Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 11, 16 janvier 2024, n° 21/05364

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/05364

16 janvier 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 16 JANVIER 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05364 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD3JV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY-COURCOURONNES - RG n° F20/00059

APPELANTE

Madame [W] [U]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric BENOIST, avocat au barreau de PARIS, toque : G0001

INTIMEE

Association GENETHON

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Charles TORDJMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0783

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [U] médecin pharmaco-épidémiologiste, née en 1961, a été engagée par l'association Généthon, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 29 avril 2013 en qualité de médecin chef de projet, statut cadre, groupe IX, niveau B.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

Par lettre remise en main propre le 11 décembre 2017 à l'issue d'un entretien entre la direction et la salariée le même jour, Mme [U] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 19 décembre suivant, avec mise à pied conservatoire.

La salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 13 décembre 2017.

Mme [U] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 3 janvier 2018.

A la date du licenciement, Mme [U] avait une ancienneté de 5 ans et l'association Généthon occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, un rappel de salaire pour heures supplémentaires et repos compensateurs ainsi qu'une indemnité pour dissimulation d'emploi salarié, Mme [U] a saisi, le 26 juin 2018, le conseil de prud'hommes d'Évry-Courcouronnes. L'affaire a été radiée le 1er juillet 2019 puis réinscrite le 29 novembre 2019.

Par jugement du 9 mars 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

-Dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

-Déboute Mme [U] de l'ensemble de ses demandes ;

-Condamne Mme [U] à payer à l'association Généthon la somme de 100 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure ;

-Condamne Mme [U] aux dépens.

Par déclaration du 15 juin 2021, Mme [U] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 19 mai 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 mars 2023, Mme [U] demande à la cour de :

-Infirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions et, statuant à nouveau,

-Déclarer recevable et bien fondée Mme [U] en ses demandes, fins et conclusions;

-Constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé par l'association Généthon ;

En conséquence,

Condamner l'association Généthon à payer à Mme [U] les sommes suivantes : * dommages et intérêts sans cause réelle et sérieuse (10 mois de salaire) :70.842,00 €

* dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 7.000,00 €

* rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 88.787,99 €

* congés payés afférents, sauf à parfaire :8.878,80 €

* appel de salaire au titre des repos compensateurs : 41.466,98 €

* indemnité au titre de la dissimulation d'emploi salarié :42.500,00 €

*les dépens ;

* les intérêts de droit à compter du dépôt de la demande ;

-Dire que les sommes ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes d'Évry ;

-Condamner l'association Généthon à payer à Mme [U] la somme de 4.000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er mars 2023, l'association Généthon demande à la cour de :

-Déclarer Mme [U] irrecevable et mal fondée en son appel.

-Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

-Condamner Mme [U] à payer à l'association Généthon une indemnité de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC.

-La condamner en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 mai 2023.

Par arrêt en date du 23 mai 2023, la cour a ordonné une médiation qui n'a pas abouti. L'affaire a donc été rappelé à l'audience du 16 novembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le forfait-jours et les heures supplémentaires

Pour infirmation de la décision entreprise, Mme [U] soutient que sa convention de forfait-jours est inopposable en raison de l'absence d'entretien individuel spécifique sur son amplitude et sa charge de travail ; qu'elle est donc bien fondée à demander le paiement des heures supplémentaires.

En réponse, l'association Généthon rappelle que Mme [U] a été recrutée en qualité de cadre groupe IX, niveau B, soit le niveau précédent celui des cadres dirigeants ; que les entretiens annuels d'évaluation produits par l'appelante analysent de facto la charge de travail de la salariée et son besoin de formation ; que l'accord collectif du 30 novembre 1999 ainsi que son avenant du 28 juin 2006 qui prévoit que " le dépassement du nombre de jours travaillés au-delà du forfait jours doit rester exceptionnel ; qu'il doit être justifié notamment par une décision stratégique nécessitant le recours à des journées supplémentaires pour réaliser des travaux permettant l'avancement d'une phase critique dans un projet à visée thérapeutique' ; que Mme [U] n'a jamais rempli les demandes relatives aux heures supplémentaires ni même mentionné leur accomplissement ; que les sommations de communiquer les relevés de badgeages sont inopérantes puisque l'employeur n'a pas recours à cette méthode de calcul du temps de travail pour les cadres au forfait-jours.

En application des articles L.3121-39 et suivants du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n°2008-780 du 20 août 2008, et des articles L.3121-53 et suivants du code du travail dans leur version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions. La conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit. Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39, d'une part les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés et d'autre part, les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées. Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

En l'espèce, le contrat de travail de Mme [U] prévoit une rémunération mensuelle brute de 6 250 euros pour un forfait annuel de 210 jours travaillés ouvrés soumis aux règles édictées par l'accord Généthon du 30 novembre 1999 et ses avenants.

Cependant, la cour constate, comme le souligne la salariée, que les comptes rendus des entretiens annuels versés aux débats n'établissent nullement que ceux-ci ont porté sur la charge de travail de la salariée, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération ni que l'employeur s'est assuré régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail.

Dès lors, conformément à la demande de la salariée, la cour constate l'inopposabilité du forfait en jours.

Mme [U] est donc fondée à solliciter le paiement des heures supplémentaires qu'elle a pu réaliser.

L'article L.3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine.

L'article L.3121-28 du même code précise que toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, à l'appui de sa demande, Mme [U] présente un tableau hebdomadaire des heures travaillées en 2015, 2016 et 2017.

La salariée présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle dit avoir réalisées, permettant à l'association qui assure le contrôle des heures effectuées d'y répondre utilement.

A cet effet, l'association fait valoir que l'avenant n°5 du 28 juin 2006 à l'accord portant sur l'aménagement et la réduction du temps de travail précise que 'le dépassement du nombre de journées travaillées au-delà du forfait doit rester exceptionnel. Il doit être justifié notamment par une décision stratégique nécessitant le recours à des journées supplémentaires pour réaliser des travaux permettant l'avancement d'une phase critique dans un projet à visée thérapeutique. Les travaux réalisés durant l'accomplissement des journées en question doivent être en rapport direct avec la raison qui les a motivés et demandés expressément par la direction générale' ; que Mme [U] n'a jamais demandé ni été autorisée à réaliser des heures supplémentaires.

Pour autant, la cour retient qu'il n'est pas établi que les heures supplémentaires dont la salariée sollicite le paiement n'ont pas été réalisées en lien avec les travaux qui lui étaient confiés, ni que ceux-ci pouvaient être effectués raisonnablement en respectant la durée légale de travail.

Eu égard aux éléments présentés par la salariée et aux observations de l'employeur, la cour a la conviction que Mme [U] a exécuté des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées mais après analyse des pièces produites, dans une moindre importance que ce qui est réclamé et en conséquence, par infirmation du jugement déféré, condamne l'association Généthon à verser à la salariée la somme 36 307,50 euros brut à ce titre outre la somme de 3 630,75 euros brut de congés payés afférents.

Sur la contrepartie obligatoire en repos

Eu égard aux heures supplémentaires réalisées dépassant le contingent annuel de 220 heures, par infirmation de la décision déféré, il convient de condamner l'association à verser à la salariée la somme de 4 078,08 euros à titre de contrepartie obligatoire en repos.

Sur le licenciement pour cause réelle et sérieuse

Pour infirmation de la décision entreprise, la salariée soutient en substance que l'enquête menée en interne par l'employeur n'a pas respecté le principe du contradictoire à son égard et a fait preuve de déloyauté dans la constitution d'un moyen de preuve faite en violation de ses droits en ce qu'elle n'a pas pu avant le licenciement avoir connaissance des éléments précis de l'enquête, de la nature exacte des faits reprochés et donc n'a pas étant en mesure de faire valoir sa défense. En tout état de cause, elle conteste la réalité des faits reprochés.

L'association Généthon réplique, qu'à l'issue de la réunion du CHSCT du 13 avril 2017, un rétro-planning a été mis en place afin d'examiner les mesures à mettre en œuvre dans le cadre de la prévention des RPS ; que le cabinet Canopée, spécialisé dans les ressources humaines, a été désigné pour accompagner l'employeur dans le processus ; que l'ensemble des collaborateurs a été informé de la mise en place de ce groupe de travail ; que les conclusions du groupe de travail RPS ont été présentées à la salariée le 11 décembre 2017 et lui ont été rappelées lors de son entretien préalable.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles'; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Il est de droit que la règle probatoire, prévue par l'article L. 1154-1 du code du travail, n'est pas applicable lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral ; qu'en matière prud'homale, la preuve est libre ; que selon l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement moral.

Il s'en déduit qu'en cas de licenciement d'un salarié à raison de la commission de faits de harcèlement moral, le rapport de l'enquête interne, à laquelle recourt l'employeur, informé de possibles faits de harcèlement moral dénoncés par des salariés et tenu envers eux d'une obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes dispositions nécessaires en vue d'y mettre fin et de sanctionner leur auteur, peut être produit par l'employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Il appartient aux juges du fond, dès lors qu'il n'a pas été mené par l'employeur d'investigations illicites, d'en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.

En l'espèce, la lettre de licenciement qui circonscrit la limite du litige est ainsi rédigée :

" Nous avons cependant découvert à l'occasion d'entretiens individuels avec vos collaborateurs ou interlocuteurs que votre comportement était à l'origine d'une situation de souffrance au travail incompatible avec vos fonctions d'encadrement et les missions que vous assumez dans le domaine du développement des médicaments pour les maladies rares.

Pour mémoire, le 13 avril 2017, la direction de l'entreprise a lancé, en concertation avec le CHSCT, une étude sur le risque psychosocial dont l'ensemble du personnel a été informé.

La méthodologie définie avec le CHSCT prévoyait l'audition de 60 collaborateurs environ, dont 13 managers, par groupes divisés en 16 unités de travail, en respectant une séparation entre les collaborateurs et les managers afin de ne pas entraver la liberté d'expression.

Un groupe projet composé de membres désignés par le CHSCT et de membres de la DRH a été constitué pour conduire cette étude.

Les premières auditions, réalisées en groupe, ont fait ressortir un malaise important au sein du département Développement.

L'équipe projet a alors décidé d'investiguer plus avant pour mieux comprendre la situation et identifier les personnes en souffrance.

Au cours d'une réunion du groupe projet le 28 novembre 2017, le CHSCT a alerté la DRH en signalant que les collaborateurs concernés vous désignaient comme étant la personne responsable de la situation de souffrance.

La DRH et le CHSCT ont rencontré Madame [V] le 29 novembre 2017, pour lui faire état de cette situation. Il a alors été décidé, en concertation avec le CHSCT, de rencontrer les personnes concernées par cet état de souffrance au travail.

La réunion s'est tenue le 7 décembre 2017 et a concerné les collaboratrices de votre service des Affaires Médicales et celles du service des Opérations Cliniques avec lequel vous travaillez en étroite collaboration. Elles ont mis en lumière des comportements déplacés ou inappropriés dont l'objet ou l'effet était de rabaisser la collaboratrice, de la dévaloriser, de lui faire sentir son peu de compétences, en lui rappelant qui était le " sachant ".

Les chefs de Projets Cliniques se sont, de ce fait, déclarés démotivés et parfois décrédibilisés tant en interne qu'à l'égard de tiers et ont indiqué avoir peur de se retrouver publiquement désavouées ou déconsidérées ; ce qui entrave les interactions indispensables à un travail d'équipe, spécialement dans le domaine de la recherche scientifique.

[T] [V] et [A] [B], DRH, vous ont reçu le lundi 11 décembre à 15h30, pour vous informer des résultats de ces auditions et du profond malaise ressenti par les membres du Développement Clinique.

Au cours de cet entretien, vous vous êtes murée dans un déni qui n'a pas permis d'obtenir de votre part une prise de conscience des enjeux et de la gravité de la situation.

L'entretien du 19 décembre n'a pas davantage été l'occasion pour vous de reconnaître la situation que vous avez créée et qui a conduit les collaboratrices à nous tenir informés des effets de votre comportement.

Compte tenu de votre niveau de responsabilités et du travail d'équipe inhérent à notre activité de recherche, nous ne pouvons maintenir la poursuite de votre contrat de travail.

Nous considérons que les faits pourraient justifier une rupture immédiate de celui-ci mais nous nous en tiendrons à un licenciement ordinaire vous permettant de bénéficier de votre préavis, d'une durée de 4 mois, que nous vous dispensons d'exécuter, compte tenu des circonstances [...]".

Il est donc reproché à Mme [U] un comportement à l'origine d'une situation de souffrance au travail incompatible avec les fonctions d'encadrement et les missions assumées dans le domaine du développement des médicaments pour les maladies rares.

Il résulte des éléments versés aux débats que la direction de la société et le CHSCT ont mis en place un 'projet Risques Pyscho Sociaux' en avril 2017 'dans une démarche globale et continue de prévention des risques professionnels' et ont fait appel à un consultant extérieur, le cabinet Canopee ; que le 13 avril 2017, l'ensemble des salariés de l'association a été informé de la mise en place de 'l'équipe projet RPS' et de la méthodologie de l'étude mise en place ; qu'à l'occasion de cette enquête interne, le comportement de Mme [U] a été dénoncé par ses collaborateurs.

C'est en vain que la salariée soulève le caractère déloyal de l'enquête interne motif pris que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté alors qu'il n'est pas établi ni même soutenu que cette enquête est issue d'un procédé illicite et qu'en outre, la salariée a été entendue sur les faits reprochés le 11 décembre 2017 et lors de l'entretien préalable au licenciement.

Cette enquête a mis en exergue 'l'expression forte d'un risque de nature RPS' au sein du département développement, comme le confirme la secrétaire du CHSCT dans les courriers adressés à Mme [U] le 5 février et le 3 juillet 2018. En conséquence, 'dans le respect de sa mission de prévention', le CHSCT a alerté la direction des ressources humaines le 15 novembre 2017 qui a demandé d'approfondir l'enquête. Le compte rendu de réunion du 7 décembre 2017 en présence de Mmes [H], [M], [X], [O] chefs de clinique, de Mme [K] attachée de recherche, de Mme [Z] médecin des affaires médicales, de Mme [D] chargée de pharmacovigilance, de Mme [V] directrice du développement, de Mme [L] chargée des ressources humaines, de Mme [B], directrice des ressources humaines révèlent que 'les collaboratrices décrivent toutes un comportement de [W] [U] traduisant de l'énervement et de mépris à leur égard : des manifestations non verbales mais ostensibles d'exaspération car souvent réalisées en public, afin de rabaisser le collaborateur qui s'exprime ou qui remet un travail : haussements d'épaules, yeux levés au ciel, soupirs appuyés, ton méprisant, tentatives de dialogue pour comprendre ce qui ne va pas littéralement balayées d'un revers de la main pour dévaloriser son interlocuteur, lui faire sentir son peu de compétence et lui rappeler qui est le échéant sans pour autant chercher à expliquer', que 'cette attitude est exacerbée envers les chefs de clinique et l'attachée de recherche clinique, le médecin de l'équipe disant que [W] ne se permet pas avec elle-même ce qu'elle fait avec les chefs de projet et dont elle a été témoin', que 'ce comportement se traduit par un sentiment de dévalorisation du travail à l'origine d'une perte de confiance en soi et d'une démotivation des équipes : on évite de poser une question pour ne pas risquer d'être publiquement désavoué ou déconsidéré' ; que Mme [U] 'répond au tout dernier moment aux chefs de projet et critique leurs documents même écrits sur des points médicaux alors que c'est elle qui a pu les avoir rédigés ; qu'elle décrédibilise les chefs de projets cliniques devant des partenaires extérieurs, tout comme en interne devant des tierces personnes, ainsi à l'Institut de la vision devant le professeur [N]' ; qu'elle est versatile.

Ces éléments sont confirmés par Mme [O] dans son attestation circonstanciée du 8 mars 2018. Si Mme [H] précise qu'elle a cependant toujours eu de bonnes relations avec Mme [U], elle témoigne de ce que les comportements ou remarques de celle-ci occupaient toutes les discussions, ainsi que du retour de ses collègues sortant de réunions, abattues car elles avaient été décrédibilisées, précisant cependant ne pas avoir assisté à ces réunions, et de ce qu'il n'était 'pas toujours facile de travailler avec Mme [U]' en raison de son ton sec et ses abords hautains et qui n'aimait 'pas travailler en équipe'.

Les éléments versés aux débats par la salariée, notamment ses évaluations et des mails de collaborateurs d'un autre département ne permettent pas de mettre en doute les constatations résultant de l'enquête interne et des témoignages des collaboratrices de Mme [U] dont les noms sont précisés sur le compte rendu de la réunion du 7 décembre 2017.

La cour déduit de l'ensemble de ces éléments, à l'instar des premiers juges, que les faits reprochés à Mme [U] sont établis, peu important qu'il n'y ait pas eu de confrontation de celle-ci avec ses collaboratrices ou que Mme [U] n'ait pas de lien hiérarchique avec elles.

Son licenciement repose donc sur une cause réelle et sérieuse et c'est à juste titre qu'elle a été déboutée de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail. La décision sera confirmée de ce chef.

Sur les conditions vexatoires de la rupture

Mme [U] soutient qu'en raison de sa mise à pied conservatoire, elle n'a pas eu la possibilité de saluer ses collègues.

L'employeur répond que la décision de mise à pied était pleinement justifiée en raison des faits reprochés. Il souligne que la salariée a bénéficié de son préavis de 4 mois et qu'elle a été rémunérée pendant toute la durée de la mise à pied.

La mise à pied à titre conservatoire ne suffit pas à établir les circonstances vexatoires de la rupture, ni la déconnexion de la salariée au serveur de l'association. En outre, la cour relève que la salariée a pu saluer par mail ses collègues qui ont pu lui faire retour.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts.

Sur le travail dissimulé

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article'L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article'L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'article'L.8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, la condamnation de l'association au paiement d'heures supplémentaires résulte de l'inopposabilité du forfait en jours et non de son intention de dissimuler une activité salariée.

Dès lors, la salariée doit être déboutée de sa demande d'indemnité forfaitaire et la décision déférée sera confirmée de ce chef.

Sur les frais irrépétibles

L'association Généthon sera condamnée aux entiers dépens. La décision des premiers juges sera infirmée en ce qu'elle a condamné la salariée à verser à la somme de 100 euros au titre des frais irrépétibles à son employeur qui sera condamné lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté Mme [W] [U] de ses demandes relatives à la rupture et de sa demande au titre du travail dissimulé ;

INFIRME le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

CONDAMNE l'association Généthon à verser à Mme [W] [U] les sommes suivantes :

- 36 307,50 euros brut au titre des heures supplémentaires pour la période du 29 décembre 2014 au 31 décembre 2017 ;

- 3 630,75 euros brut de congés payés afférents ;

- 4 078,08 euros à titre de contrepartie obligatoire en repos ;

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes ;

CONDAMNE l'association Généthon aux entiers dépens ;

CONDAMNE l'association Généthon à verser à Mme [W] [U] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente.