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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 6 février 2024, n° 22/11524

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/11524

6 février 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 - CHAMBRE 16

ARRET AVANT DIRE DROIT

DU 06 FEVRIER 2024

(n° 19 /2024 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/11524 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF723

Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de commerce de Paris (19e chambre) rendu le 15 mai 2022 sous le numéro de RG 2021050321

APPELANTE

Société CHRISTIAN DIOR COUTURE

société anonyme immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 612 035 832

ayant son siège social : [Adresse 1][Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidants : Me Eve DUMINY, Me Marie-Cécile RAMEAU et Me Aurélie PATRELLE, du cabinet BREDIN PRAT (SAS), avocats au barreau de PARIS, toque : T12

INTIMEE

Société SAFILO S.P.A

société de droit italien,

immatriculée auprès de la Chambre de Commerce, d'Industrie, d'Artisanat et d'Agriculture de PADOUE sous le numéro 03625410281,

ayant son siège social : [Adresse 4], [Localité 2] (ITALIE),

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Ayant pour avocats plaidants : Me Didier THÉOPHILE et Me Eva PARKER, du cabinet DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER AARPI, avocats au barreau de PARIS, toque : R170

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

Un rapport a été présenté à l'audience par M. Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET AVANT DIRE DROIT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'appels interjetés contre un jugement rendu le 11 mai 2022 par le tribunal de commerce de Paris (19e chambre) dans un litige opposant la société de droit français Christian Dior Couture (ci-après « Dior ») à la société de droit italien Safilo - Societa Azionaria Fabbrica Italiana Lavorazione Occhiali S.P.A (ci-après « Safilo »).

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur un contrat de licence exclusive conclu entre Dior et Safilo.

3. Dior est une filiale détenue à 100 % par la société LVMH Moët Henessy Louis Vuitton (ci-après « LVMH »), qui détient également l'intégralité du capital de la société Thelios, créée en 2017 aux fins d'internalisation de la production et de la distribution de lunettes des marques de LVMH.

4. Safilo est une filiale de la société Safilo Group S.p.A. Elle exerce une activité de production et de distribution de lunettes de ses propres marques ainsi que d'autres marques de luxe dont elle détient la licence.

5. Les parties sont entrées en relation à compter de 1996, les lunettes Dior étant exclusivement commercialisées dans un réseau de distribution sélective mis en place par Safilo en vertu de plusieurs accords de licence successifs.

6. Par contrat du 29 septembre 2010 (ci-après « le contrat de licence ») se substituant aux précédents, la licence de marque sur les produits de lunetterie Dior a été directement consentie par Dior à Safilo jusqu'au 31 décembre 2017.

7. Ce contrat, soumis au droit français et qui comporte une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions du ressort de la cour d'appel de Paris, a été modifié par un avenant du 9 décembre 2016, qui en a prorogé le terme au 31 décembre 2020.

8. Le 27 juin 2019, Dior a confirmé à Safilo que leur relation contractuelle prendrait fin à ce terme, date au-delà de laquelle elle souhaitait confier la fabrication de ses lunettes et la gestion de leur réseau de distribution à la société Thelios.

9. Dans ce contexte, Dior reproche à Safilo d'avoir commis des manquements à ses obligations contractuelles en refusant notamment de s'acquitter de factures, accumulant une dette d'un montant de 17 millions d'euros au mois de mai 2021. Elle reproche en outre à Safilo d'avoir cessé de lui transmettre des informations que le contrat de licence lui imposait de communiquer.

10. Par acte introductif d'instance du 22 octobre 2021, Dior a assigné Safilo à comparaître à bref délai devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'il ordonne à cette société de communiquer plusieurs séries d'informations et de documents relatifs à la distribution des lunettes commercialisées sous ses marques en vertu du contrat de licence et qu'il autorise la société KPMG, en tant qu'auditeur indépendant désigné par Dior, à réaliser un audit dans les locaux de Safilo.

11. Par jugement du 11 mai 2022, ce tribunal a statué en ces termes :

« Déboute la société SAFILO SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite SAFILO S.P.A. de sa demande de saisie de l'Autorité de la concurrence,

Ordonne à la société SAFILO SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite SAFILO S.P.A. de communiquer à la société CHRISTIAN DIOR COUTURE, les documents ci-dessous énumérés au titre des exercices 2019, 2020 et du premier semestre 2021, sous astreinte globale de 3 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification du jugement à intervenir, et cela pendant une période de 45 jours, durée au-delà de laquelle il sera à nouveau fait droit :

- la base de données par référence et par point de vente (« Data Base per Point of Sale ») et les rapports de ventes par référence et par point de vente (« Sales Report per Point of Sale ») pour les lunettes DIOR, au format prévu à l'annexe 14 du Contrat (article 8.2.2 et annexe 14 du Contrat) ;

- la liste et le détail des ventes par référence et par client aux Close-Out Operators pour tous les pays (article 9.3 du Contrat dans sa version modifiée par l'avenant n° 2) ;

- la copie des rapports d'audit sur les points de vente (article 8.2.2 du Contrat) ;

- la répartition des quantités et du chiffre d'affaires total net des retours par catégorie de produits et par pays, généré par la société SAFILO SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite SAFILO S.P.A. pour chaque mois (article 15.1.3 et annexe 4 du Contrat) ;

- la répartition des quantités de produits retournés par pays pour chaque mois (article 15.1.3 et annexe 4 du Contrat) ;

- un état de toutes les dépenses de communication et outils de communication avec les factures correspondantes par pays (article 15.1.3 et annexe 4 du Contrat) ;

- le rapport complet sur les retours de lunettes DIOR (« Global Return Report of DIOR Product ») (article 15.1.3 et annexe 4 du Contrat) ;

- la confirmation écrite du commissaire aux comptes de la société SAFILO - SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite SAFILO S.P.A. de ce que le chiffre d'affaires total déclaré par la société SAFILO ' SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite SAFILO S.P.A. est conforme aux données figurant dans ses registres comptables (article 15.1.4) ;

Déboute la société CHRISTIAN DIOR COUTURE de ses autres demandes de communication directe,

Déboute la société CHRISTIAN DIOR COUTURE de l'ensemble de ses demandes de communication et d'accès en faveur de la société KPMG, telles qu'elles ont été formulées dans cette instance,

Condamne la société SAFILO SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite SAFILO S.P.A. à verser la somme de 10 000 euros à la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires, Condamne la SAFILO SOCIETA AZIONARIA FABBRICA ITALIANA LAVORAZIONE OCCHIALI S.P.A, dite « SAFILO S.P.A. » aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA. »

12. La société Dior a interjeté appel de cette décision par déclaration du 17 juin 2022 en ce qu'elle l'a déboutée de ses autres demandes de communication de documents et de ses demandes au titre de l'audit.

13. La clôture a été prononcé le 9 janvier 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoirie du 16 janvier 2024 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.

14. À l'issue de l'audience, la cour a invité les parties à lui faire connaître leurs positions sur une mesure de médiation.

15. Par courrier du 18 janvier 2024, la société Dior a donné son accord à une telle mesure, tout en souhaitant que celle-ci soit enserrée dans un délai de quatre à six semaines.

16. Par courrier du 29 janvier 2024, la société Safilo a également donné son accord à une mesure de médiation, sous la réserve d'un délai plus long de six à huit semaines.

II/MOTIFS DE LA DECISION

Vu les conclusions de la société Christian Dior Couture notifiées par voie électronique le 4 décembre 2024 ;

Vu les conclusions de la société Safilo notifiées par voie électronique le 22 décembre 2023 ;

Vu la lettre de la société Christian Dior Couture du 18 janvier 2024 ;

Vu la lettre de la société Safilo du 29 janvier 2024 ;

Les parties ayant été entendues lors de l'audience du 16 janvier 2024 ;

Considérant que :

17. En vertu des articles 131-1 et suivant du code de procédure civile, le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, ordonner une médiation, le médiateur désigné par le juge ayant pour mission d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose.

18. La médiation porte sur tout ou partie du litige. En aucun cas elle ne dessaisit le juge, qui peut prendre à tout moment les autres mesures qui lui paraissent nécessaires. Sa durée initiale ne peut excéder trois mois à compter du jour où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier. Elle peut être renouvelée une fois, pour une même durée, à la demande du médiateur.

19. La décision qui ordonne une médiation mentionne l'accord des parties, désigne le médiateur et la durée initiale de sa mission et indique la date à laquelle l'affaire sera rappelée à l'audience. Elle fixe le montant de la provision, ainsi que le délai dans lequel les parties qu'elle désigne procéderont à son versement, directement entre les mains du médiateur. Si plusieurs parties sont désignées, elle précise dans quelle proportion chacune effectuera le versement. À défaut de versement intégral de la provision dans le délai prescrit, la décision est caduque et l'instance se poursuit.

20. Les parties peuvent être assistées devant le médiateur par toute personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction qui a ordonné la médiation.

21. A l'expiration de sa mission, le médiateur informe le juge de l'accord intervenu entre les parties ou de l'échec de la mesure. En cas d'accord, les parties pourront saisir le juge d'une demande d'homologation de cet accord par voie judiciaire.

22. Il apparaît, en l'espèce, dans l'intérêt des parties comme dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, que le recours à la médiation judiciaire rendrait possible une issue adaptée au règlement de leur litige.

23. Interrogées sur ce point, les parties ont donné leur accord de principe à l'exercice d'une telle mesure, précision ayant été donnée par la cour qu'en cas d'échec, il sera statué en la cause sans nouvelle audience, le fond du litige ayant été débattu.

24. Il convient en conséquence de surseoir à statuer et d'ordonner une mesure de médiation dans les conditions précisées au dispositif de la présente décision.

III/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Constate l'accord des parties pour la conduite d'une mesure de médiation judiciaire ;

2) Ordonne une mesure de médiation judiciaire ;

3) Ordonne le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de cette mesure ;

4) Désigne M. [N] [E] en qualité de médiateur judiciaire (dont les coordonnées seront communiquées aux parties par message RPVA), aux fins d'entendre les parties et/ou leurs conseils, de confronter leurs points de vue, de prendre connaissance de tous éléments utiles pour permettre aux parties de trouver par elles-mêmes une solution au conflit qui les oppose ;

5) Fixe à cinq mille euros (5 000,00 €) le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur ;

6) Dit que cette somme devra être versée directement entre les mains du médiateur avant le 1er mars 2024, à concurrence de 2 500,00 euros pour chacune des parties ;

7) Dit qu'en l'absence de versement de la provision dans les conditions et délai impartis, la décision de désignation du médiateur sera caduque et l'instance reprendra, charge à la partie la plus diligente d'en informer la cour ;

8) Rappelle que le médiateur ne peut commencer les opérations de médiation qu'après réception de la provision ;

9) Dit que, sauf renouvellement sollicité dans les conditions prévues à l'article 131-3 du code de procédure civile, la mission du médiateur sera d'une durée de deux mois à compter du jour du versement de la provision entre ses mains ;

10) Invite le médiateur et les parties à informer la cour de toute difficulté rencontrée dans l'accomplissement de la médiation ;

11) Dit qu'à l'issue de sa mission, le médiateur remettra à la cour ainsi qu'à chacune des parties son rapport écrit qui ne fera pas état des propositions transactionnelles ayant pu émaner de l'une ou l'autre des parties et dans lequel figurera sa requête aux fins de taxation de ses honoraires ;

12) Dit qu'à l'issue de la médiation l'instance reprendra, sans nouvelle audience, la cour statuant sur le litige en tenant compte des suites éventuelles de la médiation.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,