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Décisions

Cass. 2e civ., 8 février 2024, n° 21-24.596

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

JMCS (Sté)

Défendeur :

Carrefour proximité France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martinel

Rapporteur :

Mme Jollec

Avocat général :

M. Adida-Canac

Avocats :

Me Soltner, SARL Delvolvé et Trichet

Angers, ch. A com., du 5 oct. 2021, n° 2…

5 octobre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 5 octobre 2021), invoquant des pratiques déloyales de la part de la société JMCS, un de ses franchisés, la société Carrefour proximité France (la société Carrefour) a obtenu, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, par ordonnance sur requête du président d'un tribunal de commerce du 18 novembre 2019, une mesure d'instruction dans les locaux de la société JMCS.

2. La société JMCS a été déboutée de sa demande en rétractation par ordonnance du 31 janvier 2020 et en a relevé appel.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche, qui est préalable

Enoncé du moyen 

3. La société JMCS fait le même grief à l'arrêt, alors « que, tant la requête que l'ordonnance qui les autorise doit faire état de circonstances précises et circonstanciées qui justifient que les mesures d'instruction demandées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne soient pas prises contradictoirement ; que les juges ne peuvent se limiter à des formulations générales, abstraites, ou stéréotypées et doivent prendre en compte des éléments convaincants, propres au cas d'espèce ; qu'en l'espèce, pour juger que le recours à une procédure non contradictoire était justifié, la cour d'appel a relevé que dans sa requête qui fait corps avec l'ordonnance, la société Carrefour Proximité France n'a pas seulement invoqué la volatilité des documents recherchés s'agissant de pièces numériques mais a également « décrit des circonstances particulières tenant à une action concertée de certains franchisés » ce qui justifiait qu'il soit dérogé au principe du contradictoire « en raison d'un risque de dissimulation et de destruction de la preuve recherchée par la société JMCS si elle avait été avertie des soupçons portés sur elle et du risque de concertation entre les franchisés concernés pour faire disparaître les preuves en leur possession » ; qu'en statuant ainsi, à la faveur de considérations d'ordre général ne reposant sur aucun commencement de preuve de nature à rendre plausible ces risques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 145 et 493 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 145 et 493 du code de procédure civile :

4. Il résulte de ces textes que le juge qui rejette la demande de rétractation d'une ordonnance sur requête autorisant une mesure in futurum doit caractériser les circonstances ayant fondé le requérant à ne pas appeler la partie adverse.

5. Pour confirmer l'ordonnance ayant rejeté la demande en rétractation de l'ordonnance rendue sur requête, l'arrêt retient que dans sa requête, qui fait corps avec l'ordonnance, la société Carrefour n'a pas seulement motivé la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire par la volatilité des documents recherchés, s'agissant de pièces numériques pouvant facilement être effacées, mais a décrit des circonstances particulières tenant à une action concertée de certains franchisés qui justifiaient, pour tenter d'identifier l'instigateur de ce mouvement, la nécessité de ménager un effet de surprise dès lors que sont suspectés des actes de concurrence déloyale ou, à tout le moins, de déstabilisation du réseau de franchise, en raison d'un risque de dissimulation et de destruction de la preuve recherchée par la société JMCS si elle avait été avertie des soupçons portés sur elle et du risque de concertation entre les franchisés concernés pour faire disparaître les preuves en leur possession.

6. En se déterminant ainsi, par des considérations d'ordre général ne reposant sur aucun commencement de preuve de nature à rendre plausibles les risques d'action concertée des franchisés justifiant la dérogation au principe du contradictoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société JMCS fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce du Mans du 31 janvier 2020 qui avait confirmé l'ordonnance sur requête du 18 novembre 2019 et avait ordonné la levée du séquestre des éléments recueillis dans le cadre des mesures d'exécution diligentées le 19 novembre 2019, alors « qu'est privé de tout motif légitime à solliciter et obtenir des mesures d'instruction avant tout procès sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile le demandeur qui ne dispose d'aucun élément de nature à rendre plausible l'action qu'il escompte introduire ; qu'en l'espèce, pour autoriser les mesures d'instruction avant tout procès, la cour d'appel se contente d'énoncer que la société Carrefour Proximité France était en possession de nombreux éléments qui caractérisaient « une action concertée de certains franchisés contre le franchiseur pouvant lui laisser craindre une désorganisation volontaire et déloyale de son réseau de franchise », et qu'il était dans son intérêt légitime de rechercher et d'identifier son éventuel investigateur ; qu'en se déterminant de la sorte, sans relever aucun élément pouvant laisser entendre que des franchisés, qui disposaient du droit strict de se concerter et de se réunir pour contester leurs conditions de travail, auraient usé de procédés déloyaux, dont aucun n'est décrit ou analysé, ou recouru à une structure unique ou à un instigateur destiné à rendre efficient leur mouvement, et en se contentant d'affirmer sans expliquer le motif plausible du procès en vu duquel la mesure était sollicitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

8. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

9. Pour confirmer l'ordonnance de référé ayant rejeté la demande en rétractation contre l'ordonnance sur requête, l'arrêt retient que la société Carrefour a été destinataire pendant plusieurs mois de nombreuses lettres émanant de plusieurs de ses franchisés, abordant divers sujets mettant à chaque fois en cause les pratiques du franchiseur et que ces envois dont elle a été destinataire caractérisent une action concertée de certains franchisés contre le franchiseur pouvant lui laisser craindre une désorganisation volontaire et déloyale de son réseau de franchise. Et les conditions déséquilibrées de leurs relations commerciales, en des termes strictement identiques et sur un ton vindicatif avec une volonté affichée de ces franchisés de quitter le réseau, sans qu'il ne soit indiqué que cette menace ne sera mise en œuvre qu'au terme des contrats.

10. Il retient encore que le constat selon lequel l'état actuel des éléments en la possession de la société Carrefour ne lui permet pas d'établir que le mouvement auquel a pris part la société JMCS relèverait d'actes illégaux ne saurait conduire à écarter la possibilité d'une mesure d'instruction destinée, précisément, à recueillir avant tout procès des éléments de preuve complémentaire à cette fin. 

11. Il en déduit que la société Carrefour justifie ainsi, sans s'appuyer sur le résultat de la mesure d'instruction, de l'existence d'un motif légitime à rechercher et à identifier l'instigateur de ce mouvement à l'origine d'actes pouvant se rapporter à des actes fautifs et préjudiciables.

12. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que les pièces produites corroboraient le soupçon d'actes illégaux susceptible de donner lieu à un procès potentiel et constituaient un faisceau d'indices concordants rendant vraisemblable ce soupçon, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.