutefois aux documents saisis par l'administration lors de la visite domiciliaire et qui seraient antérieurs au 1er janvier 2017, la limitation n'ayant été acceptée que pour les messages.

Sur la nullité de la saisie des fichiers couverts par la confidentialité des correspondances avocat/clients.

La société Colombus demande la nullité de la saisie des fichiers couverts par la confidentialité des correspondances avocat/clients tels que repris dans sa pièce 9 bis, qui s'avère correspondre aux échanges de messages entre MM. [A] [P], [BD] [BI] avocat à Munich et Mme [ZF] [KX] avocate à la cour à Paris entre le 29 juin 2021 et le 22 juillet 2021. Toutefois, il est constant que l'administration n'a pas pu saisir la messagerie de M. [P] et que les messages sont ceux transmis par la société elle-même de sorte qu'elle n'est pas fondée à obtenir la nullité de la saisie, ou à la restitution de ces éléments saisis.

Sur les dépens et indemnité d'article 700 du code de procédure civile.

Chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance et la société Columbus sera déboutée de sa demande d'indemnités d'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

1. Déboute la société Colombus Trading-Partners GmbH & Co.KG des demandes suivantes :

- d'annulation dans leur ensemble des opérations de visite et saisies diligentées par la DREETS le 2 février 2023 dans ses locaux de l'établissement secondaire et unique sur le territoire français,

- de déclarer la nullité des 2 procès-verbaux de de visite et saisies en date du 2 février 2023 et référencés PV 020 220 23/ COLOMBUS/NUM et PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP, et du rapport en date du 8 février 2023 dressé par la DREETS en application de l'article 450-2 du code de commerce,

- d'ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des pièces saisies sous scellés numériques (n° scellé 1) annexé au procès-verbal du 2 février 2023 référencé PV 020 220 23/ COLOMBUS/NUM et sous scellé numéro un (bureau de M. [A] [X] scellé n° 1) annexé au procès-verbal référencé PV 020 220 23/ COLOMBUS/PAP, ainsi que le disque dur externe de marque Samsung dont la DREETS a accusé réception (pièce adverse n° 3) et contenant toutes les pièces transmises à la DREETS après ou à l'occasion des opérations de visite et saisies telles que listés en pièce numéro 14, sans que la DREETS depuis son conserver une copie,

- d'interdire tout utilisation subséquente des procès-verbaux référencés en date du 2 février 2023 du rapport en date du 8 février 2023 susmentionnés d'aucune des pièces irrégulièrement saisies pendant ou à l'occasion des opérations de visite et saisies,

- d'annuler la saisie des fichiers de messagerie de MM. [A] [P], [G] [YH], [E] [K], [RF] [FN] et [R] [GL] et de Mme [CL] [T], listés en pièce n° 14,

- d'ordonner que lui soient restitués l'original et toute copie éventuelle de l'intégralité des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis, sans que la DREETS des Hauts de France ne puissant en conserver une copie,

- de déclarer la nullité du rapport en date du 8 février 2023 dressé par la DREETS en application de l'article L. 450-2 du code de commerce (pièce adverse n° 3),

- d'interdire toute utilisation subséquente des fichiers de messagerie susmentionnée irrégulièrement saisis,

- de déclarer la nullité de la saisie des données antérieures au 1er janvier 2017 pendant les opérations de visite et saisie tels que listés en pièce 15 et 15 bis,

- de déclarer la nullité de la saisie par la DREETS de fichiers couverts par la confidentialité des correspondances avocat/client listés en pièce n° 9 bis,

- d'annuler les opérations de visite et saisies dans leur intégralité,

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis par la DREETS pendant ou à l'occasion des opérations de visite et saisies,

- de condamner la DREETS au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance,

2. Ordonne que soit restitué à la société Colombus Trading-Partners GmbH & Co.KG l'original et toute copie de l'intégralité des messages antérieurs au 1er janvier 2017 transmis par l'entreprise le 8 février 2023 figurant au paragraphe 2 de sa pièce n° 15,

3. Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens qu'elle a engagés dans le cadre de la présente procédure,

4. Déboute la société Colombus Trading-Partners GmbH & Co.KG de sa demande d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile.