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Décisions

CA Chambéry, 2e ch., 18 janvier 2024, n° 22/00521

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 22/00521

18 janvier 2024

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 18 Janvier 2024

N° RG 22/00521 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G6LW

Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection d'ALBERTVILLE en date du 03 Mars 2022, RG 1121000180

Appelant

M. [B] [T], demeurant [Adresse 1]

Représenté par la SCP MILLIAND THILL PEREIRA, avocat au barreau d'ALBERTVILLE

Intimé

M. [K] [V], demeurant [Adresse 1]

Représenté par la SCP LOUCHET CAPDEVILLE, avocat au barreau d'ALBERTVILLE

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COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 07 novembre 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

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EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant un contrat de bail d'habitation meublé du 2 janvier 2011, M. [K] [V] a donné en location à M. [B] [T], un immeuble à usage d'habitation situé [Adresse 1] à [Localité 2], moyennant un loyer mensuel de 580 euros révisable, les charges d'eau, d'électricité et de fioul étant divisées par moitié pour le locataire et le propriétaire.

M. [T] a cessé de régler sa part des factures de fioul et d'électricité.

M. [V] a alors saisi le tribunal judiciaire d'Albertville de deux requêtes en injonction de payer à l'encontre de M. [T] :

- la première déposée le 21 avril 2021 pour un montant en principal de 1 450 euros correspondant aux frais de fioul, à la suite de laquelle une ordonnance a été rendue le 27 avril 2021 condamnant M. [T] au paiement des sommes de 1 350 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 avril 2021, et 51,07 euros au titre des frais accessoires. Cette ordonnance a été signifiée à M. [T] par acte délivré le 06 mai 2021.

- la seconde déposée le 31 mai 2021 pour un montant en principal de 209,00 euros correspondant aux factures d'électricité, à la suite de laquelle une ordonnance a été rendue le 02 juin 2021 condamnant M. [T] au paiement des sommes de 209,00 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision et 5,33 euros au titre des frais accessoires. Cette ordonnance a été signifiée à M. [T] par acte délivré le 10 juin 2021.

Par déclaration en date du 12 mai 2021, M. [T] a formé opposition à l'ordonnance du 27 avril 2021, signifiée le 06 mai 2021. Aucune opposition n'a été formée contre l'ordonnance du 02 juin 2021.

Devant le tribunal, M. [V] a sollicité la condamnation de M. [T] au paiement d'une somme de 2 777,58 euros au titre des charges locatives au 31 décembre 2021.

M. [T] a contesté les sommes réclamées en l'absence de compteur permettant la répartition des consommations entre les deux logements, et a sollicité la condamnation de son bailleur à installer des compteurs de chauffage, d'eau et d'électricité pour son appartement, sous astreinte.

Par jugement contradictoire du 3 mars 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Albertville a :

déclaré recevable l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer formée par M. [T],

mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer en date du 27 avril 2021,

statuant à nouveau,

condamné M. [T] à verser à M. [V] la somme de 2 777,58 euros au titre de la dette des charges d'eau, de fioul et d'électricité due au 31 décembre 2021, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

autorisé M. [T] à s'acquitter de la somme susvisée en 12 mensualités de 220 euros et une dernière correspondant au solde de la dette, payables le 20 de chaque mois en plus du loyer et des charges et pour la première fois le 20 du mois suivant celui au cours duquel la décision sera signifiée,

dit qu'en cas de défaut de paiement d'une seule mensualité à terme échu, l'ensemble de la dette sera exigible par anticipation,

enjoint M. [V] à faire installer un compteur d'électricité desservant l'appartement de M. [T], sous une astreinte de 30 euros par jour passé un délai de quatre mois à compter de la signification du jugement,

débouté M. [T] de sa demande d'installation d'un compteur d'eau,

dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [T] au paiement des dépens y compris les frais liés à la procédure d'injonction de payer,

rappelé que la décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Par déclaration du 28 mars 2022, M. [T] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions notifiées le 6 mai 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [B] [T] demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les dispositions des articles 2 et 23 de la loi 89-462 du 6 juillet 1989,

Vu les dispositions de l'article 1343-5 du code civil,

Vu les dispositions de l'article L131-1 du code de procédure civile d'exécution,

Vu les dispositions de l'article 514-1 du code civil,

déclarer recevable son appel,

A titre principal,

infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a :

- condamné M. [T] à verser à M. [V] la somme de 2 777,58 euros au titre de la charge d'eau, d'électricité et de fuel due au 31 décembre 2021, outre intérêts au taux légal,

- autorisé M. [T] à s'acquitter de la somme susvisée en 12 mensualités de 220 euros et une dernière du solde de la dette,

- dit qu'en cas de défaut de paiement d'une seule mensualité, l'ensemble de la dette sera exigible,

- débouté M. [T] de sa demande d'installation de compteur d'eau,

- dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles,

- condamné M. [T] aux entiers dépens,

Et statuant de nouveau,

débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,

condamner M. [V] à faire installer un compteur individuel d'eau pour l'appartement occupé par M. [T],

condamner M. [V] à réaliser un avenant au contrat de bail et ce afin de se conformer avec les dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 concernant les modalités de paiement et de répartition des charges récupérables,

condamner M. [V] à une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé un délai de deux mois à compter de la signification de la décision à intervenir, s'il ne fait pas réaliser les travaux prescrits et ne propose pas d'avenant au bail à M. [T],

condamner M. [V] à verser à M. [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [V] aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a :

- autorisé M. [T] à s'acquitter de la somme susvisée en 12 mensualités de 220 euros et une dernière du solde de la dette,

- condamné M. [T] aux entiers dépens,

Et statuant de nouveau,

autoriser M. [T] à se libérer de sa dette en 23 mensualités de 115 euros et une dernière mensualité correspondant solde de sa dette soit à la somme de 132,58 euros, payable le 20 de chaque mois en plus du loyer et des charges courants, et pour la première fois dans le mois qui suit la signification de la décision à intervenir,

dire que chacune des parties conservera à sa charge les dépens qu'elle a engagé.

Par conclusions notifiées le 7 août 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [K] [V] demande en dernier lieu à la cour de :

déclarer recevable mais mal fondé l'appel de M. [T] à l'encontre du jugement déféré,

juger conforme aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 le mode de répartition et de paiement des charges de fioul, d'eau et d'électricité stipulé dans le contrat de bail du 2 janvier 2011,

condamner M. [T] à payer à M. [V] la somme de 2 777,58 euros,

dire et juger sans objet la demande d'installation d'un compteur électrique dans l'appartement de M. [T],

débouter M. [T] de sa demande d'installation d'un compteur d'eau et de délais de paiement, et plus généralement de toutes ses demandes, fins et conclusions,

subsidiairement, pour le cas où la cour jugerait utile d'ordonner la mise en place d'un compteur d'eau, dire et juger que la condamnation sera prononcée sans astreinte,

condamner M. [T] à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [T] aux entiers dépens de première instance comprenant les frais de la procédure en injonction de payer, ainsi qu'à ceux d'appel.

L'affaire a été clôturée à la date du 4 septembre 2023 et renvoyée à l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 18 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les charges locatives :

M. [T] soutient que la répartition par moitié des charges de chauffage, d'électricité et d'eau serait illicite et disproportionnée.

M. [V] rappelle que l'installation d'un compteur individuel d'électricité ordonnée par le premier juge a été réalisée, et que, pour les charges d'eau et de chauffage, la répartition par moitié est conforme à la loi.

Sur ce,

Il est constant que le bail liant M. [V] à M. [T] porte sur un logement meublé à titre de résidence principale, de sorte que l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 invoqué par le locataire n'est pas impératif, les charges pouvant être réparties, avec l'accord des parties, conformément aux dispositions de l'article 25-10, 2°, de la même loi, soit sous la forme d'un forfait, fixé en fonction des montants exigibles par le bailleur en application de l'article 23, et qui ne peut pas être manifestement disproportionné.

Le bail prévoit à ce titre que, concernant l'eau, l'électricité et le fioul, «le montant des factures sera divisé par 2, moitié pour le locataire et moitié pour le propriétaire».

Il convient d'emblée de souligner qu'ensuite du jugement déféré, le propriétaire bailleur a fait procéder à l'installation d'un compteur individuel d'électricité pour le logement loué, de sorte qu'il n'y a plus de contestation relative aux charges d'électricité.

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal a retenu que le terme forfait ne suppose pas obligatoirement une somme fixe, mais une somme objectivement déterminable, ce qui est bien le cas en l'espèce.

M. [T] ne conteste d'ailleurs pas avoir eu communication des factures annuelles correspondantes par le bailleur, mais prétend que la répartition par moitié serait disproportionnée au regard des superficies respectives des logements qu'il ignore.

Toutefois, M. [V] produit aux débats des plans de sa maison desquels il ressort que l'appartement situé à l'étage, loué à M. [T], a une superficie d'environ 80 m², pour 54 m² environ pour l'appartement du rez-de-chaussée, occupé par M. [V] et son épouse (pièce n° 14 de l'intimé). La répartition par moitié entre les deux logements n'apparaît donc nullement disproportionnée, la disproportion alléguée n'étant au demeurant pas démontrée.

M. [T] soutient également que le logement loué serait mal chauffé et mal isolé. Toutefois, la production de photographies d'un simple thermomètre est totalement insuffisante pour prouver cette allégation, les conditions et le lieu dans lesquels ces photographies ont été prises étant totalement ignorées. Il n'est pas démontré non plus que le logement loué serait insuffisamment isolé au regard des normes de décence applicables au jour du bail ou de ses renouvellements successifs.

Concernant la consommation d'eau, M. [T] ne rapporte pas plus la preuve d'une disproportion de la répartition, l'existence d'une piscine, dont il ne conteste pas au demeurant avoir bénéficié, n'étant pas suffisante pour l'établir, notamment en l'absence de démonstration d'une consommation excessive, non établie à la lecture de la facture produite par M. [V] (pièce n° 13 de l'intimé).

Pour le surplus, les factures produites aux débats justifient le montant alloué par le premier juge au bailleur, sans autre contestation de M. [T] quant au décompte établi.

Sur la demande d'installation d'un compteur d'eau :

M. [T] soutient que le bailleur serait tenu, en application des dispositions de l'article L. 174-2 du code de la construction et de l'habitation, de faire installer un compteur individuel d'eau

M. [V] soutient que le bâtiment n'est pas soumis à ces dispositions dès lors qu'il n'est pas envisagé par le propriétaire d'y réaliser des travaux d'ampleur.

Sur ce,

Les dispositions de l'article L. 174-2 du code de la construction et de l'habitation invoquées par M. [T] résultent de l'ordonnance 2020-71 du 29 janvier 2020, et sont entrées en vigueur le 1er juillet 2021.

L'article L. 112-1 du même code prévoit que «tout projet de construction ou de rénovation de bâtiment respecte les objectifs généraux fixés aux titres III à VII. Lorsque des résultats minimaux sont fixés par voie réglementaire pour respecter ces objectifs, ils doivent être atteints.

Le maître d'ouvrage en justifie selon les modalités définies à l'article L. 112-4.

La méconnaissance de ces obligations expose aux sanctions prévues au titre VIII».

Or ainsi que le fait justement valoir M. [V], la maison lui appartenant est un bâtiment existant depuis des décennies, seule la réalisation de travaux de rénovation d'ampleur serait de nature à la soumettre aux dispositions de l'article L. 174-2 du code de la construction et de l'habitation. Or aucun travaux de cette nature n'a été réalisé depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 29 janvier 2020, de sorte que c'est en vain que le locataire entend obtenir l'installation d'un compteur sur ce fondement.

Au demeurant, la cour note que M. [T] réclame l'installation d'un compteur d'eau, lequel n'est aucunement exigé par un texte quelconque, ce qui n'est pas la même chose qu'un compteur permettant de déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie tel que prévu par l'article L. 174-2.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande de M. [T], ainsi que celle tendant à la signature d'un avenant au contrat de bail, la répartition des charges étant conforme aux dispositions légales.

Sur les délais de paiement :

M. [T] sollicite que les délais de paiement accordés soient allongés à 24 mois en considération de sa situation actuelle.

M. [V] soutient que la situation financière exacte de M. [T] est inconnue, de sorte que les délais de paiement devraient être rejetés. Il précise en outre qu'en l'absence de régularisation intervenue depuis la signification du jugement portant condamnation du locataire, un commandement de payer visant la clause résolutoire lui a été signifié le 1er septembre 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Albertville étant saisi d'une demande de résiliation du bail et d'expulsion du locataire.

Sur ce,

L'article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

En l'espèce, pour tout justificatif de sa situation M. [T] produit une attestation qui aurait été établie par le directeur de la CPAM de Savoie le 1er octobre 2019, selon laquelle il percevait à cette date une pension d'invalidité de 1 414,22 euros bruts mensuels.

Toutefois, la cour note que ce courrier porte une adresse à [Localité 3], alors qu'à la date du 1er octobre 2019 M. [T] était déjà locataire de M. [V] à [Localité 2]. En outre, il ne justifie pas de sa situation actuelle, ni de ses revenus, ni de ses charges, étant souligné qu'il ne donne aucune explication quant à l'absence de tout paiement effectué depuis la signification du jugement en date du 3 mai 2022, lequel lui a accordé des délais de paiement.

Ainsi M. [T] n'établit pas être en mesure de s'acquitter de sa dette dans les conditions proposées, ni qu'il lui serait impossible de s'en acquitter en une seule fois.

Dans ces conditions il convient de réformer le jugement déféré et de débouter M. [T] de sa demande de délais de paiement.

Sur les autres demandes :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [V] la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [T], qui succombe en son appel, en supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Albertville le 3 mars 2022, sauf en ce qu'il a autorisé M. [B] [T] à s'acquitter de la somme de 2 777,58 euros en 12 mensualités de 220 euros et une dernière du solde de la dette, le 20 de chaque mois en plus du loyer et des charges, à compter du mois suivant la signification du jugement,

Infirmant et statuant à nouveau de ce seul chef,

Déboute M. [B] [T] de sa demande de délais de paiement,

Y ajoutant,

Condamne M. [B] [T] à payer à M. [K] [V] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [B] [T] aux entiers dépens de l'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 18 janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente