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Décisions

CA Versailles, ch.protection soc. 4-7, 18 janvier 2024, n° 23/02824

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/02824

18 janvier 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89E

Ch.protection sociale 4-7

(anciennement 5ème chambre sociale)

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 JANVIER 2024

N° RG 23/02824 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WD6M

AFFAIRE :

G.I.E. [4]

C/

CPAM DE [Localité 2]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Février 2022 par le Pole social du Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° RG : 18/01869

Copies exécutoires délivrées à :

la SAS BDO AVOCATS LYON

la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES

Copies certifiées conformes délivrées à :

G.I.E. [4]

CPAM DE [Localité 2]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

G.I.E. [4]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1134

APPELANTE

****************

CPAM DE [Localité 2]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Rachel LEFEBVRE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1901

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Décembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,

Madame Laëtitia DARDELET, Conseillère,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseillère,

Greffière, lors des débats : Madame Elza BELLUNE,

EXPOSÉ DU LITIGE

La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2] (la caisse) a pris en charge, le 28 mai 2018, au titre du tableau n° 98 des maladies professionnelles, la pathologie déclarée par Mme [D] (la victime), salariée de la société [4] (la société).

La société a saisi la commission de recours amiable de la caisse, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre, par requête du 18 septembre 2018, aux fins de contester l'opposabilité, à son égard, de cette prise en charge.

Par jugement du 17 février 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté ce recours et condamné la société aux dépens.

La société a formé appel à l'encontre du jugement.

Les parties ont comparu à l'audience du 7 décembre 2023, représentées par leur avocat.

La société demande l'infirmation du jugement entrepris. Elle soutient que la décision de prise en charge doit lui être déclarée inopposable dès lors, d'une part, que les conditions médicales du tableau concerné n'ont pas été respectées, le médecin conseil ne faisant nullement état d'une atteinte radiculaire de topographie concordante, d'autre part (ce moyen étant invoqué à titre subsidiaire), que la preuve n'est pas rapportée de l'exposition de la victime au risque, celle-ci ne procédant pas habituellement à la manutention de charges lourdes.

La caisse demande la confirmation du jugement.

Il est renvoyé, pour le surplus des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, applicable au litige, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions prévues à ce tableau.

Selon le tableau n° 98 des maladies professionnelles, qui concerne les affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes, sont désignées comme maladies susceptibles d'être prise en charge : la sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante, ainsi que la radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante.

Sont énumérés, de façon limitative, comme étant susceptibles de provoquer la maladie, les travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes effectués dans certains secteurs, soit : le fret routier, maritime, ferroviaire, aérien ; le bâtiment, le gros œuvre, les travaux publics ; les mines et carrières ; le ramassage d'ordures ménagères et de déchets industriels ; le déménagement, les garde-meubles ; les abattoirs et les entreprises d'équarrissage ; le chargement et le déchargement en cours de fabrication, dans la livraison, y compris pour le compte d'autrui, le stockage et la répartition des produits industriels et alimentaires, agricoles et forestiers ; dans le cadre des soins médicaux et paramédicaux incluant la manutention de personnes ; dans le cadre du brancardage et du transport des malades ; dans les travaux funéraires.

Sur la condition médicale du tableau

En l'espèce, le certificat médical initial du 17 novembre 2017 mentionne que la victime souffre d'une hernie discale L4-L5. La prise en charge est intervenue au titre d'une sciatique par hernie discale L4-L5, inscrite au tableau n° 98. Le colloque-médico administratif mentionne le code syndrome de la maladie. Il précise que les conditions médicales réglementaires du tableau sont remplies, ce qui implique nécessairement la constatation d'une atteinte radiculaire de topographie concordante. Le médecin conseil s'appuie, pour ce faire, sur un examen tomodensitométrique du 15 novembre 2017.

Il ressort de cet avis, fondé sur un élément extrinsèque, que la pathologie déclarée par la victime est une sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante, entrant dans les prévisions du tableau litigieux.

Sur l'exposition au risque et le respect de la liste limitative des travaux

La société est spécialisée dans le secteur de l'optique.

De l'enquête menée par la caisse, il ressort que la victime était préparatrice de commandes à temps complet. Outre la préparation des commandes (picking), elle s'occupait également de l'emballage des produits et, jusqu'en 2017, du stockage de gros colis sur palettes sur le poste 'PEL' (produits d'entretien des lentilles). Selon la victime, si les travaux correspondant au poste de préparation des commandes ne nécessitent pas le port de charges lourdes, il en va différemment du poste d'emballage des produits, où elle était amenée à remplir en moyenne cinq à dix sacs par jour, qu'elle déposait ensuite sur des chariots. Quant à l'activité 'PEL', elle consiste, d'après la victime, à regrouper sur une table roulante plusieurs commandes de produits déjà stockés dans des bacs ; ces produits sont ensuite scannés puis disposés sur des palettes. Les palettes sont déplacées à l'aide d'un transpalette électrique.

M. [I], responsable du service expédition au sein de la société, déclare que la victime a cessé d'être affectée au poste 'PEL' en 2016 ; avant cette date, elle n'était sur ce poste qu'une fois tous les quinze jours environ, sur la base du volontariat. Il considère que pour la plupart des tâches confiées à la victime, celle-ci n'était pas soumise au port de charges lourdes. Le poste 'lancement', qui consiste pour l'opérateur à réceptionner les bordereaux de commandes, qu'il place ensuite dans des bacs individuels de petite taille avant de les envoyer sur un tapis roulant vers la zone de picking, ne nécessite pas, selon l'intéressé, de manutention manuelle de charges lourdes. Le poste 'picking', qui consiste à scanner le bon de commande, à prélever les articles dans les stocks, à les déposer dans le bac puis à repousser ce dernier sur un tapis roulant, afin qu'il soit acheminé vers la zone d'emballage, ne nécessite aucun port de charges. Au poste 'emballage', le salarié vérifie le contenu de chaque bac, met en place des cartons selon le volume de la commande, dépose les produits dans les cartons, assure la fermeture de ces derniers, les étiquette et dépose chaque carton dans un sac plastique. L'opérateur remplit ainsi quatre à cinq sacs d'un poids maximum de dix kilos par jour, avant de les fermer et de les déposer sur un chariot roulant placé près du poste de travail.

Contrairement à ce que les premiers juges ont pu retenir, il ne ressort pas des éléments ainsi recueillis que la victime était amenée à accomplir des travaux de manutention de charges lourdes propres à certains secteurs d'activité, conformément aux prévisions du tableau.

En effet, la victime et M. [I] s'accordent à considérer que la préparation des commandes proprement dite n'implique pas de tels travaux.

Le descriptif du poste 'lancement' ne met pas en évidence la manutention de charges lourdes.

La caisse affirme que la salariée, affectée au poste 'emballage', était amenée à porter cinq à dix sacs pesant jusqu'à 10 kg par jour, soit un tonnage journalier de 100 kg. Outre que ce volume n'est pas celui indiqué par M. [I] et qu'il n'existe aucun élément extérieur (comme le témoignage d'autres salariés, par exemple) permettant de mesurer le poids de charge inhérent à l'exécution de ces tâches, leur descriptif ne met pas en exergue le port de charges lourdes. Aucune précision n'est apportée, notamment, sur les conditions dans lesquelles les sacs, une fois remplis, sont déposés sur les chariots roulants, lesquels sont censés être placés à proximité du poste de travail.

Enfin, s'agissant du poste 'PEL', qui combine diverses opérations (picking, pesée et pose des cartons, déplacement des palettes à l'aide d'un transpalette électrique), la manutention de charges lourdes n'est pas davantage démontrée, et aucun élément ne vient objectiver la fréquence d'occupation de ce poste par la salariée victime jusqu'à ce qu'elle cesse définitivement cette activité.

La caisse affirme qu'avant le mois d'avril 2017, la salariée était affectée successivement sur les trois postes au cours de sa journée de travail, et qu'elle était donc « susceptible » de porter un tonnage journalier allant jusqu'à 220 kg, mais il s'agit là d'une donnée purement hypothétique.

Force est de constater qu'il n'est pas établi que la salariée était habituellement en charge de travaux de manutention manuelle de charges lourdes, entrant dans les prévisions du tableau litigieux.

Cette condition n'étant pas remplie, la décision de prise en charge litigieuse doit être déclarée inopposable à la société.

Le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.

La caisse, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

DÉCLARE inopposable, à l'égard de la société [4], la décision de prise en charge, par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2], sur le fondement du tableau n° 98 des maladies professionnelles, de la pathologie déclarée par Mme [D] ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2] aux dépens.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente, et par Madame Juliette DUPONT, Greffière, à laquelle le magistrat signataire a rendu la minute.

La GREFFIÈRE, La PRÉSIDENTE,